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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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C'est Qui ?

  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.

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Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs

Cherche La Pépite

13 juillet 2014 7 13 /07 /juillet /2014 08:21

 

L'Assemblée nationale constitue une caisse de résonance des revendications mémorielles en France. On peut même considérer qu'il s'agit d'une étape traditionnelle dans l'émergence d'une nouvelle mémoire. Elle apparaît généralement juste après la constitution d'une association porteuse de la revendication. La forme et la multiplicité des questions posées par les parlementaires au gouvernement témoignent en effet d'une intense activité de lobbying parfois relayée simultanément par plusieurs dizaines de députés. 

Cette forme de revendication est d'autant plus utilisée depuis 2008 que l'Assemblée nationale a retrouvé la possibilité de voter des résolutions mémorielles qui permettent de "préserver l'expression du Parlement sur le passé" sans recourir à la loi et donc sans conséquence pénale pour la liberté d'opinion et d'expression des citoyens.

 

Reconnaître le sort des nomades en France durant la Seconde Guerre mondiale

Cette revendication est portée par le député socialiste des Pyrénées-Orientales Jacques Cresta. Dans une question écrite au ministre délégué chargé des anciens combattants, il demande au gouvernement si des actions mémorielles sont envisagées pour reconnaître le sort des nomades français ou étrangers qui, d'avril 1940 à juin 1946, ont été assignés à résidence, voire internés en zone Sud. 

La réponse du ministre délégué chargé des anciens combattants précise que cette mémoire est déjà prise en compte dans la politique mémorielle de la France : 

  • Les organisations liées à la communauté des gens du voyage sont en effet invitées officiellement à participer aux cérémonies organisées dans le cadre de la journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux "Justes" de France. 
  • La direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) soutient financièrement la réalisation de plaques et de stèles commémoratives dans les camps où ces nomades furent internés.
  • Enfin, la DMPA accorde des subventions pour la réalisation de colloques et de publications sur ce thème.

Bref, le gouvernement apporte une réponse complète à cette demande et, dans un langage consensuel, invite le député porteur de cette revendication à mieux étudier ces dossiers.
Il est en revanche intéressant de remarquer que cette demande s'inscrit dans un contexte particulier : celui d'une cristallisation du discours public et médiatique autour de la question des Roms. Le flottement observé dans le vocabulaire de la question et de la réponse est sur ce point assez significatif. Le député et les services du ministère utilisent simultanément les termes de « nomades », « Tsiganes, forains ou cheminots » et « gens du voyage ». On comprend donc que cette revendication mémorielle n'est pas gratuite mais qu'elle vise à rappeler les persécutions subies par les nomades durant la Seconde Guerre mondiale pour mieux mettre en perspective les risques d'une stigmatisation grandissante à l'égard des Roms et gens du voyage depuis quelques années.

 

Une statue pour honorer la mémoire de Camille Desmoulins

En novembre 2013, le député socialiste de l'Aisne, Monsieur Jean-Louis Bricout, a proposé à la ministre de la culture et de la communication de reconstruire la statue de Camille Desmoulins qui trônait au Palais-Royal avant d'être fondue par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale.

Bilan des dernières revendications mémorielles à l'Assemblée

Le député se fait ici le porte-parole à l'Assemblée nationale de l'association Camille Desmoulins qui diffuse cette revendication depuis plusieurs mois dans plusieurs médias et auprès de multiples dirigeants politiques

Cependant, la demande n'a pas pu aboutir pour le moment faute de moyens permettant de mettre en oeuvre cette proposition. 

 

Pour une journée nationale du souvenir de la "quatrième génération"

Cette proposition de loi a été déposée par le député Lionnel LUCA à la fin de l'année 2013. Elle vise à instituer une nouvelle journée nationale du souvenir pour les soldats français qui depuis 30 ans ont été tués ou blessés dans les différentes interventions extérieures de l'armée française.
Dans la logique de cette proposition de loi, il existerait en effet :

  • une "première génération du feu" composée des soldats de la Première Guerre mondiale et honorée chaque 11 novembre.
  • La "deuxième génération du feu" est associée aux soldats de la Seconde Guerre mondiale qui sont commémorés le 8 mai.
  • Enfin, la "troisième génération du feu" est constituée des soldats ayant combattu en Indochine et au Maghreb : les dates du 8 juin et du 5 décembre honorent leur mémoire.

Or, selon les initiateurs de cette loi, il devient nécessaire d'instaurer une cinquième journée nationale du souvenir pour honorer la mémoire des soldats français tombés au combat dans des opérations extérieures depuis 1962.
Les députés proposent d'ailleurs la date du 23 octobre qui en 2013 marquait le 40e anniversaire de la disparition de 58 parachutistes français dans un attentat suicide lors de la guerre du Liban.

Il est surprenant de constater que cette proposition de loi portée par un fidèle sarkozyste s'inscrit à l'exact inverse de la proposition faite par Nicolas Sarkozy en 2011 de faire du 11 novembre une « date de commémoration de la grande guerre et de tous les morts pour la France ». Alors que l'ancien président de la République proposait de lutter contre la multiplication des journées du souvenir en les regroupant sous une seule date (suivant ainsi le modèle anglo-saxon), l'actuel député des Alpes-Maritimes propose au contraire d'ajouter une nouvelle date dans le calendrier mémoriel.

D'autre part, le choix de cette date du 23 octobre 1983 n'est pas anodine. Alors que la proposition de loi recense la diversité des opérations extérieures menées par l'armée française depuis plusieurs dizaines d'années, les députés qui portent cette loi ont finalement choisi la date symbolique d'un attentat revendiqué par le Hezbollah, le mouvement de la révolution islamique libre et le Jihad islamique.

 

Pour une loi reconnaissant le massacre de la population française à Oran le 5 juillet 1962

Le député Lionnel Luca est particulièrement actif à l'Assemblée nationale sur les questions mémorielles. C'est encore lui qui est à l'initiative de cette autre proposition de loi qui vie à faire reconnaître officiellement par la République française le massacre de plusieurs centaines de Français le jour de la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962.

Plusieurs éléments posent cependant question dans ces initiatives législatives portées par le député Lionnel Luca : 

  1. D'abord, pourquoi continuer à utiliser la forme d'une proposition de loi très contraignante et plus compliquée à faire aboutir alors que la constitution prévoit désormais la possibilité d'utiliser le système de résolution mémorielle ? 
  2. Ensuite, que signifie dans l'exposé des motifs de la loi cette référence aux travaux de Guillaume Zeller qui qualifie ces événements de « nouvelle Saint Barthélémy » en précisant que c'est « sa position de journaliste » qui a permis de le massacre d'Oran du « déni historique » ? Le député Lionnel Luca, qui a été professeur d'histoire-géographie pendant 20 ans, aurait-il des raisons de ne pas faire confiance au travail d'histoire et aux historiens ?

