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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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C'est Qui ?

  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Cherche La Pépite

16 avril 2013 2 16 /04 /avril /2013 08:30

 

Abstract: In 2014, the Winter Olympic Games will take place in Sochi (Russia). Since few months, the community of Circassians tries to make known the fact that they were exterminated and evicted from this territory in 1864. After the Five-Day war between Russia and Georgia in 2008, the Georgian government uses this geopolitical weapon of memory against its enemy.

 

Les Jeux Olympiques ont une dimension mémorielle omniprésente.

 Les travaux de Sylvain Bouchet ont notamment montré comment les cérémonies d'ouverture pouvaient être interprétées comme une pratique commémorative largement modernisée depuis 1896.

 Dans un article sur ce blog en 2009, nous avions également analysé la dimension mémorielle de la candidature commune "Hiroshima-Nagasaki" pour l'organisation des Jeux Olympiques de 2020. Depuis, cette candidature a été abandonnée faute de moyens.

 

Dans un délai plus proche, il semblerait que l'organisation des Jeux Olympiques d'Hiver à Sotchi en 2014 ne déroge pas à la règle et que les manifestations soient marquées par l'émergence d'une véritable guerre des mémoires entre le pays organisateur et ses pays voisins.

 

sochi2014.jpg

 

L'organisation de ces XXIIème JO d'Hiver a été attribuée à la Russie en juillet 2007. La proximité des montagnes du Caucase, mais aussi des rives de la Mer Noire, ainsi que l'engagement d'investissements massifs de la part des autorités russes ont été des arguments de poids dans le choix de cette ville.

Cependant, l'explosion de la guerre entre la Russie et la Géorgie quelques mois plus tard a constitué  une forte source d'inquiétude pour le Comité International Olympique. Les installations sportives seront en effet installées à proximité d'une frontière devenue hautement conflictuelle et susceptible de faire l'objet d'attentats et autres attaques terroristes.

Depuis, les tensions se sont apaisées et la Russie travaille à la sécurisation du site. La guerre des armes s'est éteinte mais les braises sont savamment entretenues par la Géorgie qui, sans vouloir passer pour un belligérant belliqueux, entend bien raviver le conflit le moment venu pour décrédibiliser son ennemi sur la scène internationale.

 

C'est dans cette perspective que l'arme mémorielle a été mobilisée.

Les dirigeants géorgiens ont en effet décidé d'accorder toute leur attention à une revendication mémorielle régionale concernant la reconnaissance d'un éventuel «génocide des Tcherkesses».

 Le peuple tcherkesse (parfois appelé circassien) est originaire de la région du Caucase d'où il a été chassé par le pouvoir impérial russe en 1864. Depuis, les communautés exilées les plus importantes se situent en Turquie, en Syrie et au Liban. Elles entretiennent leur identité communautaire (pour ne pas dire nationale) autour du souvenir de cet épisode douloureux de leur histoire ayant conduit à un exil forcé toujours en vigueur aujourd'hui.

L'organisation des Jeux Olympiques de Sotchi se déroulant partiellement sur leur ancien territoire, les Tcherkesses y ont vu un bon moyen pour médiatiser leur revendication mémorielle. Ils ont ainsi écrit au Comité International Olympique qui n'a pas apporté "de réponse concrète".

Depuis, ils se sont tournés vers les autorités géorgiennes qui leur ont accordé une oreille attentive et intéressée. Ainsi, le parlement géorgien a-t-il voté en mai 2011 un texte reconnaissant le "génocide tcherkesse" et se propose même de recueillir les revendications d'autres peuples du Caucase chassés par l'expansion russe au XIXème siècle.

Plus récemment, des commémorations ont même été organisées dans la ville géorgienne d'Anaklia et un Mémorial a été inauguré à cette occasion comme nous pouvons le constater sur ce reportage : 

 

 

Personne n'est dupe de la dimension purement géopolitique de cette reconnaissance par l'Etat géorgien qui refuse toujours par ailleurs de reconnaître le génocide arménien. Néanmoins, les revendications tcherkessiennes reçoivent une attention de plus en plus attentive de la part de la communauté internationale.  La fondation américaine Jamestown y consacre notamment de nombreux articles et les activités de lobbying s'intensifient auprès des Etats pour qu'ils brandissent la menace d'un boycott.

On ne devrait donc pas tarder à voir apparaître à l'Assemblée nationale française une proposition de loi pour la reconnaissance de ce "génocide" sur le modèle de celle avancée par Lionel Lucca et Marion Maréchal-Le Pen pour le "génocide vendéen"...

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15 avril 2013 1 15 /04 /avril /2013 09:36

 

A la lecture d'une  proposition de loi déposée récemment à l'Assemblée nationale, nous avons découvert une nouvelle facette surprenante de la politique mémorielle nationale :

"la vocation de la réserve citoyenne est de contribuer, au titre d’un engagement volontaire et bénévole, au renforcement du lien entre la société civile et les forces armées, au développement de l’esprit de défense au sein de la communauté nationale, ainsi qu’au devoir de mémoire, et, le cas échéant, de fournir les renforts nécessaires à la réserve opérationnelle".

Selon le site du ministère de la Défense, la réserve citoyenne est constituée "de volontaires agréés auprès d'autorités militaires en raison de leurs compétences, de leur expérience, mais aussi de leur intérêt pour les questions relevant de la défense nationale". Elle "a pour mission principale de contribuer à la diffusion de l'esprit de défense et au renforcement du lien armées-Nation".

 

Memoire-militaire.jpg

Visite du camp militaire de Suippes par un réserviste (source : ministère de la Défense)

Crédits : Christophe Fiard/DICoD - Christophe Fiard/DICoD

 

Vers une véritable politique mémorielle nationale

Cette information laisse songeur quant à la logique de la politique mémorielle nationale. 

D'abord, est-il raisonnable de parler encore aujourd'hui de "devoir de mémoire" dans le corpus législatif français ?  Les innombrables travaux d'histoire sur cette question ont bien montré les limites d'une telle expression qui, si elle se justifie dans un contexte associatif, devrait faire l'objet d'une utilisation parcimonieuse par les autorités publiques, et a fortiori, par le législateur.

Nous avons trop souvent relevé  sur ce blog une utilisation regrettable de termes confus dans le domaine mémoriel qui relève d'une absence de réelle réflexion sur la question. Il serait peut-être temps pour l'Etat français de s'interroger sur les enjeux et les objectifs de sa politique mémorielle : s'agit-il uniquement d'apporter une réponse progressive aux différentes revendications mémorielles ? Ou bien est-il possible d'envisager l'élaboration d'un véritable projet national ?

 

Pour une mémoire nationale libérée de son passé militaire

L'évocation plus particulièrement du devoir de mémoire censé être entretenu par les volontaires de la réserve citoyenne est ensuite révélatrice d'une absence d'actualisation politique, scientifique et sociale dans ce domaine.

Depuis son apparition, la politique mémorielle a été traditionnellement rattachée au ministère de la Défense par l'intermédiaire des Anciens Combattants. Il s'agissait alors d'entretenir le souvenir des soldats Morts pour la France. Or, depuis quelques années, on observe un progressif détachement des questions mémorielles et militaires. Certes, les militaires tombés au combat continuent d'être honorés, mais de nombreuses autres mémoires, majoritairement civiles désormais, sont apparues et ont obtenu une reconnaissance officielle.

N'est-il donc pas possible d'envisager lors du prochain remaniement ministériel l'apparition d'un secrétariat d'Etat aux Mémoires nationales rattaché au ministère de la Culture plutôt qu'à celui de la Défense ?

Cette distinction a d'ores et déjà été mise en oeuvre par des grandes villes françaises qui se sont dotées d'adjoints ou de chargés de mission dédiés aux questions mémorielles. Elle permet d'élaborer  une politique mémorielle plus cohérente et capable de coaliser plus facilement une multiplicité d'acteurs concernés par la question mémorielle (administrations, associations, mais aussi enseignants, scientifiques, élus...).

 

Quoiqu'il en soit, il devient urgent pour l'Etat de réfléchir à la gestion rationnelle de cette inflation mémorielle qui s'exprime désormais dans tous les domaines et pour laquelle les autorités nationales n'ont pas encore adopté de stratégie cohérente.

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7 avril 2013 7 07 /04 /avril /2013 08:14

 

Ces dernières semaines, les questions mémorielles ont encore été à l’honneur sur les bancs de l’Assemblée nationale. Cette omniprésence est d’autant plus surprenante que l’actualité mémorielle n’a pas été particulièrement vive et qu’aucun évènement particulier n’est venu cristalliser les revendications.

 

Plusieurs interprétations permettent cependant d’expliquer cette situation :

    - Les réponses ministérielles tardives à des questions posées avant, pendant, et après la visite d’Etat du Président de la République en Algérie en décembre 2012 et qui avait suscité de nombreuses réactions dans le domaine mémoriel.

