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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Cherche La Pépite

7 mars 2011 1 07 /03 /mars /2011 08:45

 

Alexandre Jardin est un écrivain français qui s’est fait connaître par plusieurs romans tels que Le Zèbre, Le Zubial ou encore Chaque femme est un roman

Il s’inscrit parfaitement dans cette famille bien connue du paysage culturel français : les Jardin. Son nouveau livre, Des gens très bien (publié chez Grasset en janvier 2011), comme bien d’autre de sa plume ou de celle de ses aïeuls, entretient le mythe d’une famille un peu particulière dont le public littéraire poursuit les aventures, les mésaventures et les folies depuis plusieurs décennies.

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Autant le dire tout de suite : je ne suis guère consommateur d’une telle littérature qui s’apparente à mon avis aux mécanismes bien huilés de la téléréalité. Je ne suis pas non plus particulièrement admirateur de la plume d’Alexandre Jardin. Soit. Il n’en demeure pas moins que ses livres se vendent bien et que son dernier roman m’a particulièrement intéressé.

 

Des gens très bien raconte un énième épisode de la famille Jardin. Le récit est écrit à la première personne et constitue une introspection de l’auteur sur son passé, celui de son père, mais aussi, et surtout, celui de son grand-père : Jean Jardin, directeur de cabinet de Pierre Laval du 20 avril 1942 au 30 octobre 1943.

Depuis plusieurs années, Alexandre Jardin s’interroge donc sur les logiques qui ont conduit son grand-père à la collaboration ; plus particulièrement, le petit-fils cherche à savoir si son aïeul a pu être impliqué dans la rafle du Vél d’Hiv du 16 juillet 1942.

jean-jardin.jpgalexandre-jardin.jpeg

 Jean Jardin (ci-dessus) et Alexandre jardin 

 

Dans une écriture purement narrative, l’auteur propose à son lecteur de l’accompagner dans une recherche d’ordre historique. Le procédé est particulièrement intéressant car, à de rares exceptions, les historiens demeurent souvent discrets sur leurs interrogations initiales, leurs motivations et leurs pérégrinations conduisant à l’élaboration d’articles, d’ouvrages, voire de synthèses. La méthode ne doit cependant pas induire en erreur. Alexandre Jardin n’est pas historien. Si sa démarche est intéressante et peut inspirer, elle n’est nullement révélatrice des réalités (car elles sont multiples) du cheminement de la pensée historique. Là où l’écrivain multiplie les entretiens, consulte les témoins et se laisse souvent emporter par son intime conviction guidée par une vision romancée des réalités, l’historien multiplie les lectures d’ouvrages historiques, consulte les archives et tente de limiter les prismes de sa subjectivité dans l’interprétation de l’histoire.

 

La différence majeure entre les deux démarches repose sur ce qui nous intéresse sur ce blog : la mémoire.

Des Gens très bien n’est donc pas tant un livre d’histoire (l’auteur n’en a d’ailleurs jamais eu la prétention) mais plutôt une lecture mémorielle du passé qui soulève des enjeux particulièrement importants.

 

Tout d’abord, Alexandre Jardin nous fait part de son malaise face à un passé qui ne passe pas. Certains ont avancé un coup médiatique ; je pense qu’il n’en est rien et que ce sentiment de l’auteur n’est pas feint. D’ailleurs, bien loin d’apporter une valeur ajoutée à la réflexion, ce trouble nuit à la narration. Le lecteur s’agace face à ces interminables listes de reproches d’un petit-fils à son grand-père et s’ennuie quand ces dernières sont inlassablement répétées. L’indignation atteint d’ailleurs des sommets de ridicule lorsque l’écrivain reproche à sa grand-mère de ne pas penser en 1942 comme il le fait en 2010 : « Barbie torturait à Lyon ; elle se torturait à Charmeil que son mari fût si peu disponible pour lui réciter des vers de Rainer Maria Rilke » (p. 54). Il regretterait presque également l’indifférence des autres à son égard : « personne ne voit en moi le représentant d’une famille de vichystes ou le légataire, malgré moi, d’une débâcle morale. On me prend même pour quelqu’un de normal » (p. 193). A n’en pas douter, Alexandre Jardin ne sait que faire de cette mémoire qui lui colle à la peau comme un tee-shirt trop court sur un ado.

