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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs

Cherche La Pépite

30 juillet 2013 2 30 /07 /juillet /2013 07:31

 

C'est un serpent de mer de la politique mémorielle française : la Fondation pour la Mémoire de la Guerre d'Algérie était une idée avancée par la fameuse  loi du 23 février 2005 "portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés".

Si le président de la République Jacques Chirac avait accepté de revenir  par décret sur l'article 4 ("Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord"), il n'avait pas modifié l'article 3 annonçant la création d'une "fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie".

L'opprobe lancée sur ce texte s'était pourtant étendu à la fondation qui n'est apparue qu'en 2010 dans la douleur.  Plusieurs historiens en dénonçaient en effet le principe et le gouvernement rencontrait de nombreuses difficultés à constituer son comité scientifique.

Nous avions nous même dénoncé  sur ce blog l'instauration d'une nouvelle Fondation (après la Fondation pour la mémoire de la Shoah et la Fondation pour la mémoire de la Déportation) faisant la part belle à la gestion politique des mémoires plutôt qu'à un encouragement explicite de l'histoire comme pacificateur des conflits mémoriels.

 

logo-Fondation-pour-la-memoire-de-la-deportation.jpgLogo-Fondation-pour-la-memoire-de-la-Shoah.jpg

 

Dans un tel contexte de défiance, cette jeune Fondation n'avait finalement obtenu qu'un rôle minime dans l'organisation des commémorations du cinquantenaire de la Guerre d'Algérie en 2012. C'est pourquoi le député UMP du Nord Jean-Pierre Decool a adressé une question au ministre des Anciens Combattants et Victimes de Guerre afin de connaître les intentions du Gouvernement à ce sujet.

La réponse du ministère rappelle que "seules les associations participant au financement de la fondation sont membres du conseil d'administration. L'organisation de cette structure exclut donc de fait la totalité des associations de harkis, de rapatriés et d'anciens combattants de la guerre d'Algérie. Dès lors, les travaux menés par la fondation ne pouvaient que s'éloigner fortement de son objet. Même si les deux colloques réalisés en 2011 et 2012, l'un sur le peuplement de l'Algérie, l'autre sur Abd el-Kader, ont rencontré un vif succès, cette fondation n'est pas à la hauteur des espoirs qu'elle a suscités. L'orientation qu'elle a prise jusqu'à présent, est contestée par les acteurs de la mémoire de la guerre d'Algérie ainsi que par des parlementaires".

Bref, le Gouvernement semble accepter le diagnostic d'un échec évident bien que les avis sur les symptomes divergent. Ce que les services du ministère regrettent n'est pas tant la faiblesse des apports scientifiques de la Fondation que l'absence de consensus de la part des "acteurs de la mémoire"

 

La Fondation pour la mémoire de la Guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie n'est pourtant pas enterrée. Le Gouvernement a décidé de lui laisser une chance en réorientant ses travaux et en "favorisant la participation de l'ensemble des acteurs du conflit à ses travaux et à la définition de son objet" avant de dresser un nouveau bilan à la fin de l'année 2013.

 Un site Internet a été créé pour suivre son actualité. L'ensemble reste pour le moment modeste et un peu confus : Les illustrations de la page d'accueil s'affichent difficilement, la rubrique "actualités" ne propose qu'une annonce par mois, la rubrique "Album photos" renvoie à un lien périmé... 

 

Fondation-pour-la-memoire-de-la-guerre-d-Algerie.gif

 

En revanche, la rubrique "But et orientations générales" de la Fondation montre que les critiques ont été entendues :

"Une fondation de « mémoire »

Quant au titre de la Fondation, qui voue son objet à la mémoire des évènements d’Afrique du nord, imagine-t-on le tollé qui aurait embrasé la scène politique si la loi y avait substitué le mot « Histoire », affichant, par là, la prétention de s’immiscer dans l’écriture historique des évènements. À juste titre, cela aurait justifié la protestation des historiens, attachés à leur indépendance et à leur liberté d’interprétation des faits en cause. En revanche, si mission est donnée à la Fondation de s’attacher uniquement à la « mémoire » de ces conflits, de la recueillir, de la conserver et de la transmettre, c’est parce qu’il devenait urgent que tous les témoignages passés, présents et à venir soient collectés et mis hors d’atteinte des effets du temps ou de toute autre dénaturation. Notons que ce sont des outils de première main qui sont préservés au profit des chercheurs et des historiens. Pour autant, la Fondation n’en sera pas plus autorisée à choisir parmi les « clans » de mémoire ou à accorder son soutien à l’un plus qu’à l’autre. Le rôle de la Fondation est d’authentifier et de conserver, pas de juger. La Fondation ne peut être que neutre".

 

Dont acte. Il s'agit maintenant de convaincre les historiens ET les acteurs de la mémoire de la Guerre d'Algérie de la légitimité d'une telle entité.

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27 décembre 2012 4 27 /12 /décembre /2012 09:11

 

 

Le 20 décembre 2012, le président de la République française François Hollande a prononcé un discours important devant le Parlement algérien. Après la loi du 23 février 2005 proposant que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord » (article 4, alinéa 2), puis les atermoiements de Nicolas Sarkozy jouant régulièrement entre refus de la repentance et déclarations électoralistes, le chef d'Etat était attendu de pied ferme en territoire algérien.

Sa déclaration était d'autant plus attendue que l'ancien premier secrétaire du Parti Socialiste, puis  candidat à la présidentielle, avait multiplié les gestes d'apaisement dans ce conflit des mémoires qui mine les relations franco-algériennes depuis plusieurs décennies. En 2006,  il avait notamment déclaré au journaliste Edwy Plenel : "S’il faut que, sur 1956 et les pouvoirs spéciaux, je sois plus explicite, je le fais ici, au nom du Parti socialiste aujourd’hui. Nous sommes comptables du passé et responsables de l’avenir. La SFIO a perdu son âme dans la guerre d’Algérie. Elle a ses justifications mais nous devons encore des excuses au peuple algérien".

Le lendemain de sa victoire aux primaires socialistes, le candidat officiel du Parti Socialiste s'était également rendu à une cérémonie de commémoration du 17 octobre 1961.

D'aucuns ont pensé que cette posture du candidat engagerait les actes du Président. La réponse de l'intéressé au JT de France 2 fut cinglante et étrange d'un point de vue politique : "Moi, je suis président de la République, j'engage la France, je n'engage pas un parti". D'un côté, on comprend que le chef de l'Etat rappelle sa mission de représentant de la Nation, et non pas seulement d'un parti ; d'un autre côté, on s'étonne cependant que l'élu affirme aussi directement que les postures adoptées par l'homme durant sa carrière et sa campagne électorale ne l'engagent pas en tant que président de la République. 

 

C'est dans ce contexte que François Hollande est monté à la tribune du Parlement algérien pour se poser cette question : "Sommes-nous capables d’écrire ensemble une nouvelle page de notre histoire ?".

Et de continuer en réponse à cette question rhétorique : "Cette vérité, nous la devons à tous ceux qui par leur histoire, par leur histoire douloureuse, blessés, veulent ouvrir une nouvelle page (...) Et la vérité je vais la dire ici, devant vous". 

A ce stade introductif, la plupart des historiens ont déjà décroché : ainsi, François Hollande détiendrait LA vérité ! Non pas une vérité, non pas sa vérité, mais bien LA vérité ! A l'exception de quelques collègues ayant séché les cours d'épistémologie de l'histoire, rares seront ceux qui oseront assumer un ton aussi péremptoire. Voilà Kant, Hegel et Thomas Kuhn balayés d'un coup. Visiblement, l'Histoire de France pour les Nuls  que lisait assidument le premier secrétaire du Parti Socialiste ne contenait pas cette célèbre citation de Maurice Sartre : « La vérité en histoire, dont on conviendra aisément qu’elle relève de l’utopie ».