 

Réhabiliter la Commune et les Communards 

En avril 2013, nous avions relayé sur ce blog la proposition de résolution mémorielle tendant à la pleine réhabilitation de la Commune et des Communards. Un an plus tard, le dossier n'a pas avancé et le texte n'a toujours pas été débattu en assemblée. Affaire à suivre... 

 

Les mineurs étaient-ils d'anciens combattants ?

Plus récemment, le député du Nord-Pas-de-Calais Stéphane Saint-André a adressé une nouvelle revendication mémorielle au ministre délégué aux anciens combattants et à la mémoire : il souhaite que les mineurs de fond du Pas-de-Calais qui effectuaient leur service militaire après 1957 et qui ont été rappelés dans les mines pour participer à l'effort de guerre soient reconnus du titre d'anciens combattants. 
Pour l'instant, le gouvernement n'a pas encore apporté de réponse à cette revendication.

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30 décembre 2013 1 30 /12 /décembre /2013 12:05

 

Je relaie ci-dessous les propos de Lionel Chanel à propos d'un billet d'humeur de l'écrivain Yann MOIX publié dans le Point à propos des commémorations du Centenaire de la Grande Guerre.

Le moins que l'on puisse dire est que le prix Renaudot 2013 a une interprétation pour le moins personnelle des notions de "mémoire" et "commémoration". Selon lui, les deux termes s'opposent catégoriquement : d'un côté, la mémoire rend le passé intelligible tandis que de l'autre, la commémoration est considérée comme le "contraire de la pensée".

Lionel Chanel propose de corriger cette présentation excessive en déplaçant la l'opposition autour des termes "histoire" et "mémoire".

Je serai pour ma part un peu moins catégorique que mon collègue sur ce point. Si l'histoire et la mémoire témoignent de deux rapports différents au passé, leurs relations peuvent difficilement être réduites à une forme d'opposition tant ils se nourrissent mutuellement : d'une part, l'histoire des mémoires constitue désormais un domaine de recherche passionnant et reconnu pour comprendre les sociétés passées et présentes ; d'autre part, l'engouement mémoriel n'ait pas étranger à la passion française pour le passé et constitue un véritable tremplin pour l'histoire.

Plutôt que de les opposer, nous préférons sur ce blog continuer à relever les situations nationales et internationales dans lesquels ils s'opposent, mais aussi ils s'enrichissent, se questionnent, voire se répondent.

Yann Moix : se remémorer sans commémorer ?
Les funérailles de la pensé

Yann Moix a signé dans Le Point un billet d’humeur sur les commémorations de 14-18. Sa lecture est déconcertante.

En cette vague de commémorations du centenaire de la boucherie de 14-18, une voix qui se voulait anticonformiste s’est élevée pour les dénoncer. Dans le supplément du Point du 21 novembre 2013, Yann Moix opposait dans un article intitulé « Les funérailles du passé » la commémoration et la mémoire. [1] La première serait déplorable, la seconde bienfaisante. Tandis que la commémoration est considérée comme le « contraire de la pensée », la mémoire serait du « passé rendu intelligible » assène-t-il. Le passé impensé s’opposerait au « passé pensé ». Et au final, alors que la mémoire serait « le lieu où le passé vit », la commémoration constituerait « le lieu où le passé meurt ».

Certes, la commémoration ne vise nullement à rendre le passé intelligible. Ce n’est pas sa fonction. Sa raison d’être est de rappeler le souvenir d’un événement, en l’occurrence celui de la Première Guerre mondiale. Mais faut-il rappeler à Yann Moix que la mémoire désigne justement la faculté de se souvenir ? Autrement dit, mémoire et commémoration ne s’opposent nullement.

Mais admettons. Entrons dans la logique de l’écrivain et détaillons le conflit qu’il imagine entre mémoire et commémoration. Cette dernière, selon lui, vise à faire mourir le passé pour que celui-ci n’ait aucune emprise sur le présent. Mais l’existence même des commémorations des événements de 14-18, prouvent exactement le contraire : aujourd’hui et l’année prochaine, il sera impossible d’ignorer qu’il y a cent ans, le monde allait basculer dans un conflit de quatre ans. Songeons aux monuments aux morts érigés dans chaque commune de France après la boucherie et aux pieds desquels, chaque 11 novembre, on dépose une gerbe. À chaque commémoration, c’est justement le passé qui refait surface dans le présent.

La commémoration serait, nous dit Yann Moix, une « barrière à la mémoire » car celle-ci est du « passé pensé », du « passé rendu intelligible ». Or, quelques lignes plus loin, l’auteur nous explique que, parce que la mémoire « est du passé qu’on fait vivre », elle « fait quitter leur date – et même leur lieu – aux événements ». Son rôle est de « déshistoriciser ». On se demande sincèrement si l’auteur s’est relu tant la contradiction est flagrante. Car si la mémoire doit rendre le passé intelligible, on voit mal comment celui-ci pourrait l’être si on le prive de son contexte : un événement sans date, ni lieu, comment le comprendre ? Cela revient à dire à un Égyptien : « Verdun » et de le laisser se débrouiller avec ce mot. 

En réalité, la mémoire est le contraire de l’intelligibilité. Ce n’est pas la mémoire qui permet de comprendre le passé. C’est l’histoire. Ce sont les historiens, avec leur méthode, leurs outils, et leurs analyses, qui tentent de reconstituer le passé et d’en proposer une lecture compréhensible. Et, ce faisant, ils mettent une distance entre le passé et le présent. La discipline historique est le filtre, le média, par lequel le passé rejoint le présent. Au contraire, la mémoire est un rapport direct, immédiat – sans média – du présent avec le passé. Si l’on interroge des passants dans la rue et qu’on leur demande quelle mémoire ils ont du premier conflit mondial, il y a de fortes chances pour que l’on obtienne des réponses du type : « tranchées », « millions de morts », « boucherie », « gueules cassées », « mutineries », « Verdun », « Marne », « Chemin des Dames », « 11 novembre », « poilus ». Mais une fois qu’on a dit cela, la guerre est-elle devenue plus intelligible ? Ces lieux communs ne nous disent rien des causes lointaines et immédiates du conflit. Ils ne nous expliquent pas le passage de la guerre de mouvement à la guerre de positions. Ils ne nous rendent pas compte de la dimension mondiale du conflit et de la variété des fronts sur lesquels on s’est battu. Ils ne nous renseignent pas sur l’évolution des sociétés durant cette période.

