Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
De retour d'une session de recherche en centre d'archives, je prends connaissance comme chaque mois des travaux de la Société d'Histoire LGBT de San Francisco ( The GLBT Historical Society).
Parmi les innombrables projets menés par cette équipe dynamique figure un débat particulièrement intéressant sur la visibilité des LGBT (lesbiennes, gay, bisexuels et transsexuels) dans l'espace historique et mémoriel.
Si les Etats-Unis sont déjà très en pointe sur les études de genre et des sexualités, ils confirment régulièrement leur supériorité dans ce domaine en ouvrant de nouveaux champs de réflexion particulièrement novateurs. Cette proposition sur les lieux de mémoire en constitue un exemple particulièrement révélateur.
Dans un précédent article, nous avions déjà souligné à quel point l'émergence de figures historiques référentielles LGBT pouvait contribuer à normaliser cette thématique et constituer une démarche pédagogique vers davantage de tolérance.
La réflexion initiée par la GLBT Historical Society constitue en quelque sorte un prolongement mémoriel de cette approche résolument historique. Préserver et valoriser les lieux de mémoire LGBT, c'est aussi démontrer concrètement l'existence historique d'un phénomène sociétal souvent cantonné à l'oubli, voire à la dissimulation.
En France, cette approche s'est essentiellement développée sous le prisme touristique. Ainsi, l'association ParisGayVillage propose-t-elle de visiter Paris en découvrant l’histoire des homosexualités et des cultures gays et lesbiennes du XVIIème siècle aux années 1980. Tous les mois, des animateurs proposent une visite guidée de deux heures afin de retracer les lieux emblématiques de la culture LGBT quasiment effacée et anonymisée au sein de l'espace public.
C'est sur cet aspect que la GLBT Historical Society se propose de réfléchir : les lieux de mémoire LGBT doivent-ils être cantonnés aux grandes métropoles qui accueillent désormais les principales manifestations et associations LGBT ou doivent-ils être élargis au plus petites villes, voire aux campagnes ? Comment préserver et valoriser ces lieux ? Une patrimonialisation du passé LGBT est-il possible ? Dans quelles conditions ?
A chacune de mes visites d'un centre d'archives dans différentes régions françaises, je me rends régulièrement sur les lieux que j'ai rencontré sous la plume des rapports de police et autres documents judiciaires : les anciens bars ont souvent été remplacés par des banques, les pissotières ont carrément disparues et les squares dans lesquels des milliers de rencontres fugaces se sont nouées sont souvent devenus des endroits grillagés et contrôlés dans lesquels les mères de famille emmènent leurs enfants. A l'exception du square Steinbach à Mulhouse, aucun élément ne permet jamais de se souvenir du passé LGBT de ces lieux qui étaient pourtant connus et reconnus comme tels dans la première moitié du XXe siècle.
Les jardins Albert Ier à Nice appartiennent désormais à l'espace touristique international de la promenade des Anglais et l'hôtel de la Cloche à Dijon accueille une clientèle huppée à la réputation irréprochable. Le brigardier Mortier qui opérait dans la capitale des Ducs de Bourgogne dans les années 1930 savait pourtant bien où débusquer les homosexuels qu'il surveillait étroitement à cette époque. Il se rendait régulièrement à la réception de l'hôtel pour obtenir des informations sur les clients qu'il avait repéré préalablement à la Grande Taverne, puis autour des pissotières du parc Darcy, avant qu'ils ne se dirigent par deux vers cet établissement.
Les historiens et architectes américains qui se sont réunis au mois d'août 2012 à San Francisco seront peut-être à l'origine de nouvelles propositions originales sur la façon de commémorer l'histoire LGBT et d'organiser de nouveaux lieux de mémoires. Lets wait and see...
English summary
Thinking the LGBT memory places
In August 2012, american historians and architects met at the GLBT Historical Society in order to look at how queer historical sites are being preserved, documented and interpreted
and highlight innovations needed to ensure that significant sites are recognized and protected. In France, a lot of places should be recognized as queer historical sites.