    - L’existence d’un lobbying mémoriel efficace qui transparaît très régulièrement et assez lisiblement dans les demandes des députés,

    - Enfin, de façon générale, l’importance des questions mémorielles dans notre société qui s’expriment inévitablement dans un des lieux les plus emblématiques de la représentativité nationale.

 

L’objectif de cette chronique est d’essayer de synthétiser les dizaines de demandes formulées pour en saisir les principaux enjeux, ainsi que les limites révélatrices de notre système mémoriel national.

 

assemblee-nationale 

Blocage récurrent sur les archives des Français d’Algérie

Le député UMP du Rhône Georges FENECH a interrogé le ministre des Affaires étrangères sur les archives de l’état civil des Français originaires d’Algérie restées majoritairement en Algérie et dont trois cinquième seulement sont disponibles sous forme de microfilms en France.

Il demande à ce que le gouvernement reprenne les négociations « pour une éventuelle numérisation des deux cinquième des actes restants » au prétexte que « la préservation de la mémoire des Français d'Algérie semble compromise par cette perte de patrimoine national et familial ».

Le ministre rappelle que des négociations ont commencé dans ce sens à l’occasion de la visite d’Etat en Algérie du président Jacques Chirac en 2003, qu’une nouvelle proposition a été faite aux autorités algériennes en 2007, et que le dialogue a repris lors de la visite d’Etat du président François Hollande en décembre 2012. Or, à chaque fois, « le projet s’est heurté à des difficultés » et les demandes sont « restées sans suites ».

Il est assez surprenant de constater l’imprécision de la réponse ministérielle n’expliquant pas la nature des difficultés rencontrées. Un autre député pourrait peut-être se charger de préciser la question en espérant obtenir une réponse moins floue.

 

 

Mémoire des Harkis, un passé qui ne passe pas en Algérie

Le député du Vaucluse Jacques BOMPARD a interpellé le ministre des Affaires étrangères sur le sort des Harkis qui rencontrent toujours des difficultés à se rendre dans leur pays natal en raison de la mémoire de leur rôle durant la guerre d’Algérie.

Sa demande s’accompagne d’une comparaison étonnante avec la France qui « facilite l'arrivée de nouveaux Algériens sur son sol par l'octroi de visas », ainsi que d’une proposition de solution reposant sur l’établissement « de nouvelles relations avec l'Algérie, fondées sur la vérité et la cohérence historique ».

Doit-on comprendre que dans l’esprit de Jacques BOMPARD, les relations franco-algériennes sont fondées sur un mensonge et une incohérence historique ? Si oui, lesquelles ?

De même, sa comparaison avec la politique migratoire française signifie-t-elle qu’il envisage des mesures de rétorsion spécifiques à l’égard des candidats algériens à l’immigration ?

 

Devant l’ambiguïté de ces interrogations, la réponse du ministre reste prudente, rappelant le discours de François Hollande au parlement algérien en décembre 2012 dans lequel il a appelé à la vérité historique sur le déroulement de la guerre d’Algérie et à l’ouverture des frontières entre les citoyens de ces deux pays.

Il rappelle au passage les actions de reconnaissance de la responsabilité de la France concernant les Harkis, notamment l’institution d’une journée d'hommage national aux Harkis (25 septembre), la reconnaissance « à plusieurs reprises d’une part de responsabilité dans les massacres de 1962 en Algérie », « des mesures symboliques, sociales et pécuniaires en faveur de cette communauté dont l'engagement appartient pleinement à la mémoire nationale », notamment par l’intermédiaire de « la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui inclut spécifiquement les supplétifs de l'armée française et assimilés, et qui mentionne les massacres commis après le 19 mars 1962 en violation des accords d'Evian »… Une façon assez consensuelle de rappeler que la France met tout en œuvre pour reconnaître le rôle particulier de cette communauté dans son passé national, mais qu’il lui est impossible d’exiger de l’Algérie qu’elle accorde le pardon sans risquer de crisper des relations diplomatiques déjà tendues autour de ces questions mémorielles.

 

C’est ensuite au ministre des Anciens combattants d’assurer le service après-vente de cette question de « la reconnaissance de la responsabilité de la France dans les traitements infligés aux anciens combattants harkis, pendant et après la guerre d'Algérie » qui ne semble pas satisfaire le député UDI Rudy SALLES.

Il retrace donc la chronologie des actions menées par le gouvernement français, montrant ainsi à quel point la question des Harkis a été au centre des politiques mémorielles depuis le début des années 2000 :

    - 2001 : création d'une journée d'hommage national, destinée à témoigner à ces anciens combattants la reconnaissance de la République pour leur engagement au service de la France et les épreuves qu'ils ont endurées et apposition de plaques commémoratives dans des « lieux emblématiques ».

    - Décret du 31 mars 2003 instituant une « Journée nationale d'hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives », fixée le 25 septembre de chaque année.

    - Loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des rapatriés et prévoyant « une augmentation régulière au 1er octobre de chaque année de cette allocation pour les anciens harkis, moghaznis et personnels des formations supplétives et assimilées, ainsi que pour leurs veuves », leurs orphelins ou bien des aides multiples à l’éducation, la formation et l’insertion professionnelle pour leurs enfants.

    - Décret du 3 août 2010 : création d'une Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie (dont l’orientation contestée actuellement fait l’objet d’un bilan d’étape en vue d’une réorganisation prochaine).

    - 27 février 2012 : loi visant à sanctionner pénalement les injures et diffamations à l'encontre des membres des formations supplétives.

    - 25 décembre 2012 : Discours du Président de la République reconnaissant la faute de la France en ces termes : « Il y a cinquante ans, la France a abandonné ses propres soldats, ceux qui lui avaient fait confiance, ceux qui s'étaient placés sous sa protection, ceux qui l'avaient choisie et qui l'avaient servie ».

 

 

Conflits autour des mémoires de la guerre d’Algérie

Le député du Nord Marc DOLEZ relaie assez directement une revendication de la  Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (FNACA) qu’il cite directement dans sa question concernant les noms des victimes figurant sur le mémorial national du quai Branly à Paris. Il demande ainsi au ministre « s'il entend prendre des mesures pour ne voir figurer sur le mémorial national à Paris que les noms des seuls militaires et supplétifs « Morts pour la France » en Afrique du nord », considérant donc que ce n’est actuellement pas le cas et que certains noms n'auraient pas leur place sur ce monument. 

 

Mémorial guerre d'Algérie

 

Le ministre rappelle encore une fois la chronologie de ce mémorial afin d’en comprendre le fonctionnement et les enjeux mémoriels :

    - 5 décembre 2002 : inauguration en hommage aux combattants (militaires et supplétifs) morts pour la France en Afrique du Nord.

    - 2006 : une nouvelle stèle est érigée près du mémorial afin d’afficher les noms des personnes disparues et des populations civiles victimes de massacres ou d'exactions commis durant la guerre d'Algérie et après le 19 mars 1962 en violation des accords d'Evian, ainsi que les victimes civiles des combats du Maroc et de la Tunisie. Cette décision est la conséquence directe de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

    - 2009 : affichage sur le mémorial des noms des « victimes civiles françaises innocentes » de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie.

    - 26 mars 2010 : inscription, le, à l'occasion d'une cérémonie associative, des noms des victimes de la fusillade de la rue d'Isly à Alger du 26 mars 1962.

    - 5 octobre 2010 : circulaire formalisant la procédure à suivre pour l’ajout de nouveaux noms.

    - 2011 : décision visant à organiser l’ajout de nouveaux noms sur le mémorial. Les colonnes latérales bleue et rouge sont réservées aux seuls militaires et civils tués dans l'exercice de leur fonction au service de l'État, déclarés morts pour la France, tandis que la colonne centrale blanche rassemble les noms des victimes civiles.

    - 28 février 2012 : 1 585 noms de disparus d'Afrique du Nord sont inscrits sur la colonne centrale du mémorial.

 

Malgré cette distinction assez claire, certains semblent encore s’offusquer de la présence des victimes civiles aux côtés des combattants « morts pour la France » et le député Marc LOHEZ s’en fait l’écho à la tribune de l’Assemblée nationale.

 

 

Comment gérer l’inflation des journées mémorielles ?

Le député Jean-Jacques CANDELIER intervient régulièrement sur les questions mémorielles à l’Assemblée nationale. Cette fois-ci, il revient sur la question de la journée nationale d'’hommage aux morts pour la France souhaitée par l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy.

