Dans la presse ce matin... cet article du Nouvel Observateur sur un Comité pour le remboursement immédiat des milliards envolés à Haïti.
Les militants en question se sont faits habilement connaître par la création d'un faux site Internet reproduisant celui du Quai d'Orsay (le site a depuis été fermé, ce que je trouve, avec Laurence Fabre, porte-parole de ce Comité, inquiétant quant à la liberté d'expression). Depuis, le gouvernement et les militants jouent au chat et à la souris. Ces derniers sont parvenus à ouvrir un nouveau sitecontre lequel le ministère des Affaires Étrangères entend entamer des poursuites judiciaires.
Cette inquiétude autour des libertés fondamentales est pourtant bien la seule réflexion que je partage avec ce comité dont les revendications m'agacent.
Voici par exemple, la réponse qu'ils proposent aux menaces du gouvernement :
"Mais si un simple pastiche de site web est un crime, comment alors qualifier les agissements de la France en Haïti, notamment :
- La capture de force, le commerce, l’esclavage, la torture et le meurtre de millions d’Africains sur plus de deux siècles.
- Les 90 millions de francs or exigés à Haïti pour la perte des profits liés au trafic d’esclaves suite à l’indépendance du peuple haïtien. Un montant qui a placé Haïti sous le joug d’une dette illégitime qu’elle a mis 122 ans à rembourser à la France.
- La participation active au renversement le 29 février 2004 de Jean-Bertrand Aristide, président élu démocratiquement, en grande partie parce que Aristide avait eu la témérité d’exiger que la France rembourse à Haïti la “dette de son indépendance". En tenant compte des intérêts, le versement devait s’élever à 21 milliards de dollars US. C’était la première fois qu’une ancienne colonie d’esclaves demandait réparation à sa nation colonisatrice.
- La promesse de verser 180 millions d’euros à Haïti par l’entremise des agences de l’ONU, des ONG et de la Croix-Rouge. Six mois plus tard, Haïti n’a pas vu l’ombre du moindre centime, selon le site de surveillance de l’aide humanitaire de l’ONU, ReliefWeb. Ce qui n’a pas empêché le secrétaire d’État chargé de la Coopération de se rendre en jet privé - au coût de 143 000 dollars - à la conférence des donateurs pour Haïti.
Nous laisserons donc à l’opinion publique le soin de déterminer qui sont les véritables criminels".
Je ne prétends pas représenter l'opinion publique, mais qu'il me soit au moins permis d'apporter une petite contribution au débat.
Certes, et nous l'avons démontré à plusieurs reprise sur ce blog, l'Histoire est faite d'un récit national officiel éclairé sous les feux d'une propagande plus ou moins assumée ET de différentes zones d'ombre qu'il convient de débusquer. Certes, il est injuste que certaines périodes, acteurs et évènements de l'Histoire soient oubliés, voire ostracisés. Néanmoins, au risque de surprendre, je préfère qu'il en soit ainsi.
Il faut à mon sens raison garder sur ces questions au risque de sombrer un peu trop facilement dans des considérations démagogiques. Je pense qu'à la lecture des quelques pages qui précèdent ce billet, le lecteur pourra difficilement me reprocher d'être un porte-voix autoproclamé à la botte du pouvoir. J'ai souvent souligné les utilisations abusives, les dérives et les abus du gouvernement en place (et encore plus souvent du Président de la République lui-même) avec l'Histoire. Et pourtant, faut-il nécessairement prendre le strict contre-point du refus de repentance de Nicolas Sarkozy afin de dénoncer comme le font ces militants les "crimes" de l'Histoire ?
Il est heureux d'apprendre que depuis le 14 juillet 2010, les pensions des anciens combattants des anciennes colonies françaises seraient désormais alignées sur celles des Français après des décennies d'inégalités injustes. Il est heureux d'apprendre qu'une plaque à la mémoire des déportés pour motif d'homosexualité sera enfin aposée au Mur du Souvenir du camp du Struthof le 25 septembre 2010. Mais faut-il pour autant sans cesse condamner au nom de la mémoire les actes de l'histoire passée ? S'il n'est jamais trop tard pour demander une courte citation dans un discours politique, une petite inscription sur un monument publique ou encore une simple reconnaissance symbolique, faut-il toujours demander davantage d'indemnisation et de visibilité ?
A mon sens, la revendication du Comité pour le remboursement immédiat des milliards envolés à Haïti est dangereuse car elle ouvre encore une fois la boîte de Pandore mainte fois entrouverte de la judiciarisation de l'Histoire. Voter à l'Assemblée Nationale un "Accord-Cadre" afin de restituer une somme précédemment payée par un pays dans le cadre d'un accord légal reviendrait à reconnaître de fait une position victimaire à ce pays qui tente encore difficilement de s'extraire de tutelles plus ou moins prégnantes des anciennes colonies.
Et si nous poursuivions cette logique à son terme, l'Amérique toute entière pourrait aussi demander une indemnité au colonisateurs européens qui ont importé de nouvelles maladies outre-atlantique ; les agriculteurs, plutôt que d'attendre désespérément une énième réforme de la PAC, pourraient aussi se constituer en groupe identitaire héritier des paysans de l'époque médiévale pour demander une indemnisation contre l'appropriation des terres par les seigneurs et le remboursement des corvées...
Les idées stupides ne manquent pas... mais pendant ce temps, Haïti ne se reconstruit toujours pas et les rigolos en tailleur s'amusent à faire le buzz.
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