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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Cherche La Pépite

29 décembre 2013 7 29 /12 /décembre /2013 15:05
Guide pratique des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale

Franck DAVID, Comprendre le monument aux morts, Lieu du souvenir lieu de mémoire, lieu d’histoire, Paris, Editions Codex et Ministère de la Défense – DMPA, 2013.

 

 

En quelques dizaines de pages, Franck DAVID propose au lecteur une synthèse très pratique pour mieux regarder et comprendre les monuments aux morts qui peuplent la plupart des 36 000 communes françaises en déchiffrant « les codes et les signes [qui] ne nous parlent plus autant qu’hier à leurs contemporains » (p. 23).

Près d’un siècle après leur apparition dans le paysage urbain comme rural, la pierre fatiguée ne bénéficie généralement plus que d’un rare regard délaissé. Absents des brochures et de la plupart des guides touristiques, ils sont également oubliés des lieux mis à l’honneur lors des journées du patrimoine. Et pourtant, ils restent dressés, fiers, obstinés et dotés d’une valeur qu’aucun ne saurait contester. D’ailleurs, il n’est pas anodin de remarquer qu’ils sont généralement épargnés par le vandalisme.

Franck David explique cette persistance par l’essence même du monument aux morts, hommage à des individus qui permettent de lier le destin d’une communauté locale à l’histoire nationale. Si cette pratique se généralise à l’issue de la Première Guerre mondiale, elle apparait progressivement au cours du XIXe siècle, simultanément aux États-Unis pour honorer les soldats tombés lors des guerres indiennes dans les années 1840 et en France avec la colonne de Juillet sur la place de la Bastille à Paris qui rassemble les noms des émeutiers de juillet 1830.  Mais ce n’est qu’avec la Première Guerre mondiale et l’immensité des pertes humaines que l’État et les communes décident d’assurer à leurs disparus « la survivance du souvenir individuel dans la mémoire collective » (p. 27), permettant ainsi à la communauté locale de renforcer son sentiment d’intégration dans l’histoire nationale.

 

Après avoir situé le contexte général d’érection des monuments aux morts en France, l’auteur propose quelques éléments de réflexion permettant d’en comprendre les principales logiques et débats au moment de leur construction. Ainsi, le positionnement au sein de la commune peut être révélateur de choix politiques contemporains : placé à côté de la mairie, le monument insiste sur la dimension républicaine de l’hommage aux morts pour la France ; à côté de l’église, il témoigne d’un ancrage religieux persistant malgré la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 ; enfin le positionnement au sein du cimetière place plutôt le deuil dans le domaine de l’intime.

Franck David propose également une grille de lecture symbolique qui permet d’analyser pratiquement tous les monuments aux morts de France par l’intermédiaire des éléments végétaux, des ornements militaires, des symboles funéraires, des mentions à la République ou encore des mentions religieuses.

La représentation du Poilu n’est pas non plus anodine, qu’il soit peint en soldat protecteur ou bien en farouche combattant, vivant ou mort, héros victorieux ou victime. Parfois, il est également accompagné d’une figure féminine, représentant tantôt la victoire, tantôt la Patrice, parfois même la Nation sous les traits de Jeanne d’Arc. Sinon, la femme est le plus souvent une mère ou une veuve éplorée venant se recueillir sur la tombe du défunt fils ou mari.

Guide pratique des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale

Réalisé par Aristide Maillol qui était originaire du pays, le monument aux morts de Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) était initialement placé sur un rocher à la sortie du port avant d’être déplacé près de la mairie. La composition en triptyque renvoie aux retables des églises. Au centre, le corps nu de l’homme exalte la force et la vigueur, mais contraste avec le casque censé le protéger et l’épée posée sur le sol qui donnent une impression de grande vulnérabilité. Les femmes qui l’encadrent pleurent.

 

 

Outre la représentation picturale, ce sont a priori les noms des morts qui sont au centre du monument. Franck David rappelle qu’à défaut d’un rapatriement systématique, qui était d’ailleurs souvent impossible, « le monument représente donc la seule référence explicite au défunt […]. A défaut d’honorer leurs restes, le monument célèbre leur geste » (p. 61). Dans un premier temps, la loi du 25 octobre 1919 prévoit d’inscrire ces noms sur des registres déposés au Panthéon puis sur un livre d’or remis par l’Etat à chaque commune. Ce n’est que dans un second temps que les municipalités vont s’emparer de ce recensement comme base pour les monuments aux morts.

 

Faute de pouvoir constituer une synthèse exhaustive, l’ouvrage propose donc une sorte de guide pratique et pédagogique permettant d’étudier l’histoire du monument aux morts de sa commune à l’image de ce que proposait également le cabinet d’ingénierie mémorielle En Envor. Il est ainsi possible de reconstituer l’histoire derrière les noms gravés dans la pierre à partir du site Mémoire des hommes qui rassemble notamment les journaux des marches et opérations.

Mais si l’auteur encourage les citoyens français à participer à l'écriture de leur histoire locale et nationale à partir des monuments aux morts, il propose également de façon plutôt audacieuse de ne pas tomber dans une forme de sanctuarisation de ces lieux de mémoire. Il affirme au contraire que « s’il convient de conserver l’engagement initial de l’Etat à perpétuer la mémoire, les contemporains ont aussi à transformer et/ou transcender la composition initiale pour lui éviter l’obsolescence » (p. 84). Les artistes et les citoyens sont donc invités à s’emparer du contexte du Centenaire de la Grande Guerre et de la nécessité de rénover la plupart des monuments aux morts pour actualiser, dépoussiérer et moderniser ces monuments dont les codes de lecture rassemblés et expliqués dans cet ouvrage tombent progressivement en désuétude.

 

La présence de nombreuses illustrations issues des collections personnelles de l’auteur n’est pas un des moindres atouts de ce petit ouvrage. On peut néanmoins regretter l’absence d’analyses détaillées de certains monuments cantonnés à une stricte valeur illustrative. Il est également frustrant de voir les monuments aux morts de la Grande Guerre construits hors des frontières dans les colonies relégués à quelques lignes en fin d’ouvrage alors que leur construction (puis leur destruction, déplacement, abandon, ou maintien au cours du XXe siècle) pourrait à notre avis faire l’objet d’un chapitre indépendant, si ce n’est d’une étude à part entière. Comme le précise cependant Franck David à l’issue de son ouvrage : « le sujet n’est pas clos, il est à peine esquissé » et nous espérons donc pouvoir lire prochainement d’autres études aussi passionnantes sur les « mémoires de pierre ».

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31 octobre 2013 4 31 /10 /octobre /2013 08:58

 

Dernière mise à jour le 29 décembre 2013

Cette bibliographie est organisée par thématiques, puis par année d'édition. Il est également possible de faire une recherche par auteur ou par mot-clef en utilisant le moteur de recherche du site.

Elle s'enrichit régulièrement à partir des lectures et recherches des rédacteurs de ce site, des propositions de ces lecteurs et des ouvrages que les maisons d’édition nous font régulièrement parvenir.

Chaque référence est accompagnée d’un bref résumé et de liens vers d’éventuelles recensions disponibles en ligne.

Lorsque l’ouvrage nous est envoyé en Service de Presse, il fait l’objet d’une recension plus précise sur une page indépendante (exemple).

 

Les régimes d’historicité

 

Reinhart Koselleck, Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, traduit par Jochen Hoock et Marie-Claire Hoock, Éditions de l’EHESS, 1990, 334 p.

Traduction d’un ouvrage publié en 1979 en Allemagne. Il s’agit d’un ouvrage de réflexion sur la perspective historique, au croisement de l’histoire conceptuelle et de l’histoire sociale.