 

Le ton utilisé par le chef d'Etat a au moins le mérite de créer un horizon d'attente insoutenable et de maintenir en haleine un auditoire ainsi préparé à une déclaration fracassante : "Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal, ce système a un nom, c’est la colonisation, et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. Parmi ces souffrances, il y a eu les massacres de Sétif, de Guelma, de Kherrata, qui, je sais, demeurent ancrés dans la conscience des Algériens, mais aussi des Français. Parce qu’à Sétif, le 8 mai 1945, le jour même où le monde triomphait de la barbarie, la France manquait à ses valeurs universelles. La vérité, elle doit être dite aussi sur les circonstances dans lesquelles l’Algérie s’est délivrée du système colonial, sur cette guerre qui, longtemps, n’a pas dit son nom en France, la guerre d’Algérie".

Et de continuer par un "voilà", comme s'il venait d'accomplir une oeuvre titanesque, comme s'il venait, en quelques phrases, de débloquer des décennies d'affrontement mémoriel entre les deux pays.

 

Nous ne savons pas vraiment ce qu'en ont pensé les Algériens, mais l'effet stylistique a très bien fonctionné auprès des journalistes français qui n'ont cessé depuis de répéter en boucle ces quelques mots qui, selon des sources algériennes, porterait "la touche de Benjamin Stora", longuement reçu à l'Elysée. Si tel est vraiment le cas, l'intéressé ne manque pas d'humour car il a déclaré lors d'une interview que l'essentiel à retenir de la visite de François Hollande en Algérie "sera la qualité du discours" !

Un portrait dans Paris-Match confirme que Benjamin Stora mérite l'appelation d'"historien du président", bien qu'il semble entretenir une relation plus distante que celle qu'occupait Henri Guaino avec Nicolas Sarkozy. S'il faisait bien partie des invités de la délégation officielle accompagnant François Hollande, son influence est apparemment restée minime dans le cadre de cette visite où l'histoire a finalement été réduite à un stade symbolique. On aurait pourtant été en droit d'attendre des négociations utiles sur l'accès aux archives et une coopération intellectuelle portée par le discours présidentiel. Visiblement, le sujet était trop compliqué à caser entre les négociations économiques de la RATP et celles de France Telecom...

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18 octobre 2012 4 18 /10 /octobre /2012 08:04

 

C'est fait. Le 17 octobre 2012, François Hollande a pu cocher une nouvelle case sur la liste des promesses de campagne qu'il envisage d'honorer.

 

Celle-ci avait une importance toute particulière car c'était la première et elle était mémorielle ! En effet, dès le lendemain de sa victoire aux primaires socialistes, il s'était rendu à Asnières en compagnie de Benjamin Stora pour assister au dévoilement d’une plaque commémorative. Il avait alors déclaré : "Il faut que la vérité soit dite. Sans repentance, ni mise en accusation particulière. Reconnaitre ce qui s’est produit. Aujourd’hui je le fais en tant que socialiste. Ensuite, ce sera sans doute à la République de la faire…". 

L'anniversaire du cinquantenaire de ce tragique évènement avait donné lieu à une inflation médiatique que nous avions relaté à l'époque  sur ce blog, mais aussi dans le cadre d'un dossier plus fouillé à l'intention des enseignants d'histoire-géographie qui peuvent désormais travailler avec leurs élèves de Terminale sur  les mémoires de la Guerre d'Algérie.

 

Or, le moins que l'on puisse dire, c'est que François Hollande a fourni le service minimum. Pas de déplacement officiel, pas de discours, pas de monument : la reconnaissance est venue d'un simple communiqué publié par l'Elysée et que l'on peut reproduire intégralement :

"Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance ont été tués lors d'une sanglante répression.

La République reconnaît avec lucidité ces faits.

Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes".

 

On s'attendait à un peu plus de panache. On aurait souhaité que le président de la République prononce un discours du niveau de Jacques Chirac en 1995 concernant la rafle du Vel d'Hiv. On aurait aimé qu'il développe un peu la dimension mémorielle de son projet politique. Rien. 

Même l'historien Gilles Manceron considère que si la date est importante, elle ne marque finalement que  le "début d'un processus" qu'il convient de poursuivre et d'approfondir.

 

N'oublions pas non plus que François Hollande a fait une deuxième promesse dans le domaine mémoriel : celle de  la pénalisation de la négation du génocide arménien. Or, cette fois-ci, le président de la République ne pourra pas se contenter d'un simple communiqué.

 

PS : Vous êtes chaque jour de plus en plus nombreux à visiter ce site et je voulais vous en remercier. Je rappelle à ceux qui ne l'ont pas encore fait qu'il est possible de vous inscrire à la newsletter du site pour recevoir une notification lors de la publication d'un nouvel article. A bientôt.

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3 octobre 2012 3 03 /10 /octobre /2012 14:03

 

Présenté comme une fresque historique de l'Algérie française à la veille de la décolonisation, Ce que le jour doit à la nuit est le dernier film d'Alexandre Arcady actuellement en salle.

 

Ce-que-le-jour-doit-a-la-nuit.jpg

 

"Tous les horizons du monde deviennent notre mémoire !".

Avec une phrase d'accroche aussi ambitieuse, on aurait pu s'attendre à une profonde réflexion sur les mémoires croisées, conflictuelles ou complémentaires de la Guerre d'Algérie. Il n'en est rien.

De cette histoire tournée comme une saga d'été, on ne retient finalement que la tragique histoire d'amour entre Younes/Jonas (jeune algérien déchiré entre ses racines familiales et ses amitiés européennes) et Emilie (française petite bourgeoise dont la famille possède d'immenses propriétés en Algérie).

Le contexte ne joue qu'un rôle de prétexte dans ce film qui constitue l'adaptation cinématographique du roman de Yasmina Kadra. La présence coloniale est résumée à des contrôles policiers abusifs ainsi qu'aux mauvais traitements infligés aux employés algériens par de jeunes Européens à la richesse aussi ostentatoire que leur insouciance. Certes, Younes est accepté dans le groupe, mais c'est au détriment de son prénom transformé en Jonas et au profit de son oncle pharmacien dont l'argent permet d'entretenir un mode de vie européen.

La caricature disneylandisée se transforme en chef d'oeuvre du genre au moment où la guerre explose : les jeunes Européens se désolent alors de devoir quitter la bonbonnière dans laquelle ils ont grandi, quand les Algériens exultent de joie à leurs côtés, sans qu'on ait présenté à aucun moment les enjeux de l'émergence d'une revendication nationale.

Quelques scènes témoignent certes de la violence historique du conflit, mais c'est pour mieux entretenir le pathos de l'histoire romancée. Les propos politiques sont quasiment inexistants dans le film, comme si le réalisateur avait eu peur de prendre position ou bien de perdre une partie des spectateurs.

L'apothéose est finalement atteinte au dénouement lorsque la bande d'amis se retrouve bien des années plus tard, dépassant ainsi les conflits entre les Algériens restés au pays et les Européens (qu'ils aient défendu l'Algérie française ou l'indépendance). Le pardon est alors présenté comme le remède à la rancoeur et toute cette bien-pensance n'est jamais très loin de soulever le coeur.

Le pari semble néanmoins rempli lorsque la lumière se rallume et qu'autour de moi, j'aperçois les chaudes larmes des spectateurs âgés et visiblement bouleversés d'avoir revu les horizons qu'ils ont jadis parcouru et que leur mémoire semble avoir idéalisé au point de regretter qu'un tel monde ne soit plus.

C'est seulement à ce moment que j'ai vraiment compris le sens de la première phrase du film...

