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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Cherche La Pépite

24 juin 2011 5 24 /06 /juin /2011 14:49

Marc-ferro.jpg

Marc FERRO (avec Isabelle VEYRAT-MASSON), Mes histoires parallèles, Paris, Carnets Nord, 2011.

 

C’est un exercice difficile que celui de se retourner sur son parcours et d’essayer d’y jeter un regard objectif et utile. L’exercice est d’autant plus compliqué pour un historien habitué à travailler à partir de sources sur lesquelles il exerce habituellement une distance critique. Certains, sous la direction intellectuelle de Pierre Nora, se sont essayés à l’expérience de l’ego-histoire, rarement reprise depuis. D’autres ont préféré enterrer rapidement la douloureuse épreuve d’introspection professionnelle imposée désormais à tout candidat pour l’habilitation à diriger des recherches (HDR).

Marc Ferro, qui ne fait décidément rien comme les autres, a décidé de ne pas rester seul dans cette épreuve. Il s’est ainsi entouré de la remarquable plume d’Isabelle Veyrat-Masson dont nous avons déjà signalé les travaux sur ce blog. Le résultat final est remarquable et j’en recommande vivement la lecture aux jeunes étudiants indécis devant la perspective d’un long cursus d’études en histoire (après Apologie pour l’histoire de Marc Bloch que l’on devrait mettre en priorité entre toutes les mains lycéennes comme remède aux amphithéâtres désertés). 

 

Marc Ferro s’explique tout d’abord sur le choix du titre qui résume la logique de cette entreprise : Mes histoires parallèles est un mélange subtilement dosé entre « l’histoire en train de se faire et l’histoire, cette discipline que les Annales m’ont appris à analyser » (p. 17). Il joue donc sur ces deux registres qui constituent les deux premières parties du livre (« les épreuves de l’histoire » et « l’histoire par les preuves »). Il arrive d’ailleurs que ces deux histoires se croisent par inadvertance comme en 1994 lorsque l’auteur travaille sur des archives des Actualités françaises pour la série documentaire Histoire parallèle (autre clin d’œil au titre) et qu’il découvre que sa participation aux défilés de la victoire à Lyon ont été immortalisées en vidéo :

 


 

L’auteur a en effet été acteur de nombreux éléments de l’histoire du XXe siècle qui interrogent encore largement les historiens : le recensement des Juifs de France en 1941, la Résistance, la guerre d’Algérie, etc. Le récit de Marc Ferro n’est pourtant pas péremptoire. Il se contente de développer une version, en précisant régulièrement qu’elle n’est pas infaillible et que l’œil du témoin, même averti, ne jouit d’aucune forme d’autorité intrinsèque. Une telle démarche, modeste et honnête, suscite assez rapidement la sympathie et la confiance du lecteur.

 

Le propos est cependant parfois plus surprenant, laissant percevoir un esprit toujours vif et impertinent. Ainsi, l’auteur se démarque-t-il d’une vision héroïque de l’engagement en Résistance en affirmant qu’il ne connaissait lui-même  pas vraiment la nature du réseau dans lequel il s’engageait au départ. Quelques pages plus loin, il frôle franchement l’iconoclasme en affirmant « qu’à cette époque, pour beaucoup, le maquis était un ramassis de voyous et de terroristes » et que, pour cette raison, de potentiels engagements ont avorté. C’est pourquoi il hésite même à mentionner son passé de résistant à Pierre Renouvin lorsqu’il le rencontre après la guerre.

D’une manière générale, le ton de Marc Ferro étonne par sa franchise. Il rappelle ainsi avec aplomb (et un peu d’agacement) que peu d’historiens français lui accordent de légitimité pour ses travaux sur la guerre de 1914-1918. Et pourtant, c’est bien lui qui, à 86 ans, a été choisi pour diriger le Conseil scientifique du Musée de la Grande Guerre à Meaux qui ouvrira en 2011. A l’inverse, il ne s’invente pas non plus une passion viscérale et immémoriale pour l’histoire, minimisant ses ambitions de jeunesse : « Pour moi, à cette date, c’était le professeur de philo qui formait les esprits. Le professeur d’histoire proposait des récits et puis, de temps en temps, il en tirait des leçons » (p. 276). On est loin, à ce moment, des ambitions des Annales.

 

Au-delà des réflexions introspectives, l’histoire personnelle de Marc Ferro passionnera le lecteur initié car elle donne à voir des portraits résolument humains de nombreuses sommités intellectuelles qui ont croisé son chemin. Au cours de ses études, déjà, il partageait les bancs de l’université avec Annie Becker, célèbre pour les historiens sous le nom d’Annie Kriegel. Plus tard, c’est dans la position inconfortable de candidat à l’agrégation qu’il fait connaissance avec le redoutable Fernand Braudel  qui « présidait le jury et […] posait des questions impossibles à préparer loin de toute grande bibliothèque » (p. 113). Les deux hommes finiront pourtant par s’entendre et partager une formidable expérience humaine et intellectuelle autour de la revue des Annales… après bien sûr que l’ancien candidat malheureux ait passé un tout autre entretien en présence de… Paulette Braudel. Eclipsée par l’ombre de son célèbre mari, la jeune femme semblait en effet avoir une voix importante dans les décisions de l’historien.

Marc Ferro se permet également de nombreuses remarques incisives qui rendent d’autant plus vivants ses portraits qui pourraient faire grincer quelques dents si les principaux protagonistes n’étaient justement pas décédés. Les querelles d’ego entre Braudel, Mandrou, Renouvin, Le Goff, Richet, Le Roy Ladurie… illustrent un monde universitaire où tous les coups sont permis. Ces mésententes ne sont pas cependant seulement croustillantes, elles sont aussi révélatrices des logiques à l’œuvre dans les orientations historiographiques qui ont été prises par quelques-uns pour des motifs parfois peu scientifiques. On apprend ainsi que la revue des Annales a longtemps fonctionné sous un système peu démocratique où les seuls avis qui comptaient ont été ceux de Fernand Braudel, secondé par Marc Ferro. On se met alors à penser à tous les champs qui sont restés enfermés dans les placards des universités, faute d’avoir convaincu les tenants de la pensée de l’époque. On comprend mieux par exemple pourquoi l’historiographie française du genre est longtemps restée bridée (malgré le génie de Foucault récupéré par les Etats-Unis) quand on apprend que Fernand Braudel refusait de publier Jean-Paul Aron parce qu’il était homosexuel.

Nonobstant, on ne peut qu’être admiratif de la stratégie « impérialiste » mise en place par Braudel, soucieux d’imposer et d’entretenir la suprématie française sur l’historiographie mondiale. Malgré ses excès, c’est peut-être finalement d’un nouveau Braudel dont l’histoire française aurait besoin pour surmonter une « crise » qui n’en finit pas.

 

Le ton n’est cependant pas toujours aussi grave et le récit de Marc Ferro prête également à sourire par son actualité parfois involontaire. Ainsi, lorsque l’auteur commence à enseigner, il nous raconte qu’aucun poste de professeur d’histoire n’est disponible. Par défaut, il se transforme donc en germaniste chargé d’apprendre cette langue à un élève qui progresse bien plus vite que lui.

A plusieurs reprises dans l’ouvrage, Marc Ferro introduit d’ailleurs des digressions sur le métier d’enseignant qu’il a visiblement apprécié et pour lequel il conserve une sympathie profonde : « Cet adjectif « simple » [utilisé par Isabelle Veyrat-Masson pour qualifier les professeurs de l’enseignement secondaire] exprime bien la déchéance qu’ils ont connu depuis les années 1960. Le ministère les a mis sous surveillance, puis ils ont subi le contrôle des parents ; puis des pédagogues aux idées courtes ont déconstruits leur savoir pour leur apprendre à enseigner ce qu’ils ne savaient pas eux-mêmes ; puis avec la démocratisation, on n’a pas adapté les programmes aux besoins de la société, au point que les élèves n’ont plus vu le rapport entre ce qu’on leur enseignait et les exigences de la vie à laquelle ils étaient censés se préparer ». C’est court, incisif, mais tellement frais.

 

Marc Ferro, c’est aussi, et surtout, l’historien que l’on associe aux images et à la télévision. Privé d’une légitimité universitaire sanctionnée par l’institution (il a raté l’agrégation six ou sept fois), il se permet plus facilement d’entrer dans des domaines peu considérés dans les années 1960. C’est donc un peu par hasard, comme souvent dans sa carrière, qu’il est associé à des projets télévisuels qui vont contribuer à sa renommée. Le hasard n’est pourtant pas vain puisque Marc Ferro ne s’est pas contenté de saisir l’opportunité d’un média. Très tôt, il a apprivoisé ce vecteur de communication en montrant qu’il pouvait apporter une valeur ajoutée à l’écriture de l’histoire, à condition de s’interroger sur ses usages et ses potentialités, d’adopter une méthode rigoureuse, et de croiser les sources de différentes natures. Aujourd’hui encore, il demeure l’un des spécialistes dans ce domaine, aux côtés d’Isabelle Veyrat-Masson.

Mais Marc Ferro, c’est aussi l’historien qui, face à un auditoire élargi par la télévision, s’est beaucoup interrogé sur la place et le rôle de l’histoire dans les sociétés. Ces réflexions sur l’enseignement et sur la mémoire développées dans la dernière partie de l’ouvrage sont passionnantes car elles s’élèvent au-dessus d’un débat trop souvent stérile et posent des questions essentielles sur la « formation des mentalités » par le prisme du passé.

 

Au terme de cet ouvrage, quelques mystères demeurent. Nous l’avons vu, le choix d’un plan thématique est très intéressant car il permet de dresser un parallèle entre les différences facette de la carrière d’un homme aux intérêts multiples. Néanmoins, cette méthodologie n’est pas sans limite et, par manque de repères chronologiques, le lecteur saisi mal comment un seul homme a pu gérer sereinement toutes ces carrières, et tous ces projets de front ! S’il était aussi indispensable aux Annales, comment la revue fonctionnait-elle lorsqu’il devait s’absenter plusieurs semaines pour parcourir les centres d’archives russes et les studios télévisés. Comment était-il rémunéré ? Comment a-t-il pu gérer une telle précarité institutionnelle tout au long de sa carrière ? En somme, son cheminement peut-il est considéré comme un exemple de liberté intellectuelle, ou comme une exception que le système actuel ne pourrait plus supporter ?

On regrette également que Marc Ferro ouvre si peu sa réflexion sur l’avenir. Précurseur et novateur durant des décennies, on aurait aimé qu’il nous parle aussi de l’histoire en 2011 et de ses grandes inflexions. Les historiens actuels doivent-ils se saisir de l'Internet comme il s’est jadis saisi du petit écran ? L’histoire est-elle mise en danger par le politique ? Doit-on réformer notre système scolaire ? Universitaire ? Telles sont les questions sur lesquelles nous aurions souhaité connaître le sentiment de Marc Ferro.

 

De cet ouvrage à l’image de son auteur, c’est-à-dire difficile à caractériser dans le paysage historiographique actuel, on retient néanmoins la richesse d’un témoignage utile. Dans son récit, l’historien accepte de livrer avec générosité son expérience, ses pratiques, et ses méthodes. Il nous embarque avec lui dans les centres d’archives russes. Il nous entraîne dans des conférences parfois prestigieuses, et dans d’autres beaucoup plus improbables mais pour lesquelles il mobilise toujours le même sérieux et la même énergie, insistant sur le rôle social et citoyen de l’historien, notamment dans cet extrait particulièrement pertinent à méditer :

« Les sociétés vivent de leur histoire. Leur passé, leur héritage, leurs problèmes, tel est leur héritage ; l’historien aide à conceptualiser le passé, ainsi qu’à mieux remémorer. L’histoire sert surtout à prévenir le retour des catastrophes, autant que faire se peut. Selon Reinhart Koselleck, la science historique constitue une sorte de réservoir contenant des milliers de situations ; et plus on connaît l’issue, les données, mieux on peut résoudre celles qui se présentent à nous. Telle est une des fonctions de l’histoire. Eclairer les sociétés sur leur possible développement.