 

Le malaise devient alors contagieux : pourquoi donc cet homme cherche-t-il tant à prouver la culpabilité de son grand-père quand la plupart des historiens (de Pierre Assouline à Serge Klarsfeld) lui expliquent qu’aucune preuve ne permet d’affirmer catégoriquement que Jean Jardin répond à la figure stéréotypée du salaud. On a parfois l’impression qu’Alexandre Jardin regrette, qu’il aurait voulu que son grand-père soit condamné de son vivant, ou de façon posthume.

Il est vrai en revanche qu’on peut s’étonner du silence des archives et de la discrétion médiatique dont jouit le personnage. Comment se fait-il par exemple, au moment où les journaux s’enflamment autour du passé vichyste de François Mitterrand, qu’aucun journaliste ne soit allé rechercher la postface que le Président de la République avait accordé au livre de Jean Jardin, La Bête à Bon Dieu ? Nous ne sommes pas loin de croire, avec l’auteur, que Jean Jardin, directeur de cabinet du chef du gouvernement français pendant dix-huit mois, avait eu l’intelligence de développer une conscience mémorielle prudente, et qu’il a donc travaillé à contrôler, et surtout à limiter, les traces qui auraient pu ensuite le compromettre. Cette dimension peu développée dans l’historiographie mériterait des recherches plus approfondies telles que celles proposées ponctuellement par Florent Brayard.

 

Si les sentiments compliqués qui traversent l’esprit d’Alexandre Jardin peuvent être compréhensibles, je pense que ce dernier réduit beaucoup trop son champ d’analyse pour en fournir une explication satisfaisante. A vouloir limiter son malaise à des relations strictement interpersonnelles, l’écrivain oublie qu’il est essentiellement conditionné par la société qui l’entoure. Ainsi, la nausée qui l’envahit régulièrement n’est pas la seule conséquence de sa filiation avec un homme qui a pu participer à l’organisation de la rafle du Vel d’Hiv. Elle est le résultat d’une dissension qui ne trouve pas de cohérence à ses yeux entre sa mémoire individuelle, la mémoire de sa famille et la mémoire nationale française. L’auteur esquisse d’ailleurs parfois quelques pistes qu’il n’ose approfondir :

« Glacé, j’avançais dans une France qui osait la lucidité plus lentement que moi » (p. 32)

 

Rongé par la colère et une forme de culpabilité héréditaire masochiste, il ne veut pas comprendre comment et pourquoi une famille, voire toute une Nation, a accepté de fermer les yeux sur certains aspects de son histoire pour mieux avancer vers l’avenir. Alexandre Jardin ne parvient pas en somme à s’extraire de son époque et de sa génération (la fameuse troisième génération…) pour porter un regard compréhensif et apaisé sur ceux qui ont accepté l’hypocrisie et ménagé la paix sociale. C’est pourquoi, même au sein de sa propre famille, certains lui ont reproché une lecture moralisatrice de l’histoire et se sont fâchés devant un tel déballage de bons sentiments anachroniques.

Alexandre Jardin n’est pourtant pas totalement dupe de cette réalité qu’il ne semble pas vouloir accepter complètement. Il écrit notamment : « Le logiciel mental indispensable pour se représenter l’action du Nain Jaune n’était pas encore installé dans les esprits en 1978 ; or, l’époque ne perçoit que ce que le contexte culturel rend sensible » (p. 41).