 

 

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1 mai 2012 2 01 /05 /mai /2012 08:30

 

Dans le cadre de notre analyse filée des mémoires de la Guerre d'Algérie, nous avons pu remarquer que l'aspect politique des commémorations a été plutôt minime dans l'attente des échéances électorales, à gauche comme à droite.

Cette affirmation doit néanmoins être nuancée sur un point : celui des harkis qui ont été largement courtisés par la droite et l'extrême-droit depuis le début de l'année.

 

Rappelons tout d'abord ce que nous entendons par "harkis". D'un point de vue administratif, il s'agit de supplétifs engagés dans l'armée française durant la Guerre d'Algérie. Ces derniers ont d'ailleurs obtenu le statut d'ancien combattant par la  loi du 9 décembre 1974. Plus largement, ce terme permet de désigner aujourd'hui toutes les personnes arabes et berbères qui ont adopté une position pro-française durant la Guerre d'Algérie et qui ont ensuite été contraintes de rejoindre le territoire hexagonal à la fin du conflit en obtenant la nationalité française.

Les harkis se sont dès lors regroupés en communauté, généralement dans le sud de la France, et constituent aujourd'hui encore un groupe de pression structuré par un tissu associatif. Une simple recherche avec l'entrée "harki" sur Internet permet d'ailleurs de constater qu'il existe un véritable réseau très actif.

 

Cette disposition militante a été particulièrement efficace dans l'entretien de la mémoire harkie et l'obtention d'une reconnaissance par la République française.

    - La loi du 9 décembre 1974 a permis d'obtenir le statut d'ancien combattant,

   - Vingt ans plus tard, la  loi n° 94-488 du 11 juin 1994 permet d'actualiser et de compléter la précédente. Elle précise dans son article premier : "La République française témoigne sa reconnaissance envers les rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie pour les sacrifices qu'ils ont consentis. Elle leur ouvre, en outre, droit au bénéfice des mesures prévues par la présente loi".

   - Le 31 mars 2003, la gratitude exprimée dans la loi ne suffit plus. Par l'intermédiaire d'un décret du président Jacques Chirac, elle s'accompagne désormais d'une Journée nationale d'hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives. Cette décision permet d'organiser chaque année des cérémonies officielles autour des plaques et monuments qui se sont multipliés sur le territoire.

 

memorial-harkis.jpg

Stèle en mémoire des harkis le long du camp de Rivesaltes

qui a servi à leur hébergement après les Accord d'Evian en 1962

 

Depuis, de nombreuses associations de harkis militent pour une meilleure reconnaissance individuelle  (certains dossiers d'indemnisation sont semble-t-il encore en souffrance) et collective des harkis. Après avoir obtenu une reconnaissance officielle, après l'institution d'une journée nationale du souvenir, les harkis souhaitent que la République reconnaisse officiellement la responsabilité de la France dans leurs souffrances et leur abandon. En effet, certaines associations considèrent que la France a perpétué un véritable " crime contre l'humanité" conduisant à un " génocide" en désarmant les supplétifs et en les abandonnant après les Accords d'Evian.

Le 31 mars 2007,  le candidat Nicolas Sarkozy avait pris cet engagement dans un discours prononcé à l’occasion de sa rencontre avec les représentants de la communauté Harkis.

Les promesses n'engageant que ceux qui veulent bien y croire, une fois élu, Nicolas Sarkozy s'était finalement rétracté à l'occasion de son  discours du 5 décembre 2007 dans lequel il concède que "pour la France, il s'agit aujourd'hui d'une question d'honneur : il faut réparer les fautes qui ont été commises car pendant très longtemps les harkis n'ont pas bénéficié des mesures qui auraient permis d'assurer dignement leur insertion au sein de la communauté nationale". Malgré la longueur du discours et les nouvelles promesses de réparation, aucune trace cependant d'une quelconque responsabilité de la France : cela aurait été contraire au principe de non-repentance martelé par le chef de l'Etat.  Cette ambivalence des propos n'avait vraiment été du goût des harkis.

 

Les élections présidentielles approchant, il fallait cependant remédier à cette ambiguïté.  Tout comme pour les Arméniens, on a l'impression que l'agenda mémoriel du président a été calculé dans une logique électoraliste à deux mandats : d'abord promettre à l'aube du premier mandat, puis entretenir le suspens pendant cinq ans, avant de donner satisfaction juste avant la nouvelle échéance.

 

Cette réponse aux revendications des harkis s'est d'ailleurs déroulée en deux temps :

   - Le 27 février 2012, le Parlement français a voté une loi visant à pénaliser les injures envers les harkis. Cette nouvelle disposition législative plutôt surprenante (puisqu'elle s'adresse à un groupe très précis) est en fait la réaction un peu tardive aux propos de l'ancien président du Conseil régional du Languedoc-Roussillon Georges Frèche qui s'était illustré en 2006 par des propos particulièrement insultants à l'encontre des harkis.

   - Neuf jours avant le premier tour des élections présidentielles, le président-candidat Sarkozy s'est rendu lui-même à Rivesates et, à la surprise générale, s'est fendu d'un discours beaucoup plus clair que celui de 2007 : "Je suis venu ici pour parler de la responsabilité de la France dans un drame français (...). La France se devait de protéger les harkis de l'Histoire. Elle ne l'a pas fait. C'est cette responsabilité que je suis venu reconnaître". Certains n'ont pas hésité à rappeler que cette déclaration intervenait un peu tard mais, globalement, les associations ont été satisfaites.

 

Et maintenant, quelle sera la prochaine étape ? Peut-on vraiment croire que les revendications mémorielles vont s'arrêter après cette déclaration ? Rien n'est moins sûr. La question d'une reconnaissance d'un "génocide des harkis" est désormais régulièrement évoquée et risque de réapparaître bien plus tôt qu'on ne le pense. Dans le cadre des prochaines élections législatives, le candidat FN Louis Alliot remue déjà les braises incandescentes de la mémoire. Hors de question de se faire voler par la droite les voix harkies dans une circonscription où le Front national pourrait avoir des chances de remporter un siège à l'Assemblée. A l'occasion d'un meeting organisé le jour même de la visite de Nicolas Sarkozy, il a déjà promis une  "grande loi-cadre" sur les génocides intégrant le cas des harkis.

 

La surenchère mémorielle ne fait que commencer !

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24 avril 2012 2 24 /04 /avril /2012 08:59

 

C'est une initiative pour le moins originale et intéressante. Le 19 mars 2012, à l'occasion du cinquantième anniversaire des accords d’Evian, le site Internet  OWNI et le quotidien  El Watan ont inauguré un site Internet que nous pourrions considérer comme un centre d'archives numérique :  Mémoires d'Algérie

 

Memoires-d-Algerie-2.jpg

Le principe est relativement simple : ce site Internet a pour ambition de rassembler et de publier des témoignages et des archives inédites relatives à la Guerre d'Algérie.

 

Dans les faits, cette initiative soulève cependant des interrogations.

 

1. Pourquoi un centre d'archives numérique ?

La création d'un tel lieu répond à un constat que de nombreux historiens déplorent depuis plusieurs années : les archives de la Guerre d'Algérie sont difficiles, voire impossibles, d'accès en France et en Algérie. Dans ces conditions, il est difficile de mener à bien une sereine historicisation du conflit permettant de pacifier sur le long terme des mémoires encore vives et parfois violentes.

 

2. Quelles sont les règles de publication ?

La communicabilité et la diffusion des archives est réglementée par la loi en France et en Algérie. Ce site entend visiblement les dépasser (voire les enfreindre) en faisant appel aux soutiens des lecteurs susceptibles de livrer leurs témoignages, leurs archives personnelles... mais aussi visiblement des copies de comptes-rendus d'opération et des notes de renseignement.