Or, la plupart des gens ne vivent pas dans l’histoire. Ils vivent leur propre vie. Ils sont assurés contre les incendies, contre le vol ou les accidents ; ils ne sont pas assurés contre l’Histoire, contre les évènements. Quand ceux-ci s’abattent sur eux – ces crises, ces guerres, etc. – ils sont désemparés. L’historien doit les aider à comprendre le sens de ces évènements.

Outre sa fonction instrumentale, l’histoire a également une fonction civique donnant à tous le sens de son appartenance à la nation ou à une autre communauté. Plus que d’autres, les peuples colonisés font appel à l’histoire, que souvent ils s’inventent, pour résister à l’oppression de ceux qui les ont soumis ».

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19 juin 2011 7 19 /06 /juin /2011 12:55

 

En 1990, la Fondation pour la Mémoire de la Déportation était créée afin de pérenniser la mémoire de l’Internement et de la Déportation au-delà de la génération des témoins. Dès le départ, la Fondation s’associait à une autre action créée en 1961 visant plus particulièrement les jeunes : le Concours national de la Résistance et de la Déportation. Depuis, le jeune public demeure une composante essentielle de chaque entreprise mémorielle. 

 

Cette association des jeunes au travail de mémoire a toujours été une priorité pour les associations, soutenues dans cette mission par le ministère de l’Education Nationale.

Sur le site institutionnel Eduscol à destination des professionnels de l’Education, on peut trouver de nombreux documents visant à lier l’enseignement et la transmission de la mémoire. Les professeurs (notamment d’histoire-géographie et d’éducation civique) sont invités « à associer les élèves aux commémorations et à mettre en œuvre des actions de sensibilisation (lecture de texte, venue d'intervenants extérieurs, projection de film etc...) ».

Le ministère insiste néanmoins sur quelques commémorations précises qui témoignent d’un prisme mémoriel surprenant de la part d’une institution censée briller par son objectivité. Ainsi, les professeurs sont invités à diriger leurs élèves vers une mémoire minutieusement balisée autour du souvenir de Guy Môquet, de l’armistice de la Première Guerre mondiale, des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité, du souvenir des victimes de la déportation, de l’armistice du 8 mai 1945 et de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions.

Si cette liste regroupe les principaux éléments faisant l’objet d’une commémoration, on peut s’étonner de son caractère limitatif. Pourquoi ne pas commémorer l’Europe, la paix, la décolonisation ou encore les droits de l’homme pour lesquels il existe déjà une journée internationale ?

 

Dans ce dédale mémoriel, une nouvelle initiative vient d’apparaître et doit être inaugurée officiellement mercredi 22 juin 2011 dans les salons du Gouverneur militaire de Paris en l’Hôtel national des Invalides : il s’agit d’un « Passeport pour la Mémoire » initié et réalisé à la fois par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (Onacvg) et la mairie de Saint-Maur-des-Fossés.

passeport-pour-la-memoire.png

 

Son principe est relativement simple : le Passeport pour la Mémoire est matérialisé par un livret qui sera tamponné à l’issue de chaque participation à une cérémonie nationale ou bien après une quête en faveur du Bleuet de France. Après avoir participé à dix commémorations ou quêtes, le jeune détenteur de ce document se verra attribuer une médaille émise par la mairie de sa commune et destinée à symboliser sa participation au devoir de mémoire.

Lancée pour la toute première fois à Saint-Maur-des-Fossés, cette entreprise mémorielle est destinée par la suite à se diffuser progressivement dans de nombreuses autres communes de France afin de lui conférer un caractère national.

 

De nombreuses interrogations sont soulevées par une telle initiative.

Dans un premier temps, nous ne pouvons que saluer le travail de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (Onacvg) qui constitue un partenaire constant, fiable et indispensable pour les professeurs désirant enrichir leur enseignement de l’histoire et impulser une réflexion sur la mémoire. Que ce soit à l’échelle nationale ou départementale, leurs services proposent de nombreuses ressources et des interlocuteurs de qualité (organisation de rencontre avec des témoins, prêt d’expositions pédagogiques, soutien financier à différents projets, organisation de voyages mémoriels…)

 

Nonobstant, ce projet de « Passeport pour la Mémoire » peut laisser perplexe dans sa disposition actuelle.

Sur le principe tout d’abord, on peut s’interroger sur la remise d’une médaille destinée à symboliser la participation au « devoir de mémoire ». Vingt ans après l’apparition de cette expression vulgarisée jusqu’à l’outrance, et malgré de nombreuses mises en garde contre ses excès, sa réutilisation est toujours surprenante, surtout lorsqu’elle s’inscrit dans un cadre aussi institutionnel.

Impossible alors de ne pas faire le lien avec le « devoir d’histoire » que de nombreux historiens ont avancé face à sa contrepartie mémorielle. Plus qu’une opposition, il s’agit d’une complémentarité logique. Il est en effet illusoire, voire dangereux dans certains cas, d’espérer entretenir une mémoire saine et sereine sans une approche historique préalable. Dès lors, que pensez de la réduction constante des heures d’enseignement d’histoire face à la multiplication de ces différents projets à connotation majoritairement mémorielle ? Comment le futur citoyen est-il censé exercer son esprit critique alors qu’il bénéficie de moins en moins d’une formation solide au départ ?

Les chiffres de participation au concours nationale de la Résistance et de la Déportation pour l’année 2011 risquent d’ailleurs de confirmer la tendance esquissée durant l’année 2010 d’une baisse remarquable d’intérêt. Il est fort probable que la réforme du lycée et la déstabilisation qu’elle provoque soit profondément liée à ce résultat. A défaut d’histoire, les adolescents et leurs professeurs n’envisagent plus qu’à minima un investissement coûteux en temps dans un projet mémoriel.

Malgré l’opposition caricaturale souvent avancée entre l’histoire et la mémoire, il s’avère donc que les acteurs du domaine mémoriel auraient tout intérêt à se manifester vigoureusement contre les atteintes répétées envers l’enseignement de l’histoire.

 

Sur la forme ensuite, l’essai de ce passeport demande à être confirmé.

Le constat initial est juste : les cérémonies commémoratives sont chaque année un peu plus abandonnées par le jeune public. Souvent, les seuls enfants présents accompagnent leurs parents ou grands-parents dans une démarche davantage familiale que citoyenne.

Les solutions proposées me semblent néanmoins en décalage avec la réalité d’une jeunesse que la solennité de ces manifestations ennuie profondément. Or, la solution proposée par ce « Passeport pour la Mémoire » ajoute de la solennité à la solennité en doublant les cérémonies commémoratives par d’autres cérémonies de remises de médailles où les mêmes seront toujours présents sans avoir nécessairement ouvert une porte aux autres.

A mon sens, cette initiative, aussi louable soit-elle, s’accroche désespérément aux attentes des plus anciens qui entretiennent une dimension quasiment sacrée autour des cérémonies commémoratives. Il serait peut-être préférable, quitte à faire grincer quelques dents chez les habitués, de réformer nos commémorations pour les rendre plus attractives, plus participatives et plus éclectiques.

Nous pourrions par exemple nous inspirer d’exemples britanniques où chaque citoyen est invité à participer à la création d’un lieu de mémoire éphémère plutôt que d’assister passivement au dépôt d’une gerbe. L’idée avait d’ailleurs été initiée en 1986 par Jochen GERZ et Esther SHALEV-GERZ avec le Monument contre le fascisme de Hamburg où les visiteurs étaient invités à laisser une trace de leur passage, participant ainsi à une véritable construction mémorielle. De même, on pourra retenir l’exemple amstellodamois où les lieux de mémoire s’intègrent plus étroitement qu’en France à l’espace public. Ainsi, les monuments mémoriels sont non seulement l’objet de cérémonies solennelles, mais aussi de manifestations plus festives et culturelles. Ce sont en fait de véritables lieux de vie où la mémoire se mêle et s’entretient au quotidien.

 

L’instauration d’un « Passeport pour la Mémoire » mérite donc d’être saluée car elle témoigne d’un intérêt constant des hommes pour leur passé. La réflexion mérite cependant d’être poursuivie davantage afin de mieux intégrer l’évolution des sociétés face à leurs mémoires.

 

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14 juin 2011 2 14 /06 /juin /2011 19:58

Dans le cadre de la candidature des sites du Débarquement au patrimoine mondial de l’UNESCO, des rencontres internationales sont organisées au Mémorial de Caen du 15 au 17 juin 2011.

 

On peut certes s’agacer de cette énième candidature qui dénature progressivement cette liste censée regrouper des sites ayant « une valeur universelle exceptionnelle ». D’ailleurs, nous ne savons pas encore sur quel(s) critère(s) la candidature des plages du Débarquement est retenue.  Il n’en demeure pas moins que ce dossier est particulièrement intéressant car il repose sur une conception mémorielle du patrimoine. Ce n’est en effet pas tant la beauté et l’exceptionnalité du site, ni même ses constructions humaines qui sont avancées. C’est tout simplement la mémoire attachée à un lieu sur lequel un éminent évènement s’est produit relativement récemment.

Dès lors, Simone Veil a été sollicitée pour parrainer le projet. Quel lien me direz-vous entre l’ancienne ministre rescapée des camps et les plages du Débarquement ? La mémoire encore une fois. La mémoire d’une déportée à Auschwitz qui, un jour de juin 1944, trouve un fragment de journal relatant le Débarquement de Normandie et qui recommence à espérer.

Le parrainage, aussi prestigieux soit-il, ne suffit pas cependant à défendre un dossier à l’échelle internationale. Des sondages sont donc réalisés auprès de la population normande afin de présenter au monde ce territoire comme un symbole « de paix », « de réconciliation », mais aussi l’envie des habitants de voir reconnaître leurs terres à l’étranger. De plus, comme rien ne s’obtient désormais sans un bon lobbying, l’Etat a accepté de donner un petit coup de pouce en organisant le dernier sommet du G8 à Deauville. La manifestation a été l’occasion pour les porteurs de projet de remettre aux principaux chefs d’Etat une lettre visant à défendre le projet. Enfin, un bon dossier ne peut être digne de ce nom sans une caution scientifique. C’est dans ce cadre que sont organisées ces rencontres internationales dont voici le programme :

 

Mercredi 15 juin 2011

9h30-10h00 

Ouverture du colloque
par M. Laurent BEAUVAIS, président de la région Basse-Normandie, M. Philippe DURON, député-maire de Caen, M. Stéphane GRIMALDI, directeur du Mémorial de Caen

Matinée : Mémoire, lieux de mémoire.