Recension par Jacques Guilhaumou dans Annales (ESC), numéro 6, volume 46, 1991, pp. 1499-1501.

Reinhart Koselleck, L'Expérience de l'histoire, Gallimard, Le Seuil, 1997, 47 p.

L’historien poursuit sa réflexion sur l’histoire du concept d’Histoire en lien avec les questions sociales, linguistiques, judiciaires et mémorielles.

Recension par François DOSSE dans Vingtième siècle, numéro 59, volume 59, 1998, pp. 201-202.

François Hartog, Régimes d’historicité, Présentisme et Expériences du temps, Paris, Le Seuil (coll. « La Librairie du XXIe siècle »), 2003 [Edition augmentée, 2012]

Ouvrage de référence sur la question des régimes d’historicité, c’est-à-dire  la manière dont les sociétés humaines appréhendent et se pensent en fonction du temps.

Recension par Claude Dubar, dans Temporalités, 2, 2004.

Recension par Bertrand Lessault dans L'orientation scolaire et professionnelle, 33/3, 2004.

Recension par Sébastien Fournier dans Culture & Musées, numéro 4, 2004, pp. 128-133. 

François Hartog,  « Régimes d'historicité » (avec G. Lenclud), L'état des lieux en sciences sociales, textes réunis par A. Dutu et N. Dodille, Institut français de Bucarest, L'Harmattan, Paris 1993.

François Hartog,  « Régimes d’historicité », in Sylvie Mesure et Patrick Savidan (eds.), Dictionnaire des sciences humaines, Paris, PUF, 2006, p. 980-982.

François Hartog,  « Sur la notion de régime d’historicité. Entretien avec François Hartog », in Christian Delacroix, François Dosse et Patrick Garcia (dirs.), Historicités, Paris, La Découverte, 2009, p. 133-149.

Les articles ci-dessus sont des travaux de synthèse ou d’approfondissement des réflexions de François Hartog sur les régimes d’historicité

Ludivine Bantigny et Quentin Deluermoz (dir.), « Historicités du 20e siècle. Coexistence et concurrence des temps », in Vingtième Siècle, Revue d’Histoire, numéro 117 - janvier-mars 2013.

Ce numéro propose un bilan historiographique de la notion d’historicité, tout en proposant ensuite des études de cas précises sur le nazisme, la construction européenne, les guerres…

Recension par Joël Drogland sur la Cliothèque.

Lire la revue en ligne.

 

Les usages politiques du passé

 

François Hartog,  (en coll. avec J. Revel), Les usages politiques du passé, Paris, Editions de l’EHESS, 2001.

Ensemble de contribution diverses d’un point de vue géographique et chronologique visant à montrer que l’histoire est de plus en plus sous la pression de la justice, des médias, de l’opinion publique, de l’autorité publique, etc.

L’ouvrage est disponible en téléchargement gratuit et légal.

Recension par Pascal Payen dans L’Homme, numéro 165, janvier-mars 2003.

Recension par Henriette Asseo dans Annales (Histoire, Sciences Sociales), numéro 1, 2002, pp. 209-211. 

Seuil, 2013Sylvain Venayre, Les Origines de la France - Quand les historiens racontaient la nation, Paris, Seuil, collection L’Univers historique, 2013.

Une généalogie de la contribution des historiens dans la construction d’une identité nationale française à travers la recherche de ses origines. Cet ouvrage est également une réflexion sur le long terme à propos de la place et du rôle des historiens dans les usages politiques du passé.

Une recension par Joëlle Dusseau sur Histoire@Politique.

Une recension par Reine-Claude GRONDIN sur la Cliothèque.

Une recension par Thomas Lepeltier sur Sciences Humaines.

Une présentation de l’ouvrage sur France Culture.

 

 

Le "devoir de mémoire"

 

Olivier Lalieu, « L’invention du devoir de mémoire », Vingtième Siècle, n°69, 2001, pp. 83-94.

Un des premiers articles français consacré à cette question qui permet de mesurer l'ampleur des avancées historiographiques dans ce domaine en seulement quelques années. 

Sébastien Ledoux, Le "devoir de mémoire" à l’école. Essai d’écriture d’un nouveau roman national, Sarrebruck, Éditions universitaires européennes, 2011.

Sébastien Ledoux, « Écrire une histoire du devoir de mémoire », dans Le Débat, numéro 170, mai-aout 2012, p. 175-185.

Sébastien Ledoux, « Enjeux d’une écriture historienne du devoir de mémoire », site du Comité de Vigilance face aux Usages Publics de l’Histoire (CVUH), avril 2013.

Sébastien Ledoux, « “Devoir de mémoire” : The Post-colonial Path of a Post-national Memory in France », National Identities, Routledge, mars 2013.

Sébastien Ledoux et Ewa Tartakowsky, « Enjeux mémoriels et droits de l’homme », dans le dossier « Droits de l’Homme en Europe centrale et orientale », Lettre Ligue des droits de l’Homme, janvier 2013, p. 2-6.

Sébastien Ledoux, « Le phénomène mémoriel par ses mots », revue Le temps imaginaire, avril 2013.

Sébastien Ledoux, « Les lieux d’origine du devoir de mémoire », Conserveries mémorielles, revue numérique, Univ. Laval (Canada)/ IHTP, 2013.

Sébastien Ledoux, « Le devoir de mémoire comme formule tierce », dans le dossier « Inclure le tiers », Intermédialités, numéro 21, 2013.

Sébastien Ledoux, "Les historiens face aux nouveaux usages du mot mémoire", Mots. Les langages du politique, numéro 103, novembre 2013.

Sébastien Ledoux, « Devoir de mémoire », dans Jean Leselbaum (dir.), Dictionnaire du judaïsme après 1945, Lormont, Le bord de l’eau, octobre 2013.

Sébastien Ledoux consacre ses travaux de recherche (thèse sous la direction de Denis Peschanski) aux rapports entre l’histoire et le « devoir de mémoire », et plus particulièrement aux politiques publiques de la mémoire en France, aux acteurs de la "mémorialisation" et aux enjeux de mémoire dans l’espace scolaire. Il s'est rapidement imposé comme le spécialiste de la question du "devoir de mémoire" en France. Une bibliographie exhaustif et régulièrement mise à jour de ses publications est disponible sur sa page de présentationdu Centre d'Histoire sociale du XXe siècle. 

 

Les mémoires dans l’enseignement

 

Sébastien Ledoux, Le "devoir de mémoire" à l’école. Essai d’écriture d’un nouveau roman national, Sarrebruck, Éditions universitaires européennes, 2011.

Sébastien Ledoux, « Entre choix du passé et poids du présent : les acteurs invisibles de l’enseignement de l’esclavage en France », dans M.A de Suremain et E. Mesnard (dir.), Enseigner les traites, les esclavages, leurs abolitions et leurs héritages. Questions sensibles, recherches actuelles, Paris, coll. « Esclavages », CNRS/Karthala, 2013.

Sébastien Ledoux consacre ses travaux de recherche (thèse sous la direction de Denis Peschanski) aux rapports entre l’histoire et le « devoir de mémoire », et plus particulièrement aux politiques publiques de la mémoire en France, aux acteurs de la "mémorialisation" et aux enjeux de mémoire dans l’espace scolaire. Il s'est rapidement imposé comme le spécialiste de la question du "devoir de mémoire" en France. Une bibliographie exhaustif et régulièrement mise à jour de ses publications est disponible sur sa page de présentationdu Centre d'Histoire sociale du XXe siècle. 

