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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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C'est Qui ?

  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Cherche La Pépite

31 octobre 2013 4 31 /10 /octobre /2013 09:06

Le tourisme mémoriel se développe à une vitesse exponentielle dans le monde, en Europe, mais aussi surtout en France où les autorités publiques ne sont pas restés insensibles à sa dimension économique.

L'année dernière, nous avions déjà signalé sur ce site la parution d'un guide des lieux de mémoire en France par la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives (DMPA) associée aux éditions du célèbre Petit Futé.

Le tourisme mémoriel autour du Centenaire de la Grande Guerre

A l'approche du Centenaire de la Grande Guerre, le ministère et l'industrie du tourisme préparent activement l'accueil de millions de visiteurs qu'il faudra notamment loger, nourrir, guider...

 

Mais au-delà des aspects économiques, la pratique du tourisme mémoriel interroge aussi les historiens tels que Stéphane Audoin-Rouzeau qui tentent de mettre en perspective ce regain d'intérêt autour des lieux d'histoire et de mémoire. Cette question a été au centre de l'émission L'Esprit Public sur France Culture le 18 août 2013.

 

L'invention du tourisme mémoriel

Nous apprenons notamment dans cette émission que c'est en 1917 que paraît en France le premier Guide Michelin des champs de bataille qui était notamment dédié à la mémoire des ouvriers de la firme Michelin tombés pour la patrie.

Publicité pour le Guide Michelin des Champs de Bataille (1919)

Publicité pour le Guide Michelin des Champs de Bataille (1919)

Les éditeurs de cet objet précisent alors : « Nous avons essayé de réaliser, pour les touristes qui voudront parcourir nos champs de bataille et nos villages meurtris, un ouvrage qui soit à la fois un guide pratique et une histoire », et de préciser que la visite des champs n’est pas conçue ici comme « une simple course dans les régions dévastées, mais bien comme un véritable pèlerinage ».

En d'autres termes, le Guide Michelin inventait le tourisme de mémoire avant même la fin du conflit.

L'historien Max Gallo explique au cours du débat qu'il exècre cette expression de "tourisme mémoriel" qui, selon lui et malgré les précautions du Guide Michelin, nie la dimension "sacrée" de cette pratique qui relèverait davantage du "pèlerinage" et du "culte des morts".

Pourquoi commémorer la Grande Guerre ?

Stéphane Audoin-Rouzeau explique l'émergence précoce du tourisme mémoriel lié à la Première Guerre mondiale par une volonté des Français de comprendre ce qui venait de se passer.

Cet intérêt confirmé au cours des années 1920 s'est ensuite effacé après la Seconde Guerre mondiale pour mieux se réveiller à la fin des années 1980, dans un contexte géopolitique favorable à un regain d'intérêt pour l'histoire de la Grande Guerre : chute du communisme et renaissance des nations liées à la Première Guerre mondiale, réveil des conflits dans les Balkans, etc.

L'historien s'interroge d'ailleurs sur la dimension nostalgique de ce réveil de la mémoire de la Première Guerre mondiale qui pourrait encore être au centre des commémoration du Centenaire : ne peut-on pas en effet interpréter l'actuel engouement autour de la Grande Guerre comme une forme de nostalgie pour la France victorieuse de cette époque et l'Union Sacrée dépassant les conflits politiques stériles ? L'une des intervenantes pousse d'ailleurs cette réflexion à l'extrême en emettant l'hypothèse que l'intérêt des Français pour le Centenaire de cette guerre puisse être une manifestation inconsciente d'un réveil d'une forme de germanophobie à l'heure des crispations politiques récurrentes avec notre voisin.

Plus concrètement, selon les réponses collectées à partir des livres d'or des lieux de mémoire, les motivations des visiteurs contemporains ne semblent pas très différentes de ceux des années 1920, à savoir :

  1. Une dimension culturelle (comprendre l'histoire de conflit par une approche sensible et émotionnelle)
  2. Une dimension chrétienne (faire le deuil des victimes)
  3. Une dimension familiale (visiter la tombe d'un ascendant)

En somme, les touristes contemporains de la mémoire resteraient essentiellement motivés par la dimension sacée d'une sorte de pèlerinage, voire deviendraient assez rapidement des pèlerins au contact des lieux de mémoire.