Président de séance : Stéphane SIMONNET (Directeur scientifique – Mémorial de Caen) 

10h00-10h30 

Présentation des résultats de l’étude CSA : « La Bataille de Normandie et le devoir de mémoire selon les Bas-Normands.»
Mme Elisabeth-Martine COSNEFROY, directeur général de l’Institut CSA

10h30-11h00 

Mémoire et histoire des guerres : questions du temps présent.
M. Jean-Pierre RIOUX, inspecteur général honoraire de l’Education nationale

11h20-11h50 

La mémoire des victimes : la place des cimetières militaires comme lieux de mémoire.
Mlle Kate LEMAY, doctorante, Indiana University (États-Unis)

11h50-12h20 

Retour sur l’histoire d’une dualité JourJ / Bataille de Normandie.
M. Jean QUELLIEN, professeur d’histoire contemporaine, Université de Caen - CRHQ

Après-midi : Les États face aux enjeux de mémoire

Président de séance : Pierre LABORIE (Directeur d’études à l’EHESS) 

14h30-15h00  

Mémoires, Musées et Mémoriaux en France.
M. Stéphane GRIMALDI, directeur du Mémorial de Caen

15h00-15h30 

Représentation du Débarquement et de la Bataille de Normandie dans l’exposition permanente du Musée d’Ottawa – Mémoire du 6 juin et de la Bataille de Normandie au Canada.
M. Jeff NOAKES, historien, Musée canadien de la guerre, Ottawa (Canada)

15h30-16h00 

Le Débarquement et la Bataille de Normandie dans la mémoire collective américaine de 1945 à nos jours.
M. William KEYLOR, professeur d’histoires et relations internationales, Université de Boston (États-Unis)

16h30-17h00 

L’ouverture du second front et ses représentations en URSS et en Russie de 1944 à nos jours.
Mme Natalia NAUMOVA, docteur en histoire, Université de Moscou (Russie)

17h00 -17h30 

Représentation du Débarquement et de la Bataille de Normandie dans l’exposition permanente du Musée – Mémoire du 6 juin et de la Bataille de Normandie au Royaume-Uni.
M. Roger SMITHER, Imperial War Museum, Londres (Royaume-Uni)

18h00-20h00 

Quand les correspondants de guerre britanniques filment le 6 juin 1944.
M. Georges GUILLOT, réalisateur-Scénariste

Projection du film « En première ligne », documentaire de 52 minutes, réalisé par Georges Guillot. Une coproduction La Gaillarde Productions-France Télévisions.

Le 6 juin 1944, l’opération Overlord débute tôt le matin. Les première embarcations touchent le rivage de la France occupée à 6h30. Aujourd’hui, 68 ans plus tard, le réalisateur Georges Guillot présente un film sur le D-Day « vu » par « des soldats britanniques de l’image ». Il a recueilli auprès de Peter Norris, Harry Oakes, John Aldred et Peter Handford leurs souvenirs du Débarquement de Normandie en rapport avec leur activité de photographe et de caméraman. Ces correspondants de guerre ont pris des images, devenues une des « mémoires de ce jour-là ». Témoins « privilégiés », ils apportent aujourd’hui un éclairage différent sur cet événement, ainsi qu’une lecture étayée de leurs souvenirs. « En première ligne », diffusé il y a plusieurs mois sur France 3, reste avant tout un film « de mise en perspective critique » de ces première images de guerre en Normandie et de leur utilisation, portant ainsi une profonde réflexion sur la notion de « vérité historique ».

Jeudi 16 juin 2011

Matinée : Constructions et évolution d’une mémoire collective

Président de séance : Denis PESCHANSKI (Directeur de recherche au CNRS) 

9h15-9h45 

Vision du Débarquement et de la Bataille de Normandie  dans les témoignages bas-normands.
M. Etienne MARIE-ORLEACH, Université de Caen - CRHQ

9h45-10h15  

“Private Ryan” between Viet Nam and Iraq : The changing representation of War and Patriotism in American Cinema.
M. Richard GOLSAN, Distinguished Professor of French, Texas A&M University (États-Unis)

10h15-10h45 

Les images comparées du Débarquement dans les actualités françaises, britanniques, allemandes et américaines.
M. Dominique FORGET, Directeur de la société "Archives de guerre"

11h15-11h45  

Les images comparées du Débarquement dans les documentaires TV
Mme Isabelle VEYRAT-MASSON, directrice du laboratoire Communication et Politique - CNRS

11h45-12h15  

Discours politiques et commémorations officielles : les présidents français et alliés dans les cérémonies commémoratives du 6 Juin et de la Bataille de Normandie de 1945 à nos jours.
M. Marc-Olivier BARUCH, directeur d’études - EHESS

12h15-12h45  

Les trous de mémoire de la mémoire : mobilisations et interventions des acteurs de «proximité» lors des cérémonies commémoratives du 6 juin 1944.
M. Pierre LABORIE, directeur d’études - EHESS

Après-midi : Une mémoire partagée du 6 juin ?

Président de séance : Stefan MARTENS (Directeur adjoint – Institut historique allemand de Paris) 

14h30-15h15  

La place du 6 juin et de la Bataille de Normandie dans les manuels scolaires européens.
Dr Susanne GRINDEL, responsable adjointe de la section “Europe”, Georg Eckert Institut
M. Jean-Baptiste PATTIER, Ecole IJBA, Bordeaux

15h15-15h45 

Une bataille décisive ? Retrouver le 6 juin 1944.
M. Jean-Luc LELEU, docteur en histoire, ingénieur de recherche – CNRS - CRHQ

15h45-16h15 

En voie de l'européanisation? L'Allemagne, le 6 juin 1944 et la représentation de la Seconde Guerre mondiale dans l’après-guerre froide.
M. Jörg ECHTERNKAMP, historien, directeur de projet, Institut de recherche en histoire militaire, Potsdam (Allemagne)

16h15-16h45 

Le 6 juin 1944, la ligne d'horizon.
Jean Louis DEOTTE, professeur des Universités en philosophie, Paris VIII – Saint Denis

17h15-17h45 

Conclusions et perspectives.
Denis PESCHANSKI, directeur de recherche au CNRS, Université I – Panthéon-Sorbonne

Vendredi 17 juin 2011

Matinée : Préserver et transmettre la mémoire du Débarquement de Normandie

10h00-12h00  

Table ronde

Quelle transmission de la Mémoire et quelle valorisation du patrimoine ? 

• Les outils d’interprétation et de transmission, notamment auprès de jeunes,
• La préservation des lieux de mémoire,
• La valorisation du patrimoine mémoriel de la construction d’une filière autour du tourisme de mémoire (Espace historique de la Bataille de Normandie),
• La candidature des sites du Débarquement : présentation des lignes directrices et des valeurs portées par la candidature,

Conclusions par M. Alain TOURRET, Vice-président de la région Basse-Normandie.

 

 

Bien qu’ils s’inscrivent dans un cadre quasiment promotionnel, on peut s’attendre à des débats passionnants au regard de la liste des intervenants et du plan adopté par le comité scientifique. Il ne s’agit en effet pas seulement de porter une candidature, mais de réfléchir collectivement à la portée mémorielle d’un évènement dont on n’a vraisemblablement étudié toutes les facettes historiques. Dès lors, nous pouvons considérer cette manifestation comme l’une des rares réflexions universitaires d’envergure où la question mémorielle sera au centre des discussions, et non pas à la marge.

 

 Plages-du-debarquement-de-Normandie.jpgplage-du-debarquement-de-Normandie.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plages du débarquement de Normandie en 1944 et aujourd'hui

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13 juin 2011 1 13 /06 /juin /2011 21:40

Les conséquences de l’instauration d’une nouvelle Constitution en Hongrie se répercutent sur de nombreux domaines. Au-delà de la limitation des libertés de la presse qui a essentiellement intéressé les journalistes français, ce sont en fait plus globalement les libertés d’opinion et d’expression qui sont en danger, notamment par le biais d’une réécriture méthodique de l’histoire.

 

Dans un article très intéressant paru dans la revue Regard sur l’Est, Paul GRADVOHL résume cette dérive en trois étapes :

- Tout d’abord, le gouvernement a décidé de fermer l’accès aux archives concernant la période allant de l’occupation allemande (19 mars 1944) à la mise en place d’un gouvernement sur la base d’élections libres (2 mai 1990). Ainsi, de nombreux travaux scientifiques ont été stoppés dans l’urgence par un gouvernement qui ne voyait pas d’un bon œil ces historiens travaillant sur un passé jugé trop récent.

- Ensuite, au nom de la liberté d’information et de la protection des données individuelles, le gouvernement a décidé de disperser toutes les archives de cette période en les remettant aux personnes concernées. Dès lors, des montagnes d’archives ont été dilapidées, réduisant à néant toute possibilité de saisir le sens global de l’histoire d’un pays au centre de la guerre froide.

- Enfin, la Constitution vient mettre un point finale à cette entreprise en affirmant dans un espèce de credo national : « Nous ne reconnaissons pas la suspension de notre Constitution historique résultant des occupations étrangères. Nous refusons la prescription des crimes inhumains commis contre la nation et les citoyens hongrois sous le pouvoir des dictatures nationale-socialiste et communiste. Nous ne reconnaissons pas la Constitution communiste de 1949 car elle fut le fondement d’une tyrannie, et c’est pourquoi nous proclamons son invalidité. Nous sommes d’accord avec les députés de la première Assemblée nationale libre qui ont, dans leur première résolution, affirmé que notre liberté d’aujourd’hui a pris son essor à partir de notre révolution de 1956 ».

 

Cette dérive constatée en Hongrie témoigne d’une orientation générale qui a conduit récemment de nombreux gouvernements à se saisir de la question historique pour mieux l’instrumentaliser. Progressivement, nous commençons à saisir ce qui peut être caractérisé comme une véritable « politique historique ».

Cette dernière consiste à empêcher progressivement l’enseignement, puis l’écriture de l’histoire par l’intermédiaire de multiples mesures réduisant l’accès aux archives, diminuant les crédits de recherches, réformant le statut des enseignants et des chercheurs… tout en continuant à mener activement en parallèle une politique mémorielle que les jeunes citoyens ne sont plus en mesure de décrypter, à défaut de formation à l’esprit critique.

L’exemple hongrois illustre un processus qui atteint pour la première fois un tel niveau d’aboutissement. En introduisant ces déclarations au sein même de la Constitution, le gouvernement fait l’économie de plusieurs décennies de propagande. Il vient d’inscrire dans la loi suprême sa propre lecture de l’histoire, interdisant de fait toute forme de révision scientifique. Il s’agit dès lors de la loi mémorielle la plus puissante jamais adoptée.

 

Bien qu’elle ait été adoptée par un pays qui peut nous paraître lointain, cette « politique historique » nous concerne tous. Elle témoigne d’une tendance sinueuse qui s’immisce discrètement à la tête des pouvoirs respectifs en Europe. C’est pourquoi il est important de réagir avant que d’autres mesures similaires ne soient adoptées ailleurs.

Les deux premières étapes évoquées ci-dessus sont déjà en application, mais la dernière n’est pas encore exécutée puisque la Constitution ne doit être promulguée qu’au 1er janvier 2012. Dès lors, un espoir demeure. Sous la pression internationale, le gouvernement hongrois peut encore reculer. Il est donc urgent que les hommes politiques, les militants des droits de l’homme et les historiens (Liberté pour l’Histoire, le Comité de Vigilance face aux usages publics de l’histoire…) se saisissent de la question pour éviter que de nouvelles lois mémorielles ne parviennent à s’imposer jusqu’aux plus hautes instances des Etats européens.

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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 17:25

L'activité du blog s'est un peu réduite ces dernières semaines et je m'en excuse auprès des plus fidèles lecteurs. La fin d'année scolaire (et universitaire) est un peu chargée mais l'aventure ne s'arrête pas. L'actualité ne cesse de nous montrer que les réminiscences mémorielles sont omniprésentes et que l'histoire reste toujours indispensable pour en comprendre les subtilités. 

Pour tous ceux qui souhaitent alimenter leur soif inextinguible autour de ces questions, je leur conseille d'assister à une journée d'étude organisée à Lyon le 16 juin 2011 sur les interférences entre les savoirs historiques enseignés et la politique.