 

Les mémoires "de pierre"

Franck DAVID, Comprendre le monument aux morts, Lieu du souvenir lieu de mémoire, lieu d’histoire, Paris, Editions Codex et Ministère de la Défense – DMPA, 2013.

Recensé sur Histoire, Mémoires & Sociétés

 

Les mémoires de la Première Guerre mondiale

 

Jean-Yves Le Naour, Le soldat inconnu. La guerre, la mort, la mémoire, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », 2008.

Étude consacrée à l’usage de la figure du soldat inconnu du retour des corps à la mise en place d’une commémoration, en passant par leurs usages politiques.

Recension par Antoine Boulant pour la Revue historique des Armées.

François Cochet et Jean-Noël Grandhomme, Les soldats inconnus de la Grande Guerre. La mort, le deuil, la mémoire, Saint-Cloud, édition SOTECA, 2012.

Actes d’un colloque international proposant une approche comparée des mémoires nationales de la Première Guerre mondiale à travers la mise en place d’un hommage aux soldats inconnus.   

Recension par Alain RUGGIERO pour la Cliothèque.

 

Franck DAVID, Comprendre le monument aux morts, Lieu du souvenir lieu de mémoire, lieu d’histoire, Paris, Editions Codex et Ministère de la Défense – DMPA, 2013.

Recensé sur Histoire, Mémoires & Sociétés

 

Les mémoires de la Seconde Guerre mondiale

 

1. Généralités

Jean-Baptiste PATTIER, Vérités officielles, Comment s’écrit l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ?, Vendémiaire, 2012.  

Etude comparative de l’écriture de la Seconde Guerre mondiale dans les manuels scolaires de neuf pays européens : l’Allemagne, l’Angleterre, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, la France, l’Italie, la Lituanie et la Pologne.

Une recension par Joël Drogland pour les Clionautes.

Une recension sur le blog Guerres et conflits.

 

2. Mémoires du génocide des Juifs d'Europe

 

Annette Wiewiorka, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l’oubli, Plon, 1992.

Un ouvrage de référence sur les logiques de la construction d’une mémoire du génocide des Juifs d’Europe en France entre 1944 et 1948. L’analyse de l’auteur permet de mieux comprendre non pas l’oubli, mais le relatif effacement de cette mémoire derrière d’autres priorités politiques et économiques.  

Une recension par Enzo Traverso dans L’Homme et la Société (1992).

François Azouvi, Le Mythe du grand silence. Auschwitz, les Français, la mémoire, Fayard, 2012

Cet ouvrage remet en cause la thèse longtemps défendue d’une invisibilité du génocide des Juifs d’Europe dans la construction mémorielle de la déportation pendant plusieurs décennies.

Une recension par Joël Drogland pour les Clionautes.

Florence Schneider, Shoah : dans l'atelier de la mémoire. France, 1987 à aujourd'hui, Lormont, Le Bord de l'eau, coll. « Clair & Net », 2013.

Cette étude complète les précédents travaux dans ce domaine en s’intéressant plus particulièrement aux 25 dernières années. Ce choix conduit l’auteur à insister sur les étapes récentes de la reconnaissance et les crispations mémorielles autour des procès, mais aussi à renouveler l’approche par l’appréhension de nouvelles sources (télévision, cinéma, etc.).

Compte-rendu de Manuel Braganca pour Lectures.

Compte-rendu par Rémy Besson sur Cinémadoc.

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11 août 2013 7 11 /08 /août /2013 13:24

Chaque année, le Haut comité des Commémorations nationales publie un recueil qui répond à l'une des principales exigences statutaires de cette institution : "proposer une liste d’anniversaires susceptibles d’être inscrits au nombre des commémorations officielles, afin de conserver la conscience nationale d'un événement de l'histoire collective".

La mission est délicate. En 2011, l'inscription du cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline sur cette fameuse liste des célébrations nationales avait d'ailleurs suscité des remous avant que Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture, ne décide de l'en supprimer.

Après les débats sur l' "identité nationale", après le projet de "maison d'histoire de France", après l'instauration de tests d'histoire à l'intention des candidats à la nationalité française qui ont marqué le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les historiens qui composent cette institution veulent éviter à tout prix de réveiller "la querelle autour de la notion d'une histoire nationale, une histoire où chaque personnage, chaque événement n’aurait de sens que selon une finalité ouvertement affichée : saisir l’émergence de l’entité « France »".

C'est pourquoi le Haut Comité a fait siennes les conclusions de Jean-Noël Jeanneney visant à distinguer étroitement les notions de "commémoration" et "célébration".

Dans le premier cas, il s'agit simplement de prendre acte d'un évènement historique de l'histoire, tandis que le second comporte une dimension laudative, voire élogieuse.

Malgré toutes ces précautions, ce recueil ne peut cependant pas être totalement objectif, en témoigne la couverture du recueil illustrée par une lithographie de Cocteau intitulée "Nous croyons en l'Europe".

Et comme le signale l'avant-propos d'Aurélie Filippetti, le hasard est parfois espiègle, notamment lorsque le cinquantenaire de la disparition de Jean Cocteau en 1963 répond au centenaire de la naissance de Jean Marais en 1913.

Recueil des commémorations 2013
Recueil des commémorations 2013

Voici donc le résultat de la sélection pour 2013 qui ne retient que les cinquantenaires et les centenaires afin d'éviter l'exhaustivité :

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30 décembre 2012 7 30 /12 /décembre /2012 06:59

 

A ceux qui voudraient compléter la lecture de ce blog par d'autres articles de jeunes chercheurs sur les études mémorielles, nous conseillons la lecture de  cette revue en ligne passionnante que nous avions déjà signalée un peu rapidement :

 

conserveries mémorielles

 

Fondée en 2006 à l’initiative de Bogumil Jewsiewicki dans le cadre de la Chaire de recherche du Canada en histoire comparée de la mémoire, Conserveries mémorielles est, depuis 2010 accueillie par le Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT) à Québec et par l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) à Paris. Jocelyn Létourneau (professeur à l’Université Laval) et Henry Rousso (directeur de recherche au CNRS) sont aujourd’hui les directeurs de cette publication animée par de jeunes chercheurs en sciences humaines et sociales (...).

Depuis sa fondation, Conserveries mémorielles a pour ambition d’explorer différents champs de la mémoire. Elle sollicite la collaboration de chercheurs provenant de tous les domaines des sciences humaines. Elle entend privilégier les thématiques pouvant être abordées dans une perspective internationale et transdisciplinaire. Les auteurs sont invités à proposer des textes en anglais ou en français en réponse aux appels à contribution diffusés par la revue.

 

Parmi les derniers numéros publiés, on peut citer des thèmes novateurs tels que "Mémoire et travail", ou encore un formidable dossier sur les "angles morts" avec des thèmes qui seront familiers aux lecteurs de ce blog ( cimetières-jardin,  17 octobre 1961,...) 

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3 novembre 2012 6 03 /11 /novembre /2012 07:20

 

Depuis que ce site existe, la question des mémoires de Pétain est quasiment devenue un fil rouge. Elle a fait l'objet de plusieurs articles présentant notamment l' Association pour défendre la Mémoire de Pétain, essayant de comprendre  le mouvement de retrait en 2010 des dernières rues "Pétain" en France, mais aussi en s'interrogeant sur l'absence de cet homme sur le Carrefour des Maréchaux à Verdun où il pourrait légitimement trouver une place.

La question est aujourd'hui relancée par le dernier ouvrage de Cécile Desprairie intitulé L'héritage de Vichy, Ces 100 mesures toujours en vigueur (Armand Colin, octobre 2012). 