Si les administrateurs du site prennent des précautions en anonymisant certains noms dans les documents et en invitant les lecteurs "à la plus grande prudence", rien ne permet sur le site de vérifier la validité scientifique d'une telle entreprise. Quid par exemple d'un éventuel comité scientifique. A l'inverse, le site fait appel au mécénat sans en préciser les règles. Dès lors, qui vérifie la validité des documents et la l'intégrité de la ligne éditoriale ?

 

Malgré ces quelques zones de flou qui devront être éclaircies, le site constitue un formidable outil de travail qui ouvre d'intéressantes perspectives. 

 

Le projet en lui-même s'inscrit dans la continuité de plusieurs entreprises qui se multiplient depuis quelques mois sur la toile. Impulsés par le modèle de Wikileaks, la publication et la diffusion en ligne des archives ne pouvait que se développer. Les États ont certes fait preuve de volontarisme dans ce domaine (plusieurs projets en cours promettent la numérisation prochaine des archives de la Première Guerre mondiale et du passé colonial) mais le mouvement n'est visiblement pas assez rapide et il donc relayé par des initiatives privées ou associatives.

Le titre du site est donc particulièrement bien pensé puisqu'il ne prétend pas réellement construire une histoire de la Guerre d'Algérie mais bien une compilation de documents permettant d'étudier LES différentes mémoires du conflit. La coopération entre deux médias, l'un français et l'autre algérien, est également à souligner.

 

Les antécédents sont d'ailleurs visibles autour ce projet. La qualité de la mise en page et la simplicité de lecture sont un atout non négligeable. En seulement quelques clics, il est possible de sélectionner un lieu (sur une carte) ou une date (sur une frise chronologique) afin de consulter tous les documents relatifs à un évènement précis.

Les archives sont ensuite introduites par une notice très détaillée présentant un résumé, l'auteur, la source, le type de document, le pays d'origine, les villes, les dates et les noms cités ainsi qu'une liste de mots-clefs permettant d'étendre la recherche.

On retrouve dans cet outil le professionnalisme des contributeurs d'OWNI qui est un spécialiste du datajournalism utilisant à profit les compétences "des développeurs, des designers et des “best practice” du web social".

La forme ne dissimule cependant pas quelques limites de fond. Ainsi, l'historien sera surpris de lire que la source indiquée dans la notice du bulletin interne de la Wilaya III (unité territoriale militaire) est "archive militaire". Où est-elle physiquement archivée ? Dans quel centre ? A quelle référence ? Rien de tout ceci n'est indiqué et empêche le lecteur érudit d'aller vérifier lui-même la source.

 

Dernier point qui pose question : la présentation du site indique que "de nouveaux documents seront régulièrement ajoutés jusqu’au 5 juillet, date de l’Indépendance algérienne". Doit-on dès lors comprendre qu'une entreprise aussi ambitieuse prendra fin dans seulement quelques semaines ? Pourquoi ne pourrait-elle pas perdurer dans le temps, justement nécessaire à la collecte sérieuse et abondante de documents ? Doit-on y voir les limites d'un projet privé qui, s'il permet de répondre rapidement et efficacement à une demande sociale, disparaît aussi vite des écrans que l'actualité (et les recettes publicitaires) ne l'imposent.

Le temps médiatique n'est décidément pas celui de l'histoire...

 

Pour plus d'informations sur la philosophie du projet, lire l'article des Dernières Nouvelles d'Algérie.

 

Actualisation du 30 avril 2012 :

Une initiative similaire aux ambitions bien plus larges vient d'apparaître sur la toile : HistoGraphe.

Encore une fois, les mêmes limites apparaissent : certes, le site répond à une volonté d'édition et de diffusion louable des ressources archivistiques. Cependant, quid des règles déontologiques de fonctionnement du site ; quid des questions dinancières... alors que ce site propose une inscription "Premium" à 60 euros l'année !!!

Après le patrimoine culturel architectural, n'assiste-t-on pas à une véritable offensive marchande sur le patrimoine archivistique ?

 

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19 mars 2012 1 19 /03 /mars /2012 12:03

 

 Le cinquantenaire de la signature des Accords d'Evian conduisant à la fin de la Guerre d'Algérie a été célébré dans une très grande discrétion en France. Aucun communiqué de presse de la part de l'Elysée. Aucun communiqué de presse non plus de la part du ministère de la Défense et des Anciens Combattants à l'exception d'une réaction tardive du secrétaire d'Etat Marc Laffineur condamnant la profanation deux jours plus tôt à Grigny dans l’Essonne d'une stèle commémorative du 19 mars 1962

 

Malgré ce désintérêt flagrant (et réfléchi) des politiques, certains journalistes et historiens ont essayé de briser l'omerta pour que cette commémoration ne soit pas totalement enterrée. Plusieurs articles de qualité ont été proposés. J'aimerais plus particulièrement faire partager aux lecteurs de ce blog celui de Benjamin Stora dans Le Monde qui se rapproche le plus des thématiques que nous développons ensemble sur cet espace d'échanges et de réflexion :  Algérie-France, mémoires sous tension.

 

Dans ce très bel article, l'historien nous rappelle les principales étapes de la construction mémorielle de la guerre d'Algérie dont j'ai sélectionné quelques dates importantes ci-dessous :

   - années 1990 : ouverture progressive des archives françaises autour du conflit. 

   - 1999 : vote à l'Assemblée nationale de la reconnaissance officielle de la guerre en Algérie.

   - 2003 : année de l'Algérie en France, qui permet un rapprochement symbolique entre les deux pays.

   - 2004 : édition de l'ouvrage collectif dirigé par Benjamin Stora et Mohammed Harbi : La guerre d'Algérie, fin de l'amnésie.

 

Guerre-d-Algerie-la-fin-de-l-amnesie.jpg

 

   - 23 février 2005 : loi adoptée à l'Assemblée nationale qui évoque les "bienfaits d'une colonisation positive" (article 4)

   - janvier 2006 : le président de la République Jacques Chirac décide d'abroger l'article 4 de la loi mentionnée ci-dessus.

   - 8 février 2007 : le maire de Paris, Bertrand Delanoë, inaugure une place à la mémoire des "martyrs de Charonne".

   - décembre 2007 : discours de Nicolas Sarkozy à Constantine qualifiant le système colonial d'"entreprise d'asservissement et d'exploitation" (en contradiction totale avec ses précédents discours sur le refus de la repentance). 

 

L'analyse de Benjamin Stora permet de comprendre les enjeux géopolitiques, électoraux et économiques qui ont parfois primé sur les enjeux culturels, scientifiques et mémoriels, comme en 2007 où le secrétaire d'Etat à la Défense et aux Anciens Combattants est venu inaugurer un "mur des victimes du FLN" à Perpignan au moment où la France négociait d'importants contrats d'approvisionnement en pétrole et gaz avec l'Algérie.

 

Cet article permet également de mieux comprendre la frilosité des hommes politiques (quels qu'ils soient) à commémorer les Accords d'Evian. Les mémoires de la Guerre d'Algérie sont en effet encore très cloisonnées entre les anciens Européens d'Algérie et les immigrés algériens qui ont choisis d'autres dates plus significatives pour leurs communautés mémorielles respectives.

 

En cette période électorale où chaque candidat veille à préserver la susceptibilité de tous les électeurs, aucun n'a osé siffler la fin du match pour tenter de rassembler.

Il est fort probable qu'une fois l'élection terminée, le nouveau président de la République, investi de l'autorité du suffrage universel, accepte plus facilement de remplir cette mission. C'est pourquoi nous resterons attentif sur ce sujet jusqu'à la fin de l'année 2012.