 

Voici la présentation et le programme :

L’école est un lieu d’observation privilégiée des transferts des savoirs vers les pratiques. Loin d’être immédiats, ces déplacements sont médiés par le politique. Ces médiations prennent différentes formes, inscription dans les programmes, les projets, les controverses publiques. Les acteurs du milieu scolaire sont interrogés par l’usage politique qui est fait des savoirs scientifique. L’interpellation mobilise les acteurs du système scolaire, lesquels font entendre plusieurs réponses, du déni de légitimité à la reconnaissance de la capacité du politique à intervenir dans des débats portés dans l’espace public. L’histoire est particulièrement interrogée par ces déplacements de savoirs devenus des usages ; mobilisée par le pouvoir dans l’enceinte scolaire, elle est devenue, redevenue, un enjeu dans l’espace public.

Programme :

10h Introduction Jacques Michel (professeur IEP de Lyon, responsable du GREPH)

10h 30 Vincent Chambarlhac (Maître de conférences Ub UMR CNRS 5605) : « On n’apprend plus l’histoire à nos enfants». Sur un débat de la fin des années 1970

11h Thierry Hohl (PRAG IUFM de Bourgogne) : Quelle histoire enseignée? Retour sur le projet socialiste de 2010

14h30 Corinne Bonafoux (Maître de conférences à l'Université de Savoie détachée à l'INRP): Histoire et mémoire dans l’espace scolaire (titre sous réserve)

15h30 Débat : Laurence de Cock (responsable du CVUH, animatrice du groupe Aggiornamento pour l‘histoire-géographie), Gilles Vergnon (Maître de conférences HDR en histoire contemporaine à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon) : des usages de l'histoire dans l'espace public.

 

Je ne pourrai personnellement pas être présent à cette journée d'étude. Si des lecteurs souhaitent nous proposer un compte-rendu, ce serait parfait. Je connais la plupart des intervenants (soit pour avoir été leur étudiant, soit pour avoir lu leurs livres) et je peux vous assurer que la réflexion sera renseignée et stimulante.

Notons au passage que la plupart des intervenants sont également membres du Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire. Cette association très active et utile rassemble des chercheurs et enseignants en histoire qui ont choisi de sortir de leur "tour d'ivoire" et de revendiquer leur place au sein du débat public. Ses membres interviennent donc régulièrement et sous toutes les formes afin de ne pas laisser l'histoire et ses enseignements pervertis par d'éventuelles esprits malintentionnés. Nous aurons d'ailleurs probablement à reparler très prochainement de leurs activités, prises de positions et éditions.

 

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17 mai 2011 2 17 /05 /mai /2011 15:44

C’est un fait : j’ai grandi avec Loft Story, Secret Story, et autres Star Academy. Je fais donc partie bien malgré moi de cette première génération de la téléréalité dont les philosophes et historiens de la fin du XXIème siècle pourront évaluer sans pitié les ravages (ou les mirages) d’une culture biberonnée par Benji et Nikos.

Alors que j’usais mes pantalons sur les bancs du collège (déjà tous remplacés par ces chaises immondes aux couleurs incofortables), je me souviens néanmoins que la télévision était encore teintée d’un vernis de culture… ou du moins, c’est ce qu’elle prétendait nous faire croire !

Qui n’a pas entendu un soir d’insomnie les philosophes bien-pensants débattre du néant en se donnant des airs convenus appuyés de références stéréotypées ? Je me souviens qu’à l’époque, la mention obligatoire pour discuter de la téléréalité était celle du fameux « Big Brother » de George Orwell. Impossible d’y échapper ! A tel point que c’est ce nom que la société Endemol a choisi pour développer son concept initial d’émission à l’échelle internationale.

Il m’a fallu plus de dix ans pour m’extraire de cette idée pervertie par les multinationales de l’audiovisuel…

 

Profitant d’une nuit d’insomnie, et à défaut de plateau télévisé, je me suis replongé dans 1984 de George Orwell. Il ne faut pas plus de quelques pages pour comprendre que les "intellectuels" invoquant cet ouvrage pour décrire et analyser les excès de la téléréalité n’avaient probablement jamais rien lu d’autre que la notice Wikipédia pour bâtir leurs réflexions. Dans la continuité de La Ferme des Animaux, l’écrivain britannique et ancien sympathisant trotskyste poursuit sa critique acerbe (mais efficace) du communisme soviétique.

L’utilisation de la figure de Big Brother pour analyser un concept strictement capitaliste visant à créer des profits par la diffusion d’images d’individus a priori sans intérêt (et donc sans valeur numéraire) me paraît particulièrement inopérante, voire contreproductive. Ce que dénonce Orwell dans 1984, c’est la constitution d’une force suffisamment puissante pour imposer la captation omniprésente et oppressante d’images quotidiennes visant à renforcer son pouvoir. A l’inverse, la téléréalité profite d’une évolution sociétale qui conduit des individus à réprimer toute intimité et toute pudeur pour se livrer avec indécence aux caméras.

 

L’ouvrage m’a en revanche beaucoup plus inspiré pour la réflexion que Georges Orwell développe autour des notions d’histoire et de mémoire.

Le métier exercé par Winston, le personnage principal, est en effet au centre d’une réflexion sur l’histoire, la mémoire et le pouvoir : il est chargé de réécrire quotidiennement le passé en fonction des aléas politiques. Discrètement, dans un petit bureau sans fenêtre, il reçoit des archives qui ne répondent plus à la lecture officielle. Dès lors, il supprime quelques noms, change quelques dates ou bien invente une nouvelle Histoire visant à faire oublier la précédente. L’archive authentique, qui peut aussi bien être une falsification antérieure devant être réactualisée, est alors détruite par l’intermédiaire d’une fente mystérieuse et judicieusement appelée « trou de mémoire ».

Les archives ne sont cependant pas le seul prisme par lequel opère ce pouvoir totalitaire. Les rares livres d’histoire sont également soumis à une écriture officielle, tandis que l’enseignement de l’histoire, tout comme les historiens, ont été éliminés au profit d’employés tels que Winston qui sont de véritables techniciens bouchant les trous et rafistolant les jointures mal combinées de l’Histoire politicienne.

George Orwell précise aussi que « les statues, les inscriptions, les pierres commémoratives, les noms de rues, tout ce qui aurait pu jeter une lumière que le passé, avait été systématiquement changé ». Ces détails réalistes démontrent à quel point il avait développé sa réflexion sur ce monde infernal prisonnier du présentisme.

 

L’intrigue repose essentiellement sur la mémoire du principal protagoniste qui, impliqué dans la machine à oublier, introduit un grain de sable en refusant de se discipliner lui-même. Se souvenir devient alors un acte de résistance solitaire, puis collectif, pour lequel il va être sévèrement châtié. Menacé et torturé, il doit répéter devant son bureau le slogan du Parti : « Qui commande le passé commande l’avenir ; qui commande le présent commande le passé ».

 

La conséquence la plus profonde de cette pratique totalitaire est l’effacement quasiment irrémédiable de la mémoire sociale. A défaut de repères fixes et tangibles, l’esprit humain refuse progressivement toute inscription pérenne sur son disque dur. Seules les idées les plus simples sont entretenues, à savoir l’adoration du chef protecteur et la détestation de l’ennemi criminel. Peu importe l’ennemi, peu importe ses crimes, peu importe qu’il existe… Seules comptent les pulsions qui dirigent les hommes. Or, à défaut de pouvoir capter les failles et les contradictions du système que la mémoire ne peut retenir, les hommes sont soumis à la plus terrible des manipulations.

Les conclusions de l’auteur sont alors sans appel sur cette situation « La mémoire était défaillante et les documents falsifiés, la prétention du Parti à avoir amélioré les conditions de la vie humaine devait alors être acceptée, car il n’existait pas et ne pourrait jamais exister de modèle à quoi comparer les conditions actuelles ».

 

Outre la qualité littéraire de ce roman, il convient sur ce blog de s’interroger sur son enseignement en 2011 à la lueur d’un monde nouveau qu’Orwell avait anticipé. Certains extraits peuvent alors être lus avec une provocation anachronique qui, toute proportion gardée, ne manquera pas néanmoins de faire réfléchir sur une éventuelle théorisation du contrôle des masses par l'intermédiaire d'un contrôle du passé :

 

1. « Le changement du passé est nécessaire pour deux raisons dont l’une est subsidiaire et, pour ainsi dire, préventive. Le membre du Parti, comme le prolétaire, tolère les conditions présentes en partie parce qu’il n’a pas de terme de comparaison. Il doit être coupé du passé, exactement comme il doit être coupé d’avec les pays étrangers car il est nécessaire qu’il croie vivre dans des conditions meilleures que celles dans lesquelles vivaient ses ancêtres et qu’il pense que le niveau moyen de confort matériel s’élève constamment ».

=> Depuis quelques mois, le gouvernement français a décidé que les élèves de lycée n’apprendront plus l’histoire contemporaine après 1962…

=> Malgré la diffusion des technologies d’information et de communication, plusieurs études montrent que ces réseaux renforcent plus les frontières linguistiques qu’ils ne les dépassent. D’ailleurs, à l’instar de la Chine, les pays occidentaux réfléchissent actuellement à un « Internet civilisé » et mieux contrôlé par les forces politiques.

 

2. « Mais la plus importante raison qu’a le Parti de rajuster le passé est, de loin, la nécessité de sauvegarder son infaillibilité. Ce n’est pas seulement pour montrer que les prédictions du Parti sont dans tous les cas exactes, que les discours statistiques et rapports de toutes sortes doivent être constamment remaniés selon les besoins du jour. C’est aussi que le Parti ne peut admettre un changement de doctrine ou de ligne politique. Changer de décision, ou même de politique est un aveu de faiblesse ».

=> Jouons un peu : je vous mets au défi de retrouver sur le site Internet de l’Elysée des traces de la réception de Mouammar Kadhafi en France en 2007.

 

3. « La mutualité du passé est le principe de base de l’Angsoc. Les évènements passés, prétend-on, n’ont pas d’existence objective et ne survivent que par les documents et la mémoire des hommes. Mais comme le Parti a le contrôle complet de tous les documents et de l’esprit de ses membres, il s’ensuit que le passé est ce que le Parti veut qu’il soit. Il s’ensuit aussi que le passé, bien que plastique, n’a jamais, en aucune circonstance particulière, été changé. Car lorsqu’il a été recréé dans la forme exigée par le moment, cette nouvelle version, quelle qu’elle soit, est alors le passé et aucun passé différent ne peut avoir jamais existé. Cela est encore vrai même lorsque, comme il arrive souvent, un évènement devient méconnaissable pour avoir été modifié plusieurs fois au cours d’une année. Le Parti est, à tous les instants, en possession de la vérité absolue, et l’absolue ne peut avoir jamais été différent de ce qu’il est ».

=> Outre de multiples pressions financières et institutionnelles, l’écriture de l’histoire est aujourd’hui conditionnée par des lois mémorielles issues des instances politiques. Cette fois-ci, la réalité dépasse la fiction que George Orwell aurait pu imaginer.

 

4. « Plus tard, au XXe siècle, il y eut les totalitaires, comme on les appelait. C’était les nazis germains et les communistes russes. Les Russes persécutèrent l’hérésie plus cruellement que ne l’avait fait l’Inquisition, et ils crurent que les fautes du passé les avaient instruits. Ils savaient, en tout cas, que l’on ne doit pas faire des martyrs. Avant d’exposer les victimes dans des procès publics, ils détruisaient délibérément leur dignité. Ils les aplatissaient pas la torture et la solitude jusqu’à ce qu’ils fussent des êtres misérables, rampants et méprisables, qui confessaient tout ce qu’on leur mettait à la bouche, qui se couvraient eux-mêmes d’injures, se mettaient à couvert en s’accusant mutuellement, demandaient grâce en pleurnichant. Cependant, après quelques années seulement, on vit se répéter les mêmes effets. Les morts étaient devenus des martyrs et leur dégradation était oubliée. Cette fois encore, pourquoi ? En premier lieu, parce que les confessions étaient évidemment extorquées et fausses. Nous ne commettons pas d’erreurs de cette sorte. Toutes les confessions faites ici sont exactes. Nous les rendons exactes et, surtout, nous ne permettons pas aux morts de se lever contre nous. Vous devez cesser de vous imaginer que la postérité vous vengera, Winston. La postérité n’entendra jamais parler de vous. Vous serez gazéifié et versé dans la stratosphère. Rien ne restera de vous, pas un nom sur un registre, pas un souvenir dans un cerveau vivant. Vous serez annihilé, dans le passé comme dans le futur. Vous n'aurez jamais existé ».

