Comme tous les mois, nous poursuivons notre recension du magazine l'Histoire sous la forme de courtes brèves afin de compléter notre réflexion sur l'actualité mémorielle de la recherche et de l'édition.
Mémoires d'ouvriers
Nous sommes tout d'abord très heureux de vous annoncer la diffusion du nouveau documentaire de Gilles PERRET. Ce talentueux réalisateur s'était fait remarquer en 2009 pour son magnifique travail sur la mémoire combattante dans Walter, retour en résistance qui n'est pas sans lien avec le mouvement des Indignés développé par la suite.
Ce nouveau film adopte une logique similaire : partir d'histoires locales d'ouvriers des montagnes de Savoie pour ensuite proposer les grandes lignes d'une histoire ouvrière.
Mémoires des cimetières
La revue Le Mouvement Social propose dans sa livraison d'octobre-décembre 2011 un dossier consacré à "Cimetières et politique".
Les enjeux mémoriels d'une telle thématique s'imposent à chaque auteur en montrant que l'acte d'inhumation est irrémédiablement lié au temps (et à la postérité). Le lieu, la mise en scène, l'organisation et les commémorations dans les cimetières sont significatifs de la façon dont une époque gère ses morts et leurs souvenirs.
(Un compte-rendu a été proposé par le site des Clionautes).
Mémoire de la Shoah en Turquie
Pour la première fois, et presque 30 ans après sa première diffusion en France, le film Shoah de Claude Lanzmann a été sous-titré en turc et diffusé dans son intégralité sur la chaîne TRT.
Cette initiative est portée par le Projet Aladin dont l'objectif est d'oeuvrer au rapprochement des Juifs et musulmans, notamment par l'intermédiaire d'une réflexion historique. Cette diffusion fait suite à celle de mars 2011 sur la chaîne satellite iranienne "Pars TV". La chaîne américaine en arabe Al Hurra devrait prochainement en faire de même.
Les médias ne disent pas cependant si les audiences ont été au rendez-vous...
Mémoire de la Shoah au cinéma
La sortie attendue du film "Le Juif qui négocia avec les Nazis" permet de mettre en lumière la complexité des mémoires de la Shoah des années 1950 à nos jours.
Ce Juif qui négocia avec les Nazis est Rudolf Kasztner. Homme politique roumain, il accepta de négocier avec Eichmann en 1944, espérant ainsi sauver jusqu'à "un million de Juifs". Abusé par Eichmann, il ne parvient finalement à épargner "que" 1685 personnes parmi lesquelles sa femme et ses proches. Installé en Israël en 1947, il poursuit sa carrière politique mais est régulièrement l'objet d'attaques personnelles sur son éventuel passé de collaborateur.
En 1954, Rudolf Kasztner décide de riposter devant la justice pour préserver son honneur. L'affaire de diffamation se transforme vite en procès contre l'homme politique accusé d' "avoir vendu son âme au diable". Il est finalement débouté de sa plainte en 1955... avant que la Cour suprême infirme cette décision en 1958. Trop tard hélas, car Rudolf Kasztner a entre-temps été abattu par un jeune fanatique d'extrême-droite !
De manière assez subtile, ce film montre à quel point la mémoire juive de la Shoah, avant d'adopter la posture plus consensuelle qu'on lui connaît aujourd'hui, a traversé de nombreuses péripéties liées tout autant à l'histoire qu'à la politique contemporaine. Derrière les débats et les archives, on comprend en effet que ce n'est pas seulement le procès de Rudolf Kasztner qui a lieu en 1954. C'est aussi celui d'Eichmann qui est encore caché en Amérique latine à cette époque. C'est enfin celui de l'ensemble de la société israélienne qui s'interroge sur l'attitude à adopter face aux ennemis Palestiniens.
Correspondances mémorielles
L'historien et critique de cinéma Antoine de Baecque a choisi de consacrer son article mensuel à Low Life qui retrace l'histoire d'un couple d'étudiants. L'intrigue repose notamment sur le statut administratif d'Hussein, sans-papier afghan à qui la préfecture refuse d'accorder un visa.
L'histoire se construit sur une actualité brûlante qui a néanmoins réveillé des références historiques chez l'historien qui voit dans la clandestinité de ces jeunes gens une résurgence des Résistants lyonnais qui, durant la Seconde Guerre mondiale, se dissimulaient également dans les traboules de la vieilles ville.
