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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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C'est Qui ?

  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs

Cherche La Pépite

25 août 2012 6 25 /08 /août /2012 09:54


English summary
: School memory of the Holocaust in the world

UNESCO begins a new survey which examines how schools worldwide teach the Holocaust. This project raises problems with regard to the missions of the international organization. It can be indeed considered as a mean to impose a central element of the western culture in the whole world. 

 

 

Jeudi 23 août 2012, l'UNESCO a officiellement annoncé la mise en place d'un projet d'étude sur  l'enseignement de l'Holocauste dans le monde.

 

L'idée est très intéressante et vise essentiellement à dresser une cartographie mondiale non seulement des programmes, mais aussi des manuels scolaires sur cette question.

Les résultats permettront ainsi d'obtenir des conclusions quantitatives (Quels sont les pays dans lesquels on enseigne l'Holocauste ? Ces pays ont-ils des points communs culturels, religieux, politique, etc. ?) et qualitatives (Enseigne-t-on l'Holocauste de la même façon en France, aux Etats-Unis et en Russie par exemple).

 

Si le projet en lui-même semble intéressant et utile, certains aspects de sa présentation laissent perplexe. C'est le cas notamment de ce paragraphe :

"Les résultats de cette enquête mondiale sans précédent, et les recommandations qui en découleront, fourniront aux décideurs des politiques éducatives une base de réflexion sur laquelle les décisions futures concernant les programmes pourront s’appuyer. Ceci sera d’autant plus intéressant dans les pays où l'Holocauste ne figure pas au programme".

 

Avant même d'en connaître les résultats, l'UNESCO précise donc que cette étude vise en fait à promouvoir l'enseignement de l'Holocauste à l'échelle mondiale, ce qui n'est pas sans poser quelques questions : 

 

1. L'UNESCO est l'organisation des Nations-Unies pour l'éducation, la science et la culture

Son site Internet précise qu'elle "s’emploie à créer les conditions d’un dialogue entre les civilisations, les cultures et les peuples, fondé sur le respect de valeurs partagées par tous (...). La mission de l’UNESCO est de contribuer à l’édification de la paix, à l’élimination de la pauvreté, au développement durable et au dialogue interculturel par l’éducation, les sciences, la culture, la communication et l’information".

Le projet précédemment présenté s'inscrit aisément dans ce programme : l'étude de l'Holocauste favorise le dialogue et le respect entre les peuples et les civilisations en raison de la nature de l'évènement qui devrait conduire chaque être humain à réfléchir sur les limites de l'humanité et la dangerosité des extrémismes et de la xénophobie. 

Ne peut-on pas considérer cependant qu'en focalisant son attention sur l'Holocauste, l'UNESCO risque de provoquer l'effet inverse de celui recherché ?  La place qu'occupe cet évènement dans les préoccupations de l'organisation internationale peut en effet être considérée comme la manifestation de préoccupations essentiellement occidentales quand d'autres régions du monde ont pu choisir d'autres référentiels tout aussi valides et probablement plus familiers dans leur propre système de valeurs.

 

2. Le terme "Holocauste" utilisé dans la communication officielle du projet n'est pas sans poser problème. Là encore, il est révélateur d'une forte prévalence des valeurs et pratiques occidentales dans le cadre d'une organisation internationale censée valoriser le dialogue entre les cultures.

Ce mot s'est en effet progressivement imposé aux Etats-Unis depuis plusieurs décennies, tandis que l'Etat d'Israël a officialisé l'utilisation du terme "Shoah".

De nombreux auteurs ont régulièrement rejeté ces appelations en raison des connotations religieuses qu'elles contiennent. Le plus grand spécialiste mondial de la question, Raul Hilberg, utilise par exemple l'expression de "destruction des Juifs d'Europe", quand d'autres préfèrent parler "d'extermination des Juifs d'Europe".

 

Destruction-des-juifs-d-Europe-Hilberg.jpg

 

Depuis 1944, l'américain Raphael Lemkin a même créé le mot de "génocide" (à partir de la racine grecque genos qui peut être traduite par « genre », « espèce », et du suffixe cide, qui vient du terme latin caedere, « tuer », « massacrer ») afin de désigner de façon la plus neutre possible cette nouvelle catégorie d'acte criminel dans les prétoires.

Pourquoi donc l'UNESCO utilise-t-elle encore le mot d'Holocauste alors que d'autres termes plus neutres seraient davantage appropriés dans le cadre d'une organisation internationale ?

 

3. Enfin, il est permis de s'interroger face à la prétention de l'UNESCO d'influer sur les décideurs des politiques éducatives. Non seulement la limite avec une activité de lobbying est mince, mais elle peut également apparaître comme totalement contradictoire avec les principes originels de l'organisation internationale censée défendre et protéger la pluralité des cultures et civilisations.

En assumant son intervention dans les politiques éducatives du monde entier, l'UNESCO s'érige en grand ordonnateur de l'histoire et de la mémoire mondiale, faisant fi des particularités locales et de la sacro-sainte liberté pédagogique.

 

Le nouveau projet initié par l'UNESCO est donc très intéressant au sens où il va permettre de dresser une cartographie mondiale utile de l'enseignement du génocide des Juifs d'Europe. Il conviendrait cependant que cette organisation internationale nuance sa volonté de promotion de cet évènement historique qui risque d'être interprété comme une imposition des valeurs occidentales à l'échelle mondiale.

Nul doute que  la Palestine qui est récemment devenue membre de l'UNESCO saura se saisir de ce dossier qui risque de susciter des débats houleux.

 

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20 août 2012 1 20 /08 /août /2012 10:17

 

Depuis quelques semaines, l'excellent supplément "M le magazine" du journal Le Monde propose de partir à la rencontre des Etats-Unis et de ses habitants afin de mieux découvrir ce pays souvent mal compris, voire caricaturé, par le regard français.