 => A défaut de pouvoir éliminer le souvenir de son existence (qui a été fort utile jusqu'à présent), les autorités américaines ont fait disparaître le corps de l’ennemi public numéro 1 : Ben Laden. Depuis, le monde assiste à une immense campagne de discréditation par la diffusion d'informations superficielles sur l’addiction au coca-cola, les teintures, ou encore les difficultés d’allocution du terroriste.

 

Pour conclure sur ces extraits à méditer, il n’est bien entendu pas question d’affirmer ici que notre monde serait plus totalitaire que celui imaginé par Orwell, mais plutôt de rappeler qu’aucun monde ne sera jamais à l’abri d’une dérive autoritaire et qu’il est parfois sain de s’indigner avant que cette liberté ne disparaisse.  

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30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 08:19

Ils ressemblent à des constructions du futur et pourtant ils commémorent le passé : je remercie mon ami Gerard Koskovich d’avoir attiré mon attention sur cette publication autour des monuments construits par l’ancien dirigeant de l'État socialiste yougoslave Josip Broz Tito.

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Outre l’homme d’Etat, qui mériterait à lui seul une étude historique et mémorielle sérieuse en français (j’imagine que nos collègues américains ont déjà rempli cette mission), ces monuments laissés à l’abandon depuis plusieurs décennies nous permettent déjà d’amorcer une réflexion sur l’organisation de la mémoire en Europe de l’Est.

Le statut de ces œuvres architecturales est en effet complexe. Ils ont été construits pour commémorer de grandes batailles de la Seconde Guerre mondiale ainsi que des lieux où ont été construits d’anciens camps de concentration. Il semblerait qu’au moment de leur édification, des milliers de visiteurs se soient bousculés pour venir les admirer.

Aujourd’hui, ces monuments vieillissent inexorablement sans que personne ne s’en inquiète, ni s’en aperçoive d’ailleurs. Deux raisons principales expliquent cette situation :

                - d’une part, leur localisation. Josip Broz Tito a souhaité commémorer ces éléments du passé sur le lieu même de leur action. L’intention est louable et peut se justifier. Il n’avait cependant jamais rencontré mon collègue (et néanmoins ami) Régis Schlagdenhauffen qui a démontré depuis les limites d’une telle procédure vouée à l’échec sur le long terme, lorsque les subventions de la propagande disparaissent et qu’elles ne permettent plus d’acheminer chaque année les élèves aux pieds des monuments dans une démarche de recueillement patriotique.

                - d’autre part, les sociétés d’Europe de l’Est (et leurs mémoires) ont tellement évolué lors des dernières décennies que ces monuments apparaissent désormais comme anachroniques. Malgré leur aspect futuriste, ils rappellent une période qui, pour le moment, n’a plus la faveur des gardiens de la mémoire nationale.

 

La question de leur destruction se pose alors, et avec elle, la question de la temporalité mémorielle. Il était en effet convenu jusqu’à présent que l’inscription d’une mémoire dans la pierre était le summum de la revendication mémorielle. Les plaques, les monuments et les inscriptions seraient une protection efficace contre l’oubli, et surtout contre l’inexorable extinction de la voix des témoins. On retrouve dans cette croyance l’attachement récurent à la trace matérielle qui caractérise notre société, tandis que la pensée et la culture orale (qui ont pourtant été au fondement de nos sociétés) sont reléguées au second plan.

La mémoire aussi serait donc victime de l’accélération de l’histoire. On construit aussi vite que l’on ne détruit et nos hommes politiques qui inaugurent régulièrement des plaques commémoratives semblent l’avoir compris assez vite. Que représente ce petit morceau de marbre apposé contre un modeste mur au coin d’une rue d’un petit village ? Rien. A l’exception des quelques bulletins de vote qui n’auront de valeur que durant la courte durée d’un mandat.

Et après ? On recommencera encore ! Démontant les précédentes plaques pour en installer de nouvelles, comme l’on vient de le faire récemment (mais surtout discrètement) en France pour toutes les plaques mentionnant le nom de Philippe Pétain.

Même la mémoire devient éphémère, et pas seulement celle de nos grand-mères !

 

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27 avril 2011 3 27 /04 /avril /2011 16:05

On ne compte plus les maladresses commises par nos dirigeants concernant l’histoire et les mémoires. A croire que les myriades de conseillers en communication qui les entourent n’ont jamais fréquenté le moindre banc d’une faculté d’histoire.

La dernière « perle » en date concerne l’histoire de l’esclavage. Dans le cadre de l’année de l’Outre-mer, le ministère de l’Outre-mer (rattaché au ministère de l'Intérieur, de l'Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l'Immigration) a décidé de regrouper au Jardin d'Acclimatation les différentes populations des outre-mer : L’action s’appelle « Un jardin en Outre-mer »).

un jardin en outre-mer

 Affiche de l'action "Un jardin en Outre-mer" au Jardin d'acclimation à Paris

 

Or, durant les mois qui ont précédé cette manifestation, personne parmi les organisateurs ne semble s’être inquiété de l’opportunité d’organiser un tel évènement dans un lieu connu pour avoir accueilli plusieurs exhibitions de « sauvages » de la fin du XIXème siècle jusqu’au début du XXème siècle (environ pendant soixante années).

Le site officiel du jardin d’acclimatation mentionne pourtant explicitement ces « spectacles ethnographiques ». Il est à noter d’ailleurs au passage le doublon autour de ce sujet dans la rubrique « L’histoire du Jardin ». Un premier article intitulé « Le temps des colonies » évoque ce sombre aspect dans des termes plutôt légers :

« De nombreuses manifestations s’inscrivent, en effet, dans le cadre de l’expansion coloniale. Elles contribuent à forger dans l’imaginaire français la représentation stéréotypée des populations colonisées. Certes, elles favorisent la rencontre et la découverte de l’autre, comme le souligne en 1903 le Guide du promeneur : « Les exhibitions ethnographiques, dont le Jardin d’Acclimatation a comme le monopole, ont le double mérite d’éveiller la curiosité de la foule et de l’instruire en mettant sous ses yeux des races humaines »».

Il faut pousser la curiosité un peu plus loin pour trouver un autre article intitulé « Des spectacles ethnographiques » qui développe le même sujet, mais en des termes plus critiques cette fois-ci :

« Cette mode remonte à 1810 quand une jeune Africaine callipyge, surnommée « la Vénus hottentote » (1789-1815), est exhibée d’abord à Londres puis à Paris où elle est notamment examinée par Étienne Geoffroy Saint-Hilaire. C’est le petit-fils de celui-ci, Albert, qui lance véritablement en France la vogue, profondément discutable, voire choquante, de ce que l’on va appeler des « attractions humaines ». Il s’inspire des exhibitions anthropozoologiques réalisées par l’Allemand Carl Hagenbeck (1844-1913), le « roi des zoos », qui, en 1875-1876, montre successivement au public des Lapons, trois Nubiens, une famille d’Inuits groenlandais ».

Exhibitions humaines

Affiche de 1887 présentant l'exposition des Ashantis au Jardin d'Acclimatation

 

Il a fallu encore une fois attendre l’indignation d’un collectif regroupant des chercheurs, des responsables associatifs et culturels, des romanciers et des cinéastes pour que les autorités réagissent et reculent. Nicolas Bancel, historien et professeur à l'Université de Lausanne (Il a codirigé l'ouvrage Zoos humains. Aux temps des exhibitions humaines) a ainsi pris la tête d’un collectif qui se rassemble sous le nom de "nous n'irons pas au Jardin d'acclimatation", en référence aux Surréalistes qui en 1931 avaient décidé de boycotter l’une des dernières expositions de ce genre en se regroupant sous le nom : "Nous n'irons pas à l'exposition coloniale".

Déjà, ces artistes et intellectuels avaient compris que de telles manifestations étaient complètement anachroniques. C’est pourquoi il paraît finalement encore plus aberrant de devoir le rappeler en 2011.

Quoiqu’il en soit, Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’Outre-mer, a entendu cet appel. Dans une lettre adressée à Françoise Vergès qui préside le comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, elle demande une mission d’étude sur la question des « zoos humains » et des exhibitions coloniales en France et plus particulièrement à Paris.

Cette lettre, qui nous a été communiquée, est révélatrice dans de nombreux extraits des incompréhensions qui règnent encore entre l’histoire et les mémoires dans l’esprit de bon nombre de nos dirigeants et de leurs conseillers.

lettre 1

Lettre 2

Lettre 3

Ces extraits nous montrent une forte dichotomie entre l’histoire et les mémoires dans l’esprit de ces rédacteurs. Ces deux facettes sont présentées comme antinomiques alors qu’elles sont intimement liées en réalité et qu’il n’est plus possible à notre époque d’affirmer que l’histoire viendrait s’imposer à la mémoire.

De plus, l’usage simultané des expressions « mémoire collective » et « mémoires » (au pluriel) signale une grave confusion des genres et une incompréhension totale des logiques qui conduisent aux débats actuels.

Enfin, il est surprenant de constater qu’un ordre de mission mentionne aussi explicitement les solutions attendues telles que « la pose de plaques ou l’organisation de cérémonies ». Ceci est d’autant plus regrettable que ces méthodes sont complètement dépassées et qu’elles sont d’ailleurs régulièrement critiquées par l’Etat lui-même comme une menace contre l’universalisme républicain.

Il est donc urgent d’envisager de nouvelles manifestations mémorielles en adéquation avec notre époque et notre société avant que le pavillon français des expositions universelles ne se transforme en une immense boulangerie où l’ouvrier en marcel blanc et béret noir se souvient du bon vieux temps en regardant tendrement ses six enfants blonds et sa femme dévouée.

 

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26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 09:40

 

L’actualité des évènements scientifiques est chargée en cette fin d’année universitaire. L’étude des mémoires y occupe encore une fois une place non-négligeable. Je m'excuse donc par avance pour la longueur déraisonnable de cet article que vous pouvez lire en diagonal selon les évènements à venir qui vous intéressent.

 

I. En attente de compte-rendu

Plusieurs évènements ont déjà eu lieu et nous attendons avec impatience un compte-rendu, voire l’édition des actes.

 

1. Les chemins de fer français et la déportation des juifs sous l'Occupation

Cette journée d’étude a eu lieu le 30 mars 2011. Elle s’inscrit dans le cycle « histoire et mémoire des déportations », MSH de l’Université d’Angers, CERHIO UMR 6258, Université d’Angers.

 

Le programme :

13h 30 : Introduction par Marie-Bénédicte Vincent, maître de conférences à l’Université d’Angers

13 h 45 : « De l’histoire au prétoire : attaques et défenses de la SNCF, faits objectifs et plaidoyers intéressés » par Georges Ribeill, Directeur de recherche de l’Equipement, membre du laboratoire LATTS (Ecole Nationale des Ponts et Chaussée/Université de Marne la Vallée), spécialiste de l’histoire des chemins de fer en France, auteur notamment du dossier « la SNCF et la déportation » dans Historail, n°4, janvier 2008).

14 h 15 : « L’histoire du convoi n° 8 parti le 20 juillet 1942 d’Angers pour Auschwitz » par Alain Jacobzone, ancien professeur d’histoire au lycée Bergson d’Angers, auteur de L’éradication tranquille. Les destins des Juifs en Anjou (1940-1944) (2002).