Encore une fois, le député reconnaît être le porte-parole de revendications associatives, et notamment ici de l’Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC) qui affirme que s’il est indispensable « de rendre hommage à tous les combattants de la guerre de 1914-1918, le 11 novembre de chaque année », « hommage doit être rendu aux anciens combattants de chaque guerre à la date historique de la fin de ces conflits afin de permettre d'en exposer aux populations les causes, les effets et les conséquences dans le but de leur permettre d'agir pour empêcher les drames, les injustices, les massacres, les exactions, les crimes de guerre et toutes les atteintes à la dignité humaine ».

Selon Jean-Jacques CANDELIER et l’ARAC, les journées commémoratives jouent un rôle pédagogique en rappelant chaque année les causes et les conséquences des principaux conflits. Les supprimer reviendrait à « supprimer l'information de la population sur la mémoire historique » et « encourager l'oubli, privant la population de connaissances sur son passé qui fonde son existence nationale et dont elle a un besoin permanent pour faire face aux questions vitales auxquelles elle se trouve confrontée ».

Il propose donc non seulement le maintien de toutes les commémorations actuelles, mais aussi d’instituer une nouvelle journée nationale de mémoire consacrée le 27 mai de chaque année « au souvenir de la résistance antinazie à travers les actions du Conseil national de la résistance et de son programme » et enfin de conserver la date du 19 mars de chaque année comme date de célébration officielle du cessez-le-feu en Algérie qui permit de mettre fin à la guerre et de rendre hommage à toutes ses victimes.

 

Le ministre rappelle que la proposition de Nicolas Sarkozy a été instituée par la loi n° 2012-273 du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France. Il précise cependant l’article 1er « dispose que cet hommage ne se substitue pas aux autres journées de commémoration nationales ».

Comme il l’avait fait auparavant, le ministre rappelle qu’il est aujourd’hui difficile d’inscrire la date du 27 mai dans un calendrier national qui compte déjà quatre journées commémoratives liées à la Seconde Guerre mondiale et qu’il interviendra auprès du ministre de l'Éducation nationale afin que le Conseil National de la Résistance prenne toute sa place dans l’enseignement de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale à l’occasion du 70ème anniversaire de sa création en 2013. Force est de constater qu’à quelques semaines de la fin d’année scolaire, les enseignants d’histoire n’ont reçu aucune directive en ce sens.

 

Le ministre rappelle enfin qu’il est conscient du doublon existant entre les commémorations du 19 mars et celles du 5 décembre. Il renvoie cependant le législateur face à ses responsabilités en précisant que « rien n'empêche en effet qu'un même événement ou une même population fasse l'objet de deux commémorations au cours d'une année ».

Bref, il reconnaît implicitement que l’inflation mémorielle pose actuellement des problèmes très concrets d’organisation et de sens, mais que la pression des groupes mémoriels est tellement forte que toute tentative de rationalisation dans ce domaine est vouée à l’échec.

 

 

Offensives répétées pour une journée nationale de la Résistance

La revendication relayée par Jean-Jacques CANDELIER ci-dessus a fait l’objet d’une proposition de loi débattue à l’Assemblée nationale, mais aussi au Sénat.

Outre l’exposé traditionnel des faits historiques, la discussion au Sénat permet de poursuivre le débat sous la voix du rapporteur Jean-Jacques MIRASSOU qui concède que « certains esprits chagrins, une fois de plus, ont estimé que l’adoption d’une telle proposition de loi ferait courir le risque d’un « encombrement » du calendrier mémoriel ».

Ce à quoi il répond « qu’aucune commémoration officielle, qu’il s’agisse de la journée nationale de la déportation, du 8 mai, du 18 juin ou du 16 juillet, n’est dédiée spécifiquement au Conseil national de la Résistance et, d’une manière plus générale, à la Résistance ».

Dois-je préciser à M. MIRASSOU qu’aucune commémoration officielle n’est dédiée spécifiquement à la déportation pour motif d’homosexualité ? Ni aux victimes de l’Inquisition ? Ni aux victimes de la chasse aux sorcières ? S’agit-il simplement de vouloir une journée nationale pour qu’elle devienne légitime ?

 

Autre argument avancé par Jean-Jacques MIRASSOU : « un sondage CSA publié en juillet 2012 fait ressortir que 67 % des jeunes de quinze à dix-sept ans et 60 % des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans ignorent ce que fut la rafle du Vél’ d’Hiv ». On ne comprend pas bien ici en quoi l’instauration ’une journée nationale de la Résistance permettrait de résoudre cette lacune alors que la journée nationale de la déportation n’y est pas parvenue.

Ce sondage est d’ailleurs prétexte à cibler la jeunesse pour laquelle cette nouvelle journée permettrait d’accéder à « un niveau de connaissance du passé lui permettant d’appréhender dans les meilleures conditions son propre avenir en retenant les leçons de l’histoire ».

Encore une fois, je m’étonne que les députés et les sénateurs soient si prompts à considérer qu’une journée commémorative puisse avoir des vertus pédagogiques, sans jamais s’inquiéter par ailleurs de la diminution des horaires d’enseignement en histoire qui conduisent à étudier la Seconde Guerre mondiale en quelques dizaines de minutes.

 

 

Un hochet pour les acteurs de la mémoire

L’existence d’une forte activité de lobbying est peut-être la plus évidente dans ces revendications honorifiques (mais aussi parfois pécuniaires) au profit des acteurs de la mémoire nationale en France.

Ainsi, le député socialiste Jean-Paul BACQUET a interrogé le ministre chargé des Anciens combattants sur « la disparition [depuis 1963] du mérite combattant » qui « ne permet plus de récompenser les personnes se distinguant par leur engagement et leur dévouement dans le soutien, la défense et la gestion des intérêts des anciens combattants ». Il demande donc « la restauration de l'ordre du mérite combattant ou à défaut la création d'une décoration spécifique (médaille) ».

Dans la même perspective, le député UMP Alain MARLEIX (qui fut secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants en 2007 et 2008) interroge son successeur sur « l'intérêt de créer une médaille du monde combattant [qui] honorerait et récompenserait les personnes bénévoles qui s'investissent sur le terrain, avec force et fierté, pour participer au devoir de mémoire ».

 

La réponse du ministre est similaire pour ces deux revendications. Il rappelle que « l'ordre du Mérite combattant, qui avait été institué par décret du 4 septembre 1953, était destiné à récompenser les personnes qui s'étaient distinguées par leur compétence, leur activité et leur dévouement dans le soutien, la défense et la gestion des intérêts moraux et matériels des anciens combattants et victimes de guerre, notamment comme dirigeants nationaux, départementaux et locaux des associations et œuvres ayant cet objet ». Cette distinction a certes disparu mais « les responsables d'associations d'anciens combattants et victimes de guerre peuvent être distingués dans l'ordre national de la Légion d'honneur et l'ordre national du Mérite, au titre des contingents du ministère en charge des anciens combattants, dès lors qu'ils exercent des activités au sein des instances dirigeantes de leur association, au niveau national ou régional, pour le premier ordre national, et régional ou départemental, pour le second ordre national ».

Le ministre précise par ailleurs que les services de son ministère étudient actuellement la possibilité d’élargir l’accès aux deux ordres nationaux « une catégorie méritante d'acteurs du monde combattant associatif, notamment au niveau local » au regard « des demandes récurrentes formulées par des associations d'anciens combattants pour honorer ces personnes ».

 

Sur la même question, il faut également noter l’édition récente d’un rapport visant à élargir les conditions d’attribution de la carte du combattant aux anciens combattants de l’armée française totalisant au moins quatre mois de présence en Algérie avant le 1er juillet 1964 ou en opérations extérieures.

 

Bref, dans ce domaine, les propos de Napoléon n’ont pas pris une ride : « Je vous défie de me montrer une république, ancienne ou moderne, qui savait se faire sans distinctions. Vous les appelez les hochets, eh bien c’est avec des hochets que l’on mène les hommes ».

 

 

Un bilan vers la modernisation de la politique de la mémoire combattante

Au début de son mandat, Nicolas Sarkozy avait qu’il serait possible de pouvoir simplifier et moderniser la politique mémorielle française. Il avait finalement reculé devant les multiples contestations outragées, au sein même de son camp.

Le député UMP Jean-Pierre GIRAN semble pourtant penser qu’il faille aujourd’hui retenter cette expérience et demande au ministre des Anciens Combattants de faire un bilan de cet effort de modernisation.

Force est de constater au regard de cette chronique qu'une remise à plat de la politique mémorielle française devient urgente !

 

Cependant, le ministre botte en touche en rappelant l’existence de huit fondations (La Fondation de la France libre, la Fondation de la Résistance, la Fondation pour la mémoire de la Déportation, la Fondation Charles de Gaulle, la Fondation pour la mémoire de la Shoah, la Fondation de Lattre, la Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie et la Fondation du camp des Milles) qui constituent selon lui une forme de modernisation répondant « pour partie au problème du vieillissement des structures associatives combattantes ».