Parmi les tableaux dressés figurent celui d' Oak Bluffs sur la côte Est décrit comme un "repaire de l'élite noire américaine" qui a accueilli Martin Luther King, Caroline Hunter, ou encore la famille Obama pour ses vacances.

 

Oak-Bluffs.jpg

Rue de Oak Bluffs

 

Obama-oak-Bluffs.png.jpgBarrack Obama dans le jardin de sa résidence de vacances à Oak Bluffs

 

Ce territoire étant étroitement associé à la culture noire américaine, il a récemment donné lieu à différentes manifestations telles qu'un festival du film afro-américain, mais aussi un parcours des lieux de mémoire pour les Noirs qui rassemble 22 sites. 

 

Parmi eux figurent notamment les maisons d'Edward Brooke, le premier sénateur afro-américain élu en 1966 et d'Adam Clayton Powell Jr., premier élu noir à la chambre des Représentants. Les anciennes résidences de Martin Luther King, Joe Louis, Harry Belafonte et Jesse Jackson constituent également des étapes essentielles de cette visite guidée des lieux de mémoire de la culture noire américaine. 

 

Il est assez symptomatique de constater que le premier exemple choisi par les journalistes du Monde pour illustrer leur article est celui du cimetière d'Eastville, où étaient enterrés "les marins inconnus, les vagabonds et les gens de couleur" tandis que les journalistes du New York Times et du Washington Post insistent bien davantage sur les lieux révélateurs de la fierté et de la réussite des noirs au sein de la société américaine.

Malgré l'objectif pieux initial des journalistes français, on saisit immédiatement par cette comparaison deux regards distincts qui ne parviennent pas à se croiser, non seulement sur la société américaine en générale et la place des minorités de couleur, mais plus encore sur le rapport à l'histoire et à la mémoire.

Tandis qu'on inaugurait encore récemment en France un  mémorial de l'abolition de l'esclavage dans une démarche victimaire institutionnalisée et financée par la collectivité publique, les Afro-américains se retrouvent davantage autour de lieux de mémoire positifs et communautarisés à partir de figures quasiment héroïques.

 

C'est par l'intermédiaire de telles comparaisons que l'on comprend mieux à quel point la mémoire constitue un élément essentiel dans la compréhension des sociétés et des civilisations. Comprendre le rapport au passé d'une population, c'est aussi mieux comprendre son rapport au présent. 

 

 

English summary

Memory places of the African-American culture

Oak Bluffs, Mass., is the place to be for Black Elite in USA. Permanent and temporary residents developed a local Black culture with in particular a route of memory places.  These commemorative sites consist in symbols of a shape of community pride which are diffucult to understand in a french journalistic way of thinking.

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19 août 2012 7 19 /08 /août /2012 12:42

 

De retour d'une session de recherche en centre d'archives, je prends connaissance comme chaque mois des travaux de la Société d'Histoire LGBT de San Francisco ( The GLBT Historical Society).

Parmi les innombrables projets menés par cette équipe dynamique figure un débat particulièrement intéressant sur la visibilité des LGBT (lesbiennes, gay, bisexuels et transsexuels) dans l'espace historique et mémoriel.

Si les Etats-Unis sont déjà très en pointe sur les études de genre et des sexualités, ils confirment régulièrement leur supériorité dans ce domaine en ouvrant de nouveaux champs de réflexion particulièrement novateurs. Cette proposition sur les lieux de mémoire en constitue un exemple particulièrement révélateur.

 

 Dans un précédent article, nous avions déjà souligné à quel point l'émergence de figures historiques référentielles LGBT pouvait contribuer à normaliser cette thématique et constituer une démarche pédagogique vers davantage de tolérance.

La réflexion initiée par la GLBT Historical Society constitue en quelque sorte un prolongement mémoriel de cette approche résolument historique. Préserver et valoriser les lieux de mémoire LGBT, c'est aussi démontrer concrètement l'existence historique d'un phénomène sociétal souvent cantonné à l'oubli, voire à la dissimulation.

 

En France, cette approche s'est essentiellement développée sous le prisme touristique. Ainsi, l'association  ParisGayVillage propose-t-elle de visiter Paris en découvrant l’histoire des homosexualités et des cultures gays et lesbiennes du XVIIème siècle aux années 1980. Tous les mois, des animateurs proposent une visite guidée de deux heures afin de retracer les lieux emblématiques de la culture LGBT quasiment effacée et anonymisée au sein de l'espace public.

C'est sur cet aspect que la GLBT Historical Society se propose de réfléchir : les lieux de mémoire LGBT doivent-ils être cantonnés aux grandes métropoles qui accueillent désormais les principales manifestations et associations LGBT ou doivent-ils être élargis au plus petites villes, voire aux campagnes ? Comment préserver et valoriser ces lieux ? Une patrimonialisation du passé LGBT est-il possible ? Dans quelles conditions ?

 

A chacune de mes visites d'un centre d'archives dans différentes régions françaises, je me rends régulièrement sur les lieux que j'ai rencontré sous la plume des rapports de police et autres documents judiciaires : les anciens bars ont souvent été remplacés par des banques, les pissotières ont carrément disparues et les squares dans lesquels des milliers de rencontres fugaces se sont nouées sont souvent devenus des endroits grillagés et contrôlés dans lesquels les mères de famille emmènent leurs enfants.  A l'exception du square Steinbach à Mulhouse, aucun élément ne permet jamais de se souvenir du passé LGBT de ces lieux qui étaient pourtant connus et reconnus comme tels dans la première moitié du XXe siècle.

