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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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C'est Qui ?

  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Cherche La Pépite

27 avril 2011 3 27 /04 /avril /2011 16:05

On ne compte plus les maladresses commises par nos dirigeants concernant l’histoire et les mémoires. A croire que les myriades de conseillers en communication qui les entourent n’ont jamais fréquenté le moindre banc d’une faculté d’histoire.

La dernière « perle » en date concerne l’histoire de l’esclavage. Dans le cadre de l’année de l’Outre-mer, le ministère de l’Outre-mer (rattaché au ministère de l'Intérieur, de l'Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l'Immigration) a décidé de regrouper au Jardin d'Acclimatation les différentes populations des outre-mer : L’action s’appelle « Un jardin en Outre-mer »).

un jardin en outre-mer

 Affiche de l'action "Un jardin en Outre-mer" au Jardin d'acclimation à Paris

 

Or, durant les mois qui ont précédé cette manifestation, personne parmi les organisateurs ne semble s’être inquiété de l’opportunité d’organiser un tel évènement dans un lieu connu pour avoir accueilli plusieurs exhibitions de « sauvages » de la fin du XIXème siècle jusqu’au début du XXème siècle (environ pendant soixante années).

Le site officiel du jardin d’acclimatation mentionne pourtant explicitement ces « spectacles ethnographiques ». Il est à noter d’ailleurs au passage le doublon autour de ce sujet dans la rubrique « L’histoire du Jardin ». Un premier article intitulé « Le temps des colonies » évoque ce sombre aspect dans des termes plutôt légers :

« De nombreuses manifestations s’inscrivent, en effet, dans le cadre de l’expansion coloniale. Elles contribuent à forger dans l’imaginaire français la représentation stéréotypée des populations colonisées. Certes, elles favorisent la rencontre et la découverte de l’autre, comme le souligne en 1903 le Guide du promeneur : « Les exhibitions ethnographiques, dont le Jardin d’Acclimatation a comme le monopole, ont le double mérite d’éveiller la curiosité de la foule et de l’instruire en mettant sous ses yeux des races humaines »».

Il faut pousser la curiosité un peu plus loin pour trouver un autre article intitulé « Des spectacles ethnographiques » qui développe le même sujet, mais en des termes plus critiques cette fois-ci :

« Cette mode remonte à 1810 quand une jeune Africaine callipyge, surnommée « la Vénus hottentote » (1789-1815), est exhibée d’abord à Londres puis à Paris où elle est notamment examinée par Étienne Geoffroy Saint-Hilaire. C’est le petit-fils de celui-ci, Albert, qui lance véritablement en France la vogue, profondément discutable, voire choquante, de ce que l’on va appeler des « attractions humaines ». Il s’inspire des exhibitions anthropozoologiques réalisées par l’Allemand Carl Hagenbeck (1844-1913), le « roi des zoos », qui, en 1875-1876, montre successivement au public des Lapons, trois Nubiens, une famille d’Inuits groenlandais ».

Exhibitions humaines

Affiche de 1887 présentant l'exposition des Ashantis au Jardin d'Acclimatation

 

Il a fallu encore une fois attendre l’indignation d’un collectif regroupant des chercheurs, des responsables associatifs et culturels, des romanciers et des cinéastes pour que les autorités réagissent et reculent. Nicolas Bancel, historien et professeur à l'Université de Lausanne (Il a codirigé l'ouvrage Zoos humains. Aux temps des exhibitions humaines) a ainsi pris la tête d’un collectif qui se rassemble sous le nom de "nous n'irons pas au Jardin d'acclimatation", en référence aux Surréalistes qui en 1931 avaient décidé de boycotter l’une des dernières expositions de ce genre en se regroupant sous le nom : "Nous n'irons pas à l'exposition coloniale".

Déjà, ces artistes et intellectuels avaient compris que de telles manifestations étaient complètement anachroniques. C’est pourquoi il paraît finalement encore plus aberrant de devoir le rappeler en 2011.

Quoiqu’il en soit, Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’Outre-mer, a entendu cet appel. Dans une lettre adressée à Françoise Vergès qui préside le comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, elle demande une mission d’étude sur la question des « zoos humains » et des exhibitions coloniales en France et plus particulièrement à Paris.

Cette lettre, qui nous a été communiquée, est révélatrice dans de nombreux extraits des incompréhensions qui règnent encore entre l’histoire et les mémoires dans l’esprit de bon nombre de nos dirigeants et de leurs conseillers.

lettre 1

Lettre 2

Lettre 3

Ces extraits nous montrent une forte dichotomie entre l’histoire et les mémoires dans l’esprit de ces rédacteurs. Ces deux facettes sont présentées comme antinomiques alors qu’elles sont intimement liées en réalité et qu’il n’est plus possible à notre époque d’affirmer que l’histoire viendrait s’imposer à la mémoire.

De plus, l’usage simultané des expressions « mémoire collective » et « mémoires » (au pluriel) signale une grave confusion des genres et une incompréhension totale des logiques qui conduisent aux débats actuels.

Enfin, il est surprenant de constater qu’un ordre de mission mentionne aussi explicitement les solutions attendues telles que « la pose de plaques ou l’organisation de cérémonies ». Ceci est d’autant plus regrettable que ces méthodes sont complètement dépassées et qu’elles sont d’ailleurs régulièrement critiquées par l’Etat lui-même comme une menace contre l’universalisme républicain.

Il est donc urgent d’envisager de nouvelles manifestations mémorielles en adéquation avec notre époque et notre société avant que le pavillon français des expositions universelles ne se transforme en une immense boulangerie où l’ouvrier en marcel blanc et béret noir se souvient du bon vieux temps en regardant tendrement ses six enfants blonds et sa femme dévouée.

 

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