Une guerre française dans les mémoires européennes

Alors que la mémoire de 1914-1918 reste vive en France, Stéphane Audoin-Rouzeau parle d’une « coupure mémorielle » en Allemagne qu'il explique par la culpabilité de la période nazie plutôt que par un traumatisme de la défaite. Hitler avait en effet tissé un lien tellement fort entre sa politique et le traité de Versailles qu'il reste encore compliqué pour les Allemands d'intégrer objectivement cet évènement dans leur récit national.

Pour la Grande-Bretagne, il est rappelé la particularité de l'absence de transfert des corps des soldats britanniques sur le territoire national qui empêche l'émergence de lieux de mémoire de masse, bien que le coquelicot demeure un symbole important et fédérateur porté par tous les hommes politiques le jour du 11 novembre.

Quant à la Russie, la mémoire de la Grande Guerre y est plus ou moins occultée par le souvenir national de la révolution bolchévique de 1917.

 

Cette démarche comparative permet de mettre en perspective l'importance commémorative du 11 novembre en France qui, selon Stéphane Audoin-Rouzeau, serait sans commune mesure avec le 8 mai. Les nécropoles françaises gigantesques apparaissent alors comme une illustration du sacrifice massif et du rapport particulier des Français avec cette guerre que les commémorations du Centenaire devraient illustrer.

 

Le président du centre de recherche de l'Historial de Peronne s'inquiète cependant en conclusion des suites de cet évènement commémoratif : que deviendront en effet les jeunes historiens qui travaillent sur la Première Guerre mondiale après cette vague mémorielle qui bénéficie d'énormes moyens financiers et d'une exposition médiatique incomparable. Seul un fort renouvelement historiographique permettra selon lui de surmonter le risque de lassitude et d'assèchement à prévoir au lendemain du Centenaire.

 

Chronologie de l'histoire mémorielle de la Première Guerre mondiale (à completer)

1917 : édition du premier guide Michelin des champs de bataille de la Première Guerre mondiale.

1932 : Inauguration du mémorial de Thiepval (initiative britannique)

1967 : Inauguration du Mémorial de Verdun

1969 : Inauguration du musée du Chemin des dames

1992 : Ouverture de l'Historial de Peronne

2011 : Inauguration du Musée de la Grande Guerre du pays de Meaux.

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6 août 2013 2 06 /08 /août /2013 07:31

 

Abstract: Consumer society has changed since the "Glorious Thirty". Previously, mass consummation was synonym of modernity. Nowadays, consumers prefer products which can give us the sensation of being part of history or awake their memory. 

 

Janvier 2013, l'enseigne Casino annonce qu'elle va faire revivre des marques disparues à travers une opération baptisée Casino Collector : les chips Flodor et le soda Pschitt.

Dans les rayons des supermarchés, la communication commerciale joue sur un sentiment de nostalgie par l'intermédiaire d'un message humoristique :

Flodor.jpg

 

L'idée a été unanimement saluée par les publicitaires qui travaillent sur cet angle d'accroche depuis quelques mois. En 2011 déjà, l'entreprise Juva Santé avait d'ailleurs ressuscité son célèbre slogan "Si Ju va bien, c'est Juvamine" en soulignant avec humour le contraste entre l'aspect vintage de sa communication et la modernité de ses produits :

 

 

Cette communication n'est évidemment pas gratuite. Elle est le résultat d'une stratégie marketing bien ficelée visant à attirer davantage de consommateurs. Deux hypothèses permettent d'expliquer cette tendance : soit les publicitaires ont eu une intuition de génie qu'ils tentent depuis d'exploiter, soit ils ont fait appel aux compétences des sciences humaines et sociales qui ont des élements à leur apporter dans ce domaine.

 La passion française pour l'histoire n'est en effet pas une nouveauté pour les historiens qui tentent de comprendre par l'intermédiaire de l'historiographie les motifs et les modalités de ce retour au passé qui caractérise nos sociétés occidentales contemporaines : lois mémorielles, commémorations, lieux de mémoire, polémiques mémorielles... sont autant de sujets récurrents dans l'actualité que nous tentons justement d'analyser sur ce blog.

 

Bien que chaque campagne publicitaire réponde aux exigences particulières d'une entreprise, il est possible de dégager deux axes principaux dans ce phénomène :

 

1. Valoriser l'histoire d'une marque comme gage de qualité

Cette stratégie est la plus connue et la plus démocratisée dans tous les secteurs de l'économie. Il s'agit de mettre en valeur un savoir-faire ancestral transmis de génération en génération.