Les jardins Albert Ier à Nice appartiennent désormais à l'espace touristique international de la promenade des Anglais et l'hôtel de la Cloche à Dijon accueille une clientèle huppée à la réputation irréprochable. Le brigardier Mortier qui opérait dans la capitale des Ducs de Bourgogne dans les années 1930 savait pourtant bien où débusquer les homosexuels qu'il surveillait étroitement à cette époque. Il se rendait régulièrement à la réception de l'hôtel pour obtenir des informations sur les clients qu'il avait repéré préalablement à la Grande Taverne, puis autour des pissotières du parc Darcy, avant qu'ils ne se dirigent par deux vers cet établissement. 

 

Les historiens et architectes américains qui se sont réunis au mois d'août 2012 à San Francisco seront peut-être à l'origine de nouvelles propositions originales sur la façon de commémorer l'histoire LGBT et d'organiser de nouveaux lieux de mémoires. Lets wait and see...

 

 

English summary

Thinking the LGBT memory places

In August 2012, american historians and architects met at the GLBT Historical Society in order to look at how queer historical sites are being preserved, documented and interpreted and highlight innovations needed to ensure that significant sites are recognized and protected. In France, a lot of places should be recognized as queer historical sites.

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27 juillet 2012 5 27 /07 /juillet /2012 14:16

 

A la demande du Nouvel Obs, j'ai consacré l'article du jour à la polémique qui entoure l'arrivée d'une statue de Mao Zedong sur une place de Montpellier et qui n'est pas étrangère aux réflexions historico-mémorielles développées habituellement sur ce site.

Vous pouvez lire l'article à l'adresse suivante en cliquant ici.

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26 juillet 2012 4 26 /07 /juillet /2012 09:08

 

Retenu pendant quelques jours dans la fraîcheur appréciable d'un centre d'archives, je n'ai pas pu réagir immédiatement au discours de François Hollande lors des commémorations de la rafle du Vel d'Hiv'.

Plutôt qu'une analyse de texte, ce décalage me permet finalement de proposer une réflexion sur les diverses réactions et les enseignements qu'il conviendrait de tirer de cette  deuxième polémique qui entoure le récit présidentiel de l'histoire depuis son élection.

 

Tout d'abord, et comme à notre habitude sur ce site, il convient d'aller  lire le discours dans sa version officielle éditée sur le site de l'Elysée. Nous avons déjà signalé récemment notre regret de voir disparaître les vidéos qui accompagnaient jusqu'à présent le texte. La mise en scène, l'intonation, les pauses sont parfois tout aussi révélatrices que les mots... qui font d'ailleurs parfois l'objet d'improvisations de la part du président de la République.

 

Cette lecture permet de se rendre compte que les critiques portées à l'encontre de François Hollande par ses opposants se limitent finalement à un aspect très précis et limité du discours.

1. Dès le lundi 23 juillet 2012, le nouveau député UMP et ancienne plume de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a lancé la polémique dans des propos très durs et controversés : "Ce qu'a dit M. Hollande (...) hier, personnellement, me scandalise, pour une raison très simple : ma France, elle n'était pas à Vichy, elle était à Londres depuis le 18 juin. Il n'a pas parlé au nom de la France que j'aime". "Ce qui a été commis au moment de la rafle du Vel' d'Hiv est une abomination, c'est une horreur, et ceux qui l'ont fait doivent être condamnés durement au tribunal de l'Histoire". "Mais la France, qu'est-ce qu'elle a à voir avec cela ?". "Peut-être que M. Hollande se sent proche de la France des notables apeurés qui se sont précipités à Vichy après l'armistice. Ce n'est pas ma France", a ajouté le député UMP des Yvelines.

2. Jean-Pierre Chevènement considère quant à lui que "le président Hollande, dans son discours du 22 juillet, a malheureusement omis de dire que les crimes commis par les policiers et les gendarmes français, lors de la rafle du Vel d'Hiv, l'ont été sur l'ordre de l'Etat français de Vichy collaborant avec l'Allemagne nazie". "C'est occulter les accords passés avec la gestapo par René Bousquet, alors secrétaire général de la police, agissant pour le gouvernement de Vichy. C'est faire comme si Pétain était la France et comme si le véritable coup d'Etat opéré le 10 juillet 1940 par un gouvernement de capitulation n'avait pas existé".

3. Rachida Dati s'est également exprimée par une déclaration singulière : "Moi, je m'associe à ces déclarations. Je dis simplement, attention, parce que tous les Français n'ont pas été complices de cette barbarie, il faut aussi le rappeler".

4. Mardi 24 juillet 2012, le député et candidat au secrétariat général de l'UMP Bruno Le Maire a indiqué que selon lui M. Hollande a commis "une vraie maladresse" en confondant "l'Etat français et la France". "On confond la France et l'Etat français et je le regrette", a-t-il insisté. "Il aurait été plus juste de dire que la rafle a été organisée par l'Etat de Vichy et pas par la France". 

5. Enfin, le vice-président du Front national Florian Philippot a estimé quant à lui que les propos tenus dimanche par M. Hollande sur la rafle du Vél d'Hiv en 1942 relève d'un "concours de repentance généralisé"

 

De cette revue de presse non-exhaustive, nous pouvons finalement retenir trois critiques principales : 

1. Une confusion entre la France et l'Etat français de Vichy qui entraîne... 

2. Une condamnation jugée insuffisante du gouvernement de Vichy et un silence considéré comme maladroit sur la France résistante,

3. Une démarche politique relevant de la repentance

 

Ces trois critiques ont en commun de relever d'une posture éminemment politique qui réveillent des débats en vigueur depuis plusieurs décennies, voire depuis la Seconde Guerre mondiale.

Le grand combat et la grande force du général De Gaulle fut de parvenir à s'imposer (difficilement) aux yeux des Alliés (mais aussi des mouvements résistants de l'intérieur par l'intérmédiaire de Jean Moulin) comme le représentant légitime de la France face aux autorités de Vichy pourtant légales.