 

L-heritage-de-Vichy.jpg

 

Autant le dire directement, je n'ai guère été enthousiasmé par la démarche qui consiste à recenser le plus largement possible les mesures adoptées entre 1940 et 1944 et perpétrées à la Libération.

En présentant cet ouvrage sous cet angle, l'auteur entretien le mythe mémoriel selon lequel Vichy serait une parenthèse dans l'histoire de France que le général De Gaulle serait venu refermer. Or, cette lecture politique et symbolique a été battue en brèche depuis bien longtemps par les historiens dans de nombreux domaines : Gérard Noiriel dans Les origines républicaines de Vichy, Marc Boninchi dans Vichy et l'ordre moral, et des dizaines d'autres ouvrages qui rappellent que la Révolution Nationale a laissé des traces presque indélébiles dans notre société.

Quoiqu'en dise Emmanuel Le Roy Ladurie dans la préface, je ne considère pas que ce livre "va déranger".  Il permet en revanche de rassembler dans ces quelques pages des exemples précis, approfondis et argumentés permettant de diversifier un peu l'éternel exemple sans cesse rabâché de la fête des Mères. En ce sens, Cécile Desprairie vient de combler efficacement une importante lacune éditoriale.

 

Ce qui nous intéresse davantage sur ce site, ce sont finalement les questions soulevées par l'existence d'un tel ouvrage. Pourquoi est-il encore nécessaire de rappeler en 2012 que le régime de Vichy n'a pas été qu'un gouvernement de façade visant à aménager l'occupation allemande ? Quarante ans après Paxton et son ouvrage qualifié de "révolution", pourquoi a-t-on l'air de redécouvrir encore une fois que le régime de Vichy a avancé un véritable projet de société qu'il a mis en place d'autant plus facilement qu'il était dénué de tout blocage institutionnel ?

Certes, certaines décisions étaient à ce point détestables qu'elles ont été abrogées dans l'urgence, mais de nombreuses autres n'étaient souvent que la continuité des réflexions législatives de la IIIème République ou bien des sujets qu'il aurait été impossible d'avancer dans un autre contexte. 

 

Bref, quarante ans après Paxton, je pense qu'il serait temps de proposer une réflexion sur la construction mémorielle du régime de Vichy à l'instar de ce que l'on enseigne désormais à nos élèves de Terminale pour la déportation et la résistance.

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22 juillet 2012 7 22 /07 /juillet /2012 10:17

Les-freres-Himmler.jpg

Katrin Himmler, Les frères Himmler, une histoire allemande,

Éditions David Reinharc, 2012 (édition originale : 2005).

 

Cet ouvrage est pour le moins déconcertant. Il s'agit d'une recherche sur l'une des familles les plus controversées d'Europe par l'un de ses membres, à savoir Katrin Himmler, la petite-nièce du célèbre Heinrich Himmler.

Dotée d'un  solide parcours en science politique, elle a assez courageusement décidé de se confronter à l'histoire familiale entâchée par la sombre image de son plus illustre représentant qui fut l’un des plus hauts dignitaires du régime nazi.

 

L'idée initiale consiste avant tout à s'intéresser aux frères d'Heinrich Himmler, l’aîné Gebhard et le cadet Ernst. La mémoire familiale transmise à l'auteur de cet ouvrage voulait en effet que les deux frères du terrible Heinrich aient été beaucoup moins impliqués que le troisième dans la politique nazie.

Or, en décidant de confirmer le récit familial par les archives, Katrin Himmler découvre finalement que son grand-père Ernst n'a pas vraiment été apolitique. Il a non seulement dirigé le Reichsrundfunk (c’est-à-dire la radio du Reich), mais il a également adhéré très tôt au nazisme et a rendu de nombreux services au Reichsführer SS. 

Gebhard a quant à lui participé avec Heinrich au putsch de Munich en 1923, puis pris part en 1939 au Blitzkrieg contre la Pologne, avant de devenir fonctionnaire au ministère de l’éducation du Reich.

Les découvertes ne se limitent cependant pas seulement à la fratrie et Katrin Himmler découvre finalement que de nombreux membres de la famille ont participé, voire adhéré, aux activités d'Heinrich. Le beau-frère de Gebhard était par exemple gouverneur de Cracovie, d’où de nombreux Juifs furent déportés. Et même après-guerre, l'une des grand-mères de l'auteur a participé, à un réseau d’entraide d’anciens nazis.

 

Ce travail qui relève autant de l'histoire que de la mémoire n'est pas sans rappeler  l'ouvrage d'Alexandre Jardin que nous avions déjà signalé sur ce blog. Il peut également être rapproché de celui de l'académicien Dominique Fernandez qui, dans Ramon (Grasset, 2009), a raconté l'histoire de son père devenu collaborateur en 1940.

Dans ces trois essais qui naviguent entre littérature, réflexion personnelle et recherche historique, on retrouve des traits communs :

   1. Un long silence familial sur ce sombre passé. Dans le cas des Himmler, Katrin considère que la figure d'Heinrich a servi de bouclier mémoriel permettant de dissimuler la compromission des autres membres de la famille.

   2. Une réminiscence qui s'exprime de façon publique et assumée depuis le début des années 2000 et qui laisse penser que le contexte actuel a libéré cette mémoire. Nous manquons cependant encore de recul pour comprendre exactement les éléments qui ont permis cette libéralisation de la parole.

   3. L'usage de la littérature n'est également pas anodin, comme s'il fallait encore passer par un témoignage romancé pour essayer d'exprimer la nature des sentiments compliqués des descendants.

   4. Un héritage qui reste cependant encore difficile à assumer. Jean Jardin a expliqué dans de nombreuses interviews à quel point son travail de recherche et d'écriture avait été douloureux. Katrin Himmler explique que son travail est aussi une réponse à la souffrance de son adolescence durant laquelle il a parfois été compliqué d'assumer son nom.

 

Tandis que certains passent par l'écriture pour effectuer leur travail de mémoire, d'autres essaient encore difficilement d'oublier en se faisant oublier. Ainsi, Bettina Goering, la nièce d'Hermann Goering, a choisi avec son frère  de se faire stériliser afin d'éteindre la lignée familiale. N'assumant même plus les regards sur son visage aux traits rappelant son grand-oncle, elle a également décidé de quitter l'Allemagne pour se réfugier aux Etats-Unis.

 

Malgré le temps et les générations, cette mémoire demeure décidément bien douloureuse.

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6 juillet 2012 5 06 /07 /juillet /2012 08:46

 

Histoire-des-Justes-en-France.jpg

Patrick Cabanel, Histoire des Justes en France, Paris, Armand Colin, 2012

 

"Le titre de "Juste parmi les nations" récompense, après collecte de témoignages de Juifs, toute personne non juive qui, au péril de sa vie et sans contrepartie, a sauvé au moins un Juif au cours des années 1940. Il s'agit de la plus haute distinction civile décernée par l'Etat d'Israël, depuis 1963".

 

C'est par ces mots simples mais précis que Patrick Cabanel introduit son histoire des Justes en France. Au fil des pages, il ne se contente pourtant pas seulement de dresser une liste exhaustive des Français reconnus comme Justes par l'Etat d'Israël. Son analyse le conduit irrémédiablement à s'interroger sur les mémoires de ces individus dont la reconnaissance officielle repose justement sur des témoignages qui se sont manifestés plus ou moins rapidement. En ce sens, cet ouvrage est un formidable outil de réflexion sur les mémoires qui ont été un vecteur d'action durant la Seconde Guerre mondiale, puis un prisme de reconnaissance de l'engagement à la suite du conflit, avant de devenir désormais une clef de lecture pour l'avenir.

