L'information est passée relativement inaperçue car elle a été parasitée par une vaine polémique politicienne sur les excès de vitesse du chauffeur du président de la République. Il n'en demeure pas moins qu'après l'hommage rendu à Jules Ferry, François Hollande vient de participer à sa première grande commémoration officielle : celle du 68ème anniversaire du débarquement de Normandie.
A cette occasion, le chef de l'Etat a d'abord assisté à une cérémonie au cimetière militaire de Ranville (Calvados) avant de se rendre ensuite au Mémorial de Caen et d'y prononcer un discours devant notamment une quinzaine de jeunes lauréats du concours national de la Résistance et de la Déportation et trois vétérans du débarquement.
Comme le rappellent des journalistes du Monde , le passage du président de la République au Mémorial n'est pas si courant. François Mitterrand s'y était rendu en 1988 lors de l'inauguration et Jacques Chirac en 2004 à l'occasion d'une cérémonie particulièrement marquante pour le 60ème anniversaire. A l'époque, le président français s'était entouré de dix-sept chefs d'Etat et de gouvernement, dont le président américain George W. Bush, la reine d'Angleterre Elizabeth II et surtout le chancelier Gerhard Schröder qui représentait pour la première fois la présence allemande à ces commémorations.
Dans son discours, François Hollande fournit des éléments essentiels qui peuvent nous permettent de mieux comprendre sa vision de l'Histoire longtemps restée obscure, mais aussi d'imaginer ce que pourrait être sa politique mémorielle dans les cinq années à venir.
Passons tout d'abord rapidement sur une imprécision du propos lorsque le président déclare "au soir du 6 juin 1944, notre pays, la France, cessait d'être entièrement occupé". C'est sans compter en effet sur le débarquement des Alliés le 8 novembre 1942 dans les territoires français d'Afrique du Nord (Protectorat du Maroc et Algérie française). Il est toujours difficile de savoir si, dans ce contexte, le chef de l'Etat ne souhaite pas entrer dans les détails, commet une erreur, ou souhaite faire passer un message implicite aux anciennes colonies.
La volonté diplomatique est en revanche beaucoup plus explicite à la suite du discours lorsque François Hollande rappelle que des hommes venant de douze pays ont participé aux opérations. En présence du ministre de la Défense Britannique Philippe Hammond, il s'attarde plus particulièrement sur le courage des soldats anglais, avant de consacrer également quelques développements aux millions de victimes russes.
Sur ce point, je pense qu'il convient de relativiser l'analyse du directeur du Nouvel Observateur Laurent Joffrin qui voit dans le discours de François Hollande une volonté de corriger une lecture pro-américaine du débarquement imposée par le cinéma. Son argumentaire est très intéressant et juste... mais je pense qu'il ne faut tout simplement pas négliger non plus la volonté de flatter la présence de l'unique représentant étranger présent lors de cette cérémonie. Outre sa fonction commémorative, le président de la République rappelle ainsi son rôle diplomatique.
Ce n'est qu'à la fin de son discours, après avoir dressé un bref rappel historique, que François Hollande décline une réflexion davantage mémorielle.
Il est à noter tout d'abord qu'il rend un hommage équivalent aux héros (évoquant notamment la Résistance) et aux victimes (parlant alors du "sacrifice de la Normandie").
Puis, il se lance dans un exercice assez inédit de définition de la mémoire que nous reproduisons ci-dessous avant d'en proposer un modeste commentaire :
"La mémoire n'est pas une nostalgie, elle n'est pas une glorification du passé. Elle est aussi la pensée du présent et la préparation de l'avenir.
La mémoire se définit par la capacité de nous élever tous ensemble au-delà de nous-mêmes pour (que) la mémoire devienne Histoire.
La mémoire doit savoir survivre aux témoins des évènements eux-mêmes et trouver encore les mots quand les voix des survivants se sont éteintes. Cet enjeu de la poursuite, de la continuité, de la transmission, c'est celui de la génération qui arrive.
La mémoire, ce sont aussi des lieux. Et j'apporte tout le soutien de l'Etat à l'initiative prise par la Région de Basse-Normandie, en faveur de l'inscription des sites du débarquement au patrimoine mondial de l'humanité.
