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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Cherche La Pépite

12 août 2009 3 12 /08 /août /2009 13:49

La presse occidentale s’intéresse peu à ce procès pourtant essentiel dans les relations diplomatiques avec les puissances asiatiques. Je n’ai d’ailleurs pour le moment aperçu aucune analyse scientifique non plus dans les revues spécialisées (à l’exception de cette revue d’étude politique, Conflits actuels qui se limite hélas à une perspective strictement nationale). Ce procès constitue pourtant une étape importante sur le regard que portent nos sociétés sur les crimes de masse du XXème siècle. Pourquoi un procès s’organise-t-il trente ans après la chute du Parti communiste du Cambodge ? Et surtout, pourquoi s’agit-il d’un procès international ?

 

L’histoire d’un massacre

Tout d’abord, il faut préciser que le Cambodge est un ancien protectorat français depuis 1863. Après la Seconde Guerre mondiale, l’élite des pays colonisés commence à revendiquer l’autonomie, puis l’indépendance pour leurs pays. En Asie, les Japonais contribuent depuis longtemps à ce mouvement en développant une propagande anticoloniale autour du mot d’ordre : « L’Asie aux Asiatiques ». Ils sont également soutenus par les deux grandes puissances mondiales (Etats-Unis et URSS) mais aussi par la jeune ONU dont la charte de fondation proclame « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Devant les pressions régionales (le Royaume-Uni accorde l’indépendance de l’Inde dès 1947 et le Vietnam est traversé par de multiples soubresauts depuis la déclaration d’indépendance d’Hô Chi Minh en 1945), la France accorde l’indépendance au Cambodge le 9 novembre 1953. Le pays devient alors un terrain d’affrontement au sein de la Guerre Froide. Lorsque les Etats-Unis se désengagent de la région en 1973, les Khmers rouges de Pol Pot, soutenus par la Chine communiste, installent un régime autoritaire maoïste.

Commence alors une période trouble pour ce petit Etat soumis aux ordres aussi incompréhensibles que meurtriers de son dictateur. De peur d’être renversé du pouvoir, Pol Pot tente de supprimer tout opposant politique qu’il identifie largement parmi les intellectuels et les populations urbaines. On estime aujourd’hui que quelques 1,7 millions d’habitants (soit environ 20% de la population) ont été victimes de ces exactions. 

Officiellement, le régime des Khmers rouge chute dès 1979 lorsque le Vietnam envahit le Cambodge. La situation réelle est cependant plus confuse puisque l’entreprise vietnamienne n’avait guère d’ambitions philanthropiques. Il s’agit en fait plutôt d’une forme d’annexion dissimulée. Le nouveau gouvernement défend les intérêts du prétendu libérateur tandis que divers mouvements d’opposition (dont les Khmers rouges) tentent de retrouver une autonomie perdue. Ce n’est qu’en 1989, après l’intervention de l’ONU et l’évacuation des forces du Vietnam, que le pays retrouve une situation politique plus stable. Les structures politiques et militaires des Khmers rouges perdurent cependant plus ou moins légalement jusqu’en 1998. Un tel contexte n’a donc pas permis à la population cambodgienne d’effectuer un véritable travail de mémoire nationale.

 

Des tentatives mémorielles avortées

Si la temporalité du conflit fournit déjà un élément d’explication, elle ne peut suffire.

Les termes employés dans ce domaine sont aussi révélateurs. La population cambodgienne est majoritairement composée de l’ethnie Khmère et la langue officielle du pays est le Khmer. Dans ces conditions, difficile de condamner officiellement les « Khmers rouges ». L’appellation a été inventée par le roi Norodom Sihanouk dès les années 1950 dans une perspective d’opposition politique. Elle s’est vite popularisée, y compris à travers le monde. Il devient dès lors compliqué dans ces conditions de ne pas frôler l’amalgame puisque, même rouge (de par leur opinion politique ou bien par le sang qui colore leur mémoire, on ne sait plus trop…), ces individus restent des Khmers, symboliquement intégrés à la communauté nationale. Leur rôle dans la résistance à la tutelle vietnamienne a d’ailleurs renforcé cette confusion. On retrouve ici toute l’ambigüité de la situation allemande d’après-guerre où les dirigeants sont parvenus à faire entendre à la communauté internationale qu’un allemand n’est pas nécessairement un nazi. Au Cambodge, la distinction reste plus difficile dans l’imaginaire collectif.