Le plus souvent, elle se manifeste par la mention d'une date de fondation de l'entreprise sur l'emballage du produit ou dans le slogan.

camembert LEPETIT

 

Faute de pouvoir avancer l'argument de l'ancienneté d'une entreprise (et a priori d'une recette), certains adoptent d'autres techniques. C'est notamment le cas du camembert Le Rustique qui, en plus de son nom associé à la tradition, soigne son emballage en faisant mention d'un "maitre fromager" et en représentant une charette tirée par un cheval livrant des bidons de lait : 

Le Rustique

 

Enfin, d'autres font appel aux outils offerts par la législation pour mettre en valeur l'aspect traditionnel d'un produit : ce sont les appelations d'origine contrôlée ou protégées (AOC ou AOP), ainsi que les multiples labels censés garantir un produit du terroir :

Produits du terroir

 

Cette stratégie commerciale est intimement liée à la question mémorielle. 

Dans une société marchande et concurrentielle où un nouveau produit doit venir régulièrement remplacer l'ancien (dont l'iPhone d'Apple est devenu un modèle), le consommateur perd ses repères et entretient le mythe de l'obsolescence programmée. Il cherche donc parfois à se réfugier dans des marques qui peuvent lui fournir la garantie d'une longévité, gage de qualité. En somme, le consommateur adapte ses habitudes d'achat à l'air du temps : à savoir un manque de confiance en l'avenir et donc un retour vers les valeurs du passé.

 

En ce sens, on peut donc considérer que la publicité "Juvamine" (ci-dessus) présente une limite importante qui a visiblement échappé aux publicitaires : en opposant l'ancien et le nouveau, la marque mobilise certes à bon escient son capital mémoriel... mais en l'opposant à une série de scientifiques dans un laboratoire qui représente une modernité en totale contradiction. Au final, le message devient confus : évocation d'une science efficace mais plutôt froide versus mobilisation d'un personnage dépassé mais plutôt sympathique. Le consommateur est perdu...

 

L'expérience la plus aboutie et la plus réussie dans ce domaine est probablement celle du Bon Marché qui pour fêter ses 160 ans s'est offert un plan marketing ambitieux et audacieux mêlant l'histoire de l'entreprise à l'histoire de l'architecture de son magasin, l'histoire de ses vitrines, l'histoire de la mode et même l'histoire sociale des conditions de travail de ses employés.

Mise en scène du magasin, agencement des vitrines, expositions, documentaire et film animé promotionnel : "Une façon inédite de célébrer ce bel âge dans une joyeuse modernité".

Le message est clair : "Le Bon Marché revisite aujourd'hui son patrimoine à partir de motifs historiques extraits des archives de la maison et donne naissance à une collection dédiée".

 

 

L'entreprise a donc parfaitement réussi à mêler son histoire à celle de ses consommateurs et de leur pays dans un plan marketing visant non seulement à célébrer le savoir-faire de la maison, mais aussi à vendre une nouvelle collection.

 

 

2. Réveiller le lien émotionnel entre l'histoire de la marque et l'histoire du consommateur

Il faut reconnaître que la tâche n'est pas toujours aisée pour ces publicitaires qui doivent adapter des stratégies théoriques aux produits et aux entreprises. Si l'argument d'une valorisation de l'histoire de l'entreprise comme gage de qualité vaut essentiellement pour le domaine de l'agro-alimentaire ou des services, il ne peut pas être appliqué pour les domaines liés aux nouvelles technologies sans risque d'une contradiction observée avec l'exemple précédent de Juva Santé.

C'est pourquoi d'autres stratégies marketing ont été mises en place pour mobiliser l'efficacité du capital mémoriel sans recourir à l'idée de trandition. Elles consistent à réveiller le lien émotionnel qui a pu se créer entre un consommateur-cible bénéficiant généralement du meilleur pouvoir d'achat (plus de 30 ans) et l'histoire d'une marque.

 

C'est notamment la stratégie mise en oeuvre timidement par le groupe Casino en ressuscitant une marque comme Pschitt qui est devenu un véritable mythe pour la génération des trentenaires qui ont grandi avec le Kiki, la Nes de Nintendo et Chantal Goya :

 

 

Casino semble cependant se contenter pour le moment d'un retour modeste de marques anciennes dans ses rayons sans l'accompagner d'un véritable plan de communication visant à attirer de nouveaux clients dans ses magasins.