Depuis, le débat envenime régulièrement les commémorations, tel un serpent traversant la Cinquième République. De Gaulle et Mitterrand ont toujours refusé de reconnaître la légitimité de Vichy... et par conséquent de présenter des excuses officielles au nom de la France. Rattrapé par des révélations sur son passé à la fin de son second mandat, François Mitterrand avait cependant concédé en 1993 la création d'une  « Journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite « gouvernement de l'État français » (1940-1944). La dénomination employée laisse clairement apparaître les précautions minutieuses prises à cette époque.

 

Cette modeste reconnaissance a ensuite été transformée par Jacques Chirac lors des commémorations de la rafle du Vel d'Hiv' de 1995. Dans un discours aujourd'hui encore célébré pour sa justesse et son intelligence, le président de la République affirmait : "Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français (...) La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable".

 

Pourquoi donc les mots de Jacques Chirac en 1995 ont été et restent salués... tandis que ceux de François Hollande sont sujets à polémique ?

Encore une fois, la réponse repose dans la logique des discours et non pas seulement dans de courtes citations.

Dans ce domaine, Jacques Chirac a fait preuve non seulement de talent, mais aussi de pédagogie : il rappelle d'abord que la déportation des Juifs était une exigence de l'occupant nazi. Ensuite, il dénonce la compromission des autorités de Vichy, mais aussi de policiers français fermant les yeux sous l'autorité de leurs chefs. Dès lors, avoir avoir condamné ces égarements, il termine son discours en rappelant que pendant ce temps, d'autres Français se battaient aussi pour la démocratie.

Ayant eu l'occasion à plusieurs reprises de rédiger des discours pour des élus, j'ai toujours été fasciné par ce modèle du genre qui s'est depuis imposé comme un modèle.

 

Le discours de François Hollande est quant à lui beaucoup plus brouillon, sans véritable plan et contient des affirmations très maladroites.

A trop vouloir répondre aux multiples revendications mémorielles, il finit par délivrer un message rempli de bonnes intentions, mais truffé d'erreurs, d'approximations et sans réelle portée symbolique.

 

Tandis que les hommes politiques d'opposition faisaient leur travail en sélectionnant un angle d'attaque précis susceptible d'être porté dans les médias, peu d'historiens se sont penchés sur le discours à l'exception d' Alain Michel pour le site  Hérodote.net qui a repéré pas moins de sept erreurs ou approximations d'ordre historique dans le discours de François Hollande (qui peuvent cependant parfois faire aussi l'objet de débats et discussions entre historiens).

 

Espérons que cette nouvelle polémique permettra à François Hollande et à son cabinet de ne pas reproduire de telles erreurs qui apparaissent d'ailleurs comme assez surprenantes après les multiples critiques adressées à son prédécesseur dans ce domaine.

La plume de François Hollande (qui reste pour l'instant très discrète) doit comprendre qu'un discours politique ne peut pas être un cours d'histoire. Le président de la République est le garant du récit national. Son message se doit d'être éminemment politique et symbolique, ce qui ne l'empêche pas bien sûr de le faire reposer sur les connaissances actualisées de la recherche historique.

Tant que François Hollande persistera à vouloir venir discuter sur le terrain de l'histoire, il prendra le risque d'être sans cesse attaqué sur la méthode et les détails. 

 

Comme le précise Thomas Wieder dans Le Monde, le président de la République risque de se faire encore régulièrement échauder s'il ne révise pas rapidement sa posture face aux questions historiques et mémorielles. Génocide arménien, Guerre d'Algérie, Première Guerre mondiale sont autant de commémorations importantes qui se préparent durant son mandat et durant lesquelles sa parole présidentielle sera scrutée avec attention.

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22 juillet 2012 7 22 /07 /juillet /2012 10:17

Les-freres-Himmler.jpg

Katrin Himmler, Les frères Himmler, une histoire allemande,

Éditions David Reinharc, 2012 (édition originale : 2005).

 

Cet ouvrage est pour le moins déconcertant. Il s'agit d'une recherche sur l'une des familles les plus controversées d'Europe par l'un de ses membres, à savoir Katrin Himmler, la petite-nièce du célèbre Heinrich Himmler.

Dotée d'un  solide parcours en science politique, elle a assez courageusement décidé de se confronter à l'histoire familiale entâchée par la sombre image de son plus illustre représentant qui fut l’un des plus hauts dignitaires du régime nazi.

 

L'idée initiale consiste avant tout à s'intéresser aux frères d'Heinrich Himmler, l’aîné Gebhard et le cadet Ernst. La mémoire familiale transmise à l'auteur de cet ouvrage voulait en effet que les deux frères du terrible Heinrich aient été beaucoup moins impliqués que le troisième dans la politique nazie.

Or, en décidant de confirmer le récit familial par les archives, Katrin Himmler découvre finalement que son grand-père Ernst n'a pas vraiment été apolitique. Il a non seulement dirigé le Reichsrundfunk (c’est-à-dire la radio du Reich), mais il a également adhéré très tôt au nazisme et a rendu de nombreux services au Reichsführer SS. 

Gebhard a quant à lui participé avec Heinrich au putsch de Munich en 1923, puis pris part en 1939 au Blitzkrieg contre la Pologne, avant de devenir fonctionnaire au ministère de l’éducation du Reich.

Les découvertes ne se limitent cependant pas seulement à la fratrie et Katrin Himmler découvre finalement que de nombreux membres de la famille ont participé, voire adhéré, aux activités d'Heinrich. Le beau-frère de Gebhard était par exemple gouverneur de Cracovie, d’où de nombreux Juifs furent déportés. Et même après-guerre, l'une des grand-mères de l'auteur a participé, à un réseau d’entraide d’anciens nazis.

 

Ce travail qui relève autant de l'histoire que de la mémoire n'est pas sans rappeler  l'ouvrage d'Alexandre Jardin que nous avions déjà signalé sur ce blog. Il peut également être rapproché de celui de l'académicien Dominique Fernandez qui, dans Ramon (Grasset, 2009), a raconté l'histoire de son père devenu collaborateur en 1940.