 

Au commencement... une loi mémorielle !

Aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est bien un loi qui est à l'origine des commémorations des Justes. Bien que le projet d'un mémorial des martyrs appelé Yad Vashem est évoqué dès 1942, c'est le gouvernement israélien qui formalise cette idée en mars 1953 par l'intermédiaire d'une proposition de loi "sur la commémoration des Martyrs et des Héros". Au cours des débats à la Knesset, le terme de "Justes parmi les nations" fait son apparition et la loi votée à l'unanimité le 19 août 1953 fixe durablement les modalités de leur désignation et de la commémoration.

Patrick Cabanel rappelle d'ailleurs que le processus de nomination des Justes témoigne dès le départ d'une véritable forme de judiciarisation de la mémoire puisque les Justes doivent être proposés par des Juifs sauvés qui présentent au minimum deux documents (pièces à conviction) permettant d'attester le bien-fondé de leur requête auprès d'une commission (tribunal) présidée par un juge, un représentant du ministère des Affaires étrangères, un représentant du Congrès juif mondiale, six membres des associations de déportés et rescapés, et cinq juges ou avocats.

La plupart des documents fournis pour ce procès en mémoire étant constitués de témoignages, nous pouvons dès lors considérer que ce sont des mémoires individuelles qui sont à l'origine des mémoires des Justes. Dans les deux cas, victimes et héros sortent de l'anonymat par une sorte de pacte mémoriel.

 

Une construction mémorielle progressive et tardive

A la lecture du travail de Patrick Cabanel, on s'étonne du caractère inédit de cet ouvrage, révélateur d'une mémoire qui s'est construite très progressivement. Alors que l'Etat d'Israël honore les premiers Justes dès 1963, l'action héroïque de ces Français est restée relativement discrète en France jusqu'au début des années 2000, et plus particulièrement en 2007 lorsqu'une cérémonie a symbolisé l'entrée de l'ensemble des Justes français au Panthéon.

Comme souvent pour les évènements de la Seconde Guerre mondiale, la mémoire s'est construite autour d'oeuvres cinématographiques qui ont contribué à la démocratisation d'un sujet jusqu'alors connu uniquement des spécialistes. C'est le cas notamment d'Au revoir les enfants de Louis Malle (1987), La liste de Schindler de Steven Spielberg (1993), Amen de Costa-Gavras (2002) et La Rafle de Roselyne Bosch (2010). Nul doute que ces films ont contribué à l'émergence d'une demande sociale d'histoire autour des Justes qui s'est ensuite transformée en reconnaissance officielle et politique.

Cette liste est révélatrice d'une temporalité plutôt poussive dans un premier temps, qui s'est ensuite accélérée à la fin du XXe siècle et au début du XXi siècle, "comme s'il fallait sauver la mémoire avant qu'il ne soit trop tard, et comme si la pression se faisait telle qu'il a fallu ouvrir plus largement les tables de marbre aux noms gravés". Cette remarque est intéressante car elle introduit une nuance dans la chronologie mémorielle du génocide des Juifs d'Europe. Longtemps, les années 1970 ont été considérées comme un moment de rupture permettant l'émergence d'une mémoire brimée. Or, les travaux de Patrick Cabanel,  comme d'autres, montrent que nous devons aujourd'hui réviser cette temporalité. L'historien propose en fait de distinguer clairement la mémoire israélienne, de la mémoire française. Nous pourrions ajouter à cette distinction la nécessité de différencier également les mémoires officielles des mémoires familiales, les mémoires nationales des mémoires locales.

L'exemple de Jean-Séverin Lemaire est particulièrement révélateur de cette mémoire chaotique : déporté à Mauthausen et Dachau, l'Etat l'a décoré de la Croix de guerre puis de la légion d'honneur en 1957 pour ses activités de résistance sans qu'il ne soit fait mention de son action en faveur des Juifs... alors qu'il est aujourd'hui surtout connu pour ses activités de sauvetage qui lui ont permis d'être distingué comme Juste. 

 

Parmi les éléments alternatifs permettant de comprendre cette révision chronologique, Patrick Cabanel propose de s'intéresser notamment au phénomène d' "héroïsation" qu'il croit identifier depuis le début des années 1980 par la multiplication des entrées au Panthéon, des distributions de Prix, mais aussi des béatifications et canonisations. En manque de "re(pères)", notre société chercherait ainsi des références en distinguant des modèles à suivre.

A cela s'ajoute pour la France la volonté d'équilibrer sa place dans l'histoire du génocide des Juifs d'Europe et d'apaiser en quelque sort un sentiment latent de culpabilité. Il n'est d'ailleurs pas anodin de constater que la présidence de Jacques Chirac témoigne d'une entreprise mémorielle complète : quelques jours après son accession au pouvoir, le 16 juillet 1995, il avait reconnu pour la première fois à ce niveau de l'Etat la responsabilité de la France dans la Shoah ; en 2007, avant de quitter l'Elysée, son hommage aux Justes de France permettait de montrer qu'une autre France s'était illustrée pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre ces deux dates, la loi du 10 juillet 2000 a fixé au dimanche suivant le 16 juillet une "Journée nationale à la mémoire des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'honneur aux "Justes" de France". On s'aperçoit alors que la république français laïque a repris à son compte sans modification l'expression israélienne et religieusement connotée de "Juste".

 

Une multitude de manifestations mémorielles

Dès l'instauration de cette reconnaissance officielle, la volonté d'entretenir la mémoire de ces héros aux côté de celle des victimes s'est manifestée. Cette entreprise s'est illustrée sous différentes formes successives ou concomitantes.

Dans un premier temps, chaque Juste (ou ses descendants en cas d'hommage posthume) était invité à planter un arbre à son nom dans l'Allée des Justes au Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem. Cette action symbolique est cependant rapidement devenue impossible en raison du nombre grandissants d'individus recevant cet honneur (23 788 au 1er janvier 2011, dont 3 331 Français).

A défaut de pouvoir créer une véritable "forêt de la mémoire", il a finalement été décidé que les noms des Justes seraient progressivement gravés sur un mur, permettant ainsi d'envisager une accumulation plus aisée.

C'est d'ailleurs cette stratégie d'une "mémoire de pierre" qui a été adoptée par le Mémorial de la Shoah à Paris depuis 2006. 

 

Mur-des-Justes.jpg

 

Les lieux de mémoire nationaux ne doivent cependant pas faire oublier d'autres lieux locaux qui ont parfois émergé bien avant. C'est le cas notamment du Mémorial en hommage aux Justes de France inauguré en 1997 à Thonon-les-Bains.

 

memorial-national-des-justes-Thonon.jpg

 

A côté de ces lieux physiques, des lieux de mémoire symbolique se sont également imposés. C'est le cas notamment du policier Jean Philippe qui est régulièrement mis à l'honneur par l'Ecole nationale de Police afin d'atténuer l'image de collaboration régulièrement associée aux forces de l'ordre.

D'autres Justes ont parfois cristallisé de nombreuses formes commémoratives comme le consul général du Portugal à Bordeaux Aristide de Sousa Mendes (p. 106) pour lequel plusieurs arbres ont été plantés dans la forêt des martyrs de Yad Vashem, avant qu'il ne soit officiellement reconnu comme Juste en 1966, puis réhabilité par un vote unanime de l'Assemblée nationale du Portugal en 1988, et enfin honoré par un buste inauguré à Bordeaux en 1994, des films, des livres, des timbres et un projet de musée...

 

La mémoire comme acteur dynamique de l'histoire

L'une des grandes originalités du travail de Patrick Cabanel est de ne pas limiter son analyse à la mémoire juive, mais d'ouvrir une réflexion plus large sur le rôle et la place de la mémoire dans l'Histoire.