Yann Moix se trompe : ce n’est pas mémoire et commémoration qu’il convient d’opposer, mais mémoire et histoire. Hélas, en dépit de son talent d’écrivain, le prix Renaudot ne voit pas que mémoire et commémoration vont de pair et, pire, confond mémoire et histoire dans un article finalement indigent et répétitif qui se borne à un étalage d’affirmations gratuites. Si ce billet parle de funérailles, comme son titre semble l’indiquer, ce sont celles de la pensée.

 

[1] MOIX, Yann, « Les funérailles du passé », in Le Point, n° 2149, 21 novembre 2013, p. 170.

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25 octobre 2013 5 25 /10 /octobre /2013 06:52

Dans le cadre des Rendez-vous de l'Histoire 2013, les commémorations à venir de la Première Guerre mondiale ont été largement présentées, commentées et analysées.

En sa qualité de président du comité scientifique du Centenaire de la Grande Guerre, Antoine Prost a notamment proposé une communication permettant de faire le point sur les commémorations à venir. L'occasion pour nous aussi d'inaugurer  sur ce site une nouvelle catégorie intitulée "Mémoire et Première Guerre mondiale" visant à recueillir et analyser cet évènement commémoratif particulier.

La Grande Guerre face à sa commémoration

Selon Antoine Prost, la commémoration va être de grande ampleur : 1246 projets commémoratifs ont été proposés au comité scientifique du Centenaire. Ces projets permettent d'anticiper le récit de la Première Guerre mondiale qui va être déroulé pendant plusieurs années :

  1. Une commémoration à l'échelle nationale (métropolitaine et outre-maritime) et non pas seulement centrée sur les lieux de mémoires traditionnels.   
  2. Une commémoration qui touche toute la société. Antoine Prost se dit stupéfait de constater "un si grand nombre d'entrepreneurs de mémoire".
  3. Des activités mémorielles très diversifiées : expositions, conférences, films documentaires, parcours touristiques, spectacles, etc.
  4.  Une commémoration très ancrée dans les territoires : Lyon pendant la Grande Guerre, Dijon pendant la Grande Guerre... qu'Antoine Prost interpréte comme un intérêt particulier pour l'histoire des hommes plutôt que l'histoire évènementielle, politique et diplomatique. L'importance de la place des lettres de Poilus dans ces commémorations confirme une telle analyse. 
  5. L'échelle locale n'occulte pas cependant la dimension internationale du conflit. Beaucoup de communes ont décidé de mobiliser les jumelages avec d'autres villes d'Europe et du monde pour mettre en perspective l'expérience de guerre au-delà des frontières.
  6. Une commémoration centrée autour du deuil, et notamment des monuments aux morts qui sont rénovés, actualisés et recensés.
La Grande Guerre face à sa commémoration

Antoine Prost souligne aussi les limites de ce récit et les angles morts qu'il perçoit dans l'écriture mémorielle de l'histoire de la Première Guerre mondiale qui s'annonce :

  1. Ces commémorations donnent une image passive de la société française en laissant de côté l'effort de guerre, notamment du mouvement ouvrier.
  2. Aucune commémoration ne propose pour le moment de projet à l'échelle mondiale. Antoine Prost en profite cependant pour nous signaler que les intentions du Président de la République à ce sujet ne sont pas encore connues.
  3. La dimension franco-allemande des commémorations risque de laisser dans l'ombre une grande partie des autres acteurs du conflit (Canadiens, Américains, Indiens...)
  4. L'intégration de certains acteurs s'avère compliquée en raison de l'histoire de l'Europe au XXe siècle : quelle place accorder aux nations issues de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie qui n'ont pas participé en tant qu'entité reconnue à la Première Guerre mondiale ?
  5. Une conception linéaire entre la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale semble s'imposer bien qu'elle ne se vérifie pas dans l'historiographie actuelle et qu'elle sous-estime les responsabilités du nazisme.
  6. La dimension politique du conflit est minimisée par l'actuelle orientation territorialisée des commémorations et l'accent porté sur l'expérience humaine de la guerre plutôt que sur le rôle de l’État et des armées, voire le rapport entre les deux.

Antoine Prost reste cependant silencieux sur les commémorations qui seront proposées par l’État et n'évoque pas dans cette communications les projets portés par les autres pays du monde.

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25 août 2013 7 25 /08 /août /2013 13:31

La chancelière allemande Angela Merkel s'est rendu au camp de Dachau le mardi 20 août 2013. Après un temps de recueillement et un discours de qualité, la candidate à sa propre réélection s'est rendue à un meeting électoral sous une "tente à bière" qui constitue un lieu de sociabilité politique traditionnel en Bavière.

Une polémique s'est immédiatement développée autour de cette visite à mi-chemin entre l'hommage officiel de la part d'un chef de gouvernement et une tentative de récupération par un candidat en campagne.

La présidente du groupe des Verts au Bundestag, Renate Künast, a notamment considéré que cette juxtaposition des agendas était "de mauvais goût", tandis que Der Spiegel titrait : "au bon endroit au mauvais moment".

Angela Merkel à Dachau : pour un renouvellement commémoratif

On peut certes considérer qu'Angela Merkel aurait pu faire preuve d'un peu plus de finesse dans l'organisation de son emploi du temps qui l'entraîne à commettre une erreur de communication.

Difficile cependant de donner des leçons de ce côté du Rhin quand notre précédent président de la République s'était illustré par son instrumentalisation répétée des commémorations au plateau des Glières ou encore sa présence imaginaire lors de la chute du mur de Berlin.

Angela Merkel à Dachau : pour un renouvellement commémoratif

Cette polémique devrait plutôt faire réfléchir sur la place et le rôle des cérémonies commémoratives dans nos sociétés contemporaines. On ne peut pas sans cesse dénoncer une forme d'instrumentalisation politique de l'histoire et de la mémoire alors que ces manifestations sont justement l'apanage de la dimension politique dans l'acte commémoratif.

Au contraire, repenser les commémorations dans leur dimension politique et civique serait probablement l'un des meilleurs moyens de les moderniser et d'en renouveler les participants en attirant les nouvelles générations qui ne parviennent pas toujours à comprendre la signification des rassemblements actuels à la codification complexe et surannée.

Malgré les innombrables efforts du ministère de l’Éducation nationale qui ne cesse d'appeler les enseignants à encourager leurs élèves à participer aux cérémonies commémoratives, force est de constater que les rangs s'amenuisent d'année en année tandis que les survivants de la résistance et de la déportation disparaissent.

Nous avions déjà soulevé ce problème en 2011 à l'occasion du lancement du "Passeport pour la mémoire" par l'Office national des Anciens Combattants et Victimes de guerre (Onacvg) et la mairie de Saint-Maur-des-Fossés. A l'époque, je soulignais déjà la désaffection progressive des cérémonies par un jeune public qui connaît de moins en moins les évènements commémorés et qui ne comprend plus la signification et les codes de telles rencontres :

Cette initiative, aussi louable soit-elle, s’accroche désespérément aux attentes des plus anciens qui entretiennent une dimension quasiment sacrée autour des cérémonies commémoratives. Il serait peut-être préférable, quitte à faire grincer quelques dents chez les habitués, de réformer nos commémorations pour les rendre plus attractives, plus participatives et plus éclectiques.