D’autres témoins l’ont d’ailleurs aidé dans son cheminement mémoriel. Dans la multitude des personnages évoqués dans ce roman, on note la présence remarquable de l’actuel ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, décrit comme « un homme qui, lui aussi, avait dû être esquinté par une famille de gens très bien où l’on pratiquait une cécité intensive » (p. 59). On comprend par cette phrase, mais par d’autres également qui s’inscrivent dans la même logique politique, que son ouvrage n’ait pas reçu un accueil très enthousiaste. L’écrivain remue parfois des choses que personne n’a plus vraiment envie d’entendre, ni de voir.

Aux côtés de ces "people" indispensables à l’écriture d’Alexandre Jardin, on rencontre d’autres personnages tout aussi importants. Il s’agit notamment de Jörg Hoppe, fils unique du commandant du Stutthof à qui on avait toujours caché les activités de son père lors de la Seconde Guerre mondiale, avant qu’il ne les découvre par l’intermédiaire de son professeur qui lui révèle en pleine salle de classe. Cet exemple hallucinant ne semble pourtant pas permettre à l’auteur de relativiser son expérience personnelle.

 

Au-delà des états d’âme égocentriques qui occupent la majorité de son propos, Alexandre Jardin propose également des réflexions essentielles autour de la mémoire. C’est le cas par exemple lorsqu’il s’interroge sur l’apparente absence de remords et de sentiment de culpabilité chez les bourreaux (de manière générale, sans se focaliser sur l’histoire de la déportation). L’historiographie recèle en effet de récits de témoins victimes de l’histoire. Annette Wieviorka notamment a très bien analysé ce sentiment compliqué qui hante les survivants, qui les réveille toutes les nuits, qui empêche certains de parler, voire qui pousse les plus faibles au suicide. Or, avons-nous jamais parlé de la mémoire des bourreaux, de ceux qui ont entraîné des milliers de personnes vers la mort, et qui sont ensuite retournés vivre normalement dans une société apaisée ? Comment ces hommes et ses femmes, à qui l’on n’a jamais vraiment laissé la parole, se sont-ils accommodés de leur mémoire ?

Un des rares qui ait bien voulu se livrer après cette expérience dramatique fût Rudolf Hoess. Pourtant, comme nous l’explique Alexandre Jardin, rares sont ceux qui ont bien voulu croire à la sincérité de ses arguments et de ses éventuels remords. Rares sont ceux qui acceptent un instant de se mettre dans la peau du bourreau. 

 

Il n’en reste pas moins qu’à la lecture de cet ouvrage, les idées sur la mémoire se bousculent, avec des citations qui ne manqueront pas de faire réfléchir le lecteur. Rien que pour cela, il vaut la peine de parcourir ce roman :

            - « Un jour, je me ferai greffer la mémoire d’un autre » (p. 65).

            - « Cette histoire était liquidée ; et moi je restais là, possédé par une mémoire qui n’était pas la mienne, une culpabilité qui ne me concernait pas directement, une honte qui n’effleurait même pas les miens » (p. 179).

            - « En rentrant vers Paris, cafardeux et à pleine vitesse, je me suis dit qu’il me faudrait un jour ou l’autre choisir ma mémoire, comme tous les Jardin qui suivront » (p. 179-180).

            - « Je ne supportais déjà plus d’être assigné à notre mémoire » (p. 180).

            - « Chacun fait comme il peut avec cette mémoire-là… » (p. 205).

            - « J’ai toujours eu très mal à ma mémoire ; assez pour devenir écrivain léger » (p. 269).

            - « Je croise un laudateur du régime, quelques futurs épurés qui, entortillés de fatigue, finissent de boucler tardivement leurs dossiers de collabos, ainsi que deux futurs ministres gaullistes qui feront des trous dans leur mémoire » (p. 276).

 

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commentaires

J
<br /> <br /> Il y a tout un travail fait sur la figure du bourreau, notamment "La séduction du bourreau" paru récemment, qui analyse entre autres sa place dans la littérature (ex bienveillantes etc)<br /> <br /> <br /> <br />
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