Dans ces trois essais qui naviguent entre littérature, réflexion personnelle et recherche historique, on retrouve des traits communs :

   1. Un long silence familial sur ce sombre passé. Dans le cas des Himmler, Katrin considère que la figure d'Heinrich a servi de bouclier mémoriel permettant de dissimuler la compromission des autres membres de la famille.

   2. Une réminiscence qui s'exprime de façon publique et assumée depuis le début des années 2000 et qui laisse penser que le contexte actuel a libéré cette mémoire. Nous manquons cependant encore de recul pour comprendre exactement les éléments qui ont permis cette libéralisation de la parole.

   3. L'usage de la littérature n'est également pas anodin, comme s'il fallait encore passer par un témoignage romancé pour essayer d'exprimer la nature des sentiments compliqués des descendants.

   4. Un héritage qui reste cependant encore difficile à assumer. Jean Jardin a expliqué dans de nombreuses interviews à quel point son travail de recherche et d'écriture avait été douloureux. Katrin Himmler explique que son travail est aussi une réponse à la souffrance de son adolescence durant laquelle il a parfois été compliqué d'assumer son nom.

 

Tandis que certains passent par l'écriture pour effectuer leur travail de mémoire, d'autres essaient encore difficilement d'oublier en se faisant oublier. Ainsi, Bettina Goering, la nièce d'Hermann Goering, a choisi avec son frère  de se faire stériliser afin d'éteindre la lignée familiale. N'assumant même plus les regards sur son visage aux traits rappelant son grand-oncle, elle a également décidé de quitter l'Allemagne pour se réfugier aux Etats-Unis.

 

Malgré le temps et les générations, cette mémoire demeure décidément bien douloureuse.

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18 juillet 2012 3 18 /07 /juillet /2012 06:34

 

La mémoire des homosexualités poursuit toujours un chemin particulier. Après avoir été invisible pendant de très longues années, elle semble peu à peu se libérer.

 

La mémoire d'Alan Turing par exemple a fini par être honorée après des décennies de silence tantôt méprisant, tantôt gêné.

Absent de la plupart des grandes synthèses sur la Seconde Guerre mondiale, ce mathématicien de génie a non seulement contribué à poser les premières bases de nos ordinateurs, mais il est aussi celui qui a permis le déchiffrage des codes de la machine Enigma utilisée pour les communications des sous-marins allemands croisant dans l'Atlantique nord. Aujourd'hui, plusieurs historiens considèrent que cette découverte constitue un des éléments essentiels qui ont contribué à la chute du nazisme.

Sa participation à l'effort de guerre a cependant été effacée sous le sceau de l'infamie. En 1952, il est condamné pour outrage aux bonnes moeurs en raison de son homosexualité. Il est alors contraint d'accepter une castration qui le plonge dans une profonde dépression, et finalement le conduit au suicide à l'âge de 41 ans.

Après une longue période de silence, ce n'est qu'au début des années 2000 que sa mémoire a fini par être honorée. D'abord par l'intermédiaire d'un mémorial inauguré en 2001 à Manchester : 

 

Alan-Turing-Manchester.jpg

 

A l'occasion du centenaire de sa naissance, les hommages se sont finalement multipliés partout dans le monde tant pour son oeuvre scientifique, que pour son statut de martyr.

Parmi les initiatives les plus marquantes, on note plus particulièrement la création d'un prix commémoratif Alan Turing visant à récompenser chaque année les individus ou les groupes ayant contribué à la lutte contre l'homophobie. De même, une pétition a été lancée afin d'éditer des billets de banque à son effigie. Enfin, la flamme olympique a fait un arrêt devant son mémorial lors de son passage à Manchester :

 

Alan-Turing-memorial-Olympic.jpg

 

Le cas d'Alan Turing n'est pas isolé. En 1957, l'astronome américain Frank Kameny était licencié de l'armée américaine en raison de son homosexualité. Après avoir essayé de contester cette décision jusque devant la la Cour Suprême, il s'était finalement engagé dans un combat militant pour les droits des homosexuels au sein de la Mattachine Society.

Ce n'est qu'en 2009 que le président Barack Obama s'est excusé pour ce licenciement, avant qu'un astronome canadien décide de lui rendre hommage en donnant son nom à un astéroïde récemment découvert.

 

Ces exemples sont révélateurs d'une mémoire des homosexualités en constante évolution, passant du silence gêné à une commémoration presque exagérée.

Cette construction mémorielle est le résultat d'une volonté de rattrapage qui est passée par une nécessaire étape de militance. Parmi les principaux acteurs français de cette entreprise mémorielle figurent deux hommes aux parcours exceptionnels qui ont disparu récemment : Jean Le Bitoux et Jacques Vandemborghe.

 

Le premier est décédé en 2010 et nous lui avions déjà consacré  un article sur ce blog, une communication dans un ouvrage collectif ainsi que la postface d'un ouvrage. 

Le second vient de disparaître (le 30 mars 2012). Parmi ses nombreux engagements figuraient la ferme volonté de développer la visibilité et la transmission des mémoires homosexuelles.

Avec Jean Le Bitoux, il a favorisé le témoignage du déporté Pierre Seel au début des années 1980, accompagnant ensuite la création de l'association Mémorial de la Déportation Homosexuelle. Cet engagement s'est ensuite élargi avec l'apparition de la fondation Mémoire des Homosexualités aux côtés de Christian de Leusse (qui préside toujours aujourd'hui une association appelée Mémoire des Sexualités Marseille). 

 

Ces différentes initiatives s'inscrivent dans un contexte particulier et répondent à deux logiques principales :

   1. Une recherche de reconnaissance sociale. En cultivant la mémoire, ces militants avaient en effet pour ambition de démontrer que la culture et les pratiques homosexuelles sont omniprésentes dans la société malgré les multiples tentatives de bannissement de l'espace publique.