Histoire, Mémoire et Société

Bien que la France soit restée très traditionnelle dans ce domaine (rassemblement, minute de silence, discours, pose d'une gerbe...), d'autres pays tentent progressivement d'instaurer d'autres formes commémoratives qui ne sont pas sans intérêt.

C'est le cas par exemple de l'Homomunument d'Amsterdam étudié par Régis Schlagdenhauffen dans le cadre de sa thèse sur la commémoration des victimes homosexuelles du nazisme.

Ce lieux de mémoire est inauguré en 1987. Il est composé de trois triangles équilatéraux dirigés vers des lieux symboliques : la maison d'Anne Frank, le Nationaal Monument, le siège du COC, une association homosexuelle néerlandaise.

Chaque année s'y déroule une commémoration qui s'inscrit dans le cadre du Dodenherdenking, la cérémonie nationale qui commémore toutes les victimes néerlandaises du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale.

A l'Homomonument, la cérémonie rassemble des militaires de l'HSK (Fondation Homosexualité et Armée), des policiers en uniforme, des élèves de l'académie de police, une élue de la ville d'Amsterdam, le président du COC Amsterdam accompagné de membres de l'association et le public.

Plusieurs discours se succèdent avant d'opérer le dépôt de gerbes par les autorités locales, les association, les militaires, les policiers et les pompiers et des membres de partis politiques. Une attention particulière est accordée à la présence des forces de police qui ont été accusées de passivité face à la persécution des homosexuels et à qui il est désormais rappelé qu'ils doivent contribuer à leur protection.

A priori, cette cérémonie commémorative ressemble donc à celles que l'on peut observer en France... sauf qu'elle s'inscrit ici dans une temporalité plus large qui commence par la fête de la Reine le 30 avril et se termine par le jour de la Libération le 5 mai.

Lors de la fête de la Reine, l'esplanade mémorielle se transforme en lieu de sociabilité où est installé une buvette et où sont organisés des jeux. Au soir du jour de la libération du pays, le monument se transforme en piste de danse pour l'organisation d'un bal qui rassemble plusieurs centaines de personnes.

A l'exception de cette commémoration nationale, le monument est susceptible d'accueillir d'autres manifestations au cours de l'année (lors de la Gay Pride ou pour commémorer d'autres évènements liés à l'histoire gaie et lesbienne). Il est d'ailleurs aussi devenu un lieu inscrit dans le patrimoine de la ville où les habitants et les visiteurs peuvent venir s'installer pour manger une gaufre, acheter des souvenirs et se renseigner au Pink Point sur la vie gaie et lesbienne d'Amsterdam.

Les vidéos ci-dessus illustrent les différentes facettes de l'utilisation de ce mémorial qui n'a pas été pensé uniquement comme un lieu de recueillement, mais aussi comme un lieu de sociabilité ancré dans le quotidien et voué à évoluer avec la société qu'il accueille en nombre.

L'expérience n'est probablement pas transposable en l'état dans un pays comme la France mais pourrait néanmoins permettre aux acteurs publics et aux associations liées à la mémoire d'entamer une réflexion sur le renouvellement de l'acte commémoratif à l'échelle locale et nationale.

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12 août 2013 1 12 /08 /août /2013 08:23

Abstract: About 50,000 people gathered in Hiroshima's peace park last week to commemorate the 68th anniversary of the world's first atomic bomb attack. The ceremony outwardly illustrated the national controversy about nuclear energy and nuclear weapons. But in fact, it hid the governmental control on this commemoration in order to protect the international shares about the nuclear economy.

50 000 : c'est le nombre de japonnais qui se sont rendus à la cérémonie commémorative du bombardement d'Hiroshima le 6 août 2013, 68 ans après la catastrophe.

Ils étaient déjà 50 000 en 2012 et plusieurs dizaines de milliers en 2011, quelques mois seulement après le drame de Fukushima.

Il s'agit donc aujourd'hui d'une des cérémonies commémoratives les plus importantes à l'échelle internationale... qui passe pourtant presque inaperçue dans les médias.

Mémorial d'Hiroshima

Mémorial d'Hiroshima

Une Mémoire politique devenue complexe

L'année 2011 constitue un tournant dans l'histoire de la mémoire des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki. Après l'accident de Fukushima, le peuple japonnais a commencé à douter de son modèle énergétique.

Principale victime des armes nucléaires à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le pays devenait 66 ans plus tard l'une des principales victimes du nucléaire civil qu'il avait cette fois-ci lui-même introduit consciemment sur son territoire.

Deux ans plus tard, le débat n'est pas clos et les cérémonies commémoratives sont justement l'occasion d'opposer les arguments respectifs.

D'un côté, le Premier ministre Shinzo Abe a rappelé qu'il ne ménageait pas ses efforts pour contribuer à la paix, travaillant notamment dans le sens d'une éradication des armes nucléaires. La précision était nécessaire car depuis son retour au pouvoir, le Premier ministre travaille à modifier la Constitution imposée par les Américains à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui n'autorise le Japon qu'à maintenir des forces d'autodéfense.

Au regard de la situation géopolitique de la région pacifique marquée par les ambitions militaires grandissantes de la Corée du Nord et de la Chine, des déclarations du vice Premier-ministre japonnais qui souhaite s'inspirer de l'Allemagne nazie pour parvenir à réformer la Constitution, ainsi que des projets du ministre de l’Éducation nationale qui souhaite revenir sur la reconnaissance officielle par le Japon des massacres de l'armée impériale au XXe siècle et mettre en place une éducation «patriotique», les Japonnais et leurs voisins étaient en effet en droit d'attendre quelques explications.

De l'autre côté, le discours du maire d'Hiroshima a rappelé qu'il n'était pas seulement question des armes nucléaires, mais du nucléaire en général. Il a notamment dénoncé la coopération économique mise en place dans ce domaine avec l'Inde depuis quelques années.

Au Japon comme ailleurs, les cérémonies commémoratives sont donc marquées par un usage politique du passé. La différence avec d'autres pays repose cependant sur la pluralité des opinions exprimées. Bien qu'il s'agisse d'une cérémonie nationale, le chef d’État n'exerce pas un monopole de la parole qui lui permettrait d'imposer une lecture officielle de l'histoire. Il doit accepter qu'à ses côtés, d'autres hommes politiques se fassent les porte-paroles d'autres mémoires, et notamment celles des victimes.