Cette correspondance toute personnelle (puisque l'auteur précise que le film ne comprend ni document historique, ni reconstitution) n'est visiblement pas partagé par tous. L'article d'un blog complémentaire (mais néanmoins ami) du nôtre s'offusque d'un tel rapprochement et propose quelques rappels historiques pour éviter ce qu'il considère comme un anachronisme. Le débat est ouvert...
L'histoire au lycée : histoire ou mémoire (suite)
Nous en avions parlé dans notre précédente recension du numéro de mars, Annette Wieviorka avait frappé particulièrement fort (mais juste) en questionnant les orientations récentes des nouveaux programmes de lycée. Il était donc normal que Laurent Wirth, doyen du groupe histoire-géographie de l'Inspection générale de l'Éducation nationale et président du groupe d'experts ayant travaillé sur ces nouveaux programmes, lui réponde.
Pour rappel, Annette Wieviorka reprochait une approche trop compassionnelle de l'histoire. Laurent Wirth lui répond qu'il n'est pas d'accord et que ces programmes permettent selon lui de "mesurer la différence entre histoire et mémoires, différence qui sera approfondie en terminales ES et L".
Chacun est renvoyé dos à dos...
Mémoires du jansénisme
La référence se résume à une simple phrase dans l'article de Nicolas Lyon-Caen, mais elle est lourde de sens. Étudiant la survie des jansénistes au XVIIIe siècle, l'historien rappelle que la mémoire janséniste de cette période est davantage fondée sur une "mémoire inventée" que sur une mémoire "héritée" des persécutions subies par l'abbaye de Port-Royal, de l'expérience de la résistance à l'Unigenitus et des miracles du diacre.
En somme, nous pourrions voir dans cette mémoire janséniste du XVIIIe siècle l'une des premières manifestations d'une mémoire collective victimaire en construction. D'autres exemples antérieurs permettront probablement un jour d'envisager plus largement ce phénomène et d'en écrire une histoire permettant de prendre davantage de distance avec l'originalité supposée des mémoires contemporaines.
Conserveries mémorielles
Sous cette dénomination originale se cache une revue scientifique fondée en 2006 à l’initiative de Bogumil Jewsiewicki dans le cadre de la Chaire de recherche du Canada en histoire comparée de la mémoire. Depuis 2010, elle est accueillie par le Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT) à Québec et par l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) à Paris. Jocelyn Létourneau (professeur à l’Université Laval) et Henry Rousso (directeur de recherche au CNRS) sont aujourd’hui les directeurs de cette publication animée par de jeunes chercheurs en sciences humaines et sociales.
Depuis sa fondation, Conserveries mémorielles a pour ambition d’explorer différents champs de la mémoire. Elle entend privilégier les thématiques pouvant être abordées dans une perspective internationale et transdisciplinaire.
Parmi les derniers numéros, on trouve des sujets aussi intéressants et passionnants que "Mémoire et travail", "les angles morts" (de la mémoire) ou encore "les représentations du passé : entre histoire et mémoire".
A lire sans modération.
Mémoires d'une insurrection populaire
Le livre d'Alain Hugon (Naples insurgée, 1647-1648. De l'évènement à la mémoire) est révélateur d'une tendance de fond très forte dans le la recherche actuelle qui conduit régulièrement à étudier non seulement un évènement historique, mais aussi sa mémoire.
L'un des précurseurs dans le domaine est incontestablement Jacques LE GOFF avec son célèbre Saint Louis qui avait alors renouvelé l'approche biographique en ne se contentant pas seulement d'actualiser les données historiques sur le sujet, mais en compilant également l'ensemble des traditions mémorielles autour du personnage permettant de déconstruire la façon dont il pouvait apparaître aux yeux des contemporains.
C'est cette méthodologie qui est utilisée par Alain Hugon pour étudier le soulèvement de Naples et des provinces environnantes contre la domination espagnole entre le 7 juillet 1647 et le 6 avril 1648. Comme toujours, des mémoires plurielles et concurrentes apparaissent. Ce qui est novateur en revanche, c'est de faire émerger et de comparer des mémoires locales (l'Italie méridionale) et des mémoires européennes.