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Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494

Esquisses orientales de la mémoire

L'image a toujours été un prisme privilégié de communication. Des enluminures à la bande-dessinée, le dessin et la couleur ont été largement utilisés pour diffuser des messages, voire des idéologies.

Un ouvrage récent dirigé par l'historial de Peronne et intitulé La Grande Guerre dans la bande-dessinée rappelle d'ailleurs judicieusement que la BD peut être à la fois une source, mais aussi un objet d'histoire en tant que catalyseur de mémoire.

 

BD-et-Grande-Guerre.jpg

Vincent Marie et l’Historial de la Grande Guerre (dir.), La Grande Guerre dans la bande dessinée (de 1914 à aujourd’hui), Historial de la Grande Guerre, Péronne, 2009, 112 p.

 

Dès lors, il convient de s'interroger plus généralement sur le rôle de l'art dans la construction mémorielle d'un groupe.

Un simple coup d'oeil jeté sur le sommaire des Lieux de mémoire dirigé par Pierre NORA nous rappelle à quel point le sens visuel et artistique a été mobilisé par la République dans la recherche d'une cohérence civique. Monuments et symboles étaient ainsi convoqués dans une volonté assumée de rassemblement autour des grands hommes panthéonisés (Mona Ozouf), des morts anonymes mais héroïsés par les monuments funéraires de la Première Guerre mondiale (Antoine Prost) ou encore de la figure maternelle de Marianne, omniprésente sur les places et dans les mairies (Maurice Agulhon).

Ce modèle national français n'est pourtant pas immuable et exclusif. L'un des intérêts de cet ouvrage collectif est justement de montrer que ces symboles ont aussi une histoire et qu'ils ne se sont pas imposés sans contestation. Il ne faut donc pas considérer avec trop de dédain les polémiques qui s'expriment actuellement en Europe de l'Est autour d'expositions et/ou de monuments. Elle peuvent être, et elles sont à notre avis, la manifestation dans le domaine artistique de l'émergence d'un véritable lieu de mémoire, vu comme le point de cristallisation face à une mémoire que l'on croit fuyante et pour laquelle on craint l'oubli.

 

Le vendredi 25 juin 2010 tout d'abord, les médias français révèlent qu'une statue de Staline a été déboulonnée à Gori en Géorgie, la ville natale de l'ancien dictateur.

Staline-deboulonne.jpg

Le lecteur occidental apprend alors au détour d'une brève qu'il n'est pas seul sur la planète à se débattre avec un passé qui visiblement ne passe plus alors qu'il avait été accepté jusqu'à présent.

L'opération n'a en effet pas été sans polémique. Il s'agit en fait d'une décision politique du gouvernement géorgien qui tente de prendre ses distances avec Moscou, quitte à déboulonner quelques pierres dans les fondations de son passé. La population locale n'a pas été sans manifester son mécontentement mais nos médias occidentaux n'ont semble-t-il pas estimé important de s'interroger davantage sur cet évènement symbolique. Ainsi, nous ne savons pas ce qu'est devenu la statue, ni si les habitants se sont depuis organisés pour contester la disparition du monument public et mémoriel.

 

Plus récemment, un collectif de 13 artistes russes a adressé au Président Dimitri Medvedev une lettre lui demandant de mettre fin à une procédure judiciaire en cours visant à condamner deux organisateurs d'une exposition d'art intitulée "Art interdit 2006" sous prétexte que certaines oeuvres véhiculeraient un vocabulaire grossier et constitueraient une incitation à la haine raciale et religieuse.

Art-interdit-2006.jpg

Art-interdit-2006-1.jpg

Plus précisément, ce sont des associations religieuses ultra-orthodoxes et nationalistes qui sont à l'origine de la plainte et qui reprochent à certaines oeuvres d'être une offense envers les symboles religieux (voir les arguments avancés par l'Eglise orthodoxe russe). Il est indéniable que la nature même de cette exposition se veut provocatrice, puisqu'elle entend dénoncer une censure considérée comme étant de plus en plus pregnante dans la société russe contemporaine. En cela, nous pouvons considérer qu'elle a atteint son objectif puisque son interdiction a mobilisé les plus hautes instances de l'Etat, ainsi que de nombreuses ONG et artistes à l'échelle internationale.

Néanmoins, la position relativement consensuelle de la condamnation (l'exposition a été interdite et les organisateurs se sont vus infliger une amende de 9000 euros alors qu'ils risquaient jusqu'à 3 ans de prison) a eu pour conséquence de tronquer le débat. Des travaux universitaires en cours (notamment ceux de Marie Mendras) tendent à montrer que la Russie travaille beaucoup à la réecriture de son histoire. Il aurait été à mon sens intéressant de se demander en quelle mesure le contrôle de plus en plus étroit de l'art constitue un enjeu de taille dans la construction mémorielle russe.

 

Last but not least, une polémique similaire était encore relayée ce matin dans la presse, ayant cette fois-ci pour scène la Pologne. Encore une fois, Mickey était attaqué pour avoir été représenté sous les traits d'une femme nue, surmontée d'une croix gammée.

 

Mickey-a-la-croix-gammee.jpg

La toile est intitulée NazySexyMousse

 

L'usage de ces thématiques récurrentes (Mickey, McDonald's, l'homosexualité, la pornographie) devraient peut-être nous interroger davantage. Les contestations qui s'élèvent en Europe orientale (et qui ne semblent pas être du seul fait de l'Etat, mais aussi de multiples relais populaires) ne sont-elles révélatrices d'une mémoire régionale, voire de mémoires nationales, en construction contre un modèle occidental qui se voudrait universel ?

Alors que les travaux se multiplient en France sur les mémoires et aboutissent progressivement à des synthèses de plus en plus complètes, j'ai toujours eu un doute sur l'universalité de leur validité au regard de ce qu'il m'est permis d'observer en Europe de l'Est ou encore en Afrique. Ne serait-il pas venu le temps de s'interroger au-delà des frontières pour dépasser une vision ethno-centrée de la mémoire ?

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