   2. Une lutte contre l'oubli. Il n'est pas anodin de constater que ces projets émergent tous dans la continuité des années 1980 et l'apparition de l'épidémie de Sida longtemps caractérisée comme un "cancer gay". Lutter pour les mémoires, c'était aussi une façon pour ces militants de lutter contre la mort et contre l'oubli qui faisaient brutalement leur entrée dans le quotidien des homosexuels de cette époque.

 

Deux éléments caractérisent cependant plus particulièrement la position française dans ce domaine. 

D'abord, l'invisibilité flagrante des lesbiennes qui n'ont que très rarement été associées à ces réflexions.

Ensuite, l'importance de la démarche victimaire qui caractérise ce mouvement. Ainsi, les revendications de visibilité contemporaines sont systématiquement associées au rappel de la persécution puis de l'invisibilité passée (déportation, fichage, flicage...).

Or, nous avons pu constater par l'intermédiaire des exemples évoqués en introduction de cet article que la démarche est sensiblement différente dans les pays anglo-saxons qui, sans oublier les persécutions, revendiquent depuis quelques années la fierté de l'apport de la culture homosexuelle dans l'histoire universelle.

 

Consulté à de nombreuses reprises sur la nécessité d'introduire l'étude de la déportation pour motif d'homosexualité dans les programmes scolaire, nous avons souvent répondu que ceci était en effet indispensable... à condition d'avoir évoqué précédemment dans les programmes scolaires la pratique respectable de la pédérastie dans l'antiquité grecque (en insistant notamment sur sa distinction avec la pratique condamnable de la pédophilie contemporaine), certains aspects de l'homosociabilité de la chevalerie et du clergé médiévales (tout en présentant la montée en puissance parallèle des normes socio-sexuelles chrétiennes), mais aussi l'apport d'auteurs et artistes aussi talentueux que Rimbaud, Wilde, Gide (en présentant à parts égales leur génie universel, sans omettre leur homosexualité, ni la persécution dont ils firent l'objet).

En somme, il ne nous semble pas nécessaire d'imposer dans les programmes scolaires des chapitres consacrés à l'homosexualité comme cela a pu être fait récemment pour l'esclavage, les traites négrières et le génocide arménien à la suite de revendications mémorielles. En revanche, la démarche adoptée depuis quelques années pour valoriser la place des femmes dans l'histoire nous semble plus judicieuse. Soutenue par une forte volonté politique, elle s'est accompagnée de multiples initiatives visant à valoriser les recherches dans ce domaine ainsi que leur transcription et leur banalisation dans les programmes de formation et les manuels scolaires. 

 

C'est à cette seule condition à notre avis que les dimensions intellectuelles et citoyennes des mémoires homosexuelles pourront se renouveller dans les années à venir. Les éternelles accusations de communautarisme ne pourront être dépassées que par une démarche historienne présentant l'homosexualité comme ce qu'elle est, c'est-à-dire une composante omniprésente de l'histoire universelle.

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17 juillet 2012 2 17 /07 /juillet /2012 08:25

 

Lundi 16 juillet 2012, jour de la commémoration du soixante-dixième anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv',  des reporters du quotidien britannique The Sun ont annoncé avoir retrouvé la trace à Budapest de Laszlo Csatary, ancien chef de la police au ghetto juif de la ville slovaque de Kosice où 15.700 Juifs furent assassinés ou déportés vers le camp d'extermination nazi d'Auschwitz. 

 

Lazlo-Csatary.jpg

 

Cet homme avait été placé en tête de la liste des criminels de guerre nazis les plus recherchés au monde (édition 2012) par le centre Simon Wiesenthal qui s'est fait une spécialité depuis quelques années de traquer les nazis encore vivants afin de les déferer devant la justice avant qu'ils ne meurent. Cette chasse à l'homme s'est d'ailleurs intensifiée depuis 2002 dans le cadre d'un programme appelé "Opération dernière chance". 

 

A défaut de pouvoir rencontrer des représentants du centre Simon Wiesenthal, ou bien d'obtenir une interview exclusive de l'intéressé, les journalistes français se sont tournés vers Serge Klarsfeld qui symbolise aux yeux de beaucoup l'archétype du chasseur de nazis pour commenter cette information. Encore plus surprenant, d'autres sont allés à la rencontre de son fils Arno Klarsfeld...

Les deux hommes ont essentiellement relativisé cette nouvelle identification qui, pour le moment, ne s'est pas concrétisée par une arrestation bien que l'homme ait déjà été condamné à mort par contumace en 1948 par un tribunal tchécoslovaque. Une enquête serait en cours depuis septembre 2011 au parquet de Budapest...

 

Comme pour le cas de  John Dumjanjuk en 2009, je persiste à voir une grande indécence dans cette traque acharnée contre d'anciens nazis.

Tout d'abord parce que la méthode du Centre Simon Wiesenthal est contestable. En 2009, il avait déjà placé John Dumjanjuk à la tête de sa liste des criminels de guerre nazis pour faire pression sur la justice américaine afin qu'elle accepte son extradition en Allemagne. Cette fois-ci encore, on s'aperçoit que Laszlo Csatary a été placé en tête de liste quelques semaines avant l'annonce de sa localisation. Cette coïncidence induit le doute sur la logique de ce document qui ne semble pas classer les criminels en fonction de leurs actes, mais plutôt en fonction de la potentialité d'organisation d'un procès.