C'est ainsi qu'il parvient notamment à expliquer (parmi d'autres éléments) la logique d'action et d'engagement de nombreux Justes de France par la persistance d'une forte mémoire des persécutions, et plus particulièrement celle en vigueur dans les milieux protestants.

De nombreux témoignages signalement en effet le processus d'identification des habitants Cévenols : "Autrefois, c'étaient les nôtres, les Hugunots, qui étaient persécutés ; maintenamnt, hélas ! C'est votre tour" (p. 23).

Bien que très minoritaires en France, les protestants ont développé une forte conscience identitaire liée à la mémoire dans l'entre-deux-guerres : livres, pièces de théâtre, cartes postales, cérémonies commémoratives... sont autant d'éléments qui ont visiblement influencé l'action de résistance assez exceptionnel des protestants contre un Etat considéré comme injuste. Patrick Cabanel propose d'ailleurs l'expression intéressante d' "armes de la mémoire" pour qualifier cette situation exceptionnelle qui s'appuie sur la mémoire collective pour justifier l'action politique.

 

C'est pourquoi il est intéressant de s'interroger sans cesse sur les réminiscences des mémoires dans nos sociétés contemporaines qui, sous le masque d'une comparaison souvent considérée comme polémique et anachronique, témoignent d'une véritable identité nationale mémorielle avec des conséquences non négligeables sur la lecture du monde et l'action qu'on peut y mener.

En février 1997, des Justes et/ou leurs enfants et petits-enfants s'étaient retrouvés autour d'un texte condamnant le durcissement de la législation sur l'immigration au nom de l'exemple donné au cours des années 1940 : "Ces actes se sont, au fil du temps, gravés dans les mémoires de leurs descendants, comme un modèle de comportement qu'il faut transmettre de génération en génération".

La mémoire (qu'elle soit nationale ou communautaire) a donc une réelle perspective performative : se souvenir, c'est aussi agir !!!

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24 juin 2012 7 24 /06 /juin /2012 08:35

 

Comme tous les mois, nous poursuivons notre recension du magazine l'Histoire sous la forme de courtes brèves afin de compléter notre réflexion sur l'actualité mémorielle de la recherche et de l'édition. Le numéro de juin est justement consacré à un dossier qui a suscité plusieurs polémiques mémorielles : la guerre de Vendée.

L-Histoire-juin-2012.jpg

 

Le sujet a déjà fait couler beaucoup d'encre, y compris dans d'autres magazines puisque la Nouvelle Revue d'Histoire avait consacré un dossier à la Vendée en 2011 : 

 

Nouvelle-Revue-d-Histoire-Vendee.png

 

Cet intérêt renouvelé trouve son explication dans l'édition d'un nouvel ouvrage détonnant sur la question et que nous avions déjà évoqué sur ce site : Vendée, du génocide au mémoricide de Reynald Secher (Le Cerf, 2011).

 

vendee génocide mémoricide

 

Pour répondre à cette revendication d'une reconnaissance mémorielle victimaire qui ne cesse de grandir, le magazine décide de convoquer les meilleurs spécialistes de la question qui viennent présenter leurs derniers travaux afin de dresser un bilan historiographique.

On peut néanmoins regretter que le principal intéressé, Reynald Secher, ne figure pas dans les intervenants pour présenter lui aussi sa position.

 

L'article d'Olivier Coquard commence tout d'abord par présenter les faits connus et reconnus d'une guerre civile particulièrement meurtrière qui conduit certes à une victoire républicaine, mais au prix de dizaines de milliers de morts, de réfugiés et d' "exilés" qui ont constitué le terreau fécond d'une mémoire victimaire collective. 

Le coeur du dossier est cependant centré autour d'un long entretien avec Jean-Clément Martin qui constitue une réponse aux thèses de Reynald Secher.

Dès le départ, le ton est donné puisque Jean-Clément Martin réfute le caractère inédit des archives de Reynald Secher en rappelant qu'elles ont déjà été publiées en 1895.

Il précise ensuite que l'interprétation de ces sources souffre d'anachronisme dans les conclusions de Reynald Secher et qu'il convient de remettre les termes "anéantir", "chasser", "déblayer" utilisés par les auteurs de ces documents dans le contexte d'une violence révolutionnaire aujourd'hui insoutenable, mais récurrente à l'époque.

Après ces remarques méthodologiques, la critique passe sur le terrain des notions. Il est ainsi rappelé que la Vendée est un département créé en 1790 ; or, la guerre de Vendée dépasse largement les limites de cette circonscription administrative et rend difficile l'affirmation d'une identité vendéenne, tout comme celle d'une volonté génocidaire de la République.

Jean-Clément Martin s'attache ensuite à retracer les principales étapes de la construction mémorielle vendéenne qui viennent contredire l'autre thèse de Reynald Secher : celle du mémoricide. Il rappelle ainsi que dès la chute de Robespierre, le journaliste Louis-Marie Prudhomme s'intéresse aux victimes de la guerre de Vendée. Des procès sont organisées jusqu'en 1796, puis l'histoire et la mémoire prennent le relais par l'intermédiaire d'ouvrages (Précis historique de la guerre civile de la Vendée écrit par Berthre de Bournisseaux sous le Consulat), de pèlerinages, sermons, etc.

Le XIXème siècle apparaît alors comme le véritable moment d'émergence de mémoires contradictoires qui perdurent encore aujourd'hui. Dans un premier temps, Bonaparte tente de limiter l'émergence d'une mémoire contre-révolutionnaire en essayant d'empêcher la publication des Mémoires de la marquise de La Rochejaquelein qui "enracine l'idée que la Révolution a tué un peuple de paysans laborieux". A l'inverse, la monarchie de Juillet exploite à partir de 1840 le souvenir des massacres des révolutionnaires en organisant notamment un concours pour désigner la commune la plus touchée. A partir de ce moment, les monuments, les livres et les lieux vont se multiplier. Les illustrations du dossier permettent d'ailleurs d'en observer plusieurs tels que la chapelle des Lucs-sur-Boulogne construite en 1867 à l'emplacement où la tradition assure que 564 habitants ont été tués par les troupes républicaines le 8 février 1794 (p. 53). A ce bâtiment s'ajoute la représentation du massacre de Machecoul immortalisé par le peintre François Flameng en 1884 (p. 54) et le monument érigé en 1839 au centre du cimetière de La Gaubretière sous lequel sont enterrés de nombreuses victimes des guerres de Vendée (p. 61). Jean-Clément Martin mentionne également l'existence de nombreuses plaques mémorielles et l'exploitation de la guerre de Vendée jusque dans la propagande vichyste.

Aujourd'hui encore, cette mémoire est défendue par Hervé de Charette, ancien ministre et député, qui a déposé à deux reprises une proposition de loi pour faire reconnaître le génocide vendéen par la République, sans nécessairement demander une pénalisation des propos considérés comme négationnistes. L'évocation de cet homme et de son combat dans ce domaine permet de rappeler à quel point la mémoire peut arborer des aspects éminemment politiques. Michel Winock rappelle notamment par l'intermédiaire de cartes électorales (p. 59) que la mémoire vendéenne peut constituer un aspect important de compréhension du vote des locaux, longtemps attachés à une culture royaliste et catholique.