La seconde difficulté est encore inhérente à la perspective internationale. La question des Khmers rouge s’inscrit étroitement dans la Guerre Froide et de nombreux acteurs ont été amenés à s’y confronter plus ou moins directement. Très tôt, des voix se sont élevées à travers le monde pour condamner ce qui pouvait être considéré comme un crime de masse. Depuis le procès de Nuremberg, des catégories théoriques ont été crées afin de caractériser (et de condamner) ces actions. Or, nous avons déjà fait remarquer à d’autres occasions dans ce blog (notamment à propos de l’Holodomor) que le terme de « génocide » pose de nombreuses difficultés aux historiens. Ceci n’est pas vraiment étonnant lorsqu’on considère le contexte d’apparition précipité de ce terme aux finalités essentiellement juridiques (J’attends encore avec impatience qu’un colloque international d’histoire soit organisé autour de la notion de génocide. Il permettrait peut-être de l’adapter plus efficacement aux différentes utilisations historiennes). Dans le cas des Khmers rouges, certains ont proposé de qualifier ces crimes d’ « autogénocide ». La notion est intéressante mais on peut dès lors se demander en quoi elle diffère d’une situation de guerre civile (on retrouve alors les termes du débat français autour du génocide vendéen qui a traversé la communauté universitaire dans les années 1980). De toute façon, l’ONU refuse formellement jusqu’à présent de reconnaître les crimes des Khmers rouges comme une forme de génocide. Dès lors, quels sont les enjeux du procès international qui s’est ouvert depuis le 17 février 2009 ?

 

Pour une construction mémorielle internationale

Une première tentative d’accusation des Khmers rouges avait été entreprise dès 1983. Sous l’influence du Vietnam en quête de légitimité auprès de la population nationale et internationale, près d’un million de cambodgiens avaient écrit leur témoignage à charge contre le régime autoritaire déchu. Ces documents avaient été rassemblés et déposés auprès des Nations Unies accompagnés d’une pétition nationale pour l’organisation d’un procès. Le projet était resté sans réponse tant il s’inscrivait dans un processus de propagande en l’honneur des libérateurs vietnamiens face aux impérialistes américains.

C’est pourtant à partir de ces témoignages qu’en 1997, le centre de documentation du Cambodge décide de retrouver les survivants afin de construire cette fois-ci de véritables plaintes et dépositions recevables devant un tribunal. Selon le récit d’un employé du centre de documentation qui a participé à la recherche des anciens signataires de la pétition, les réactions ont été diverses : certains ont enterré cet épisode difficile et ne souhaitent pas réveiller d’anciennes douleurs, tandis que d’autres se réjouissent que justice soit enfin rendue. Ce procès a suscité de nombreux débats depuis quelques années au Cambodge et il semble avoir divisé l’opinion sur sa nécessité. 

Devant la difficulté de la tâche, le gouvernement cambodgien a demandé l'aide des Nations Unies qui se sont alors prononcés pour la création d’un tribunal international. Par égard pour le peuple cambodgien, le gouvernement a refusé cette éventualité et a insisté pour que ce procès ait lieu au Cambodge, en faisant appel à des juges cambodgiens et internationaux qui se portent garants du droit international. Cette solution a été actée par l’Assemblée générale des Nations unies qui a adopté le 13 mai 2003 la résolution 57/228 approuvant une proposition d’accord entre l’ONU et le Cambodge sur la poursuite des principaux responsables des crimes commis entre 1975 et 1979.

Certains organismes, dont Amnesty International, ont émis des doutes sur la capacité du système judiciaire cambodgien à assurer un procès de cette importance. L’histoire de ce tribunal est passionnante car il s’agit d’une organisation judiciaire absolument inédite qui tente de trouver un consensus entre les susceptibilités nationales et la nécessaire perspective internationale du dossier. Notons simplement ici que le tribunal est parrainé par l’ONU, que le montage organisationnel permet de donner aux juges internationaux une sorte de droit de véto (voir la fiche complète d’Amnesty International) et qu’il se contentera de juger les principaux dirigeants des Khmers rouges et non pas les exécutants subalternes (Ieng Thirith, ancienne responsable des Khmers rouges et Kaing Guek Eav, l'ex-tortionnaire en chef du régime plus connu sous le nom de "Douch")


Kaing Guek Eav, ex-tortionnaire en chef du régime plus connu sous le nom de "Douch" 

 

D’un point de vue historiographique, nous pourrions attendre beaucoup d’un tel procès. L’immixtion d’éléments internationaux et le caractère tardif dans ce procès ne doivent-ils pas nous faire penser à une forme d’uniformisation de la mémoire ? L’affaire des Khmers rouges ne peut-elle finalement pas être considérée comme un drame strictement national (puisque les victimes et les bourreaux sont exclusivement cambodgiens) ? Aurait-on accepté en France que des juges américains participent au procès de Maurice Papon ? Finalement, le procès des Khmers rouges ne nous informe-t-il pas davantage sur l’uniformisation mémorielle de la planète plutôt que sur un procès historique ?

 

 

Documents à lire, à visionner ou à écouter :

Un dossier complet sur le Cambodge par la rédaction de France Culture.

Ka-set : un site d’information qui publie quotidiennement des comptes-rendus des séances du procès des Khmers rouges.

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