La mémoire, ce sont des dates, autant d'étapes dans la marche du temps. Ce sont des rites qui doivent être respectés. C'est pourquoi je suis très attaché aux anniversaires, aux anniversaires d'événements, de drames, mais aussi de faits glorieux, à l'anniversaire du débarquement allié. Je tiens à ce que le 6 juin soit, chaque année, dans notre pays, un moment important de cohésion nationale et de solidarité internationale. Et je souhaite que nous préparions dès maintenant, comme le Mémorial a commencé de le faire, les cérémonies du 6 juin 2014 (...).
La mémoire, c'est l'enseignement. Et une nouvelle fois, je mesure la responsabilité des professeurs qui doivent expliquer, faire comprendre, accompagner les jeunes esprits, leur dire que la barbarie a été possible au XXème siècle et qu'elle peut revenir au XXIème (...).
La mémoire, c'est aussi la recherche, l'innovation, retrouver les traces de ce qui s'est produit, et innover pour que les informations puissent être connues de tous avec les nouvelles technologies, avec internet (...).
Enfin mon dernier message, la mémoire, c'est aussi savoir d'où l'Europe vient et où elle doit aller.
Cette région, la Normandie, est couverte de tombes d'enfants de l'Europe toute entière. Je pense aux cimetières britanniques de Banneville ou de Bayeux, non loin de Colleville-sur-Mer où reposent les frères d'armes américains. Mais je pense au cimetière allemand de La Cambe. Tous ces jeunes Européens ont été les victimes d'une barbarie, celle du nazisme. Tous les Européens qui sont les enfants de ceux qui ne sont pas morts doivent être capables 68 ans après, d'inventer une Europe de paix, de solidarité et de progrès (...).
La mémoire, c'est la paix. La paix, oui, mais pas au prix du renoncement, pas au prix de la compromission, pas au prix de l'abdication, non. La paix, comme l'aboutissement d'un combat, d'une lutte âpre, dure. Mais d'une libération. Vouloir la paix, c'est combattre contre les injustices, les ignominies, les racismes, l'antisémitisme qui trouve encore ici à s'exprimer.
Voilà comment nous donnerons un avenir à la mémoire
La mémoire n'est pas un sentiment, une attitude, un état d'esprit, c'est un travail, c'est une politique, et, j'en suis désormais le garant".
Cette définition dense est relativement consensuelle, mais elle a le mérite de rappeler certains principes simples qui seront vraisemblablement la ligne de route du gouvernement dans les prochaine années à venir :
1. La mémoire n'est pas l'Histoire. Elle est le fruit d'une lecture du passé éminemment teintée des préoccupations du présent et du futur.
2. Par conséquent, il convient de conserver en parallèle de la mémoire un travail important d'Histoire (par l'intermédiaire de la recherche et de l'enseignement)
3. La mémoire nationale a pour vocation de rassembler la communauté citoyenne.
4. La mémoire est un bien et une valeur commune qu'il convient de protéger, d'encourager et d'entretenir dans ses manifestations spatiales et culturelles (témoignages, lieux de mémoires divers, édition d'ouvrages, commémorations...)
5. La mémoire est intrinsèquement liée à l'avenir de notre pays. Elle doit être l'un des axes permettant d'éclairer les grandes décisions.
C'est donc un baptême plutôt réussi pour le nouveau président de la République bien qu'il n'ait pas vraiment attiré l'attention des médias. Peut-être redécouvrira-t-on dans quelques années l'importance de ce discours quand il permettra en fin de quinquennat de dresser le bilan de François Hollande dans ce domaine.
Pour l'heure, ses sorties mémorielles sont à l'image de la mémoire du massacre de Tulle qu'il souhaitait également commémorer dignement le 9 juin 2012, avant que l'annonce de la disparition de quatre soldats français en Afghanistan ne vienne perturber l'agenda. Soixante-huit an plus tôt, la division SS Das Reich faisait en effet plusieurs centaines de victimes, dont 99 pendus et de nombreux déportés. Ce évènement est cependant longtemps resté dans l'ombre du massacre d'Oradour-sur-Glane commis le lendemain à une échelle encore plus grande.
François Hollande aura probablement à coeur l'année prochaine de revenir à Tulle pour y célébrer une nouvelle commémoration. Ce sera déjà l'occasion pour nous de dresser un premier bilan de sa
politique mémorielle à la lumière de ce qui vient d'être rappelé.