La résurgence du débat mémoriel porté par Reynald Secher doit également interroger les historiens. Son ouvrage a en effet été préfacé par Gilles-William Goldnadel (présenté par Jean-Clément Martin comme un avocat incarnant la droite extrême au sein du Conseil représentatif des institutions juives de France), Hélène Piralian (psychanalyste d'origine arménienne) et Stéphane Courtois (spécialiste de l'histoire des régimes communistes). Ces différentes interventions témoignent d'une volonté comparative entre les différentes entreprises génocidaires et viennent confirmer l'affirmation de Reynald Secher dans son ouvrage : "La France est le premier pays à avoir conçu, organisé et planifié l'anéantissement et l'extermination d'une partie d'elle-même au nom de l'idéologique de l'homme nouveau. Elle est ausi le premier pays à avoir conçu et mis en place un mémoricide dans le but d'occulter ce crime contre l'humanité. En ce sens, la France est un double laboratoire et un modèle pour les régimes génocidaires".

 

Nous avions déjà signalé dans notre article du mois d'octobre 2011 que Reynald Secher ne craignait pas "les formules ambitieuses". Cet extrait le confirme et l'excellente interview de Jean-Clément Martin nous permet judicieusement d'en limiter les excès.

 

Actualisation du 29 octobre 2012

Reynald Secher a été récompensé (pour l'ensemble de son oeuvre et plus particulièrement pour son dernier ouvrage évoqué ci-dessus) par  le prix Combourg-Chateaubriand.

Il est intéressant de constater que ce prix est avant tout littéraire et non scientifique. Lors de la remise de récompense, ce sont d'ailleurs les qualités d'écrivain et de journaliste de l'auteur qui ont été soulignées par Christophe Barbier, lauréat 2011, et non pas ses qualités d'historien.

La remise de prix a d'ailleurs donné lieu à un échange vigoureux entre le directeur de l'Express et Reynald Secher quant aux thèses défendues par ce dernier (le compte-rendu est réalisé par la secrétaire du Souvenir Chouan de Bretagne).

 

 

Un centre de mémoire et d'histoire pour Drancy

Financé par la  Fondation pour la mémoire de la Shoah (et non pas la Fondation de la mémoire pour la Shoah comme indiqué par erreur dans le magazine), ce nouveau lieu sera autant consacré à l'histoire qu'à la mémoire des 63 000 Juifs passés dans ce camp d'internement avant d'être envoyés vers les camps de la mort.

 

Mutation des mémoires staliniennes

La Géorgie continue sa mutation mémorielle. Après avoir déboulonné une statue de Staline en juin 2010, la ville de Gori vient de transformer la maison natale du dictateur en musée de la répression soviétique.

La mutation mémorielle observée dans ce pays depuis quelques années se poursuit donc irrémédiablement, et visiblement avec succès puisqu'aucune polémique ni contestation n'a été recensée cette fois-ci par les médias occidentaux.

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7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 20:16

 

Comme tous les mois, nous poursuivons notre recension du magazine l'Histoire sous la forme de courtes brèves afin de compléter notre réflexion sur l'actualité mémorielle de la recherche et de l'édition. L'édition de mai est pour une fois plutôt pauvre dans ce domaine.

 

L-Histoire-mai-2012.jpg

 

Histoire du négationnisme

Valérie Igounet présente p. 30 son ouvrage biographique sur Robert Faurisson en démontrant comment l'homme a construit sa vie comme son discours : "sur le mensonge". Un projet courageux qui permet de mieux comprendre l'histoire d'un provocateur de la mémoire.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que  l'intéressé ne semble pas avoir apprécié...

 

Un mystérieux "appel des 343 femmes"

Annonçant l'actuelle exposition de la BNF sur la Presse, le magazine fait état en page 25 d'un mystérieux "Appel des 343 femmes". Sauf erreur de notre part, il ne peut s'agir d'autre chose que du célèbre "Manifeste des 343 salopes" que Jean-Noël Jeanneney évoquait dans la rubrique "Les grandes heures de la presse" du mois de février 2012. L'Histoire commencerait-il à se censurer ?

 

Nouvel-Obs-343.jpg

 

Actualisation du 8 juin 2012

A la suite de cet article,  Marie-Josèphe Bonnet nous a écrit pour apporter une salutaire mise au point concernant l'expression de "343 salopes" que l'on retrouve régulièrement dans la littérature consacrée à cet épisode. C'est d'ailleurs sous ce titre que Le Nouvel Obs a lui-même  republié le Manifeste en novembre 2011.

Or, lorsqu'on regarde la couverte du Nouvel Observateur daté du 5 avril 1971 (reproduit ci-dessus), on s'aperçoit qu'il ne s'agit pas de la dénomination initiale. Marie-Jo Bonnet, qui a consulté le document, nous propose la recension suivante :

 

Sur la couverture noire on lit : la liste des 343 françaises qui ont le courage de signer le manifeste « JE ME SUIS FAIT AVORTER».

Page 5 : « UN APPEL DE 343 FEMMES » avec la liste des signatures précédé du texte suivant :

« Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre ».

Une note à « libre » précise : « Parmi les signataires, des militantes du « Mouvement de Libération des Femmes » réclament l’avortement libre et GRATUIT ».

Page 6 : Sous le titre : « Notre ventre nous appartient », un texte occupant toute la page signé par « Des signataires du Mouvement de libération des femmes, du Mouvement pour la liberté de l’avortement ».

Page 40, une enquête menée par Michèle Manceaux, Nicole Muchnik, Mariella Righini, Françoise Paul-Boncour, et signée Jean Moreau sous le titre « Je me suis fait avorter ».

 

Le document initial ne comporte donc pas la mention de "salopes".

Selon Marie-Jo Bonnet, l'expression est née la semaine suivante dans le journal d’extrême droite Minute qui a réagit en lançant une campagne anti-avortement au moyen d’affichettes accrochées dans tous les points de vente de la presse sous le titre : « Le manifeste des 343 salopes ».

Selon Christine Delphy, chercheuse au CNRS et signataire de ce manifeste, l'expression des "343 salopes" est née d'un dessin satyrique de Cabu la semaine suivante dans Charlie Hebdo qui place ces mots dans la bouche de Michel Debré

 

Charlie-Hebdo-343-salopes.jpg

 

"L'appel des 343 femmes" mentionné dans le numéro de L'Histoire de mai 2012 adopte donc la dénomination de la page 5 du magazine, plutôt que celle la "Une" du Nouvel Obs de l'époque, ou encore de celle de Charlie Hebdo la semaine suivante.

Dans ce domaine aussi, il est important de constater à quel point la mémoire d'un évènement peut être modifiée par sa lecture médiatique, à tel point que la formule initiale est oubliée.

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28 avril 2012 6 28 /04 /avril /2012 16:01

L-Histoire-fevrier-2012.jpg

 

Comme tous les mois, nous poursuivons notre recension du magazine l'Histoire sous la forme de courtes brèves afin de compléter notre réflexion sur l'actualité mémorielle de la recherche et de l'édition.

 

Mémoires d'ouvriers

Nous sommes tout d'abord très heureux de vous annoncer la diffusion du nouveau documentaire de Gilles PERRET. Ce talentueux réalisateur s'était fait remarquer en 2009 pour son magnifique travail sur la mémoire combattante dans Walter, retour en résistance qui n'est pas sans lien avec le mouvement des Indignés développé par la suite.

Ce nouveau film adopte une logique similaire : partir d'histoires locales d'ouvriers des montagnes de Savoie pour ensuite proposer les grandes lignes d'une histoire ouvrière.

 

 

 

Mémoires des cimetières

La revue  Le Mouvement Social propose dans sa livraison d'octobre-décembre 2011 un dossier consacré à "Cimetières et politique".