Il propose par ailleurs de « franchir une nouvelle étape » en proposant la création d’un « Haut Conseil auprès du ministre délégué dont l’une des sections regrouperait les fondations et les associations de mémoire ».

Pas sûr que cela synonyme d’une réelle modernisation…

 

 

Réhabiliter les fusillés pour l’exemple

Ce dossier est récurrent à l’Assemblée nationale. Il est aujourd’hui réactivé par le député socialiste Vincent FELTESSE qui s’étonne que « plus de 90 ans après les faits, le mouvement engagé par des associations, telles que la Libre pensée, la Ligue des droits de l'Homme, la Ligue de l'enseignement ou l'Association républicaine des anciens combattants, n'a pu aboutir qu'à quelques dizaines de réhabilitations isolées » quand « d'autres pays tels que le Canada, l'Angleterre, la Nouvelle-Zélande et l'Irlande ont réhabilité collectivement leurs soldats fusillés pour l'exemple par voie législative ».

Le ministre confirme la récurrence du sujet en rappelant que le 11 novembre 1918, le Premier ministre Lionel Jospin avait déjà souhaité que « ces soldats, "fusillés pour l'exemple" au nom d'une discipline dont la rigueur n'avait d'égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd'hui, pleinement, notre mémoire collective nationale ! ». Il souligne le fait que ce dossier a fait « de la part des différents gouvernements qui se sont succédés, l'objet de nombreuses prises de position en faveur de la réhabilitation des « fusillés pour l'exemple » de la Première Guerre mondiale » sans qu’aucune décision n'ait été prise.

Mais il ne s’engage lui-même qu’à faire « un premier pas symbolique dans ce dossier en attribuant, à l'occasion de la commémoration du 11 novembre 2012, la mention « mort pour la France » au lieutenant Jean Chapelant, fusillé pour désertion le 11 octobre 1914 dans la Somme après avoir été installé sur un brancard improvisé adossé au poteau d'exécution, alors qu'il avait été blessé, fait prisonnier et s'était évadé » et en promettant de « poursuivre ce travail de mémoire » sans promettre non plus de réelle décision collective.

 

 

Les questions en attente de réponse

Nicolas DUPONT-AIGNAN, député de l’Essonne, s’interroge sur la mémoire des appelés du contingent ayant trouvé la mort en Algérie entre 1953 et 1962 et propose qu’on leur décerne la Légion d’honneur à titre posthume.

Il attise notamment les tensions en rappelant par ailleurs que le Président de la République s’est engagé lors de son déplacement en Algérie à attribuer 50 000 cartes de combattants, avec les pensions afférentes, à des anciens combattants algériens ayant servi la France. « Il lui demande, avant d'instruire les dossiers de ces combattants de l'autre rive de la Méditerranée, de bien vouloir privilégier la mémoire des combattants français en décernant la Légion d'honneur à titre posthume à tous les fils de France tombés en Algérie ».

Décidément, la guerre des mémoires algérienne n’est pas prête de s’arrêter ! 

 

Le député UMP Christian ESTROSI souhaite obtenir davantage d’informations sur la proposition contenue dans le rapport sur la refondation des politiques d'intégration consistant à organiser une commémoration solennelle autour d'un mur du souvenir, démontrant le profond attachement de l'armée et de la Nation aux illustres anciens de toutes confessions et de toutes origines.

On s’interroge aussi, avec Christian ESTROSI sur le devenir de ce rapport remis au Premier ministre le 1er février 2013 qui propose d’utiliser la mémoire comme outil d’intégration dans certains quartiers dits « sensibles ».

Il invite donc non seulement d’organiser une commémoration démontrant le profond attachement de l’armée et de la nation aux illustres anciens de toutes confessions et de toutes origines, mais aussi de prévoir qu’ « une fraction de la ressource mobilisée pour tout projet de rénovation urbaine soit systématiquement consacrée au recueil, à l’exposition et à la conservation de sa mémoire, pouvant comprendre l’édification préalable d’un lieu de mémoire, en association avec les habitants et sous l’égide de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration ».

Bien que cette expérience n’apparaisse pas dans ce rapport, des expériences de ce type ont été testées dans l’agglomération dijonnaise et nous l’avions déjà chroniqué à l’époque…

 

Le député UMP Claude STURNI se fait l’avocat d’une revendication associative en signalant que les subventions de l’Etat français à l’association Pèlerinage Tambov ont tellement diminué qu’elles ne permettent plus l’envoi de jeunes en Russie sur le site d'inhumation de Tambov afin d’assurer son entretien. Ces lieux de mémoire rendent hommage aux incorporés de force (aussi appelés « Malgré-nous ») de l’armée allemande.

 

La députée UMP Catherine Vautrin interpelle le Premier ministre pour connaître ses intentions quant au transfert des cendres de Maurice Genevoix au Panthéon dans le cadre des commémorations du centenaire de la Grande Guerre en préparation. Si le dossier est régulièrement évoqué dans les préparatifs, la décision finale ne semble en effet pas totalement actée.

 

On s’étonne enfin que le député UMP François VANNSON repose encore une fois le 19 février 2013 une question sur le choix de la date du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, considérant que la date du 5 décembre est « une date consensuelle, recommandée par des historiens, et qui permet de commémorer le souvenir des morts en Algérie, au Maroc et en Tunisie ».

A l’inverse, son collègue socialiste Hervé FERON interroge le ministre des Anciens Combattants « sur le maintien de la journée de commémoration du 5 décembre, instaurée par décret du 26 septembre 2003 » car « il ne comprend pas la volonté du Gouvernement de conserver cette date ».

Décidément, le dossier risque de faire couler encore beaucoup d’encre.

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26 février 2013 2 26 /02 /février /2013 08:37

 

Les initiatives se succèdent et se ressemblent.

Cette fois-ci, c'est au tour de nos voisins belges de voter le 24 janvier 2013 une résolution mémorielle  visant à reconnaître  la responsabilité de l'Etat dans la persécution des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale 

 

Senat_Belgique.jpg

Le texte adopté à l'unanimité par le Sénat s'appuie en introduction sur un  rapport du Centre d'Études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines (CEGES), intitulé « La Belgique docile. Les autorités belges et la persécution des Juifs en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale ».

Ce document publié en février 2007 à la demande du Sénat témoigne d'une forte volonté politique initiale qui utilise l'histoire comme un gage mais ne semble pas s'en contenter puisqu'il est rappelé en introduction de la résolution que "malgré les ouvrages d'historiens qui ont ouvert la voie à une appréciation plus critique de cette période, cette page sombre de l'histoire de la Belgique reste méconnue et n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance officielle, contrairement à ce qui s'est produit en France".

 

La résolution belge a cette particularité d'être particulièrement claire et honnête sur ses objectifs mémoriels.

Les auteurs parlent ainsi de "leçon" à tirer de l'histoire, "une leçon qui nous semble toujours pertinente si on l'applique à des situations plus récentes comme la purification ethnique en Bosnie ou le génocide des tutsis de 1994 qui a eu lieu au Rwanda".

A l'échelle nationale également, les sénateurs rappellent que "le devoir de mémoire est nécessaire. Certains faits récents nous rappellent à quel point l'enseignement de la Shoah, de ses causes et de ses conséquences est essentiel pour combattre le fanatisme et les idées d'extrême droite. Dernièrement, un sondage a mis en évidence que 43 % des Belges estiment que le nazisme « comportait des idées intéressantes ». Ce même sondage relève que plus de 50 % des moins de 25 ans ignorent que l'antisémitisme était un des fondements de l'idéologie nazie et que seuls 26 % savent que le principe d'une prétendue race aryenne supérieure la constituait. Enfin, l'ouverture récente d'une section du groupe néo-nazi « Blood and Honour » en Wallonie montre que l'idéologie nazie continue d'exister dans notre pays et que le combat contre les idées d'extrême droite n'est pas terminé".

 

Le message est donc limpide : face à la résurgence de l'antisémitisme en Europe, il faut réveiller la mémoire du génocide des Juifs d'Europe !  

Ce que le texte ne dit pas cependant, c'est comment une telle résolution mémorielle pourrait permettre de lutter contre l'antisémitisme. Des recommandations sont certes formulées sur l'enseignement de la Shoah, sur la reconnaissance du statut de déporté racial ainsi que celui d'orphelin de la Shoah, sur les éventuelles réparations et pensions, sur l'encouragement et la diffusion des recherches historiques et sur la préservation des archives dans ce domaine... mais où sont les études qui permettent de démontrer que de telles mesures seront efficaces pour répondre aux objectifs auxquels elles sont censées répondre ? 


Que le pouvoir politique s'empare régulièrement de l'histoire n'est pas une idée neuve. Au contraire, les dizaines d'articles de ce blog témoignent des multiples facettes d'une relation presque fusionnelle entre le politique et l'histoire.