 

 

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6 mars 2012 2 06 /03 /mars /2012 11:47

 

A défaut de grandes cérémonies commémoratives, la dynamique mémorielle impulsée par l'effet "cinquantenaire" se propage dans les domaines éditoriaux et dans les évènements universitaires. Nous reproduisons ci-dessous deux appels à communications dont les problématiques promettent des échanges particulièrement intéressants.

 

 

Mémoires algériennes en transmission : histoires, narration et performances postcoloniales

 

La colonisation et la guerre d’Algérie incarnent deux moments centraux de l’engouement mémoriel contemporain et s’inscrivent dans le rapport présentiste à un héritage historique dont l’écriture n’a pas su ou n’a pas encore pu trouver une expression apaisée et dépassionnée qui caractérise nos sociétés. Exemplaires à plus d’un titre, ces chronotopes mémoriels ne sont pas seulement associés aux guerres de mémoire (Liauzu 2000 ; Stora, 2010) et aux relations difficiles que les sociétés entretiennent avec leur passé et leur présent. Ils fournissent aussi une clé de lecture de la dialectique des affrontements, des tensions et des ajustements anachroniques que le passé produit dans le présent. Ils démultiplient mais surtout transnationalisent les figures du témoin, de la victime, et dans une moindre mesure celle du bourreau, ainsi que leurs narrations et leurs revendications. La mise en écriture des expériences passées relève ainsi d’une entreprise de pacification mémorielle instable, voire chimérique.

 

En France, la pluralité passionnelle des points de vue a fait l’objet, depuis les travaux pionniers de B. Stora (1991), d’un intérêt foisonnant de la part d’historiens, sociologues et anthropologues, engagés d’une part à retracer la parabole des mémoires algériennes dans l’espace public et médiatique français (Harbi, Stora, 2004) et d’autre part à relever les rapports complexes qu’elles entretiennent au sein du récit national et des relations franco- algériennes (Branche, 2005; Bucaille, 2010). Les recherches menées s’attachent principalement à retracer les généalogies collectives et familiales (Baussant, 2002 ; Fabbiano, 2011 ; Dosse, 2012), à discuter les usages publics et politiques des mémoires collectives (Savarese, 2008), les exigences de reconnaissance (Bancel, Blanchard, 2008 ; Thénault, 2005) avancées par les différents groupes (essentiellement harkis, pieds-noirs, immigrés, anciens combattants français et algériens, militants politiques...), les interrogations que l’enseignement de l’histoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie soulèvent (Falaize, 2010). L’(im)possibilité d’une écriture franco-algérienne de l’histoire (Dayan Rosenman, Valensi, 2004), l’éclatement des lieux et des récits de mémoire en Méditerranée (Crivello, 2010), les frictions autour de la commémoration et de la célébration des groupes de mémoire qui butent sur une narration partagée et ne s’accordent pas sur les dates à retenir, les tentatives maladroites d’institutionnalisation de la mémoire nationale de la colonisation sont encore d’autres dimensions mises en lumière.

 

Dans le cadre du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, ce colloque se propose de croiser les regards algérien et français autour de la pluralité des mémoires algériennes : pieds- noirs, juifs, harkis, tsiganes, émigrés, immigrés, anciens combattants – appelés, réservistes et engagés – messalistes, militants du FLN, militants politiques – chrétiens libéraux, communistes, socialistes, berbéristes – militants de la droite extrême – OAS, courants politiques Algérie française. L’objectif est de déplacer la réflexion du terrain hypermédiatisé et événementiel des revendications politiques à celui des transmissions intergénérationnelles et des recompositions mémorielles d’acteurs anonymes, héritiers d’un passé dont ils deviennent les témoins indirects. Le dialogue de chercheurs d’horizons différents (histoire, sociologie, anthropologie, sciences politiques, géographie, littérature, visual studies, colonial et postocolonial studies) contribuera, dans une perspective transdisciplinaire, à cartographier des deux côtés de la Méditerranée les mouvements et les singularités des narrations mémorielles des nouvelles générations ainsi que, le cas échéant, leurs points de contact ou de friction avec les récits collectifs (locaux, nationaux, transnationaux) véhiculés dans l’espace public et dans les univers associatif et artistique. En discutant et en historicisant les rapports ambigus et postcoloniaux entre mémoire individuelle et mémoire collective, il s’agira dès lors d’aller au-delà d’une approche essentialisée de la mémoire collective en tant que réalité aux traits autonomes pour s’intéresser aux individualités qui la façonnent et à leur travail d’arrangements, d’agencements, de branchements à chaque fois dynamique et sans cesse renouvelé. Relever le caractère dialectique, anachronique, hybride et parfois contradictoire des discours mémoriels des acteurs permettra de renouveler l’approche des mémoires collectives algériennes, en mettant à l’épreuve la lecture uniforme et cloisonnée qui en est donnée.

 

Les communications attendues présenteront des recherches avancées ou en cours sur les enjeux de la transmission intergénérationnelle et de l’appropriation de la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie de la part des descendant-e-s des acteurs historiques. Elles pourront s’inscrire dans une des thématiques, non limitatives, indiquées ci-dessous et seront attentives à mettre en perspective les narrations mémorielles individuelles et les situations collectives de production et performance.

 

- Les contextes mémoriels

La transmission et la narration mémorielles des acteurs ne sauraient se comprendre en dehors de la gestion mémorielle française et algérienne, qui oppose une situation d’aphasie à un détournement épique hypercélébré. Dans quelles mesures les modalités de transmission et d’appropriation du passé au sein des familles, des générations et des fratries se révèlent-elles imprégnées par ce paradoxe de l’expérience historique ? Et comment la mise en récit du passé restitue, le cas échéant, la plasticité offusquée par la réécriture cristallisée de l’histoire de part et d’autre de la Méditerranée ?

 

- Les généalogies mémorielles

La narration mémorielle de la période coloniale n’est pas indépendante de la relation plus extensive que les acteurs entretiennent au passé familial et collectif, à sa profondeur historique, à ses blessures ainsi qu’à sa transmissibilité. A partir de récits assez souvent fragmentaires, comment les héritiers du système colonial construisent le regard qu'ils portent sur l’histoire et plus particulièrement sur le moment de la guerre ? Quelles sont les sources qu'ils privilégient et qu'ils mobilisent ? Comment se structurent des trajectoires mémorielles et quelle place trouvent-elles au sein des prises de parole publiques ?

 

- Les pratiques mémorielles

Au-delà d’une représentation passionnée de mémoires antagonistes qui ravivent les séquelles du passé, des acteurs œuvrent au quotidien pour un dépassement des frontières et des clivages. Comment au sein des mêmes espaces de résidence est-il vécu l’héritage colonial par des individus appartenant à des groupes qui furent en opposition (par exemple : harkis et immigrés algériens, immigrés algériens et pieds-noirs)? Quelle forme est susceptible de prendre, dans le devenir postcolonial, la traduction quotidienne d’un passé assumé par procuration ?

 

- Les performances mémorielles

Les mondes associatif et artistique ont, depuis les années quatre-vingt, joué un rôle important dans le travail de remémoration collective et de transmission des événements liés à la colonisation et à la guerre d’Algérie dans l’espace public. Quels récits ont-il contribué à façonner ? Émerge-t-il une narration partagée par l’ensemble des figures historiques engagées ou au contraire se réaffirme-t-il une vision nationale et qui plus est partielle et partiale qui ne saurait respecter la pluralité des points de vue ? Comment au sein des mises en scène mémorielles sont gérées les questions, parfois épineuses, liées aux espace-temps de la commémoration ?