14 h 45 : Témoignage d’Henri Borlant survivant du convoi n° 8, rescapé d’Auschwitz.

15 h 30 : Projection du film documentaire du cinéaste Raphaël Delpard "Les convois de la honte" (2009).

17 h : Table ronde avec Raphaël Delpard, Guilhelm Zumbaum Tomasi, historien conseiller scientifique du film (OFAJ-Berlin), G. Ribeill animée par Aurélien Lignereux, maître de conférences à l’Université d’Angers.

18 h : Conclusion de Marc BERGERE, maître de conférences à l’Université de Rennes-II, spécialiste de l’histoire de l’épuration.

 

=> Le sujet est évidemment brûlant mais je m’interroge sur son intitulé. Pourquoi le réduire à la déportation des Juifs ? La SNCF ayant participé à la déportation de l’ensemble des déportés, il me semble compliqué de vouloir étudier des logiques qui ne vaudraient que pour la déportation d’une seule catégorie… mais cette journée d’étude apporte peut-être des réponses à mes interrogations !

http://calenda.revues.org/nouvelle18601.html

 

2. Le patrimoine dans les États post-soviétiques : un culte post-moderne des monuments ?

Cette journée d’étude a eu lieu le 17 février 2011.

Le programme :

Patrimoine arhéologique, restauration, reconstruction : l’héritage des pratiques soviétiques

9h30-11h

L’archéologie française en Asie centrale : une histoire dans le contexte russo-soviétique.
Svetlana Gorshenina, historienne, Réseau Asie, IMASIE, Paris.

Les dernières découvertes archéologiques de la vallée du Zerafchan : révision des concepts et questions de valorisation.
Claude Rapin, archéologue, CNRS.

Architecture et urbanisme d’Asie centrale : récupérations successives d’un patrimoine grandiose et fragile, de Samarcande à Khiva par Boukhara.
Pierre Chuvin, historien et philologue, Paris Ouest Nanterre La Défense.

11h30-13h

Influence des méthodes russo-soviétiques dans la restauration des peintures murales en Asie centrale : le cas de l’Ouzbékistan.
Géraldine Fray, restauratrice,  Paris.

La restauration de l’église Sainte Hripsimé à Etchmiadzine.
Agopik Manoukian, directeur de la collection Documenti di Architettura  Armena, Milan.

La restauration soviétique du temple antique de Garni (Arménie) : un paradigme patrimonial ?
Taline Ter Minassian, co-directrice de l'Observatoire des Etats post-soviétiques, INALCO, Paris.

 

De la conception soviétique du patrimoine à la formation d’un patrimoine soviétique

14h30-16h30

Redevenir Viaziomy : une destinée patrimoniale, de l'exil à l'actuel. 
Alexandra Loumpet-Galitzine, anthropologue, Réseau Asie, IMASIE,   Paris.

Les sculptures du Pavillon soviétique de 1937. Moscou-Paris-Baillet-Moscou : de la redécouverte d'un patrimoine enfoui à sa reconstruction.
François Gentili, archéologue, INRAP, Paris

La politique patrimoniale de Loujkov à Moscou : de la reconstruction du patrimoine pré-soviétique à la valorisation du patrimoine soviétique. 
Jean Robert Raviot,  Université Paris Ouest Nanterre La Défense.

Kourapaty (Biélorussie) : archéologie politique d’un massacre.
Virginie Symaniec, Maison de l’Europe et de l’Orient, Paris.

16h30-18h

Monuments nouveaux, piédestaux anciens : le refoulement et le retour du patrimoine refoulé d'Asie centrale soviétique.
Boris Chukovich, historien de l’art, UQAM, Montréal.

Du sapin patrimonial au sapin stratégique ou comment « lire le végétal » dans la ville centre-asiatique contemporaine.
Catherine Poujol, co-directrice de l'Observatoire des Etats post-soviétiques, INALCO, Paris.

Le patrimoine urbain à Karaganda (Kazakhstan) : créer une nouvelle perspective.
Anne Chabaud, Doctorante en ethnologie. Université de Paris Ouest Nanterre la Défense – INALCO

 

=> A travers de multiples exemples, cette journée d’étude permet d’étudier comment les Etats post-soviétiques gèrent leur mémoire soviétique. Certains tentent d’effacer les traces d’un passé jugé encombrant, d’autres s’en accommodent. Quoiqu’il en soit, on espère que cette journée d’étude aura permis de dresser les grandes lignes des orientations mémorielles parfois divergentes qui se construisent actuellement en Europe centrale et en Asie.

http://calenda.revues.org/nouvelle18725.html

 

3. Mémoires et mobilités urbaines

Séminaire d’études urbaines qui s’inscrit dans le cadre du cycle 2010-2011 des séminaires de l’Institut français d’études anatoliennes à Istanbul.

Présentation :

Ce séminaire croisera deux approches, deux lectures complémentaires de la ville afin de comprendre dans quelle mesure les questions mémorielles dévoilent les mobilités qui tissent l’espace stambouliote et inversement comment la lecture des mobilités nous conduisent à réinterroger les stratégies mémorielles. D’une part, nous interrogerons la place grandissante des questions mémorielles dans l’espace public turc. La multiplication des travaux scientifiques et des œuvres littéraires contemporaines qui mettent en lumière les mémoires collectives semble en effet constituer un nouveau champ à travers lequel l’espace urbain est réinterprété depuis un point de vue micro, élaboré à l’échelle des quartiers, accordant dès lors une place plus importante aux subjectivités. Seront, alors, privilégiées les études locales qui montrent comment les habitants intériorisent et projettent les dynamiques globales auxquelles ils participent et sont confrontés dans leur espace quotidien. Les sujets qui touchent à l’identité, qui font appel à l’histoire orale, à la mémoire et aux mémoires tiendront donc une place importante dans le sens où ils remettent aussi en question la construction nationale de l’identité et de l’espace en insistant, notamment, sur des quartiers minoritaires qui véhiculent un imaginaire puissant. Cette mise en visibilité d’un imaginaire minoritaire, relayée par des logiques de promotion culturelle et de mise en scène du cosmopolitisme ne détournera, toutefois, pas notre attention sur des sujets occultés tels que les mémoires des travailleurs migrants. D’autre part, les analyses des mobilités urbaines en rendant compte des flux de population (entrées et sorties, internes et externes, volontaires ou forcées), de leur installation et de leur mode d’habiter, des trajectoires résidentielles, des itinéraires journaliers (trajets résidence-lieu de travail), des formes de réappropriation de l’espace (patrimonialisation, gentrification), réinterrogent aussi les pratiques mémorielles. Les mobilités nourrissent, alors, de nouveaux processus de territorialisation à l’échelle non plus du quartier mais de la rue, de l’îlot ou de l’immeuble qui morcellent l’espace préexistant et fondent de nouvelles centralités.

 

=> L’approche est originale sur plusieurs points. D’abord, d’un point de vue disciplinaire, elle démontre que l’approche mémorielle n’est pas l’apanage de l’histoire ou de la sociologie, mais que la géographie a aussi des clefs de compréhension à apporter. Ensuite, et conséquemment, ce séminaire propose d’étudier les mémoires non plus dans le temps ou dans un groupe, mais dans l’espace. Cette approche permet d’affiner l’angle d’analyse et de dépasser les lectures communautaires et souvent conflictuelles qui ont été privilégiées jusqu’à présent.  

http://calenda.revues.org/nouvelle18718.html

 

4. Mémoire, culture matérielle, migrations. Approches comparées France / USA

Cette journée d’étude a eu lieu le 22 mars 2011. Elle s’inscrit dans le programme de recherche et de partenariat entre la MAE / Université Paris Ouest Nanterre la Défense et The University of Chicago. Il s’agit d’un Partner University Fund (PUF) qui a débuté à l’automne 2010 par une série de workshops et se poursuit en mars 2011 par un séminaire de deux semaines à Paris.

Programme :

10h00-10h15 : Ouverture, Pierre Rouillard (Maison René-Ginouvès) & Gilles Tarabout (LESC)

10h15 : Table ronde : "Migrations, culture matérielle, mémoire. Approches comparées France/USA"

  • Présidents de séance : Michèle Baussant (LESC) & Marie-Claire Lavabre (ISP)

Migration :

  • Henri-Paul Francfort (ARSCAN/MAE), "Migrations et Archéologie" (France) ;
  • Audrey Célestine (ISP Paris), "L'étude des migrations aux Etats-Unis" (USA).

Culture matérielle :

  • Valentine Roux (PRETEC), "Objets, techniques et cultures" (France) ;
  • Michael Dietler (University of Chicago), "Material Culture" (USA)

Mémoire :

  • Maria Couroucli (LESC/Ecole d’Athènes), "Histoire et mémoire des réfugiés
    grecs d'Anatolie : entre identité spécifique et inclusion nationale" (France) ;
  • Leora Auslander (University of Chicago), "The Politics of Memory, Memory Scholarship, and Commemoration" (USA)

11h30 : Débat/discussion animé par les membres du programme, français et américains.

14h00 : Etudes de cas : Les ateliers du séminaire

Présidents de séance : Fabienne Wateau (LESC) & Arnaud Coulombel (Chicago Center Paris)

Présentation rapide des différents ateliers thématiques réalisés dans le cadre de ce séminaire.
Intentions et objectifs :

  • Le quartier de La Petite Espagne à Saint-Denis, par Evelyne Ribert (EHESS)
  • Le quartier de la Goutte d’or, par Stefan le Courant (LESC)
  • Le cimetière du Père Lachaise et le quartier de Belleville, par Anouk Cohen (LESC),
    Katerina Kerestetzi (LESC) et Azita Bathaïe (LESC)
  • Le Memorial de la Shoah, par Sarah Gensburger (ISP)
  • Le musée de Saint-Germain, par Rémi Hadad (PRETEC) et Solène Marion de Procé (ARSCAN)
  • La Cité nationale de l’Immigration, par Irène dos Santos (FCT Lisbonne)
  • Le Musée du Quai Branly, par Nicoletta Beltrame (LESC)
  • Quelques extras, par Hana Jaber

14h45 : Etude de cas : La mémoire de Nanterre. Archives, terrain, images

  • par les archives : Rosa Olmos (BDIC Nanterre),
  • par le travail sur le terrain : Martine Segalen (Univ. Nanterre), Comment enquêter “la” ville : le cas de Nanterre ?
  • par les images : Victor Collet (ISP) et Halima M'birik (Sophiapol), Présentation et
    introduction à l'histoire de l'immigration à Nanterre, à partir d’extraits de films.

16 h : Débat/discussion

16h30 : Sortie dans la ville autour de l'axe Seine-Arche, de l'Université à La Défense. Visite
guidée par Victor Collet (ISP), Halima M'birik (Sophiapol) et Rémi Hadad (PRETEC)

Rédacteurs pour l’ensemble du programme : Irène dos Santos (France) et Thomas Dodman (USA)

 

=> Je reste un peu perplexe devant un tel programme dont la logique est un peu difficile à comprendre. Néanmoins, quelques interventions ponctuelles peuvent être intéressantes, notamment autour des lieux de mémoire. L’approche comparative est bien entendu toujours bienvenue.

http://calenda.revues.org/nouvelle19177.html

 

5. L’utilisation contemporaine de la mémoire collective

Cette journée d’étude a eu lieu le 24 mars 2011.