En revanche, l'idée récurrente selon laquelle une loi ou une résolution mémorielle pourrait régler un problème publique demeure une aberration. En France, la loi Gayssot n'a guère empêché les thèses négationnistes de se propager et a encore moins stoppé l'ascension vertigineuse de l'extrême-droite aux élections. Si les Sénateurs belges s'inquiètent de l'apparition de groupes néo-nazi en Wallonie, pourquoi ne réfléchissent-ils pas à une loi permettant de les interdire ou à des mesures économiques et sociales visant contrer leur terreau idéologique plutôt qu'une résolution sur la reconnaissance de la persécution des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale qui a objectivement peu de chance d'ébranler leurs certitudes ?

A moins qu'il ne s'agisse tout simplement de répondre à une revendication mémorielle... ce qui est bien plus probable mais moins avouable.

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25 février 2013 1 25 /02 /février /2013 10:56

 

Je ne sais pas si Arnaud Montebourg apprécie sa caricature d'aristocrate d'un autre temps, mais il semble bien décidé à l'assumer.

 

montebourg_medieval.png

 

Dans  le tournoi qui l'oppose au PDG de Titan International, le ministre du Redressement productif invoque la mémoire de La Fayette et des soldats américains sur les plages de Normandie pour défendre l'honneur de la France salie par les saillies de Maurice Taylor :

"La France est d'autant plus fière et heureuse d'accueillir les investissements américains que nos deux pays sont liés par une amitié ancienne et passionnée. Savez-vous au moins ce qu'a fait La Fayette pour les États-Unis d'Amérique ? Pour notre part, nous Français, n'oublierons jamais le sacrifice des jeunes soldats américains sur les plages de Normandie pour nous délivrer du nazisme en 1944".

 

Si on suit le raisonnement d'Arnaud Montebourg, un investisseur américain devrait donc maintenir ses financements en France en 2013 sous prétexte, entre autres, qu'un aristocrate français ait participé à la guerre d'indépendance des États-Unis au XVIIIe siècle.

L'argument fait sourire sans même parvenir à égratigner l'armure purement financière de son opposant... et c'est peut-être mieux ainsi ! Car si Maurice Taylor commençait à vouloir répondre sur le même ton qu'Arnaud Montebourg, il n'aurait probablement aucun mal à lui montrer que le marquis de La Fayette était au moins autant libéral en politique qu'en économie.

 

Le risque est probablement calculé de la part d'Arnaud Montebourg qui sait que l'invocation de l'Histoire en politique demeure toujours au stade anecdotique.. sauf si ceux qui souhaitent précipiter son départ (en France comme aux États-Unis) venaient à amplifier ce détail pour faire durer le tournoi.

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19 février 2013 2 19 /02 /février /2013 09:20

 

Outre la longue session consacrée au "mariage pour tous" qui a donné lieu à des manifestations mémorielles particulièrement marquantes, l'Assemblée nationale a également travaillé sur d'autres thématiques mémorielles tout aussi passionnantes.. et souvent surprenantes ! 

 

assemblee-nationale

 

Enseigner le "devoir de mémoire" avec les archives militaires et archives départementales

La question posée par M. François Cornut-Gentille, député UMP de Haute-Marne, est pour le moins surprenante. Ce dernier interroge le ministre de l'Education nationale sur  le "devoir de mémoire" en ces termes :

"L'importance du souvenir des sacrifices consentis par des générations anciennes pour défendre le territoire et les valeurs de la France est une priorité qui transcende les clivages politiques. Plusieurs organismes et administrations contribuent à animer ce devoir de mémoire, parmi lesquels l'éducation nationale, le service historique de la défense ou les différentes archives départementales. Les archives conservées par le SHD ou les conseils généraux constituent un socle pédagogique extrêmement riche. En conséquence, il lui demande de préciser les actions entreprises par son ministère pour encourager les enseignants d'histoire à exploiter les archives militaires et/ou départementales avec leurs élèves, dans le cadre du devoir de mémoire".

 

D'abord, on s'étonne qu'un député qui s'interroge sur ces questions utilise aussi légèrement l'expression de "devoir de mémoire" alors que cette dernière a fait l'objet de multiples mises au point historiographiques depuis plusieurs années. S'il n'est désormais plus vraiment question de condamner cette injonction au souvenir qui constitue une manifestation mémorielle récurrente, il est cependant admis depuis quelques années que l'expression doit être utilisée avec prudence et parcimonie. Il n'est d'ailleurs pas anodin de constater que la réponse des services du ministère utilise l'expression de "travail de mémoire" plutôt que celle utilisée dans la question.

Dans la formulation de sa question, M. François Cornut-Gentille semble considérer que les enseignants d'histoire seraient les animateurs naturels du "devoir de mémoire". Bien que  les actions dans ce domaine soient de plus en plus nombreuses, il convient de rappeler au député que cette mission n'est pas celle des professeurs d'histoire qui, comme leur dénomination l'indique, doivent d'abord enseigner une science fondée sur l'analyse critique et non pas diffuser un regard émotionnel sur le passé.

Ce qui est encore plus surprenant, c'est que M. Cornut-Gentille en appelle aux services des archives pour entretenir ce "devoir de mémoire" alors que ces documents sont par définition à la source de la science historique.

Sur ce point, la réponse du ministère de l'Education nationale se contente d'énumérer les innombrables concours proposés aux élèves au cours de leur scolarité sans vraiment se prononcer sur la question de l'encouragement des enseignants d'histoire à exploiter les archives militaires et/ou départementales avec leurs élèves. On aurait pourtant pu signaler l'existence de nombreux enseignants détachés pour plusieurs heures dans les centres d'archives afin d'animer des services éducatifs.

D'ailleurs, une simple recherche sur l'Internet permet de vérifier que les archives départementales de la Haute-Marne (département d'élection de M. Cornut-Gentille) est pourvu d'un tel service qui explique avoir "pour mission d’introduire les archives dans le milieu scolaire, d’en favoriser la connaissance et l’utilisation"...Internet, c'est parfois plus rapide et efficace qu'une question à l'Assemblée nationale !

 

A noter également que la question de la mémoire a l'école semble intéresser très fortement les députés puisque M. Georges Fenech, député UMP du Rhône, vient de poser une question au ministre de l'Education nationale où il s'inquiète que "les commémorations n'attirent que très peu de jeunes" et affirme qu'il "est de notre devoir de ne pas laisser les générations à venir ne voir que sous l'aspect des matières scolaires les conflits actuels et passés".

Ainsi donc, l'enseignement de l'histoire serait nuisible aux jeunes s'il n'était pas accompagné d'une communion émotionnelle autour de la mémoire des grandes guerres !!! Et de demander "l'organisation d'une journée annuelle nationale de la mémoire dans les établissements scolaires" en plus des multiples manifestations qui sont déjà proposées dans le cadre scolaire avec le soutien du ministère de l'Education nationale.

Les collègues apprécieront cette délicate marque de confiance envers leur travail ainsi recouvert de suspicion.

 

assemblee-nationale

 

Commémorer la Guerre d'Algérie

Nous avions évoqué lors de la précédente chronique une demande des députés concernant la multiplication des journées commémoratives relatives à la Guerre d'Algérie.

En effet, le 5 décembre est déjà considéré comme la Journée nationale d'hommage aux "morts pour la France" pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie

Par ailleurs, la loi du 28 février 2012 dispose que la mémoire de tous les morts pour la France soit honorée le 11 novembre.

Dès lors, le député Jacques Bompard s'interrogeait sur la proposition du groupe socialiste du Sénat d'officialiser le 19 mars 1962 comme date de la fin de la guerre d'Algérie et journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. 

Depuis, cette proposition a été acceptée, validée par le Conseil constitutionnel et publiée au Journal officiel de la République française du 7 décembre 2012.

 Dans sa réponse, le ministère des Anciens Combattants ne nie pas ce doublon, voire cette triplette, mais rappelle que "rien n'empêche en effet qu'un même événement ou une même population fasse l'objet de deux commémorations au cours d'une année" tout en renvoyant le législateur à ses responsabilités.

A bon entendeur...

 

assemblee-nationale

 

Commémorer la Résistance

Mme Catherine Beaubatie, députée socialiste de Haute-Vienne, avait interpellé le 6 novembre 2012 le ministre délégué chargé des anciens combattants, sur le projet de création d'une journée nationale de la résistance :

"Certes, la date du 18 juin a été reconnue comme symbole de la résistance dans notre pays. Cependant, la date du 27 mai, celle de la création du Conseil national de la résistance en 1943, proposée par de nombreuses associations d'anciens combattants, serait également un symbole très fort de l'engagement des représentants d'une génération entière, qui ont accepté le sacrifice pour défendre la démocratie et la liberté. Cette date est parfois célébrée au niveau régional, notamment en Limousin, au niveau local et départemental".