 

Modalités de soumission

Les propositions de communication ne devront pas dépasser les 400 mots et devront comporter les éléments suivants :

- Titre de la communication

- Auteur

- Appartenance institutionnelle

Date limite de réception des propositions : 10 avril 2012 (acceptation des propositions début mai 2012), à envoyer à Giulia Fabbiano (gfabbiano@hotmail.com)

Dates du colloque : 15 et 16 novembre 2012

Lieu du colloque : MMSH, 5 rue du Château de l’Horloge, Aix-en-Provence

 

Comité d’organisation

GIULIA FABBIANO, Docteure en anthropologie et en sociologie, Postdoctorante EHESS- CADIS, chercheuse associée à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne européenne et comparative, (Idemec) – Université de Provence.

NASSIM AMROUCHE, Doctorant à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne européenne et comparative, (Idemec) – Université de Provence.

ABDERAHMEN MOUMEN, Docteur en histoire, chercheur associé au Centre de recherches historiques sur les sociétés méditerranéennes (CRHiSM) – Université de Perpignan.

 

Comité scientifique

MICHELE BAUSSANT (LESC, Université de Paris 10) ; MARYLINE CRIVELLO, (TELEMME, Université de Provence) ; CLAIRE ELDRIDGE (Université de Southampton, Grande-Bretagne) ; GILLES MANCERON (LDH, Paris) ; AMAR MOHAND AMER (CRASC, Oran) ; ABDERRAHMANE MOUSSAOUI (IDEMEC, Université de Provence) ; HASSAN REMAOUN (CRASC, Oran) ; BENOIT FALAIZE (Université de Cergy Pontoise/Cité nationale de l'histoire de l'immigration, Paris).

 

Références bibliographiques sélectives

Liauzu Claude, 2000, « Décolonisations, guerres de mémoires et histoire », Annuaire de l’Afrique du Nord, XXXVII, pp. 25-45.

Bancel Nicolas, Blanchard Pascal, 2008, « La colonisation : du débat sur la guerre d’Algérie au discours de Dakar », in Blanchard Pascal et Veyrat-Masson Isabelle, Les guerres de mémoires. La France et son histoire. Enjeux politiques, controverses historiques, stratégies médiatiques, Paris, La Découverte, pp. 137-154.

Baussant Michèle, 2002, Pieds-noirs, mémoires d’exils, Paris, Stock.

Branche Raphaëlle, 2005, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?, Paris, Seuil.

Bucaille Laetitia, 2010, Le pardon et la rancœur, Paris, Payot.

Crivello Maryline (dir.), 2010, Les échelles de la mémoire en Méditerranée, Arles. Actes Sud.

Dayan Rosenman Anny et Valensi Lucette (dir.), 2004, La guerre d’Algérie dans la mémoire et l’imaginaire, Paris, Bouchene.

Dosse Florence, 2012, Les héritiers du silence. Enfants d’appelés en Algérie, Paris, Stock, 2012.

Fabbiano Giulia, 2011, « Mémoires postalgériennes : la guerre d’Algérie entre héritage et emprunts », in Grandjean Geoffrey et Jamin Gérôme (dir.), La concurrence mémorielle, Paris, Armand Colin, pp. 131-147.

Falaize Benoît (dir.), 2010, « L’enseignement de l’histoire à l’épreuve du postcolonial. Entre histoire et mémoires », in Bancel Nicolas, Bernault Florence, Blanchard Pascal, Boubeker Ahmed, Mbembe Achille, Vergès Françoise (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, pp. 279-292.

Harbi Mohammed, Stora Benjamin (dir.), 2004, La guerre d’Algérie. 1954-2004 la fin de l’amnésie, Paris, Robert Laffont.

Savarese Eric (dir.), 2008, L’Algérie dépassionnée. Au-delà du tumulte des mémoires, Paris, Editions Syllepse.

Stora Benjamin, 1991, La gangrène ou l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte.

Stora Benjamin, 2010, « Entre la France et l’Algérie, le traumatisme (post)colonial des années 2000», in Bancel Nicolas, Bernault Florence, Blanchard Pascal, Boubeker Ahmed, Mbembe Achille, Vergès Françoise (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, pp. 328-343.

Thénault Sylvie, 2005, « France-Algérie. Pour un traitement commun du passé de la guerre d’indépendance », Vingtième Siècle, revue d’histoire, n° 85, pp. 119-128.

 

 

 

Mémoires des migrations et temps de l’histoire

 

Depuis une trentaine d’années, les mémoires sont devenues omniprésentes dans l’espace public, et un objet d’étude pour l’histoire et les sciences sociales. Dans cet ensemble, les migrants occupent une place singulière. En France, ils ont été acteurs de ces mobilisations mémorielles, sans toujours le faire au nom de leurs origines. Dans le champ scientifique, des études portant sur les mémoires des migrations ont déjà permis d’éclairer un groupe ou un événement, mais leur historicisation reste encore largement à définir et à explorer.

 

L’approche par les mémoires des migrations permet d’envisager l’émigration et l’immigration, mais aussi les différentes catégories de migrants quel que soit leur statut. Par ailleurs, elle pose comme hypothèse la pluralité des mémoires selon les groupes, les motifs et les conditions de départ, les espaces d’installation, les époques. Enfin, elle laisse ouverte la définition de ce qui fait mémoire, par-delà l’expression des souvenirs individuels.

 

La première série de questionnements renvoie à la place des migrations dans cette résurgence des mémoires. Quelles mémoires des migrations s’expriment ici ? Comment s’articulent-elles à l’évolution générale du rapport au passé ? Est-ce qu’elles ressortent, comme ailleurs, d’une revendication de reconnaissance, voire de réparation ? Si on les confronte aux autres mobilisations mémorielles, est-ce qu’elles portent une temporalité singulière ? Des modalités d’expression et de transmission différentes ?

L’expression au présent de ces mémoires ne peut se comprendre sans être replacée dans un processus de plus longue durée, au cours duquel le rapport au passé a revêtu des formes différentes, qu’il s’agira également de saisir.

Mais au-delà de ces mobilisations contemporaines, il convient de réfléchir plus généralement au rôle tenu par la mémoire dans l’histoire des migrations depuis le XIXe siècle, notamment dans la formation des identités de groupe et dans la constitution de réseaux transnationaux et diasporiques.

 

Nous proposons de nourrir la réflexion autour de cinq axes, dont les frontières sont évidemment poreuses.

 

• Événement, temporalités et transmission

Le concept de génération constitue une interrogation centrale. Comment s’opère la transmission d’une génération à l’autre ? Dans le domaine des engagements, la mémoire fonctionne-t-elle comme un palimpseste, chaque génération imposant une mémoire qui efface les précédentes ? Est-ce qu’elle procède, à l’inverse, de l’héritage, chaque combat se nourrissant de ceux qui l’ont précédé ? Comment le passage de la génération de l’expérience à celles qui n’ont pas vécu l’événement, transforme la mémoire ? Enfin, on s’interrogera sur les transmissions d’une vague migratoire à l’autre : les groupes les plus récents élaborent-ils des pratiques mémorielles fondées sur celles de groupes mieux établis ? Il faudra sans doute distinguer les transmissions liées aux mobilisations en migration, de celles qui relèvent de son expérience intime. Dans ces transferts générationnels, la famille occupe-t-elle une place centrale ? Il peut paraître utile de reprendre ici la notion de « post-mémoire », définie par Marianne Hirsch dans le cadre des mémoires de la Seconde Guerre mondiale et de l’extermination des Juifs, pour l’élargir aux migrations. Enfin, on essaiera de réfléchir, dans une perspective comparatiste, au rapport à la mémoire des différentes vagues migratoires.

 

• Territoires géographiques, espaces sociaux, mobilités et jeu d’échelles

La construction et la circulation des mémoires peuvent aussi être approchées, à travers les territoires géographiques et les espaces sociaux.