D'autres vont beaucoup plus loin dans la démarche. C'est le cas notamment de McDonald's qui, bien que relativement récent, s'est doté à l'échelle internationale d' un véritable service d'archives. Ses objectifs sont simples : non seulement rassembler et protéger les éléments permettant d'écrire l'histoire de l'entreprise, mais aussi participer à l'immense stratégie marketing du groupe. En proposant par exemple aux studios hollywoodiens des éléments "clefs-en-main" permettant de reconstituer l'environnement d'un restaurant McDonald's en 1980, il parvient progressivement à placer de la publicité discrète, intelligente et à moindre coût.

McDonald-s-history.jpg

 

Que ce soit pour leur achats courants,  ou pour les produits de luxe, les consommateurs sont visiblement prêts à mettre le prix à partir du moment où le produit dispose d'un "supplément d'âme culturel". Quarante ans après la fin des Trente Glorieuses, consommer ne suffit donc plus à donner l'impression d'entrer dans la modernité ! Cette pratique sociale doit désormais permettre de se situer dans le temps et dans l'histoire, soit en rassurant le consommateur par la légitimité inhérente à la tradition, soit en construisant progressivement avec lui un lien de complicité générationnel et émotionnel.

 

Actualisation du 22 octobre 2013

Le mois d'octobre 2013 a été celui de l'anniversaire des 50 ans des magasins Carrefour (mais aussi de l'apparition du premier hypermarché en France). A cette occasion, l'enseigne a mis en ligne un "hyperstorique" interactif de l'entreprise mêlant des éléments de son histoire avec des informations vantant la réussite et les mérites de la marque en 2013.

Entreprises, marques, publicités : quand la mémoire crée de la valeur

Cette approche mémorielle n'a finalement pas été exploitée davantage par l'enseigne de distribution qui a préféré centrer la communication de son anniversaire autour des promotions proposés en magasin. Un choix plutôt traditionnel au regard des orientations marketing récentes.

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17 avril 2013 3 17 /04 /avril /2013 09:16

 

6.2 millions : c'est le nombre de visiteurs de sites mémoriels  selon Le Figaro qui ne précise pas cependant ses sources, ni même l'année considérée, et qui se contente de présenter un diaporama des sites les plus visités en France. Nous avons donc cherché à en savoir davantage...

 

logo-ATM.jpg

 

A l'occasion des premières Assises du tourisme de mémoire qui se sont tenues au Sénat en 2011, l'Etat a en effet pris la mesure du potentiel économique de ce secteur d'activité qui ne semble pas connaître la crise.

 Une enquête réalisée en 2010 auprès de 85 sites mémoriels a permis d'évaluer à 6,2 millions le nombre de visiteurs, dont 4 millions pour les 16 sites les plus fréquentés !

45% de ces "touristes" sont étrangers et 24% sont des groupes scolaires.

Le chiffre d'affaires global direct (billet d'entrée et boutiques) de ce secteur d'activité est estimé à 45 millions d'euros.  Certaines études plus précises menées à l'échelle départementale permettent cependant d'élargir l'impact économique de ce secteur d'activité en termes d'hébérgement, de restauration, mais aussi d'excursion globale d'un territoire (les touristes ne s'arrêtant pas seulement dans un site mémoriel).

 

Cependant, l'enthousiasme porté par ces Assises du tourisme de mémoire est vite retombé. L'article (pourtant récent) du Figaro semble en effet s'appuyer sur les chiffres de l'année 2010 bien qu' une étude ait été publiée en novembre 2012 par Atout France

En y regardant de plus près, on s'aperçoit d'ailleurs que ces Assises ont été organisées autour d'un évènement : l'inauguration du musée de la Grande Guerre de Meaux (Seine-et-Marne) quelques mois plus tard et dont il fallait alors justifier l'investissement.

Depuis, ces rencontres n'ont pas été renouvelées et le ministère de la Défense réédite chaque année  la même brochure en oubliant parfois d'en réactualiser les dates sur toutes les pages (mars 2013 en page 2 et novembre 2012 en page 3...).

 

Bref, le tourisme mémoriel se porte bien mais il n'est pas suffisament pris au sérieux par l'Etat et les autres acteurs économiques. L'approche des commémorations du centenaire de la Grande Guerre pourrait pourtant être l'occasion de poursuivre les réflexions et d'impulser des projets innovants dans ce secteur dont nous étudierons les évolutions dans cette nouvelles catégorie dédiée à l'économie des mémoires.

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