Programme :

10h-10h30 : Alain Sinou (IEE) : « Les processus de mise en mémoire des lieux »

10h30-11h : Hero Suarez (IEE) : « L’institutionnalisation des mémoires alternatives »

11h-11h30 : Hripsimé Chadrian (IEE) : « Représentations collectives dans le Sud Caucase »

11h30-12 : Ernesto Fuentes (EHESS): « Espagne-Mexique: identité et mémoire en exil. Une histoire de fantômes pour grandes personne »

12h-12h30 : Yeray Bazo (NTF): « L’hier encore une fois : Nouvelles stratégies de récupération de la mémoire de la répression franquiste »

 

=> Je suis un peu déçu par le programme au regard de l’intitulé général fort ambitieux. Je suis néanmoins impatient et curieux de lire le contenu des communications théoriques dans un domaine où l’histoire et l’étude du politique ont tout intérêt à travailler ensemble.

http://calenda.revues.org/nouvelle19341.html

 

II. Les appels à communication

1. Le temps à l’époque romane.

Cet appel à contribution vise à préparer le 21ème colloque  d'art roman d'Issoire. L’entrée mémorielle n’est pas explicitement indiquée mais les organisateurs invitent les requérants à traiter le thème « au sens large et à partir d'angles les plus divers possibles ».

Il me semble indispensable qu’un intervenant aborde la question mémorielle. J’ai souvent rappelé sur ce blog l’intérêt que nous aurions à mieux comprendre les rapports que d’autres sociétés à d’autres époques entretenaient avec le temps, l’histoire et leurs mémoires. Une telle approche déclinée sur plusieurs périodes permettrait de prendre davantage de recul sur notre propre lecture mémorielle du passée.

Le colloque aura lieu à Issoire (Auvergne, Puy-de-Dôme) les vendredi 21 et samedi 22 octobre 2011 mais les propositions de communication sont à envoyer avant le 15 mai 2011.

http://calenda.revues.org/nouvelle18499.html

 

2. L’histoire des migrations dans les musées : entre mémoire et politique

Les communications doivent être envoyées avant le 2 mai 2011.

Présentation :

Si l’histoire des migrations est au cœur de musées établis dans les pays du ‘Nouveau Monde’, refaçonnés par la colonisation et l’impérialisme, elle est un enjeu majeur dans les pays Européens, la controverse entourant l’ouverture de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration à Paris en étant un exemple éclatant. Il s’agira d’étudier les musées s’attachant, tout ou en partie, à l’histoire des migrations : internes à un pays, émigrations et immigrations. Les musées sont des ‘lieux de mémoire’ par excellence mais aussi des lieux d’échange, de contact, en un mot de médiation entre divers groupes sociaux, mais aussi des lieux de contestation ou de riposte

 

=> J’attends beaucoup d’une telle réflexion car elle peut permettre de déminer certaines polémiques nauséabondes qui se développent depuis quelques années. Un regard objectif sur nos musées permettrait de voir très simplement que ces lieux ont toujours été le reflet d’une histoire mondiale. Ainsi, un musée archéologique ne sera-t-il jamais strictement national car il serait suicidaire de se contenter de découvertes issues d’un territoire qui n’avait aucune signification durant l’Antiquité par exemple. Il en est de même pour tous les musées qui sont toujours le fruit d’apports internationaux, d’historiens parcourant le monde, de prêts interétatiques d’œuvre, etc…  

http://calenda.revues.org/nouvelle19400.html

 

III. Les évènements à venir

1. Cimetières et identités

Cette journée d'étude s'inscrit dans le cadre du programme de recherche de la Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine Identité(s) et Mémoire(s) des Populations du Passé. Bio-Archéologie et Histoire, co-dirigé par Isabelle Cartron (Institut Ausonius, Bordeaux 3) et Dominique Castex (PACEA, Bordeaux 1).

Elle aura lieu le 19 mai 2011.

Programme

9h Introduction – Problématique

Patrice Courtaud (PACEA), Sacha Kacki, Thomas Romon (PACEA, Inrap)

9h15 La communauté protestante à l'époque moderne: le cimetière du Temple de Saint-Maurice (XVIIe siècle) et le cimetière de l'hôpital protestant de La Rochelle (XVIIIe siècle)
Cécile Buquet-Marcon (PACEA, Inrap Centre-Île-de-France), Isabelle Souquet-Leroy (PACEA, Inrap Grand Sud-Ouest)

9h50 Pratiques funéraires juives: perspective historique
Gérard Nahon (Directeur d'études honoraires, EPHE, Section des Sciences religieuses, Sorbonne, Paris)

10h25 Diagnostiquer un cimetière juif: l'exemple de Châteauroux
Philippe Blanchard (LAT-CITERES, Inrap Centre), Patrice Georges (PACEA, Inrap Grand Sud-Ouest)

11h15 Le cimetière intérieur de Port-au-Prince (Haïti)
Jacques de Cauna (Université de Pau et des Pays de l'Adour, CIRESC)

11h50 Les sites funéraires de Guadeloupe: un champ d'investigation privilégié
Thomas Romon (PACEA, Inrap Grand Sud-Ouest)

14h15 Le cimetière d'époque coloniale de Baillif (Guadeloupe)
Sacha Kacki (PACEA, Inrap Nord-Picardie), Thomas Romon (PACEA, Inrap Grand Sud-Ouest)

14h50 Le cimetière miroir de l'esclavage?
Patrice Courtaud (PACEA-A3P-CIRESC)

15h25 Pratiques funéraires et identités en al-Andalus: l'exemple du cimetière de Mértola (Portugal)
Dominique Le Bars (EPHE, Paris)

16h15 Ensembles liés à des faits de guerre
Olivier Dutour (Directeur d'études, Laboratoire de Paléoanthropologie, EPHE)

16h50 Conclusions
Isabelle Cartron (Institut Ausonius, Bordeaux 3) et Dominique Castex (PACEA, Bordeaux 1)

 

=> Il fallait oser et ils l’ont fait ! On étudie trop peu les cimetières car nos sociétés s’y rendent peu depuis quelques décennies (en lien avec une évolution de nos rapports avec la mort). Le cimetière est pourtant un lieu de mémoire par excellence, le lieu où l’on conserve une trace matérielle du défunt. Je regrette l’absence d’une communication sur le cimetière du Père-Lachaise ou encore sur les cimetières commémoratives des guerres mondiales.

http://calenda.revues.org/nouvelle19451.html

 

2. Lieux de mémoire en Orient grec à l'époque impériale

Ce colloque international a eu lieu du 6 au 8 avril 2011. Il a pour but d’explorer la notion de « lieux de mémoire » au sens concret, géographique du terme, dans le cadre de l'Orient grec sous l'Empire. Un intérêt particulier est porté à la construction et à l'évolution de ces lieux identitaires, ainsi qu'à la confrontation des mémoires grecques et romaines.

Programme :

Mercredi 6 avril

9h15-9h45 : introduction : Anne Gangloff (Université de Lausanne)

9h45-10h15 : conférence sur les « lieux de mémoire » de François Jequier, professeur honoraire en histoire contemporaine (Université de Lausanne)

Géographie imaginaire de la mémoire hellène

Président de séance : Alain Billault (Université Paris-Sorbonne, Paris 4)

10h30-11h : Ewen L. Bowie (Université d'Oxford, Corpus Christi College), Mapping Greece : Apollonius’ authorised version

11h-11h30 : Francesca Mestre (Université de Barcelone), L'Héroïkos de Philostrate : lieux de mémoire et identité hellénique dans l’Empire Romain

11h30-12h : Anca Dan (Institut des recherches néohelléniques, Athènes), La mémoire des Argonautes : notes philologiques et historiques sur les stations argonautiques comme lieux de mémoire dans la Propontide, le Bosphore et la mer Noire

Construction des lieux de mémoire dans le discours rhétorique et iconographique

Président de séance : Michel Fuchs (Université de Lausanne)

14h30-15h : Pilar Gómez-Cardó (Université de Barcelone), Marathon et l’identité grecque au IIe siècle après J.C. : du mythe au lieu commun

15h-15h30 : Alain Billault (Université Paris-Sorbonne, Paris 4), Un lieu de mémoire de l’hellénisme : Borysthène dans le Discours XXXVI de Dion Chrysostome

16h15-16h45 : Marie-Henriette Quet (CNRS), Nature et fonctions des lieux de mémoire dans l'œuvre d'Aelius Aristide

16h45-17h15 : Talila Michaeli (Université de Tel Aviv), Allusions to the Nile and Nilotic Landscape in Art in Israel

Jeudii 7 avril

Lieux de mémoire et identité civique

Président de séance : Onno van Nijf (Université de Groningue)

9h30-10h : Claude Bérard (Université de Lausanne), « Mémoire éternelle » : Diogène d'Oenoanda et Opramoas de Rhodiapolis

10h-10h30 : Pierre-Louis Gatier (CNRS), Traditions localisées et revendications de Tyr à l’époque romaine

11h15-11h45 : Olivier Gengler (Université de Vienne), Identité civique et représentations du passé : les « Lieux de mémoire » du Péloponnèse

Lieux de culte, lieux de mémoire

Présidente de séance : Valérie Huet (Université de Bretagne occidentale)

14h-14h30 : Marietta Horster (Johannes Gutenberg-Université de Mayence), Athenian sanctuaries : Layers of corporate memory

14h30-15h : Anne Jacquemin (Université de Strasbourg), Des lieux sans mémoire ou les blancs de la carte de la mémoire delphique

15h45-16h15 : Christian R. Raschle (Université de Montréal), L'oracle d'Apollon à Daphné — un lieu de mémoire au milieu du conflit entre chrétiens et païens

16h15-16h45 : Jean-Sylvain Caillou (Université de Poitiers), Le tombeau de Jésus : origine et construction d’un lieu de mémoire entre 30 et 330 apr. J.-C.

Vendredi 8 avril

Empereurs et lieux de mémoire gréco-romains

Présidente de séance : Mireille Corbier (CNRS)

9h-9h45 : Le souvenir de la bataille d'Actium:

-Eric Guerber (Université de Bretagne-Sud), La fondation de Nicopolis par Octave : affirmation de l'idéologie impériale et philhellénisme

-Christine Hoët-van Cauwenberghe (Université Charles de Gaulle-Lille 3) et Maria Kantiréa (Université de Chypre), Lieu grec de mémoire romaine : perpétuation de la victoire d'Actium des Julio-claudiens aux Sévères

10h30-11h15 : Les portes de Cilicie

-Stéphane Lebreton (Université d'Artois), Le processus d'élaboration d'une frontière mentale vers un Orient éloigné

-Caroline Blonce (Université de Caen), Issos, Alexandre le Grand et Septime Sévère

11h15-11h45 : Agnès Bérenger (Université de Metz), Caracalla et les lieux de mémoire en Orient

12h15 : conclusions : Anne Bielman (Université de Lausanne)

 

=> Un colloque qui promet d’être passionnant. Il se positionne clairement dans des problématiques très actuelles entre mémoire et politique tout en déplaçant le regard sur la période antique. Ces procédés qui flirtent parfois avec l’anachronisme ont au moins le mérite de contribuer efficacement aux débats contemporains tout en valorisant la pratique de l’histoire.

http://calenda.revues.org/nouvelle19259.html

 

3. Traces, mémoires et communication

Ce colloque bilatéral franco-bulgare aura lieu les 30 juin et 1er juillet 2011 à Bucarest.

Ce colloque (dont le programme est en cours d’élaboration) invite les communicants à s’associer aux travaux de recherche sur les facettes de la trace en considérant les usages qu’ils en font dans leurs travaux de recherche. La diversité de ces usages nous conduit à proposer de réduire le domaine exploratoire en le focalisant sur l’interaction trace, mémoire et communication. Le lien entre l’attention portée à la trace et la mémoire pourra s’établir au titre de l’individu comme du social tout en ayant à l’esprit que toute coupure entre individu et société relève de l’artefact. Cette relation sera examinée sous diverses formes, traditionnelle ou moderne, matérielle ou immatérielle, visible ou voilée, instrumentalisée ou non, posant ou non l’anticipation de son interprétation future. En vue de soutenir une indispensable réflexion épistémologique, seront particulièrement appréciées les communications explicitant les raisons du choix des référents et les méthodes d’analyse. 

