Retenu pendant quelques jours dans la fraîcheur appréciable d'un centre d'archives, je n'ai pas pu réagir immédiatement au discours de François Hollande lors des commémorations de la rafle du Vel d'Hiv'.
Plutôt qu'une analyse de texte, ce décalage me permet finalement de proposer une réflexion sur les diverses réactions et les enseignements qu'il conviendrait de tirer de cette deuxième polémique qui entoure le récit présidentiel de l'histoire depuis son élection.
Tout d'abord, et comme à notre habitude sur ce site, il convient d'aller lire le discours dans sa version officielle éditée sur le site de l'Elysée. Nous avons déjà signalé récemment notre regret de voir disparaître les vidéos qui accompagnaient jusqu'à présent le texte. La mise en scène, l'intonation, les pauses sont parfois tout aussi révélatrices que les mots... qui font d'ailleurs parfois l'objet d'improvisations de la part du président de la République.
Cette lecture permet de se rendre compte que les critiques portées à l'encontre de François Hollande par ses opposants se limitent finalement à un aspect très précis et limité du discours.
1. Dès le lundi 23 juillet 2012, le nouveau député UMP et ancienne plume de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a lancé la polémique dans des propos très durs et controversés : "Ce qu'a dit M. Hollande (...) hier, personnellement, me scandalise, pour une raison très simple : ma France, elle n'était pas à Vichy, elle était à Londres depuis le 18 juin. Il n'a pas parlé au nom de la France que j'aime". "Ce qui a été commis au moment de la rafle du Vel' d'Hiv est une abomination, c'est une horreur, et ceux qui l'ont fait doivent être condamnés durement au tribunal de l'Histoire". "Mais la France, qu'est-ce qu'elle a à voir avec cela ?". "Peut-être que M. Hollande se sent proche de la France des notables apeurés qui se sont précipités à Vichy après l'armistice. Ce n'est pas ma France", a ajouté le député UMP des Yvelines.
2. Jean-Pierre Chevènement considère quant à lui que "le président Hollande, dans son discours du 22 juillet, a malheureusement omis de dire que les crimes commis par les policiers et les gendarmes français, lors de la rafle du Vel d'Hiv, l'ont été sur l'ordre de l'Etat français de Vichy collaborant avec l'Allemagne nazie". "C'est occulter les accords passés avec la gestapo par René Bousquet, alors secrétaire général de la police, agissant pour le gouvernement de Vichy. C'est faire comme si Pétain était la France et comme si le véritable coup d'Etat opéré le 10 juillet 1940 par un gouvernement de capitulation n'avait pas existé".
3. Rachida Dati s'est également exprimée par une déclaration singulière : "Moi, je m'associe à ces déclarations. Je dis simplement, attention, parce que tous les Français n'ont pas été complices de cette barbarie, il faut aussi le rappeler".
4. Mardi 24 juillet 2012, le député et candidat au secrétariat général de l'UMP Bruno Le Maire a indiqué que selon lui M. Hollande a commis "une vraie maladresse" en confondant "l'Etat français et la France". "On confond la France et l'Etat français et je le regrette", a-t-il insisté. "Il aurait été plus juste de dire que la rafle a été organisée par l'Etat de Vichy et pas par la France".
5. Enfin, le vice-président du Front national Florian Philippot a estimé quant à lui que les propos tenus dimanche par M. Hollande sur la rafle du Vél d'Hiv en 1942 relève d'un "concours de repentance généralisé".
De cette revue de presse non-exhaustive, nous pouvons finalement retenir trois critiques principales :
1. Une confusion entre la France et l'Etat français de Vichy qui entraîne...
2. Une condamnation jugée insuffisante du gouvernement de Vichy et un silence considéré comme maladroit sur la France résistante,
3. Une démarche politique relevant de la repentance
Ces trois critiques ont en commun de relever d'une posture éminemment politique qui réveillent des débats en vigueur depuis plusieurs décennies, voire depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le grand combat et la grande force du général De Gaulle fut de parvenir à s'imposer (difficilement) aux yeux des Alliés (mais aussi des mouvements résistants de l'intérieur par l'intérmédiaire de Jean Moulin) comme le représentant légitime de la France face aux autorités de Vichy pourtant légales.