Il s’agira d’abord de réfléchir à la pertinence du cadre national et de varier les échelles, du local à l’international, au transnational et aux diasporas. On pourra aussi décentrer les regards et étudier les mémoires à partir des pays d’origine, y compris celles des migrants qui sont rentrés.

La réflexion autour d’une géographie mémorielle peut nourrir d’utiles comparaisons. Le rapport à la mémoire, son expression dans l’espace public, les « politiques symboliques » ont-elles, dans les pays d’origine et dans les sociétés d’accueil, des points de convergence ou plutôt des spécificités nationales ?

La problématique des mobilités ouvre des pistes pour aborder le rôle, dans la construction des mémoires, de tout ce qui circule : les femmes et les hommes bien sûr, mais aussi les photographies, les correspondances ou les journaux intimes, ce qui renvoie à la question des sources. La multiplicité des lieux et des milieux en jeu impose aussi de réfléchir aux « frontières » entre les différents espaces sociaux des mémoires : espaces privés et familiaux, espaces publics ou semi-publics (les associations, le bal, les cafés, les foyers, etc.). Il s’agira de regarder comment s'y manifestent les processus mémoriels et ce qui relève, ou non, d'une spécificité des mémoires des migrations.

 

• Identités et multi-appartenances

Les mémoires des migrants ne peuvent se penser en référence au seul fait migratoire. Il nous paraît important de les confronter au cadre théorique élaboré dans l’entre-deux-guerres par Maurice Halbwachs, y compris dans ses évolutions, et de voir quels rôles respectifs jouent dans la construction des mémoires de migrants, la migration mais aussi d’autres appartenances : politique, territoriale, religieuse, sociale ou de genre. Ces mémoires sont en effet à penser comme un processus d’interactions entre l’individu et le groupe, mais aussi entre les différents groupes sociaux. On pourra également mettre en regard le rôle des mémoires dans les constructions identitaires, et la valeur que leur accordent les sociétés d’accueil. À titre d’exemple, l’identité européenne permet désormais aux migrants originaires de l’Union des appartenances multiples, posture souvent refusée aux migrants extra-européens.

 

• Politiques symboliques et patrimonialisation

Depuis les années 1980, les politiques symboliques ont répondu à des mobilisations mémorielles, dans le champ des migrations et ailleurs, suscitant en retour d’autres initiatives. Les pouvoirs publics participent ainsi au jeu des constructions mémorielles, qu’ils peuvent activer, soutenir, mais aussi empêcher, notamment par le bais des politiques culturelles et des financements. Quels sont les processus de reconnaissance possibles, et à l’œuvre, pour les mémoires de migrations ? Les pouvoirs publics se préoccupent-ils de mémoire ou d’une gestion du fait minoritaire ? L’Union européenne exerce-t-elle une influence particulière, à travers ses subventions et la définition d’enjeux qui dépassent le cadre national ?

Quel rôle tient la patrimonialisation, et selon quelles formes, dans le processus de reconnaissance ? Poser cette question renvoie à d’autres interrogations : quel rôle est dévolu aux migrants, et quel rôle revendiquent-ils ? On s’intéressera notamment aux musées dans leurs différentes formes, et à la création artistique confrontée aux mémoires, à leur usage, à leur médiation et à leur réception.

 

• Historiens de l’immigration et mémoires des migrations

Les débats historiographiques des dernières décennies ont permis de réfléchir au rôle du témoin et de la mémoire dans l’écriture du passé. Ils ont aussi tourné les regards vers l’histoire de ceux qui laissent peu de traces dans les archives, faisant ainsi émerger une réflexion sur les sources et sur d’autres manières d’écrire l’histoire.

À l’intersection de ces évolutions, il semble utile d’analyser la place qu’occupent les mémoires dans les travaux des historiens et dans les débats historiographiques sur les migrations.

 

 

Organisation du colloque

Envoi et choix des propositions

Les propositions de communication doivent être envoyées en français ou en anglais (fichier attaché en format word ou rtf).

Elles comporteront un titre et un résumé d’environ 3000 signes (450 mots), les coordonnées complètes de l’intervenant (nom, prénom, fonction et rattachement institutionnel, courriel, adresse postale du domicile, téléphone) et une courte biographie.

Le texte définitif des communications devra être envoyé trois semaines avant le colloque pour être transmis aux discutants.

Plusieurs types de propositions seront plus particulièrement appréciées : celles privilégiant une analyse dans le temps long de l’histoire, celles prenant en compte les mobilités entre espaces sociaux ou géographiques, celles enfin développant une perspective comparative entre pays d’origine ou pays d’accueil.

Dans ce colloque à vocation interdisciplinaire, les propositions intégrant une réflexion épistémologique seront les bienvenues.

Une attention particulière sera apportée aux propositions des doctorant(e)s et des jeunes chercheurs et chercheuses.

Adresse courriel

colloquememoires@histoire-immigration.fr

 

Calendrier

Date limite d’envoi des propositions : 25 mars 2012

Choix définitif des propositions par le comité scientifique : début mai 2012

Réception des textes des communications : 31 octobre 2012

 

Déplacements

Les frais de voyage et d’hôtel sont pris en charge par les organisateurs du colloque. L’organisation sera précisée aux intervenants retenus au mois de juin.

 

Comité scientifique

Marianne Amar (Cité nationale de l’histoire de l’immigration), Michèle Baussant (Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, Université Paris Ouest Nanterre La Défense), Hélène Bertheleu (Université de Tours, CITERES), Yvan Gastaut (Université de Nice Sophia Antipolis, Urmis), Nancy L. Green (EHESS, Centre de recherches historiques), Jim House (University of Leeds), Tony Kushner (University of Southampton), Marie-Claire Lavabre (Institut des sciences sociales du politique, Université Paris Ouest Nanterre La Défense), Sabina Loriga (EHESS, Centre de recherches historiques), Denis Peschanki (Centre d’histoire du XXe siècle, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), Laure Pitti (Université Paris 8, CSU-CRESPPA), Henry Rousso (Institut d’histoire du temps présent), Scott Soo (University of Southampton), Laure Teulières (Université Toulouse-Le Mirail / FRAMESPA).

 

Partenariats

Le colloque est organisé par la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, en partenariat avec les laboratoires Framespa (CNRS / Université Toulouse II-Le Mirail, UMR 5136) et Citeres (CNRS / Université de Tours, UMR6575)

 

 

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2 mars 2012 5 02 /03 /mars /2012 10:49

 

A l'approche du 19 mars censé commémorer le cinquantenaire du cessez-le feu officiel de la guerre d'Algérie, les débats et les positions se crispent autour des enjeux de la commémoration d'un conflit dont les mémoires ne semblent toujours pas apaisées sur les deux rives de la Méditerranée.

Nous poursuivons donc notre réflexion sur les enjeux de cette construction mémorielle à la lueur des derniers rebondissements de l'actualité éditoriale et politique.

 

Un coordinateur général tardif et discret

C'est le 23 octobre 2011 que le président de la République Nicolas Sarkozy a nommé Hubert Colin de Verdière au poste de coordinateur général des commémorations du cinquantenaire de la guerre d'Algérie.

Ancien ambassadeur de France en Algérie, ce dernier bénéficie d'une aura et de réseaux indispensables pour éviter de froisser les susceptibilités de l'autre côté de la Méditerranée. Ses qualités de diplomates ont visiblement pesé dans la balance face à Claude Bébéar, actuel dirigeant de la jeune Fondation pour la mémoire de la Guerre d'Algérie qui n'a toujours pas de site Internet et dont le fonctionnement et les activités restent très discrètes, voire floues.