Les divergences mémorielles d'un évènement historique international

Bien que l'Europe de l'Ouest ait retenu la date du 8 mai comme fin officielle de la Seconde Guerre mondiale (et le 9 mai pour l'Europe de l'Est), l'Asie et l'Amérique étaient encore empêtrés dans les derniers émoluments de ce conflit à l'été 1945. C'est d'ailleurs justement la solution radicale de l'usage des premières bombes atomiques par les États-Unis qui met fin à la résistance acharnée des Japonnais. Leur reddition est signée le 2 septembre 1945, mettant un point final à la Seconde Guerre mondiale.

Depuis, l'évènement s'est imposé comme une étape importante de la mémoire internationale. Dans le contexte de la Guerre froide et d'une menace constante d'un conflit nucléaire global, de nombreuses sociétés ont perpétué le souvenir d'Hiroshima et Nagasaki comme symbole d'une crainte apocalyptique.

C'est pourquoi il semble finalement étonnant que cette commémoration ait actuellement si peu de relais en Occident.

En France, quelques dizaines de militants anti-nucléaires se sont pourtant rassemblés au pied de la Tour Eiffel pour entamer un jeûne de quatre jours en hommage aux victimes des bombardements américain, mais aussi des victimes des essais nucléaires depuis 1945, et pour réclamer la mise en place d'un plan d'élimination concerté des armes nucléaires au niveau mondial. Leur audience a été relativement limitée.

Aux États-Unis, on peut également s'étonner que le président et prix Nobel de la paix Barack Obama ne se soit pas encore rendu aux commémorations d'Hiroshima pour marquer une étape symbolique dans son combat pour la réduction des armes nucléaires.

Cette lacune a trouvé une réponse dans les câbles diplomatiques publiés par Wikileaks. En fait, le président des États-Unis avait envisagé de se rendre à Hiroshima dès le début de son premier mandat en 2009. Il avait alors reçu une fin de non recevoir du gouvernement japonnais arguant qu'un tel discours d'excuse mêlé à la problématique géopolitique de réduction des arsenaux nucléaires risquerait d'encourager les groupes anti-nucléaires et antimilitaristes (alors qu'en 2009, la catastrophe de Fukushima n'avait pas encore eu lieu et qu'il n'était pas non plus question de modifier la Constitution).

Ces éléments d'information qui seraient restés secrets sans les révélations de Wikileaks montrent à quel point le gouvernement japonnais exerce un contrôle étroit sur la mémoire des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki, malgré les apparences d'une pluralité mémorielle nationale.

Cette information est également révélatrice des pressions politiques et économiques qui peuvent s'exercer sur l'information de manière générale et sur l'écriture d'un roman national en particulier.

Alors que nous avions annoncé sur ce blog en 2009 la candidature commune des villes d'Hiroshima et Nagasaki pour l'organisation des Jeux Olympiques en expliquant à quel point cette stratégie mémorielle était presque infaillible, nous avions omis de considérer cet aspect qui apparaît évident aujourd'hui : comment concilier le souvenir d'une tragédie nucléaire tout en continuant à soutenir l'industrie nucléaire ? A défaut de trouver une solution à cette équation, le gouvernement japonnais a préféré abandonner la candidature olympique au profit de ses entreprises dans le domaine énergétique.

On apprendra peut-être dans quelques mois qu'Areva et le gouvernement français n'étaient pas totalement étrangers à l'absence de couverture médiatique autour de cette commémoration. Il ne faudrait en effet pas rouvrir le débat du nucléaire en France au risque de mettre encore en difficulté une coopération gouvernementale PS-EELV déjà bien fragile...

Actualisation du 16 août 2013

A l'occasion du 68ème anniversaire de la capitulation japonaise le 15 août 2013, plusieurs membres du gouvernement se sont rendus au très controversé sanctuaire Yasukuni, tandis que le Premier ministre Abe y faisait déposer une offrande et prononçait un discours rendant hommage aux victimes du conflit et rappelant ses intentions de contribuer à la paix dans le monde.

Il est possible de relire cet article sur l'histoire et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale au Japon pour comprendre que cette action s'inscrit encore une fois dans un contexte mémoriel ambigu qui interroge et inquiète quant aux intentions nationalistes de l'actuel Premier ministre nippon.

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26 juillet 2013 5 26 /07 /juillet /2013 10:00

 

Chaque année, les médias tentent de renouveler l'approche des commémorations qui relèvent du marronier journalistique impossible à évincer.

Difficile pourtant d'éviter le traditionnel reportage sur le président de la République ravivant la flamme sur la tombe du soldat inconnu chaque 11 novembre, sous le regard attentif des Anciens Combattants dont on ira recueillir ensuite le témoignage.

De même, l'appel du 18 juin fait l'objet d'un traitement médiatique constant : des extraits radiophoniques du célèbre discours, souvent illustrés par la photographie de De Gaulle dans les locaux de la BBC.

 

appel-18-juin.jpg

 

L'AFP a pourtant essayé d'innover cette année en proposant une lecture mémorielle de cet évènement qui occupe une place particulière dans l'histoire nationale.

Comme le rappelle Jean-Louis Crémieux-Brilhac, l'importance qu'on accorde à l'appel du 18 juin est "sans rapport avec ce qu'a pu être l'évènement à l'époque, qui n'est pas passé inaperçu mais qui était un évènement contingent et second au regard des Français qui étaient obsédés par l'avancée allemande et le drame qui se jouait sur le territoire français".

 

Si le 18 juin s'est imposé comme une date importante dans le récit national de la Seconde Guerre mondiale, c'est par la volonté et la réussite du général De Gaulle à forger une lecture du conflit autour de la France libre, de la Résistance et de sa personne.

D'autres étapes confirment d'ailleurs cette tendance :

- 1946 : Création d’une journée de commémoration de la victoire de 1945 (8 mai)

- 18 juin 1960 : Inauguration du Mémorial du Mont-Valérien

- 1964 : Transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon

- 2006 : Création d’une journée nationale commémorative de l’appel du général De Gaulle

 

Certains ont résumé ce phénomène sous l'expression de "mythe du résistancialisme" bien que des recherches récentes tendent à minimiser cette approche.

Quoiqu'il en soit, l'appel du 18 juin peut être considéré comme le fruit d'une construction mémorielle nationale au même titre que le 14 juillet, le 11 novembre et le 8 mai.

Et c'est justement parce qu'il devenu un véritable lieu de mémoire populaire qu'il est désormais réapproprié par de nombreux groupes qui tentent d'y associer diverses revendications sociales, culturelles et politiques : 

 

L'appel du 18 juin contre la décentralisation

 Cet appel a été initié par 29 députés UMP pour dénoncer la politique de décentralisation menée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault qui, selon eux, remet en cause l'Etat-nation.