Depuis, le débat envenime régulièrement les commémorations, tel un serpent traversant la Cinquième République. De Gaulle et Mitterrand ont toujours refusé de reconnaître la légitimité de Vichy... et par conséquent de présenter des excuses officielles au nom de la France. Rattrapé par des révélations sur son passé à la fin de son second mandat, François Mitterrand avait cependant concédé en 1993 la création d'une « Journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite « gouvernement de l'État français » (1940-1944). La dénomination employée laisse clairement apparaître les précautions minutieuses prises à cette époque.
Cette modeste reconnaissance a ensuite été transformée par Jacques Chirac lors des commémorations de la rafle du Vel d'Hiv' de 1995. Dans un discours aujourd'hui encore célébré pour sa justesse et son intelligence, le président de la République affirmait : "Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français (...) La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable".
Pourquoi donc les mots de Jacques Chirac en 1995 ont été et restent salués... tandis que ceux de François Hollande sont sujets à polémique ?
Encore une fois, la réponse repose dans la logique des discours et non pas seulement dans de courtes citations.
Dans ce domaine, Jacques Chirac a fait preuve non seulement de talent, mais aussi de pédagogie : il rappelle d'abord que la déportation des Juifs était une exigence de l'occupant nazi. Ensuite, il dénonce la compromission des autorités de Vichy, mais aussi de policiers français fermant les yeux sous l'autorité de leurs chefs. Dès lors, avoir avoir condamné ces égarements, il termine son discours en rappelant que pendant ce temps, d'autres Français se battaient aussi pour la démocratie.
Ayant eu l'occasion à plusieurs reprises de rédiger des discours pour des élus, j'ai toujours été fasciné par ce modèle du genre qui s'est depuis imposé comme un modèle.
Le discours de François Hollande est quant à lui beaucoup plus brouillon, sans véritable plan et contient des affirmations très maladroites.
A trop vouloir répondre aux multiples revendications mémorielles, il finit par délivrer un message rempli de bonnes intentions, mais truffé d'erreurs, d'approximations et sans réelle portée symbolique.
Tandis que les hommes politiques d'opposition faisaient leur travail en sélectionnant un angle d'attaque précis susceptible d'être porté dans les médias, peu d'historiens se sont penchés sur le discours à l'exception d' Alain Michel pour le site Hérodote.net qui a repéré pas moins de sept erreurs ou approximations d'ordre historique dans le discours de François Hollande (qui peuvent cependant parfois faire aussi l'objet de débats et discussions entre historiens).
Espérons que cette nouvelle polémique permettra à François Hollande et à son cabinet de ne pas reproduire de telles erreurs qui apparaissent d'ailleurs comme assez surprenantes après les multiples critiques adressées à son prédécesseur dans ce domaine.
La plume de François Hollande (qui reste pour l'instant très discrète) doit comprendre qu'un discours politique ne peut pas être un cours d'histoire. Le président de la République est le garant du récit national. Son message se doit d'être éminemment politique et symbolique, ce qui ne l'empêche pas bien sûr de le faire reposer sur les connaissances actualisées de la recherche historique.
Tant que François Hollande persistera à vouloir venir discuter sur le terrain de l'histoire, il prendra le risque d'être sans cesse attaqué sur la méthode et les détails.
Comme le précise Thomas Wieder dans Le Monde, le président de la République risque de se faire encore régulièrement échauder s'il ne révise pas rapidement sa
posture face aux questions historiques et mémorielles. Génocide arménien, Guerre d'Algérie, Première Guerre mondiale sont autant de commémorations importantes qui se préparent durant son mandat
et durant lesquelles sa parole présidentielle sera scrutée avec attention.