 

Cette question n'est pas anodine et révèle avec force les enjeux de la construction mémorielle.

D'un côté, la France entretient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale une mémoire de la Résistance éminemment liée au destin du général De Gaulle présenté comme l'homme providentiel.

De l'autre, de nombreuses associations souhaiteraient justement minimiser cette personnification à outrance pour rappeler l'importance des mouvements très largement composés d'anonymes.

Par sa réponse, on comprend que le ministère a fait le choix de la tradition en rappelant que "par son appel symbolique lançant les bases « d'une flamme qui ne s'éteindra pas », le général de Gaulle a refusé la défaite et appelé à poursuivre le combat". Cependant, il est précisé que cette date symbolique liée au destin du général De Gaulle doit être l'occasion de rappeler aussi que "dès juin 1940 des Français ont refusé de se résigner à la défaite". Il s'agit donc de rendre hommage au général, tout en mentionnant l'engagement collectif du peuple français. 

 

Au passage, il est annoncé que le 70e anniversaire de la création du CNR sera "un point fort de la célébration de la Résistance en 2013" et que le ministère des Anciens Combattants interviendra auprès du ministre de l'éducation nationale afin que le Conseil national de la Résistance "prenne toute sa place dans l'enseignement de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale".

Doit-on comprendre par cette phrase que le ministre entend intervenir dans le contenu des programmes ? Décidémment, il va bientôt falloir augmenter les horaires d'enseignement de l'histoire si chacune des revendications exprimées par les députés ce mois-ci sont exaucées.

 

assemblee-nationale

 

Commémorer les morts des opérations extérieures (OPEX)

Des militaires français sont engagés dans ce que l’on appelle les Opex, les opérations extérieures. Il s’agit d’interventions des forces militaires françaises en dehors du territoire national. Elles se déroulent en collaboration avec les organisations internationales (l’ONU et l’OTAN) et les armées locales. Les opérations récentes en Afghanistan et au Mali rappellent que ces interventions font régulièrement des victimes parmi les troupes françaises.

Selon le député Jean-Michel Villaumé (Socialiste - Haute-Saône), "alors que les combattants tombés au combat lors des grandes guerres bénéficient dans chaque commune de notre pays de véritables lieux de mémoire, ces militaires tombés sur le front n'ont pas de tels lieux de commémoration".

Le ministère des Anciens Combattants lui oppose un démenti formel en rappelant que "les noms des « morts pour la France » au cours des opérations extérieures ont pu, dès l'origine, figurer sur ces monuments, à la suite des noms des victimes des précédents conflits du XXe siècle. La loi n° 2012-273 du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France rend désormais obligatoire l'inscription du nom de la personne militaire ou civile à qui a été attribuée la mention « mort pour la France », sur le monument aux morts de sa commune de naissance ou de dernière domiciliation ou encore sur une stèle placée dans l'environnement immédiat de ce monument. La demande d'inscription est adressée au maire de la commune choisie par la famille ou, à défaut, par les autorités militaires, les élus nationaux, les élus locaux, l'Offiice national des anciens combattants et victimes de guerre par l'intermédiaire de ses services départementaux, ou les associations d'anciens combattants et patriotiques ayant intérêt à agir".

Le ministère en profite également pour annoncer qu'il a "décidé de faire ériger un monument nominatif dédié aux morts en opérations extérieures. La Ville de Paris ayant donné son accord pour que le monument soit implanté à proximité de l'hôtel national des Invalides, place Vauban, une consultation a été lancée le 27 septembre 2012 pour aboutir au choix d'un projet pour lequel une dotation de 1 M€ est prévue dans le projet de loi de finances pour 2013".

Bref, encore un nouveau lieu de mémoire !

 

assemblee-nationale

 

Une nouvelle loi mémorielle ?

C'est un marronnier de l'Assemblée nationale qui ressort cette fois-ci sous la plume des députés Valérie BOYER, Olivier AUDIBERT-TROIN, Marcel BONNOT, Charles de LA VERPILLIÈRE, Guy TEISSIER et Dominique TIAN.

Il s'agit cette fois-ci d'une proposition de loi visant à punir par une amende et/ou une peine de prison ceux "qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence dans les conditions visées par le sixième alinéa de l’article 24 en contestant, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence ou la qualification juridique d’un ou plusieurs génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre notoires dont la liste chronologique suit :

– Esclavage et traite ;

– Génocide arménien ;

– Crimes visés par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945.

Vaudra contestation, au sens du présent article, la négation, la banalisation grossière ou la minimisation desdits crimes, de même que l’usage de tout terme ou signe dépréciatif ou dubitatif pour les désigner, tel que “soi-disant”, “prétendu”, “hypothétique” ou “supposé”."

 

A titre d'exemple, si cette loi avait été en vigueur au moment où j'ai dirigé mon ouvrage sur la déportation pour motif d'homosexualité en France, je serais actuellement en prison avec mes collègues puisque nos travaux ont notamment permis de montrer que les allégations diffusées pendant plusieurs décennies concernant un soi-disant, prétendu, hypothétique et supposé (Bingo !) "homocauste" étaient tout à fait exagérées tant du point de vue des chiffres que du vocabulaire utilisé pour désigner ce qui demeure néanmoins une terrible opération de persécution des homosexuels européens.

 

Je m'interroge également sur l'utilisation de l'expression "banalisation grossière" censée tomber sous le coup de la loi. Ne peut-on pas considérer en effet que l'idée saugrenue de confier la mémoire d'enfants juifs à de jeunes écoliers constitue une forme de "banalisation grossière" du génocide des juifs d'Europe ? Dès lors, j'aurais peut-être eu un ancien président de la République comme compagnon de cellule...

 

assemblee-nationale

 

Une reconnaissance mémorielle des Harkis

C'est la demande de Mme Luce Pane, député socialiste de Seine-Maritime, qui affirme "la nécessité pour la République de reconnaître les erreurs dramatiques commises envers les harkis et qui, aujourd'hui encore, impactent le devenir des 500 000 harkis et descendants de harkis présents en France".

Visiblement, le discours de François Hollande au Parlement algérien en décembre 2012 ne lui a pas suffit et elle souhaite une déclaration plus solennelle.

La réponse du ministre des Anciens Combattants n'est pas encore publiée.

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2 février 2013 6 02 /02 /février /2013 11:42

 

Mercredi 30 janvier 2013, Christian Assaf, député socialiste de l'Hérault, est monté à la tribune de l'Assemblée nationale dans le cadre du débat parlementaire sur l'ouverture du mariage civil aux couples de même sexe. Il a ponctué son intervention par une formule qui a suscité l'indignation sur les bancs de l'opposition et attiré l'attention des médias : "Le temps du triangle rose est terminé !".

 

 

Que de chemin parcouru !

Alors que les députés de l'opposition faisaient mine de s'offusquer d'une telle attaque et tentaient encore une fois de bloquer le débat par du bruit médiatique et de la controverse politicienne, j'étais pour ma part étonné qu'une telle déclaration puisse être prononcée à la tribune de l'Assemblée nationale.

Que de chemin parcouru en effet depuis ce 25 avril 1975 où une délégation du Groupe de Libération des homosexuels (GLH) était arrêtée et placée en garde à vue pour avoir essayé de déposer une gerbe en mémoire des homosexuels déportés au Mémorial de l'île de la Cité à Paris.

Que de chemin parcouru depuis ce 28 avril 1985 où le Collectif homosexuel comtois était violemment chassé de la cérémonie au pied du monument de la déportation de Besançon aux cris de "Ils auraient dû être tous exterminés" et "On devrait rouvrir les fours pour eux" prononcés par des anciens déportés et enfants de déportés.

Que de chemin parcouru depuis la création de deux associations françaises visant à défendre et valoriser la mémoire de la déportation pour motif d'homosexualité : le Mémorial de la Déportation Homosexuelle (MDH) en 1989 et les Oubliés de la Mémoire (ODLM) en 2003.

Que de chemin parcouru depuis le discours de Lionel Jospin le 26 avril 2001, puis celui de Jacques Chirac le 24 avril 2005, reconnaissant politiquement la déportation pour motif d'homosexualité.

 

2005, c'est justement l'année où, en tant qu'étudiant en histoire, j'ai décidé d'orienter mes travaux de recherche sur l'histoire et les mémoires de la déportation pour motif d'homosexualité en France. A l'époque, très peu de personnes avaient déjà entendu parler de ce sujet. Un sondage dans un bar gay et auprès de professeurs d'histoire m'avait d'ailleurs permis de réaliser l'étendue de l'ignorance sur cette question auprès d'un public que je pensais pourtant sensibilisé.

 

Une étape historique

Que s'est-il donc passé depuis pour qu'un député puisse utiliser l'expression de "triangle rose" sans autre forme d'explication ?