D'un côté, on peut certes considérer que la référence à l'appel du 18 juin se justifie au sens où la politique du général De Gaulle se caractérise par la défense constante et infaillible de la grandeur de l'Etat-Nation, que ce soit contre un envahisseur durant la Seconde Guerre mondiale, ou bien contre les puissances de l'argent et le projet fédéral européen lors de son retour au pouvoir (1958-1969).

D'un autre côté, solliciter De Gaulle pour combattre la politique de décentralisation actuellement menée par le gouvernement peut paraître contradictoire quand on rappelle que le général a justement démissionné en 1969 à la suite d'un référendum sur la régionalisation qui a été refusé par les Français.

 

L'appel du 18 juin pour l'engagement citoyen

 Cet appel a été lancé par l'écrivain Marek Halter. Il consiste en une lecture militante de l'appel du 18 juin vu comme une démarche d'engagement d'un homme pour une cause.

Comme pour la plupart des usages mémoriels, cet appel résiste difficilement au parallèle d'une lecture historique de l'évènement commémoré. L'engagement selon Marek Halter s'illustre en effet par une forme de militantisme, essentiellement associatif, pour dénoncer les dérives de notre société (racisme, inégalités sociales...). Quel rapport finalement avec l'engagement individuel d'un De Gaulle qui déserte ses responsabilités professionnelles et son pays au nom de la Résistance contre l'occupation ? 

 

18-juin---Journee-de-l-engagement.png

 

L'Appel du 18 joint

Plus anecdodique, mais toujours d'actualité, cet appel ne prétend pas tant s'appuyer sur un usage mémoriel de l'appel du général mais plutôt sur une homophonie cocasse.

Chaque année depuis 1976, il est l'occasion de réactiver une revendication jamais obtenue : celui de la dépénalisation de la consommation de cannabis.

 

Appel 18 joint

 

Plus de 70 ans après, les multiples adaptations de l'appel du général De Gaulle sont révélateurs du succès de la construction mémorielle de cet évènement. Rien ne devrait a priori démentir pour l'instant cet engouement autour de cet homme et de la symbolique de son discours qui conservent pour l'instant une place particulière dans le récit national.

Rendez-vous l'année prochaine pour ceux qui souhaiteraient lancer de nouveaux appels du 18 juin ! Leroy Merlin serait sur le coup...

 

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8 juillet 2012 7 08 /07 /juillet /2012 12:26

 

Le vendredi 21 septembre 2012 marquera le 220e anniversaire de l’abolition de la monarchie française par la Convention nationale. Á cette occasion, plusieurs universités et laboratoires de recherche, ainsi que la Société des études Robespierristes ont uni leurs forces pour organiser un colloque scientifique intitulé " 1792, entrer en république".

En parallèle à cette manifestation scientifique, la Société des études Robespierristes a "pensé que l’état présent  de notre République méritait que nous fassions un geste public pour en rappeler les origines". C'est pourquoi elle propose d'organiser un hommage collectif "à l'oeuvre émancipatrice de la Convention nationale, devant le groupe monumental de Germain Sicard, dans la nef du Panthéon" le vendredi 21 septembre à 17h. (Michel Biard , Président de la Société des études robespierristes).

 

Sicard-autel-a-la-Nation-Pantheon.jpg

L'appel de Michel Biard contient vraisemblablement une erreur : le lieu de mémoire qu'il mentionne est probablement l'autel à la gloire de la Convention Nationale de François-Léon Sicard en 1920.

 

L'organisation d'un tel évènement scientifique montre que les commémorations sont désormais un vecteur important de l'écriture de l'histoire. Ainsi, ai-je récemment entendu dire qu'il fallait organiser tel colloque à telle date car les financements seront plus importants si l'évènement est associé à une date commémorative. De même, tel éditeur repousse la sortie d'un livre terminé depuis deux mois car il se vendra potentiellement mieux s'il est lié à une commémoration lui permettant de bénéficier d'une couverture médiatique. J'ai même discuté récemment avec un étudiant plutôt malin m'expliquant qu'il avait choisi son sujet de Master en calculant la date de la fin de son travail et les évènements susceptibles de bénéficier d'une opération commémorative.

Il ne s'agit pas de nier ici une réalité évidente et bien utile dans le succès même de la science historique en France. Cette situation ne doit cependant pas empêcher de mener une réflexion sur les dérives qui pourraient résulter de cette tendance. Nous avons souvent signalé sur ce blog consacré aux questions mémorielles les colloques, les livres et les projets de numérisation d'archives lancés à l'occasion d'un anniversaire commémoratif. Trop souvent cependant, nous avons pu aussi constater que passée la frénésie mémorielle, l'annonce est rarement suivie d'effets et l'attention se porte quelques semaines, voire quelques jours plus tard, vers d'autres commémorations.

Sans prétendre apporter de solutions définitives à cette tendance, nous pensons qu'elle mériterait une attention soutenue de la part de la communauté historienne réfléchissant sur les pratiques et l'avenir de la discipline.

 

D'autant plus que les pressions et surenchères sont nombreuses et importantes dans ce domaine. Peut-on en effet envisager que les historiens restent en dehors des cérémonies commémoratives au prétexte qu'elles constituent une orientation trop dangereuse pour leurs travaux ?

Si nous restons sur la simple question de l'abolition de la monarchie par la Convention nationale, les motifs ne manquent pas. Par exemple, pourquoi la Société d'études Robespierristes a-t-elle choisi de commémorer l'abolition de la monarchie et non pas l'émergence de l'idée république ? N'est-il pas possible de lier cette orientation au  succès grandissant et polémique des thèses de Laurant Deutsch qui, depuis plusieurs mois, déchaîne les passions avec ses travaux consacrés à Paris sous l'Ancien Régime ? Succès de librairie transformé en succès télévisuel, le Métronome de l'acteur qui se voulait historien a tantôt reçu les lauriers de certaines écoles qui l'ont invité à participer à des conférences, et tantôt subit les foudres d'autres qui relèvent avec intransigeance les innombrables erreurs et approximations de l'ouvrage, véhiculant surtout une dimension idéologique favorable à la monarchie, à l'Ancien Régime et à la religion catholique.

 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, nous risquons donc de voir surgir à la rentrée des débats assez surréalistes sur la postérité de la monarchie dans l'identité nationale française. Pour l'instant, l'avantage est dans le camp des monarchistes qui ont posé leurs jalons dans les milieux médiatiques, éditoriaux, et même parfois politiques et universitaires.

Deux cent vingt ans après l'oeuvre de la Convention nationale, la bataille entre monarchie et république risque de se rejouer sur le terrain de la mémoire !

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1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 15:26

 

L'Assemblée Nationale se pique décidément d'histoire en cette fin de législature. Après avoir pris  position sur le génocide arménien (et finalement s'être fait  retoquer par le conseil constitutionnel), un groupe de députés a déposé une loi "relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918". 