 

=> L’approche épistémologique est nécessaire dans ce domaine de la recherche encore balbutiant. Ce colloque peut donc être une étape importante en proposant aux historiens de prendre du recul sur leurs sources et en s’interrogeant sur la problématique mémorielle à l’origine des matériaux sur lesquels nous travaillons quotidiennement.

http://calenda.revues.org/nouvelle19268.html

 

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23 avril 2011 6 23 /04 /avril /2011 14:25

 

Le dernier film de Patricio Guzmán est une magnifique réflexion sur le temps. Le réalisateur chilien expatrié en France n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. Il travaille avec obstination depuis plusieurs décennies sur l’histoire et la mémoire de son pays, s’interrogeant bien avant la plupart des historiens sur ce couple infernal qui entretient une relation adultère dans son pays natal.

Nostalgie de la lumière a été choisi pour figurer dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2010 et a reçu le prix du meilleur documentaire de l’European Film Academy cette même année. Il sera disponible en DVD à partir du 3 mai 2011.

A partir d’images soignées, travaillées, et magnifiquement  montées, Patricio Guzmán développe avec brio une frustration mémorielle particulièrement originale lorsqu’on l’observe depuis la France.

 

Le désert d’Atacama : « les portes du passé »  

Ce film développe tout d’abord une réflexion épistémologique sur la temporalité.

Le réalisateur s’est rendu pour cela dans un lieu original : le désert d’Atacama. Après avoir dépassé l’impression de vide et d’immensité qui caractérise généralement cet endroit, il s’est arrêté sur les hommes et les femmes qui le parcourent et qui l’habitent presque quotidiennement : les astronomes, les archéologues, et les femmes recherchant les ossements de leurs proches disparus sous la dictature d’Augusto Pinochet.

Les astronomes ont les yeux levés vers le ciel à la recherche des origines du monde. Le désert d’Atacama au Chili est en effet un lieu privilégié pour l’observation des étoiles en raison de son aridité (dans certaines zones, la pluie n’est pas tombée depuis plus de 400 ans), de sa faible couverture nuageuse, d’une atmosphère particulièrement fine et d’une pollution lumineuse presque inexistante. Ainsi, plusieurs dizaines de télescopes y ont été installés. Cette situation géographique favorable se double d’un intérêt populaire selon Patricio Guzmán. Les Chiliens se seraient passionnés pour l’astronomie car cette science permettrait de mieux comprendre les origines de l’humanité. Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’astronome interrogé par le réalisateur confirme qu’il est une sorte d’ « archéologue de l’espace » puisque, malgré la vitesse de la lumière, les phénomènes qu’il observe dans l’univers ne lui parviennent que plusieurs années après leur réalisation.

Telescope-dans-le-desert-d-Atacama-au-Chili.jpg Télescope dans le désert d'Atacama au Chili

 

Parallèlement, au pied des télescopes géants, des archéologues travaillent aussi dans le désert d’Atacama qui rassemble plusieurs milliers d’inscriptions précolombiennes. Cette dimension est la moins développée par Patricio Guzmán et c’est regrettable tant la beauté des dessins étonne le spectateur européen habitué à la décrépitude des traces archéologiques sur un continent aux climats plus humides. On saisit pourtant rapidement la contradiction d’une telle situation : alors que l’astronome part à la recherche des mystères du « Big Bang » avec la tête dans les étoiles, l’archéologue affirme d’un ton péremptoire que « nos origines sont dans le sol ».

gravure-rupestre-precolombienne.jpg Gravure rupestre précolombienne 

 

Ce dernier est a priori soutenu dans cette quête par quelques femmes qu’il croise régulièrement sur son chemin. Munies de petites pelles, elles creusent au milieu des cailloux, effritant entre leurs doigts des morceaux de terre qui partent en poussière. Un petit bloc blanchâtre résiste parfois et s’accroche sur la peau usée de ces chercheuses anachroniques : pour ces archéothanatologues improvisées, ce n’est pas l’or qui a le plus de valeur, mais le calcium. Ces os qu’elles ramassent à la pelle, ce sont ceux de leurs proches, victimes torturées de la dictature Pinochet.

Femmes-des-victimes-de-pinochet.jpg Femmes des victimes de la dictature d'Augusto PInochet

 

Le désert d’Atacama est donc parcouru quotidiennement par des hommes et des femmes qui se croisent sans vraiment se remarquer et sans savoir que ce lieu les rassemble plus qu’il ne les regroupe. Patricio Guzmán évoque avec finesse et intelligence les « portes du passé » pour qualifier cet espace multi-mémoriel

 

Une tension mémorielle originale

Ce que le réalisateur propose, sans que sa caméra ne l’impose, c’est aussi une réflexion politique sur les différentes lectures du passé. Il faut pour cela connaître au préalable l’œuvre de Patricio Guzmán dont l’un des fils rouges repose sur la compréhension de l’histoire politique de son pays.

Il n’est pas question dans ce film de revenir sur Salvador Allende ou Augusto Pinochet. Ses précédents films qu’il faut voir absolument ont déjà admirablement rempli cette mission. Nostalgie de la lumière se propose en quelque sorte d’écrire la synthèse de l’œuvre du cinéaste en s’interrogeant sur la mémoire, après avoir contribué à l’écriture de l’histoire.

C’est alors qu’il lève une contradiction restée invisible jusqu’à présent : le Chili (car sa galerie de portraits rend difficile l’usage de l’expression généralisante « Les Chiliens ») n’est pas parvenu à apaiser son travail de mémoire. Bercé par le prestige d’être le lieu où s’effectue la mesure des traces de l’histoire de l’humanité, le Chili oublie dans la douleur son histoire nationale la plus proche.

Les questions se bousculent alors dans la tête du spectateur européen : comment et pourquoi ce travail mémoriel n’a-t-il pas pu se développer quand de l’autre côté de l’Atlantique (voire sur son propre continent, aux latitudes nord) la mémoire immédiate est omniprésente ?

Patricio Guzmán semble d’ailleurs s’amuser de cette contradiction que son parcours individuel lui permet d’observer mieux que n’importe qui. Il n’ose pas rappeler que le Chili est l’un des pays d’Amérique du Sud qui a accueilli le plus d’anciens nazis, mais il le sous-entend par des parallèles constants. Il s’attarde donc sur les camps de concentration, sur les actes de torture et sur la mise en place d’un système de disparition des corps des opposants politiques. La comparaison doit cependant s’arrêter à ce stade car les différences priment et permettent d’expliquer en partie les divergences des modèles mémoriels.

La dictature du général Pinochet s’inscrit en effet dans le cadre d’un conflit national dont les effets et conséquences peuvent difficilement être comparés au retentissement de la Seconde Guerre mondiale. A l’issue d’un conflit international, des tractations se mettent généralement en place afin d’établir les responsabilités réciproques et les dédommagements qui doivent en découler. L’objectif étant alors que chacun reprenne sa route individuelle en mettant en place sa propre lecture historique et mémorielle du conflit. Le processus est beaucoup plus complexe lors d’une guerre civile car les opposants d’hier ne peuvent continuer à se tourner le dos dans leur propre pays. Il faut donc trouver un consensus qui passe souvent par la réconciliation dans l’oubli. Cette méthode a notamment été mise en place en France à l’issue des Guerres de Religion. L’édit de Nantes prônait alors « l’oubliance » pour permettre aux sujets du royaume d’arrêter les massacres qui saignaient la France depuis quatre décennies. C’est a priori le chemin emprunté actuellement par la société chilienne où les femmes qui cherchent dans le désert dérangent, et où leurs enfants n’ont pas encore décidé (ou n’ont pas été autorisés) à prendre le relais.

Cette position n’est cependant plus guère acceptable dans un monde où la mémoire est omniprésente. Une autre solution aurait donc consisté à juger le général Pinochet pour les crimes qu’il a commis. Cette éventualité  a cependant disparu avec le dictateur en 2006.

Il serait enfin possible d’envoyer au tribunal à sa place ses principaux collaborateurs qui joueraient ainsi le rôle de bouc-émissaire apaisant la mémoire d’une société. N’est-ce d’ailleurs pas l’option qui a été choisie par Israël lors du procès Eichmann, ou plus récemment par le Cambodge pour l’ancien Khmer Rouge Douch ? Une telle possibilité nécessite cependant que le Chili reconnaisse la constitution de deux groupes distincts en son sein : les bourreaux et les victimes. Or, les autres films réalisés par Patricio Guzmán montrent que cette lecture de l’histoire politique est actuellement inenvisageable tant que la population n’aura pas la possibilité de jeter un regard apaisé sur son passé.

 

Pour une histoire de la mémoire au Chili

Faut-il dès lors souhaiter un changement de paradigme au Chili tels que Patricio Guzmán et les historiens qu’il interroge l’appellent de leurs vœux ? L’émergence d’une mémoire de la dictature est-elle possible ? Le Chili pourra-t-il éviter la multiplication des mémoires qui viendront faire exploser le consensus construit sur l’oubli ? La mémoire ne va-t-elle pas systématiquement passer par une simplification archétypale qu’il faudra ensuite déconstruire à nouveau pour démonter les stéréotypes manichéens ? En somme, le Chili ne pourrait-il pas imaginer une autre voie originale dans la construction de sa mémoire ?

Celle-ci pourrait passer par exemple par la reconnaissance de ces corps que les femmes déterrent inlassablement depuis des années. L’originalité de la dictature chilienne repose en effet sur une faille que n’a pas commise son homologue nazie : malgré ses efforts, elle n’est pas parvenue à faire disparaître l’intégralité des traces de ses victimes. Des morceaux infimes et anonymes persistent encore et toujours dans ce désert d’Atacama où rien ne semble pouvoir s’oublier. Ne serait-il donc pas possible d’envisager que ce lieu devienne celui de la réconciliation autour duquel se rassembleraient les Chiliens, mais aussi l’ensemble des hommes ?

Galerie-de-portraits-des-victimes-de-Pinochet.jpg

Galerie de portraits des victimes de la dictature d'Augusto PInochet

 

La symbolique amorcée par Patricio Guzmán est trop belle pour ne pas être approfondie. A la fin de son film, il ajoute à son rôle de réalisateur celui d’acteur et provoque une rencontre entre les astronomes et les femmes du désert. Ne peut-on pas imaginer que cette réunion puisse s’élargir aux archéologues, aux historiens, aux sociologues, aux cinéastes, aux rescapés de la dictature, aux militaires et tout simplement, aux hommes et aux femmes du Chili et d’ailleurs ? La tête dans les étoiles et les pieds sur terre, ce serait l’occasion de mettre à contribution l’art et l’intelligence au service d’une histoire et d’une mémoire commune. Là où l’homme cherche avec acharnement les traces de ses origines, ne pourrait-il pas consacrer un peu de son temps et de son énergie à entretenir aussi les traces les plus honorables de son passage sur la Terre ?

C’est d’ailleurs peut-être le projet que le réalisateur appelle de ses vœux lorsqu’il conclue son film par ses mots magnifiques : « Je suis convaincu que la mémoire a une force de gravité. Elle nous attire toujours. Ceux qui ont une mémoire peuvent vivre dans le fragile temps présent ; ceux qui n’en ont pas ne vivent nulle part ».

 nostalgie-de-la-lumiere.jpgAffiche du film Nostalgie de la Lumière de Patricio Guzmán

 

Nota bene : je remercie très chaleureusement la société Dark Star Presse et le réalisateur Patricio Guzmán qui m’ont envoyé le film à l’origine de cet article.

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