 

De la même façon, l'organisation des commémorations reste modeste, voire transparente, en ce début d'année 2012. Tout se passe comme si les autorités publiques essayaient d'éviter toute forme de polémique jusqu'aux élections présidentielles. Ainsi, l'exposition préparée pour le musée de l'Armée intitulée "L'Algérie à l'ombre des armes" a-t-elle été repoussée du 26 mars au 16 mai, soit exactement après le second tour de l'élection. Idem pour le projet de transfert des cendres du colonel Bigeard aux Invalides.  La pression populaire a été trop forte et le projet a finalement été mis sous silence... jusqu'à quand ?

 

Dès lors, à défaut de cérémonies officielles en présence des représentants politiques, ce sont les médias qui prennent le relais : des dizaines d'émissions de radio, de documentaires télévisés, de colloques, d'exposition et de livres sont prévus progressivement tout au long de l'année. L'Etat ne serait cependant pas totalement absent de cette communication mais tenterait de rester discret. Selon plusieurs rumeurs, Rémy Pfimlin, patron de France Télévisions nommé par le pouvoir exécutif, ferait partie de l'équipe visant à organiser cette commémoration. Dans ces conditions, faut-il s'étonner de l' inflation des programmes étrangement centralisés sur les chaînes publiques

 

Des mémoires irréconciliables ?

Hélas, aucun site ne permet aujourd'hui de centraliser et d'organiser l'ensemble de ces évènements. On comprend bien le dilemme d'Hubert Colin de Verdière qui, en tant que coordinateur général, est censé donner une certaine cohérence à des manifestations dont les acteurs ne parviennent même pas à s'entendre sur une date symbolique de fin de conflit.

Depuis 1963, la Fédération des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (Fnaca) rend hommage aux victimes des combats en Afrique du Nord le 19 mars de chaque année. Cette date correspond à la signature du cessez-le-feu officiel de la guerre d’Algérie.

Toutes les associations d'anciens combattants ne sont cependant pas d'accord sur ce point. L'Union nationale des Combattants (UNC) par exemple considère que cette date n'est pas acceptable car les victimes ont été plus nombreuses après qu'avant ce cessez-le-feu.

Depuis le décret du 28 septembre 2003, l'Etat a choisi d’honorer la mémoire des victimes françaises des combats en Afrique du Nord à la date anniversaire de l’inauguration du Mémorial construit pour elles, quai Branly à Paris, le 5 décembre 2002.

Memorial-guerre-d-Algerie.jpg

 

Pour l'heure, nous devons reconnaître qu'Hubert Colin de Verdière remplit parfaitement sa mission... à l'exception de l'affaire Guy Pervillé. Ce professeur d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse Le Mirail et l’un des meilleurs connaisseurs français de la Guerre d'Algérie. C'est donc en cette qualité qu'il a été contacté par le directeur chargé des Archives de France afin de rédiger la notice relative à la fin de la guerre d’Algérie dans le  recueil sur les commémorations nationales 2012. Or, si son texte a été accepté après quelques modifications mineures, il a finalement été publié sans sa signature et avec de nombreux et longs passages tronqués concernant le rôle de l'OAS, des enlèvements de Français, des massacres de Harkis, etc.

Profondément choqué par ces pratiques à la déontologie particulière, Guy Pervillé a décidé de protester et de publier sur son site  la version initiale de son texte qu'il considère comme ayant été censurée.

 

Décidément, les historiens ne veulent pas laisser les politiques travailler tranquillement... à moins que ce ne soit l'inverse ?

 

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 13:15

 

Bien que l'actualité soit pour l'instant muette sur le sujet, il ne devrait échapper à personne d'ici quelques semaines que l'année 2012 correspond au cinquantenaire de l'accession à l'indépendance de l'ancienne Algérie française.

Alors que le président de la République a d'ores et déjà commencé à réfléchir  aux commémorations de la Première Guerre mondiale en espérant secrètement pouvoir diriger les cérémonies, il s'est fait beaucoup plus discret sur cette guerre bien plus proche et dont les commémorations auraient pu être organisées sous son mandat actuel.

Quelle meilleure promotion pourtant que d'imaginer à quelques semaines de l'échéance électorale le président en exercice et candidat à sa propre réélection au centre d'une belle cérémonie nationale au cours de laquelle il peut sortir et exploiter à fond la carte du rassembleur populaire au-dessus de ces challengers partisans ?

Le souci, c'est que cinquante ans après la fin du conflit, la guerre d'Algérie divise encore. Les vétérans ne sont pas encore tous disparus, les enfants de l'immigration algérienne s'obstinent à redécouvrir leurs racines et la question des responsabilités nationales refait régulièrement surface (y compris de manière fort malicieuse  dans la bouche du Premier ministre turc Erdogan).

Comment rassembler dans un tel fouillis ? C'était tout de même beaucoup plus facile avec Guy Moquet ! Hélas, dans ce conflit  aussi complexe que tragique, pas la moindre trace d'une jeune et innocente victime capable de réconcilier dans l'émotion les différents partis.

Pourtant, le gouvernement avait mis les moyens : en 2010, le secrétaire d'Etat à la Défense et aux Anciens combattants Hubert Falco avait annoncé la création d'une  Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie dotée d'un budget de 7.2 millions d'euros. Hélas, avant même son lancement, la Fondation était  dénoncée par un collectif d'historiens. Dans la continuité de la loi du 23 février 2005 souhaitant faire reconnaître le "rôle positif" de la colonisation et après la création d'un ministère de l'immigration et de l'idendité nationale, peu d'historiens ont pris le risque de se lancer dans une telle entreprise. D'ailleurs, auraient-ils vraiment pu trouver leur place dans une Fondation qui fait la part belle à la mémoire (supposée unique par l'utilisation du singulier) en taisant le rôle de l'histoire. Deux ans après son lancement, tout ceci ne reste qu'une coquille vide, incapable de soutenir efficacement un projet présidentiel. 

 

Dans ces conditions particulières, il sera particulièrement intéressant d'étudier tout au long de cette année 2012 la nature des commémorations du cinquantenaire de l'indépendance algérienne.

Comment l'UMP (et le président) vont-ils se débrouiller avec un calendrier qui, de toute façon, s'imposera de lui-même dans la campagne électorale ? De quelle nature sera la réplique socialiste ? Doit-on craindre un récupérage du Front National à défaut d'une gestion réfléchie des autres partis ? Eva Joly va-t-elle nous proposer un nouveau jour férié ???

Tant de questions passionnantes que nous souhaitons suivre tout au long de cette année 2012 dans l'esprit de ce blog, c'est-à-dire en l'accompagnant d'une réflexion mémorielle ET historienne. 

Certaines maisons d'édition et de production nous ont déjà fait parvenir des ouvrages et documentaires que nous présenterons régulièrement en complément d'un traitement de l'actualité autour de cette thématique (une catégorie spécifique vient d'être créée à cet effet). 

 

Les festivités seront lancées dès le 8 février 2012 où un rassemblement sera organisé du métro Charonne jusqu'au Père Lachaise pour commémorer la manifestation pacifique du 8 février 1962 au lendemain des attentats de l'OAS. Le rassemblement avait été réprimée dans le sang : neuf participants y avaient trouvé la mort et des dizaines d'autres avaient été blessés.

 

 

Tout comme en 1982, la manifestation de 2012 prendra des allures politiques puisque ce sont les syndicats qui avaient appelé au rassemblement et qui commémorent encore aujourd'hui ce tragique évènement réprimé violemment par le pouvoir politique en place.

Comme pour les commémorations du 17 octobre 1961, il est fort peu probable d'y apercevoir un représentant du gouvernement actuel... tandis que les opposants s'y succéderont toute la journée.

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