 

Cette proposition de loi déposée le 24 janvier 2012 est notamment portée par Jean-Jacques Candelier, député du Nord et secrétaire de la commission de la défense nationale et des forces armées (Gauche démocrate et républicaine), qui  s'était opposé à la tribune au projet présidentiel de transformation des cérémonies du 11 novembre en une journée de commémoration de l'ensemble des morts pour la France. 

 

Le texte est simple et court :

Les « Fusillés pour l’exemple » de la Première Guerre mondiale font l’objet d’une réhabilitation générale et collective et, en conséquence, la Nation exprime officiellement sa demande de pardon à leurs familles et à la population du pays tout entier. Leurs noms sont portés sur les monuments aux morts de la guerre 1914-1918 et la mention « Mort pour la France » leur est accordée.

fusille-pour-l-exemple.jpgExécution à Verdun lors des mutineries

 

Cette loi entend répondre à une revendication ancienne et légitime, mais elle soulève néanmoins de nombreuses difficultés.

 

1. Ce que le texte ne dit pas , c'est comment la République va pouvoir trancher entre les soldats fusillés pour l'exemple et ceux qui auraient pu l'être pour des motifs considérés comme "légitimes" à l'époque. Une commission historique va-t-elle être réunie afin d'étudier chaque dossier ? Aura-t-elle pour mission de définir le principe de "fusillé pour l'exemple" sur des critères précis ? 

 

2. La loi peut-elle se permettre de casser les décisions d'une justice certes improvisée et sommaire en temps de guerre, mais d'une justice censée néanmoins demeurer souveraine dans un régime démocratique ? Par cette incursion du pouvoir législatif dans le pouvoir judiciaire, les députés ne remettent-ils pas en cause le principe de la séparation des pouvoirs ?

 

3. Cette réhabilitation générale sera-t-elle également appliquée aux exécutions sommaires sur les champs de bataille, et dans quelles conditions ? A partir de quelles sources ?

 

Bref, cette loi répond certes à une demande ancienne et légitime, mais elle nécessite d'être précisée sur ses moyens et ses conséquences.

Le problème essentiel repose à notre avis sur une volonté louable mais peu réaliste à vouloir réhabiliter individuellement chaque fusillé en procédant à l'inscription de son nom sur les monuments aux morts pour la France. Plus de quatre-vingt dix ans après les faits, cette décision a-t-elle encore du sens ? N'était-il pas possible d'envisager plutôt une réhabilitation collective et symbolique, évitant ainsi de froisser certaines familles qui ne manqueront pas de venir défendre le dossier de leurs aïeux ?

 

Le dossier risque de devenir explosif à l'approche des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale.

 

 

Actualisation du 25 mars 2012 :

Les questions soulevées par cet article ont été soumises au député Jean-Jacques CANDELIER. Voici les éléments de réponse transmis par l'équipe de Jean-Jacques CANDELIER que nous remercions pour sa réaction rapide et attentive : 

 

Sur les "bons" et "mauvais" fusillés, voici la discussion sur l'amendement défendu par M. Candelier, qui reprend sa proposition de loi :  cliquez sur le lien suivant

=> On y trouve notamment la réponse de Marc LAFFINEUR, secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants qui confirme que le problème des fusillés pour l'exemple a été évoqué "par le Président de la République à Douaumont en 2008" et que "M. Zimet a été chargé de rédiger un rapport en vue de l’élaboration de propositions". "Une commission, composée notamment d’historiens et de membres d’associations, va être mise en place afin d’examiner les situations au cas par cas, car on ne peut pas faire une loi réhabilitant tous les fusillés. Pour ce qui est des soldats tirés au sort alors qu’ils n’avaient rien à se reprocher, la République devra tirer les conséquences de l’injustice du traitement qui leur a été réservé, en réhabilitant ces soldats et leurs familles".

 

Par ailleurs, un débat est organisé ce soir à Lewarde : cliquez sur le lien suivant

 

S'agissant de la séparation des pouvoirs, principe constitutionnel, il revient au Conseil constitutionnel de décider le cas échéant si la loi est conforme ou non à la Constitution. Il ne revient pas aux élus de s'autocensurer. Vous noterez que des lois d'amnistie existent.

 

Sur les champs de bataille : pourquoi les traiter différemment ?

 

Sur la possible contradiction du dispositif ("les « Fusillés pour l’exemple » de la Première Guerre mondiale font l’objet d’une réhabilitation générale et collective et, en conséquence, la Nation exprime officiellement sa demande de pardon à leurs familles et à la population du pays tout entier. Leurs noms sont portés sur les monuments aux morts de la guerre 1914-1918 et la mention « Mort pour la France » leur est accordée."), je n'en vois pas car il pose le principe (ou le commandement, l'impératif) de réhabilitation, puis le principe de l'inscription des noms et de l'octroi de la mention "mort pour la France". Ainsi, la loi ne dit pas quels noms doivent être inscrits. Si la loi se propose effectivement de rentrer dans le détail, mais il ne revient pas au législateur de le faire.

 

 

Actualisation du 26 avril 2012 :

Le député Jean-Jacques CANDELIER n'est pas le seul à militer pour la réhabilitation des "fusillés pour l'exemple".

Eric VIOT, membre d’une association de recherches et études historiques sur la vie des Bretons pendant la grande guerre, a réalisé des recherches approfondies et milité pour la réhabilitation des fusillés de la Première Guerre mondiale. Son engagement a notamment permis l'inscription de trois fusillés sur les monuments de leurs communes.

Ses travaux et actions de militance mémorielle sont régulièrement relayées sur son blog.

 

 

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8 février 2012 3 08 /02 /février /2012 12:49

 

Le 1er janvier 1942, au milieu de la Seconde Guerre mondiale, 26 Etats s'engageaient à combattre ensemble les forces de l'Axe. Cet évènement est trop souvent oublié au profit de la conférence de San Francisco en 1945 qui symbolise plus généralement l'acte de naissance de l'Organisation des Nations Unies actuelles. 

 

L'ONU se propose néanmoins de commémorer modestement cette date par l'organisation d'une table ronde le jeudi 16 février 2012. Parmi les interventions, nous retiendrons plus particulièrement celle de Georges ABI-SAAB sur le défi que représente l'évolution de l'institution formée au départ des bélligérants, puis des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, pour aboutir finalement à une ambition d'universalité (voir le programme ci-dessous)

 

Cet aspect est particulièrement intéressant car il permet de s'interroger sur le rôle de l'ONU dans la construction mémorielle de la Seconde Guerre mondiale. Ne peut-on pas en effet considérer que l'institution internationale a influencé certaines lectures du passé au profit du camp dans lequel elle a émergé, puis dans le cadre des missions de pacification et de développement qui sont les siennes ?

