Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
Le camp d’Auschwitz-Birkenau communique cette semaine autour des chiffres records de fréquentation du site de l’ancien camp de concentration et d’extermination : plus de 1,38 millions de personnes se sont rendus l’année dernière dans ce haut lieu de la mémoire internationale.
Le succès touristique a parfois des conséquences inattendues. Les visiteurs se
distinguent parfois par des situations et des postures improbables dans un tel lieu chargé d'histoire et de mémoires.
Le chiffre est impressionnant et il laisse songeur. Certes, on est encore loin des 7 millions de visiteurs annuels de la Tour Eiffel ou bien des 8,5 millions de personnes qui se sont rendus au Louvre ; néanmoins, le chiffre est immense au regard du pays dans lequel il se situe qui ne s’illustre pas particulièrement pour son patrimoine touristique. Il est donc fort probable que les touristes qui se rendent à Auschwitz-Birkenau visitent essentiellement, voire exclusivement, le camp avant de repartir ou de poursuivre une visite-express des grands monuments européens.
L’administration du musée fournit également des informations plus précises sur la nationalité des visiteurs. Ils sont par exemple 63 000 Français, 84 000 Britanniques et 68 000 Allemands. Ces données sont encore plus intéressantes que le chiffre global. On s’aperçoit en effet qu'aucune "exception mémorielle" nationale ne s'impose. Les citoyens de la plupart des pays d’Europe accomplissent ce voyage dans la même proportion vers ce qui est désormais considéré comme un des lieux essentiels de l’identité européenne.
On peut néanmoins s’étonner du nombre relativement modeste des Allemands au regard de leur proximité géographique et de leur supériorité démographique en Europe. Il faudrait alors considérer comme un biais révélateur la particularité de la construction mémorielle allemande qui influencerait le tourisme dans ce domaine. On remarque en revanche la proportion très élevée des visiteurs venus d’Israël (59 000) qui s’explique largement par la signification du lieu et sa symbolique.
Aucune information plus précise n’est hélas disponible quand aux motifs avancés par les visiteurs internationaux pour justifier une telle étape dans leur séjour touristique en Pologne, ou encore à l’échelle européenne. Doit-on réellement considérer que le tourisme mémoriel attire les foules, ou bien que l’industrie du tourisme est sujette à des pressions qui imposent cette étape à Auschwitz ? Le vol de la célèbre inscription « Arbeit macht frei » en 2009 n’est-il d’ailleurs pas un élément à considérer pour expliquer cette hausse des visites en 2010 ? A l’inverse, cette tendance à l’augmentation n’est-elle pas révélatrice d’éléments structurels plus profonds autour de la mémoire ? Sinon, comment expliquer la présence de 47 000 Coréens du Sud ?
L’étude des succès touristiques des lieux de mémoire pourrait donc nous aider à mieux comprendre un phénomène qui se développe à l’échelle planétaire. Il serait d'ailleurs utile de rassembler des géographes, sociologues, historiens et anthropologues autour d’une table pour en discuter.