L'un des premiers éléments d'explication qui m'est venu à l'esprit était qu'Hussein Bourgi, secrétaire départemental du PS de l'Hérault ET président du Mémorial de la Déportation homosexuelle ait discrètement inspiré le discours d'un des députés de sa circonscription. Or, celui-ci m'a répondu qu'il n'y avait eu "aucune influence récente" de sa part mais qu'il fallait peut-être y voir "le fruit d'un travail de pédagogie très ancien auprès des élus de mon département et plus largement auprès de la population locale".

Il est clair en effet que ce sujet a bénéficié d'une audience particulière depuis quelques années. J'ai moi-même organisé un colloque et dirigé un ouvrage sur la question. D'autres livres ont été également écrits, accompagnés de films, téléfilms, documentaires, expositions et autres évènements bénéficiant généralement d'une audience médiatique non-négligeable.

Mais à mon avis, tous ces éléments constructifs ne sont rien à côté de la polémique qui a explosé l'année dernière lorsque Christian Vanneste qualifiait la déportation des homosexuels de "fameuse légende". Je me souviens de ce jour complètement délirant où tous les éditorialistes s'étaient exprimés sur le sujet, où des dizaines de journalistes avaient réussi à bloquer ma messagerie et s'étaient ensuite adressés à mes élèves qui m'interrompaient en plein cours pour me dire qu'un journaliste essayait de me joindre par l'intermédiaire de leur portable. Je me souviens aussi que c'est le jour où Nicolas Sarkozy avait annoncé sa candidature sur TF1 et qu'il avait été lui aussi obligé de s'exprimer sur cette affaire retombée aussi vite qu'elle s'était emballée.

Force est de constater que derrière la polémique, quelques éléments de pédagogie ont pu être diffusés et ont permis de mieux connaître cet aspect particulier de l'histoire de la déportation.

 

Un nouveau point Godwin

L'usage de l'expression "triangle rose" à la tribune de l'Assemblée constitue donc une étape historique dans la construction mémorielle de la déportation pour motif d'homosexualité en France. Cependant, le contexte de son utilisation s'inscrit dans le cadre d'une autre phénomène bien connu des lecteurs de ce blog : le Point Godwin !

Christian Assaf prononce en effet cette diatribe pour dénoncer "certains extrémismes" et "des discours aux relents homophobes". Par ce procédé, il a donc recours aux références du nazisme pour stigmatiser son adversaire dans le cadre d'un débat, ce qui constitue exactement la définition du Point Godwin.

Les députés de l'opposition l'ont d'ailleurs bien compris comme cela puisque qu'Hervé Mariton, député UMP de la Drôme, a ensuite dénoncé ce qu'il considère comme des "propos inacceptables" et rappelé au nom de ses collègues : "Nous condamnons absolument l'homophobie, les actes inqualifiables accomplis par le régime nazi à l'encontre des personnes homosexuelles. Oui, nous sommes en sympathie avec tous ceux qui ont souffert du régime nazi et les homosexuels en font partie".

On peut s'étonner cependant que les députés de l'opposition n'aient pas été animés de la même ferveur lorsqu'il s'agissait de condamner les multiples points Godwin qui se sont exprimés jusqu'à présent exclusivement dans le camp de l'opposition au mariage pour tous.

 

De son côté, Christian Assaf a souhaité s'expliquer sur l'utilisation de ce point Godwin, ce qui est suffisamment rare pour être lu :

"Oui, j’ai tenu à dire que « le temps du triangle rose est terminé » car j’ai tenu à rappeler l’Histoire. Celle de femmes et d’hommes qui ont souffert dans leur chair en raison de leur orientation sexuelle. Celle de femmes et d’hommes qui ont payé de leur vie leurs choix sentimentaux.

Oui, j’ai tenu à dire que « le temps du triangle rose est terminé » car lorsque j’entends certains plaider pour que des élus de la République aient la possibilité de ne pas célébrer les mariages homosexuels, je considère cette discrimination infamante. Car lorsque je lis des propositions expliquant que ces mariages pourraient être délocalisés, célébrés dans d’autres Mairie, je m’inquiète de cette intolérance. La Mairie est la maison de tous les citoyens, aucune d’entre elles ne doit pouvoir refuser de célébrer un mariage en raison d’une orientation sexuelle. La République est le bien de tous, aucun argument n’est recevable pour justifier une tentative de ghettoïsation de ces unions.

Oui, j’ai tenu à dire que « le temps du triangle rose est terminé » car il existe des amendements s’inquiétant des « flux d’étrangers qui pourraient vouloir venir se marier en France ». Mais que reste-t-il de notre Histoire, de notre humanisme, lorsque de telles suppositions nauséabondes peuvent être émises ?

Oui, j’ai tenu à dire que « le temps du triangle rose est terminé » car je n’ai pas supporté les nombreux dérapages homophobes qui ont pu être proférés autour de ce projet de loi. « Gays femelles », « unions avec les animaux », « autodétruire une espèce », « déclin de la civilisation »… Comment pourrait-on ne pas s’indigner des relents homophobes que contiennent ces déclarations.

Certains se plairont à sortir l’argument du point Godwin pour une fois de plus éluder le débat et éviter de discuter du fond".

 

Christian Assaf assume donc totalement cette expression au sens où elle ne serait pas destinée selon lui à stigmatiser un adversaire qu'il associerait ainsi au nazisme, mais plutôt à mobiliser le souvenir de victimes pour mieux dénoncer une discrimination qui n'aurait jamais vraiment cessé.

Cette interprétation inédite trouvera peut-être d'autres illustrations à l'avenir. En attendant, il reste encore plusieurs jours de débat, et probablement d'autres point Godwin en perspective.

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12 janvier 2013 6 12 /01 /janvier /2013 07:44

 

Le titre du colloque ne pouvait nous laisser indifférent, sa description non plus :

"On a beaucoup parlé et écrit sur les mémoires de groupe et communautaires en limitant leur rapport et leur histoire à des conflits, des « guerres », des concurrences, des stratégies d’occultation ou de mise sous silence à tel point que ces termes sont devenus des lieux communs d’une sorte de doxa plus générale sur la mémoire collective et culturelle dont s’alimentent les discours universitaires et médiatiques, sans venir les interroger – à quelques exceptions près.

Le colloque propose de procéder à une lecture critique de ces termes en venant questionner l’émergence, la constitution (l’institution) et la mise en rapport de différentes mémoires exemplaires des grandes violences du XXe siècle. Les interventions donneront ainsi une approche comparée, d’une part, de l’émergence et de la constitution de certaines mémoires de groupe (comment s’affirment-elle et se font-elle reconnaître dans l’espace public et dans la culture ?), d’autre part, des rapports que ces mémoires peuvent entretenir avec d’autres mémoires dont elles partagent, sinon le même événement, du moins un temps, des caractéristiques ou des préoccupations communes".

 

Le programme témoigne d'un attachement aux principaux évènements du XXe siècle qui cristallisent encore aujourd'hui les manifestations mémorielles : Grande Guerre, Seconde Guerre mondiale et Guerre d'Algérie.

Les organisateurs ont cependant opéré un classement thématique et non pas chronologique des différentes interventions, identifiant des "mémoires traversant l'histoire", d'autres "en chantier" et enfin, certaines qualifiées de "périphériques" (qui aurait pu aussi s'appeler "autres" au regard du contenu très disparate). 

 

Parmi les interventions, mon attention a été particulièrement attirée par la proposition de Pierre Albertini sur les "paradoxes de la mémoire gay : l'exemple français". Ayant moi-même réalisé une communication sur ce thème en 2009 lors d'un colloque sur les mémoires victimaire dont les travaux ont été publiés chez Champ Vallon en 2011, je serais curieux d'entendre comment cette thématique a été renouvelée par un collègue.

 

Actualisation du 1er mai 2013

Merci aux lecteurs attentifs de ce blog qui m'ont signalé la publication des communications de ce colloque sur Internet. Vous pouvez donc désormais écouter les différentes interventions librement.

 

Le programme :

Vendredi 18 janvier 2013 - 14h00-19h00

MEMOIRES TRAVERSANT L’HISTOIRE

Christian BIET (Paris-Ouest Nanterre / HAR/ IUF) : Les leçons de l’Édit de Nantes
Nicolas
BEAUPRE (UBP Clermont-Ferrand 2 / CHEC / IUF) : La Grande Guerre : du témoin à l’historien, de la mémoire à l’histoire ?
Catherine
BRUN (Paris 3-Sorbonne nouvelle) : Histoire, ignorances, mémoire(s) : quel(s) savoir(s) pour quelle(s) mémoire(s) de la guerre d’Algérie ?