Les interventions des différents intervenants permettront peut-être de fournir quelques réponses.

 

anniversaire-ONU-2.png

 

Anniversaire-ONU-3.png

 

Anniversaire-ONU-4.png

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30 janvier 2012 1 30 /01 /janvier /2012 12:49

 

 Nous avions déjà évoqué cette question sur ce blog : en 2011, à l'occasion de l'année de l'Outre-Mer, l'opération "Jardin en Outre-Mer" avait pour ambition de rassembler différentes populations ultra-marines au jardin d'acclimatation.

Seul hic : personne ne semblait s'être inquiété parmi les organisateurs d'une incontestable faute de goût à organiser un tel évènement dans un lieu utilisé jadis et pendant plusieurs décennies pour des exhibitions ethnographiques dégradantes et humiliantes. 

Seule l'indignation d'un collectif de chercheurs avait pu alerter l'opinion publique et faire enfin réagir les autorités publiques, dont la Ministre chargée de l'Outre-Mer, Marie-Luce PENCHARD, qui a confié une mission d'étude à Françoise VERGES, Présidente du Comité pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage.

 

Ce rapport a été rendu en novembre 2011 et il est désormais librement accessible sur notre blog :

 

Memoire-des-expositions-ethnographiques-et-coloniales.jpg

Cliquez sur l'image pour ouvrir le rapport

 

Les plus courageux et passionnés pourront s'attarder sur l'ensemble du rapport.

Pour les plus pressés, voici un résumé des conclusions et préconisations de la mission (avec quelques remarques et réflexions de votre serviteur) :

   1. Installation d'un mémorial au Jardin d'Acclimatation, par exemple sous la forme totem kanak, et le soutien à l'inauguration d'un monument honorant "l'histoire et la résistance des peuples amérindiens" en Guyane (annoncée pour le 9 décembre 2011). 

=> En somme, les crispations politiques conduisent à une inflation des lieux d'une mémoire dite "de pierre". Ceci est d'autant plus visible que les auteurs du rapport précisent qu'ils soutiennent l'opération en Guyane "d'où est partie la polémique". Bref, des monuments en échange d'une accalmie.

Cependant, l'inauguration annoncée du monument est passée bien inaperçue et elle a été présentée par les médias locaux comme un évènement commémorant l'abolition de l'esclavage et non pas la résistance des amérindiens.

 

monument-aux-victimes-de-l-esclavage.jpg

Monument aux victimes de l'esclavage et des traites négrières inaugurée en Guyane le 9 décembre 2011

 

   2.Signalisation dans l'espace public des lieux liés à l'histoire ultramarine et coloniale

Le Comité précise néanmoins qu'il ne souhaite pas encourager l'inflation de lieux mémoriels. Il propose donc d'élaborer une signalétique spécifique et des outils traditionnels et modernes permettant à chacun de s'approprier une sorte de circuit touristique des lieux de mémoire liés à l'esclavage, aux traites négrières et au colonialisme.

=> Nous sommes cependant surpris que cette préconisation soit limitée à l'espace parisien. Doit-on considérer que la seule la capitale a une histoire coloniale à revendiquer ?

 

   3. Valorisation des archives (guide des sources, numérisation, dossier Gallica...)

=> On reconnaît ici la trace des historiens qui, fort heureusement, défendent leur pain quotidien. On ne peut en effet qu'encourager une telle démarche tout en regrettant que les historiens soient contraints d'en arriver à rappeler à la République que la préservation des archives est une mission essentielle dans la construction et la préservation de l'identité nationale.

 

    4. Mise en place d'un programme de collecte des mémoires orales

 

   5. Élaboration d'une doctrine et d'un code de bonnes pratiques sur la question de l’identification et de la restitution éventuelle des restes humains des collections patrimoniales

=> Il s'agit d'une question brûlante actuellement et la France s'est engagée récemment dans une restitution systématique de ces "restes humains"  telles que les têtes Maories rendues récemment à la Nouvelle-Zélande

 

   6. Protection de la diversité des populations dans les Outre-mer et en particulier des populations autochtones et tribales

=> Cette préconisation est particulièrement intéressante car elle permet de faire glisser la polémique mémorielle vers le domaine anthropologique. Derrière cette protestation à l'encontre des "maladresses" de la commémoration nationale, on peut finalement saisir une crainte de l'oubli, voire de la disparition, pour certains peuples.

 

   7. Actions à moyen terme dans les domaines de la culture, de l'éducation et de la recherche

=> Tout comme pour la préconisation numéro 3, ce voeux pieu est attendu et presque de pure forme. On s'interroge néanmoins sur la redondance avec la loi Taubira qui affiche le même principe et qui, à mes yeux de simple observateur, a déjà eu des effets non négligeables. 

 

J'ai été particulièrement frappé à la lecture de ce rapport par la proximité des remarques et projets proposés avec  le rapport de Joseph ZIMET sur la Première Guerre mondiale. Sur le fond, les deux auteurs ont fait un travail remarquable et leurs propositions sont utiles et de grande qualité. Je m'interroge en revanche davantage sur la forme : doit-on considérer que les travaux des historiens devront nécessairement passer par la voie mémorielle pour trouver des financements et débouchées ? Doit-on attendre qu'une commémoration ou une polémique s'organise pour obtenir l'accès, la numérisation et l'exploitation des archives ? Doit-on finalement considérer que l'histoire va devenir, comme d'autres disciplines, une science soumise aux règles du marché et des lobbys ? 

 

Actualisation du 25 mai 2012

Anthropologue, chargé de recherche au CNRS, Gérard Collomb a récemment livré pour La Vie des Idées un magnifique article dans lequel il revient sur "L'affaire du Jardin".

Il explique notamment que la réponse à haute dimension mémorielle apportée par l'Etat à la suite de cette polémique est en décalage avec l'interpelation initiale. En effet, selon l'anthropologue, les sociétés amérindiennes n'ont pas un grand intérêt pour le passé "et n’attachent pas à la transmission d’une mémoire collective la même importance que d’autres, comme par exemple les sociétés d’ascendance africaine". Au contraire "elles ont développé des formes d’effacement de la mémoire, qui peuvent se lire par exemple chez les Kali’na dans le traitement réservé aux défunts. Le souvenir des disparus fait l’objet d’un traitement particulier lors du grand rituel d’epekotono que l’on organise un an ou deux après le décès. La cérémonie permet le retour à une vie normale des proches portant le deuil, mais elle organise aussi une séparation radicale entre les vivants et le mort, qui protègera des émotions nées du souvenir".

A vouloir réparer trop rapidement une maladresse, on en aurait commis une nouvelle. L'ethnocentrisme s'applique ici aussi dans le domaine mémoriel.

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