 

Le cheminement médiatique est ensuite parfaitement rodé visant à criminaliser à outrance l'accusé, quitte à enfreindre régulièrement la présomption d'innocence en vigueur dans plusieurs pays. A ce titre, la couverture du Sun reproduite ci-dessus est révélatrice. L'homme est qualifié de "monstre" ayant envoyé 15 700 personnes à la mort. L'erreur commise par le journal Le Monde sur le prénom de Dumjanjuk dans son article du 16 juillet 2012 est tout aussi porteuse de sens. En l'appelant Ivan et non pas John, le journal reproduit une légende qui voulait que Dumjanjuk soit le sanguinaire "Ivan le Terrible" de Treblinka... ce que la justice n'a pas pu confirmer !

On peut d'ailleurs s'interroger sur le fait que ce soit un tabloïd qui révèle la localisation de Laszlo Csatary en partenariat avec le centre Simon Wiesenthal. N'existait-il pas d'autres journaux plus sérieux et modérés susceptibles de mener une telle enquête ?

 

Enfin, à quoi va bien pouvoir servir un tel procès ? Les familles des victimes (qui restent étrangement silencieuses dans les médias pour le moment) tiennent-elles vraiment à une telle mise en scène dont l'émotion et les rebondissements vont irrémédiablement conduire ce vieil homme à la mort d'ici quelques mois ? Après Nuremberg, après Eichmann et après Barbie en France, que retiendra-t-on de ce procès sinon une vague agitation médiatique ?

Ne serait-il pas plus utile de recueillir ses mémoires ? A l'exception de Rudolf Höss qui a rédigé son témoignage lors de son procès afin d'essayer d'expliquer sa version des faits à la justice, rares sont les nazis qui ont accepté de s'expliquer et de fournir leur lecture sincère et personnelle à l'occasion d'un procès. Prisonniers d'une démarche judiciaire et de la stratégie d'une myriade d'avocats, ils délivrent le plus souvent un discours froid et inutile alors que leur témoignage serait souvent très utile aux historiens et à la société pour comprendre la montée du nazisme, l'adhésion de milliers d'individus à une idéologie raciste et xénophobe, ainsi que la construction compliquée d'une mémoire individuelle universellement condamnée. 

 

Soixante-dix ans après les faits, il serait peut-être temps d'atténuer la condamnation et d'encourager la compréhension pour qu'une telle tragédie ne puisse jamais plus se reproduire.

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13 juillet 2012 5 13 /07 /juillet /2012 08:08

 

En publiant non seulement le discours de François Hollande, mais aussi celui d'Angela Merkel,  le site officiel de l'Elysée nous invite à une démarche plutôt originale. Il nous est en effet permis de comparer dans le texte deux lectures mémorielles nationales d'un même évènement historique portées par les dirigeants. 

 

Hollande-et-Merkel-a-Reims.jpg

 

Sur la forme tout d'abord, outre cette nouveauté intéressante de publier le discours de l'invité, nous devons noter la lenteur inhabituelle des services de l'Elysée pour la mise en ligne des discours. Bien qu'il soit indiqué que ces textes ont été publiés le 8 juillet 2012, nous avons pu vérifier qu'ils n'étaient pas disponibles en début de semaine au moment où nous avons voulu les consulter.

De plus, on peut regretter que ces documents ne fassent pas l'objet d'une relecture plus minutieuse de la part des services officiels. Cela aurait peut-être permis d'éviter des fautes dans le nom du ministre des Affaires Etrangères Gustav STRESEMANN (et non pas Gustave STRESELMANN) qui avait été à l'origine avec Aristide Briand des premiers pas du rapprochement franco-allemand dans l'entre-deux-guerres.

Enfin, nous regrettons que les vidéos des discours ne soient plus systématiquement joints à la transcription écrite. Cela permettait souvent de repérer quelques différences substantielles et toujours intéressantes entre le texte rédigé par un conseiller puis transmis par les services de communication et les espaces de liberté du chef de l'Etat laissant libre cours à son interprétation personnelle.

 

Sur le fond maintenant, le parallélisme de structure est assez surprenant entre le discours de François Hollande et Angela Merkel. Tous les deux commencent par évoquer l'évènement commémoré (la rencontre De Gaulle / Adenauer), puis le passé conflictuel des deux pays depuis la fin du XIXe siècle, avant de s'adresser plus précisément aux jeunes générations porteuses d'avenir et d'évoquer brièvement les difficultés actuelles à surmonter dans la construction européenne.

 

Ces ressemblances laissent cependant apparaître des différences symptomatiques de constructions mémorielles différentes dans les références invoquées.

Ainsi, alors que François Hollande s'attache à la symbolique de Reims ("ville-martyre"), tout en rappelant la place particulière de sa cathédrale ("celle des sacres des rois de France, (qui) reçut plusieurs centaines d'obus tout au long de la Grande Guerre"), Angela Merkel insiste sur le caractère religieux de la rencontre : "Cela fait 50 ans aujourd'hui que le président Charles de Gaulle prononçait les paroles suivantes devant l'archevêque de Reims et je cite : « Excellence, le Chancelier Adenauer et moi-même venons dans votre cathédrale, sceller la réconciliation de la France et de l'Allemagne »". Et d'ajouter un peu plus loin : "Profondément touchés par ce moment historique, l'un parlait de miracle, l'autre de don du ciel". C'est dans ce genre de comparaison frontale que l'on peut comprendre l'originalité de la laïcité à la française.


C'est ensuite sur le terrain des responsabilités que les discours se distinguent. Le propos de François Hollande est en effet plutôt neutre, parlant certes de batailles "meurtrières" qui ont laissé "dans les mémoires collectives de l'Allemagne et de la France des traces profondes" mais en se gardant bien d'évoquer une quelconque responsabilité d'un des deux belligérants. A l'inverse, Angela Merkel n'hésite pas à insister lourdement sur les fautes commises par son pays. Elle rappelle donc successivement que ce sont bien les soldats allemands qui ont bombardé la cathédrale de Reims, que c'est bien l'Allemagne qui a déclenché la Seconde Guerre mondiale qui "a apporté des souffrances incommensurables à nos peuples, à l'Europe, au monde entier. Barbarie, humiliations, privation de droits, exploitation et anéantissement, effondrement de la civilisation avec la Shoah". Elle va même jusqu'à justifier l'occupation de son pays par la France après la guerre en expliquant que "plus jamais l'Allemagne ne devait troubler la paix mondiale". 

