Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
Fidèle à l'engagement pris auprès des administrateurs du musée de l'histoire LGBT de San Francisco au moment de son ouverture, nous informons nos lecteurs de l'organisation d'une nouvelle exposition temporaire consacrée aux débuts de l'épidémie de SIDA dans la ville de San Francisco.
Composée de photographies en noir et blanc, l'exposition s'intitule simplement et sobrement : «Life & Death in Black & White» («Vie & mort en noir & blanc»).
Elle retrace en images les stigmates ostentatoires d'une épidémie à l'histoire fulgurante, mais dont les mémoires conservent les traces de plaies discrètes et persistantes.
A l'heure des trithérapies et autres traitements préventifs expérimentaux, les débuts de cette tragique épidémie ont été bien vite oubliés. D'une part, parce qu'ils relèvent d'un souvenir encore douloureux ; d'autre part, parce qu'ils exercent encore un effet durable et presque inconscient sur la construction identitaire homosexuelle.
L'un des intérêts essentiels de cette exposition repose sur le rappel salutaire de la lutte (dans tous les sens du terme) qu'ont dû mener les homosexuels américains (puis européens) face à cette nouvelle maladie radicale, surprenante et inconnue.
Au moment où les scientifiques découvrent enfin l'existence et les logiques de fonctionnement du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) en 1984, près de 50% des homosexuels de la célèbre cité de San Francisco sont déjà infectés ! La perspective d'une disparition violente et prématurée les conduit par milliers dans les rues pour exprimer tout d'abord leur colère. La répression est alors d'une rare violence à l'encontre de simples manifestants désespérés par l'idée d'une mort programmée.
Des officiers de police plaquent un homme sur le macadam de la rue Castro, près de la place Harvey Milk
6 octobre 1989, photo de Marc Geller
Vient ensuite le temps de la lutte organisée. En 1986, une douzaine de militants fondent "Citizens for Medical Justice" afin de mener le combat sur le terrain politique et judiciaire. L'année suivante, le groupe change de nom pour devenir "AIDS Action Pledge" ; puis "ACT UP/San Francisco" en 1988.
Cette mutation institutionnelle n'en a pas moins marqué durablement l'inconscient collectif dans son rapport à la mort et au temps. Les études sociologiques manquent encore sur ce sujet mais de nombreux éléments montrent que cette période correspond à une importante transition dans l'histoire de l'homosexualité. Cette violente menace de disparition inaugure une nouvelle ère de visibilité sans équivalent. A contrario, cette lutte pour la vie introduit un fort présentisme qui occulte partiellement les multiples héritages des homosexualités. Dans les premières années du SIDA, c'est finalement davantage la maladie que l'histoire qui fonde le sentiment communautaire.
Cette exposition, mais également le documentaire We were here qu'elle prolonge, sont révélateurs d'une parenthèse qui se referme. Passé le temps de l'urgence et de l'émotion, les homosexuels vont peut-être "normaliser" leur rapport au temps et se retourner plus sereinement vers un riche passé fondateur.
Life & Death in Black & White : AIDS Direct Action in San Francisco, 1985–1990
Exposition temporaire du musée de l'histoire LGBT de San Francisco (Mars-juin 2012)
Photographies de Jane Philomen Cleland, Patrick Clifton, Marc Geller, Rick Gerharter et Daniel Nicoletta.
Actualisation du 26 avril 2012 :
Les Etats-Unis en général, et San Francisco en particulier, entretiennent décidément une mémoire singulière de l'épidémie de Sida. Nous avons régulièrement évoqué sur ce blog les films, les expositions et les ouvrages consacrés à cette question.
La dernière manifestation mémorielle recensée est un jardin de la mémoire : THE GROVE (traduction : le Bosquet).
Un site Internet présente l'association qui en est à l'origine et un documentaire permet d'approfondir la réflexion sur les enjeux d'un tel lieu de mémoire.