Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
Soucieux d’appuyer mes propos sur des références fiables et vérifiables par tous, je vous propose aujourd’hui d’inaugurer une nouvelle catégorie de ce blog où il s’agira de proposer une lecture critique des principaux ouvrages concernant l’histoire et la mémoire. L’objectif est d’obtenir sur le long terme une large bibliographie commentée.
*****
L’auteur de cet ouvrage est maître de conférence à l’Université de Picardie et chargé de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.
Nous pourrions résumer cet ouvrage par une accumulation de tirets tant l'auteur ne s'encombre pas de transitions entre ces idées (nous comprenons seulement à la fin qu'il s'agit en fait d’une accumulation de plusieurs communications). A partir de cette constatation, il devient difficile de considérer ce livre comme un "essai" à l'inverse de ce que tente de prétendre son auteur. Bien au contraire, je le qualifierai plutôt de "manuel" à l'intention des étudiants capétiens qui préparent l'épreuve sur dossier (ESD, c’est-à-dire en quelque sorte, une épreuve d’historiographie). Ce qui n’est déjà pas si mal…
Enzo Traverso y décrit une à une (et de façon plus ou moins convaincante...) les thèses de différents auteurs plus ou moins connus et intéressants. En somme, ce petit ouvrage permet d'économiser la lecture des 260 ouvrages qu'il recense en note (pour un livre de 120 pages, ça vous laisse imaginer à quel point il détaille chacune des thèses).
Bien entendu, il accorde une place très importante à l'histoire de la Shoah qu’il a étudiée par ailleurs.
Malgré ses modestes prétentions, l’ouvrage est doté d’une remarquable qualité heuristique et nous invite sans cesse à prolonger une réflexion trop brièvement évoquée. Voici donc quelques points que nous souhaiterions poursuivre dans le cadre de ce blog en réponse à Enzo Traverso :
- Tout d’abord, il conviendrait de replacer toute cette thématique mémorielle dans le temps long. Certes, Walter Benjamin et François Hartog évoquent avec brio le régime d'historicité de notre époque (qualifié de « présentisme ») auquel j'adhère en partie. Cependant, n’est-ce pas une erreur de considérer que notre époque serait la plus "mémorielle" ? Ne serait-ce d'ailleurs pas l'inverse ? Quand Brigitte Bardot parle de "génocide des bébés phoques" et que les homosexuels s'obstinent également à parler d' "homocauste", ne doit-on pas considérer que notre mémoire (et notre histoire) est obstruée par Auschwitz ?
- Cette interrogation me conduit à un second point évoqué trop brièvement par Enzo Traverso : celui des conséquences politiques de cet état de fait. L'attachement si persistant à Auschwitz par les dirigeants mondiaux n'est-il pas un moyen de légitimer à bon compte le monde dans lequel nous vivons ? En somme, le message serait toujours : "Face à tant d'horreur, nous sommes vraiment des anges" ! Cette vision nous permet de relire Fukuyama (philosophe du département d'Etat américain, on l’oublie trop souvent alors que ce n’est pas anodin...) ou encore de mieux comprendre pourquoi 99% des recherches sur l'Holocauste sont actuellement financées par les Etats-Unis pourtant géographiquement et éthiquement éloignés du phénomène concentrationnaire. Les historiens occidentaux ne seraient-ils pas victimes de l'uniformisation culturelle ? D'une américanisation de l'histoire ?
Même les « subaltern studies » présentées par certains comme une alternative à l’histoire officielle anglo-saxonne ne seraient finalement rien d'autre que l'adaptation théorique de notre « micro-storia » italienne ou « histoire du quotidien » française. Ce ne sont donc pas les "petites voix" qui se font enfin entendre... mais encore cette victimisation rampante qui ne fait que changer le point de vue (néanmoins très contrôlé) sur l'histoire.
- En revanche, cette démarche doit nous interroger sur le renouvellement des sources. Avant, grand-papa écrivait l'histoire à partir des archives d'Etat consignées dans une institution contrôlée ; puis est venue "l'ère du témoin" (cf. Annette Wieviorka) qui commence à perdre de la vigueur. Dès lors, à partir de quels documents va bien pouvoir travailler l'historien à l’avenir ? Les archives sont de plus en plus contrôlées (voire détruites par économie de moyen), les témoins sont controversés et intéressent moins... L'historien va-t-il désormais se tourner vers la littérature ? La production éditoriale ? Les archives dématérialisées ? A mon sens, cette question soulève le plus gros enjeu que nous aurons à relever au cours des prochaines décennies. Seule une vaste réflexion sur notre "pain quotidien" nous permettra d'assurer non seulement l'avenir de cette profession, mais aussi la lecture que nos successeurs auront de notre société contemporaine.
- Last but not least, quel avenir pour notre mémoire ? A la lueur des réflexions que j'ai dressées jusqu'à présent, nous pourrions dresser un constat bien pessimiste. Après la "fin de l'histoire" annoncée par Fukuyama, ne doit-on pas craindre la "fin de la mémoire" ? Nous entrons alors dans des considérations très polémiques, voire politiques. Si nous transposons le paradigme de la mémoire qui s'est toujours vérifiée (cf. Henri Rousso en France, Peter Novick aux USA, et d'autres ailleurs...) ne doit-on pas s'attendre très prochainement à l'anamnèse du communisme. En effet, après une longue période de refoulement depuis l'implosion de l'URSS, le temps ne va-t-il pas venir d'une naissance de la mémoire de cette époque, de ce régime, de cette idéologie ? A voir le déclin du PC français et le refoulement au sein même de la fédération de Russie, nous pourrions en douter. Et pourtant, les dérives actuelles du capitalisme ne mène-t-elles pas directement à l' "évènement" déclencheur qui constituerait une transition d'un paradigme à un autre...
Finalement, ce petit ouvrage a donc le mérite de faire réfléchir ! Et c'est finalement le meilleur usage qu'on puisse en faire !