 

Cimetieres-et-politique.jpg

Les enjeux mémoriels d'une telle thématique s'imposent à chaque auteur en montrant que l'acte d'inhumation est irrémédiablement lié au temps (et à la postérité). Le lieu, la mise en scène, l'organisation et les commémorations dans les cimetières sont significatifs de la façon dont une époque gère ses morts et leurs souvenirs.

(Un compte-rendu a été proposé par  le site des Clionautes).

 

 

Mémoire de la Shoah en Turquie

Pour la première fois, et presque 30 ans après sa première diffusion en France, le film Shoah de Claude Lanzmann a été sous-titré en turc et diffusé dans son intégralité sur la chaîne TRT.

Cette initiative est portée par le  Projet Aladin dont l'objectif est d'oeuvrer au rapprochement des Juifs et musulmans, notamment par l'intermédiaire d'une réflexion historique. Cette diffusion fait suite à celle de mars 2011 sur la chaîne satellite iranienne "Pars TV". La chaîne américaine en arabe Al Hurra devrait prochainement en faire de même. 

Les médias ne disent pas cependant si les audiences ont été au rendez-vous...

 

 

Mémoire de la Shoah au cinéma

La sortie attendue du film "Le Juif qui négocia avec les Nazis" permet de mettre en lumière la complexité des mémoires de la Shoah des années 1950 à nos jours.

Ce Juif qui négocia avec les Nazis est Rudolf Kasztner. Homme politique roumain, il accepta de négocier avec Eichmann en 1944, espérant ainsi sauver jusqu'à "un million de Juifs". Abusé par Eichmann, il ne parvient finalement à épargner "que" 1685 personnes parmi lesquelles sa femme et ses proches. Installé en Israël en 1947, il poursuit sa carrière politique mais est régulièrement l'objet d'attaques personnelles sur son éventuel passé de collaborateur. 

En 1954, Rudolf Kasztner décide de riposter devant la justice pour préserver son honneur. L'affaire de diffamation se transforme vite en procès contre l'homme politique accusé d' "avoir vendu son âme au diable". Il est finalement débouté de sa plainte en 1955... avant que la Cour suprême infirme cette décision en 1958. Trop tard hélas, car Rudolf Kasztner a entre-temps été abattu par un jeune fanatique d'extrême-droite !

De manière assez subtile, ce film montre à quel point la mémoire juive de la Shoah, avant d'adopter la posture plus consensuelle qu'on lui connaît aujourd'hui, a traversé de nombreuses péripéties liées tout autant à l'histoire qu'à la politique contemporaine. Derrière les débats et les archives, on comprend en effet que ce n'est pas seulement le procès de Rudolf Kasztner qui a lieu en 1954. C'est aussi celui d'Eichmann qui est encore caché en Amérique latine à cette époque. C'est enfin celui de l'ensemble de la société israélienne qui s'interroge sur l'attitude à adopter face aux ennemis Palestiniens.

 

 

 

 

Correspondances mémorielles

L'historien et critique de cinéma Antoine de Baecque a choisi de consacrer son article mensuel à Low Life qui retrace l'histoire d'un couple d'étudiants. L'intrigue repose notamment sur le statut administratif d'Hussein, sans-papier afghan à qui la préfecture refuse d'accorder un visa. 

L'histoire se construit sur une actualité brûlante qui a néanmoins réveillé des références historiques chez l'historien qui voit dans la clandestinité de ces jeunes gens une résurgence des Résistants lyonnais qui, durant la Seconde Guerre mondiale, se dissimulaient également dans les traboules de la vieilles ville.

Cette correspondance toute personnelle (puisque l'auteur précise que le film ne comprend ni document historique, ni reconstitution) n'est visiblement pas partagé par tous.  L'article d'un blog complémentaire (mais néanmoins ami) du nôtre s'offusque d'un tel rapprochement et propose quelques rappels historiques pour éviter ce qu'il considère comme un anachronisme. Le débat est ouvert...

 

 

 

 

L'histoire au lycée : histoire ou mémoire (suite)

Nous en avions parlé dans  notre précédente recension du numéro de mars, Annette Wieviorka avait frappé particulièrement fort (mais juste) en questionnant les orientations récentes des nouveaux programmes de lycée. Il était donc normal que Laurent Wirth, doyen du groupe histoire-géographie de l'Inspection générale de l'Éducation nationale et président du groupe d'experts ayant travaillé sur ces nouveaux programmes, lui réponde.

Pour rappel, Annette Wieviorka reprochait une approche trop compassionnelle de l'histoire. Laurent Wirth lui répond qu'il n'est pas d'accord et que ces programmes permettent selon lui de "mesurer la différence entre histoire et mémoires, différence qui sera approfondie en terminales ES et L".

Chacun est renvoyé dos à dos...

 

 

Mémoires du jansénisme

La référence se résume à une simple phrase dans l'article de Nicolas Lyon-Caen, mais elle est lourde de sens. Étudiant la survie des jansénistes au XVIIIe siècle, l'historien rappelle que la mémoire janséniste de cette période est davantage fondée sur une "mémoire inventée" que sur une mémoire "héritée" des persécutions subies par l'abbaye de Port-Royal, de l'expérience de la résistance à l'Unigenitus et des miracles du diacre.

En somme, nous pourrions voir dans cette mémoire janséniste du XVIIIe siècle l'une des premières manifestations d'une mémoire collective victimaire en construction. D'autres exemples antérieurs permettront probablement un jour d'envisager plus largement ce phénomène et d'en écrire une histoire permettant de prendre davantage de distance avec l'originalité supposée des mémoires contemporaines.

 

 

Conserveries mémorielles

Sous cette dénomination originale se cache une revue scientifique fondée en 2006 à l’initiative de Bogumil Jewsiewicki dans le cadre de la Chaire de recherche du Canada en histoire comparée de la mémoire. Depuis 2010, elle est accueillie par le Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT) à Québec et par l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) à Paris. Jocelyn Létourneau (professeur à l’Université Laval) et Henry Rousso (directeur de recherche au CNRS) sont aujourd’hui les directeurs de cette publication animée par de jeunes chercheurs en sciences humaines et sociales.

Depuis sa fondation,  Conserveries mémorielles a pour ambition d’explorer différents champs de la mémoire. Elle entend privilégier les thématiques pouvant être abordées dans une perspective internationale et transdisciplinaire.

Parmi les derniers numéros, on trouve des sujets aussi intéressants et passionnants que "Mémoire et travail", "les angles morts" (de la mémoire) ou encore "les représentations du passé : entre histoire et mémoire".

A lire sans modération.

conserveries-memorielles.png

 

 

Mémoires d'une insurrection populaire

Le livre d'Alain Hugon (Naples insurgée, 1647-1648. De l'évènement à la mémoire) est révélateur d'une tendance de fond très forte dans le la recherche actuelle qui conduit régulièrement à étudier non seulement un évènement historique, mais aussi sa mémoire.

L'un des précurseurs dans le domaine est incontestablement Jacques LE GOFF avec son célèbre Saint Louis qui avait alors  renouvelé l'approche biographique en ne se contentant pas seulement d'actualiser les données historiques sur le sujet, mais en compilant également l'ensemble des traditions mémorielles autour du personnage permettant de déconstruire la façon dont il pouvait apparaître aux yeux des contemporains.

C'est cette méthodologie qui est utilisée par Alain Hugon pour étudier le soulèvement de Naples et des provinces environnantes contre la domination espagnole entre le 7 juillet 1647 et le 6 avril 1648. Comme toujours, des mémoires plurielles et concurrentes apparaissent. Ce qui est novateur en revanche, c'est de faire émerger et de comparer des mémoires locales (l'Italie méridionale) et des mémoires européennes.

 

 

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