Ces différences sont révélatrices de constructions mémorielles radicalement différentes entre les deux pays voisins : alors qu'en France, beaucoup réfutent cette démarche de contrition face aux erreurs du passé (ce que d'aucuns appellent la repentance), l'Allemagne adopte une position strictement inverse en insistant sur ses responsabilités sans même s'interroger dans le cadre de ce discours sur la nature transitoire ou exceptionnelle du IIIe Reich. Lorsqu'Angela Merkel parle des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, elle ne dit pas "la parenthèse du Reich", ni même "l'Allemagne nazie", mais bien l'Allemagne ! 

 

Le discours d'Angela Merkel est en revanche beaucoup plus flou sur d'autres points, sans que l'on puisse vraiment savoir s'il s'agit de défauts de traduction, de dénominations en vigueur dans l'historigraphie allemande ou de réelles approximations. Elle évoque ainsi la "poignée de main" entre le président Mitterrand et le chancelier Kohl en faisant probablement référence à la célèbre photographie des commémorations à Verdun en 1984 sur laquelle on peut voir les deux hommes se tenir par la main. Probablement fait-elle aussi référence à Verdun quand elle évoque "la bataille de 1916".

 

mitterrand-kohl.jpg

 

Le seul élément que les deux dirigeants se sont refusés de commenter sont les profanations des tombes de soldats allemands dans un cimetière militaire des Ardennes quelques heures avant la cérémonie de commémoration.

Bien que l'enquête n'ait pour l'instant pas donné de résultats (c'est d'ailleurs rarement le cas dans ce genre d'affaire), on peut s'interroger sur le sens d'un tel acte qui n'est pas anodin dans une telle temporalité. Doit-on comprendre que pour une partie de la population française, les plaies mémorielles des guerres franco-allemandes ne sont toujours pas refermées ? Ou bien s'agit-il d'un acte résolument politique de la part de ceux qui considèrent que plusieurs décennies après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne tente à nouveau de prendre le contrôle de l'Europe par des moyens plus modernes et sournois ?

Dans tous les cas, c'est encore par le prisme mémoriel que le message est exprimé.

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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 07:51

 

Ils ont été particulièrement sollicités et écoutés pendant la campagne présidentielle.

La première apparition publique du nouveau candidat François Hollande au lendemain de sa victoire aux primaires socialistes n'était-elle pas sur le pont de Clichy pour rendre hommage aux Algériens du FLN tués le 17 octobre 1961 ? De même, Nicolas Sarkozy avait multiplié les appels du pied aux  Harkis et aux  Arméniens à la veille de l'échéance électorale en tirant sur la corde mémorielle.

 

Il fallait donc bien se douter qu'après le temps des promesses viendrait celui des grandes messes au cours desquelles se succèdent les différentes revendications mémorielles.

 

Le premier dossier remis rapidement sur la table des négociations a été celui de la pénalisation de la négation du génocide arménien.

Le texte précédent soutenu par Nicolas Sarkozy a en effet été censuré par le Conseil constitutionnel, permettant ainsi au président sortant de trouver une échappée digne à la polémique géopolitique qui grandissait autour du texte.

Le dossier n'a cependant pas manqué d'être redéposé très rapidement sur le bureau de François Hollande. Le Conseil de coordination des organisations arméniennes en France (CCAF) s'est rappelé à son bon souvenir après que le ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius a été plutôt vague sur le sujet à l'issue d'un entretien avec son homologue turc, Ahmet Davutoglu.

Les équipes gouvernementales se sont donc remises au travail pour essayer de chercher une solution qui permette au président de tenir les promesses du candidat, sans pour autant ruiner les efforts de rapprochement avec la Turquie, tout en respectant la Constitution ! 

 

A plus brève échéance, François Hollande présidera vraissemblablement le 16 juillet les commémorations de la rafle du Vél d'Hiv. S'agissant d'un anniversaire décennal qui coïncide avec l'arrivée à l'Elysée d'un nouveau président de la République, le discours du chef de l'Etat est particulièrement attendu.

Cette particularité n'a évidemment pas échappé à Serge Klarsfeld qui signe dans Le Monde du 10 juillet 2012 une intéressante tribune où il rappelle l'historique du positionnement présidentiel face à cette commémoration. Indulgent avec François Mitterrand, élogieux avec Jacques Chirac, et respectueux avec Nicolas Sarkozy... sa tribune résonne comme un avertissement adressé au nouveau président de la République : "Nous, vieux enfants juifs qui avons vécu la Shoah et qui avons connu les Justes, nous avons confiance dans les gens normaux. Les Justes étaient des gens normaux qui accomplissaient des actes exceptionnels".

La formule est, comme toujours chez Serge Klarsfeld, fine et intelligente. Nul doute qu'elle saura atteindre son objectif. Les fils et filles des juifs déportés de France peuvent se féliciter d'avoir un tel président pour défendre leur mémoire jusqu'au sommet de l'Etat.

On aurait apprécié que ce dernier utilise ces qualités en février 2012 en réaction aux propos polémiques de  Christian Vanneste sur la déportation pour motif d'homosexualité.

Qui sait si parmi les milliers de juifs français déportés ne figuraient pas quelques homosexuels ? A l'inverse, on sait désormais que parmi les Justes qui ont contribué à sauver des juifs figuraient des homosexuels !

Le véritable apport de François Hollande lors de son discours serait peut-être justement de dépasser une vision conservatrice et catégorielle des victimes du nazisme pour proposer un projet véritablement novateur, moderne, intégrateur et solidaire des mémoires.
Réponse le 16 juillet...

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