Nicole LAPIERRE (CNRS) : Mémoires juives et mémoires noires, une « cause commune » ?
François
AZOUVI (EHESS / CNRS) : Le mythe du grand silence

 

Samedi 19 janvier 2013 - 10h00-13h00

MEMOIRES EN CHANTIER 

Sophie ERNST (professeur agrégée de philosophie, TZR, Académie de Créteil) : De « l’indicible” au ”paradigme », la mémoire de la Shoah comme « grand récit »
Pierre
ALBERTINI (historien, prépa. Condorcet) : Les paradoxes de la mémoire gay : l’exemple français
Danielle
ROZENBERG (CNRS/ Université de Paris Ouest Nanterre) : La mémoire du franquisme dans la construction de l’Espagne démocratique : les voies incertaines d’une réconciliation nationale
Régine
ROBIN (professeur émérite de l’Université du Québec à Montréal) : Identité et mémoire au Québec

 

14h00-18h00

MEMOIRES PERIPHERIQUES

 Jean-Charles SZUREK (CNRS/Université de Paris Ouest Nanterre/ENS Cachan) : La Pologne, pays témoin de la Shoah
Nadia
TAHIR (Université de Caen-Basse Normandie – ERLIS) : Mémoires en conflits : associations de proches de détenus-disparus et associations de survivants en Argentine
Meir
WAINTRATER (ancien directeur de la revue L’Arche) : De Jérusalem à Kigali, ou la toute-puissance des victimes

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5 janvier 2013 6 05 /01 /janvier /2013 10:14

 

Il y a des films qu'on aimerait avoir écrit tellement leur récit nous semble familier. 

Il y a des films qui semblent être d'une telle évidence qu'on a l'impression de les avoir vécu.

 

Les Invisibles de Sébastien Lifshitz est de ceux-là :

 

 

Soyons honnête, il m'est impossible d'être totalement objectif sur ce film.

D'une part, car son sujet est au croisement de mes thématiques de recherche : l'histoire des homosexualités et les études mémorielles.

D'autre part, car j'ai eu la chance de croiser le chemin de Sébastien Lifshitz au début de ce projet. A l'époque, j'étais encore un jeune étudiant terminant son master d'histoire contemporaine sur l'histoire et la mémoire de la déportation pour motif d'homosexualité en France. Notre échange a commencé par téléphone et s'est poursuivi à la terrasse d'un café. Les témoins n'étaient pas encore trouvés et notre discussion avait surtout été théorique : Pourquoi les jeunes homosexuels regardent-ils si peu leur passé ? Et pourquoi les homosexuels âgés deviennent-ils progressivement invisibles ?

Depuis, j'ai suivi l'avancée de ce projet en pointillés, rencontrant souvent par hasard les collaborateurs de Sébastien Lifshitz un peu partout en France au gré d'une réunion, d'une manifestation ou d'un entretien.

C'est pourquoi j'ai été étonné (et honoré) de voir apparaître mon nom à la fin du générique, n'estimant pas vraiment avoir été d'une grande utilité sur ce documentaire.

Maintenant que la promotion du film est terminée et que le travail de Sébastien a récolté  toutes les récompenses qu'il mérite, il m'est possible d'en parler plus librement.

 

Un hommage au dialogue inter-générationnel

Le fait que ce film remporte le César 2012 du meilleur documentaire aux côtés du film Amour de Michael Haneke n'est pas une coïncidence. Ces deux oeuvres cinématographiques témoignent d'un nouveau regard sur notre société et sur la part grandissante des seniors qui la composent.

Tandis que les années 1960-1970 étaient dominées par la "génération yéyé" issue du baby-boom et porteuse d'avenir dans le contexte des Trente Glorieuses, le début du XXIe siècle est indéniablement marqué par cette même génération qui a vieilli mais qui n'a jamais perdu l'étincelle de ses espoirs alors que notre société les regarde avec tendresse comme les fossiles d'une époque révolue.

 

les-invisibles-1.jpg

 

Le film repose sur le témoignage d'hommes et de femmes nés dans l'entre-deux guerres et qui ont décidé, à un moment de leur vie, d'assumer leur homosexualité sans pour autant devenir des figures du militantisme. Face à la caméra discrète de Sebastien Lifshitz, ils racontent leur vie, leurs déboires, leurs amours et leurs combats.

 

L'une des grandes qualités de ce film repose sur la diversité des témoins qui représentent une large palette de catégories sociales et culturelles, jetant ainsi une première pierre dans la mare paisible des stéréotypes souvent véhiculés sur l'homosexualité.

Cette sélection attentive permet en effet d'ébranler certains mythes, dont le principal repose sur l'image erronée d'un homosexuel majoritairement citadin et appartenant à une sorte de caste bourgeoise culturellement privilégiée.

Parmi les témoins de ce film figurent de nombreux campagnards qui n'ont soit jamais vraiment quitté leur milieu d'origine, soit fait le choix d'une vie véritablement rurale au milieu des chèvres, des poules et des moutons.

Le fait qu'une des lesbiennes du film soit Maire de sa commune montre également que les homosexuels ne vivent pas nécessairement reclus de la société quant ils quittent l'environnement urbain. Ils peuvent être assez naturellement reconnus et intégrés dans un cercle de sociabilité civique non communautarisé.

 

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La parité n'est certes pas totalement respectée mais la présence de lesbiennes doit être soulignée car elles sont généralement considérées comme des invisibles parmi les invisibles : en tant que femme, en tant que lesbienne et en tant que personne âgée.

Or, les témoignages recueillis dans ce film par Sébastien Lifshitz montrent que ces femmes ont souvent été à la pointe des luttes syndicales et sociétales, à leur manière et sans exclusivisme. Ainsi, l'une d'entre-elles a commencé par se battre à l'échelle de son entreprise, quand l'autre décidait de mettre en place une cellule d'avortement à une époque où cette pratique pouvait conduire à la prison.

 

Une micro-histoire contemporaine des homosexuels français

Bien que ce film n'ait pas la prétention d'être un documentaire historique, il apporte une pierre inédite à l'histoire des homosexuels français qui reste encore largement à écrire. 

Ayant assisté à une projection suivie d'un débat, j'avais été un peu troublé de voir la très grande majorité des échanges porter sur l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples homosexuels. Selon les spectateurs, ce film constituerait un argument imparable en faveur du projet de loi sur le "mariage pour tous". Pour ma part, j'ai tendance à penser qu'il s'agit avant tout d'un concours de circonstances puisque lorsque l'idée d'un tel film a germé dans la tête de Sebastien Lifshitz, nous étions très loin d'imaginer qu'il puisse sortir en salles dans le contexte d'un débat sur la mariage et l'adoption à l'Assemblée nationale.

Bien au contraire, malgré le clin d'oeil à la fin du film qui montre deux homosexuels visitant une chapelle au milieu d'une forêt, j'aurais été curieux d'entendre l'ensemble des témoins réagir à la question du mariage qui n'était pas encore d'actualité au moment du tournage. Mon expérience personnelle d'entretiens avec des homosexuels âgés me conduit plutôt à nuancer l'interprétation sous-entendue par les dernières images du film. S'ils défendent globalement l'idée d'une égalité des droits, la plupart des homosexuels de cet âge ne font pas de l'accès au mariage et à l'adoption une revendication importante car elle représente souvent à leurs yeux une forme d'acculturation des homosexuels à l'hétérosexualité plutôt qu'une réelle reconnaissance d'un mode de vie gay.

Ce décalage entre générations est un élément essentiel de l'histoire contemporaine de l'homosexualité qui s'inscrit dans une temporalité que l'on pourrait qualifier d'accélérée par rapport à l'histoire sociale en générale. Ainsi, l'inverti de la fin du XIXe siècle n'est pas l'homosexuel de l'entre-deux guerre, tout comme il se différencie du "PD" et de la "Gouine" des années 1970, qui sont eux mêmes en décalage par rapport aux gays du début du XXIe siècle.

Or, si l'on accepte cette interprétation, on trouve probablement l'une des clefs de compréhension de l'invisibilité au centre de la réflexion introduite par le film. Si l'on ne voit plus ces homosexuels, c'est peut-être aussi parce qu'ils sont différents, parce qu'ils ne correspondent plus à la définition de l'homosexualité du temps présent. Dès lors, on les oublie... ou on les regarde avec l'attendrissement d'une vision nostalgique.

 

Un travail d'histoire et de mémoire à poursuivre

Ce film pose donc autant de questions qu'il n'en résout et c'est l'une de ses grandes qualités.

Le travail de réalisateur de Sébastien Lifshitz se poursuit actuellement dans des thématiques proches puisque son dernier film (déjà primé d'un Teddy Award au festival internationl du film de Berlin) raconte l'histoire de Bambi, née Jean-Pierre en 1935 à Alger avant de devenir Marie-Pierre Pruvot et une star du music-hall !

On comprend dès lors que Les Invisibles ne représentent que la partie émergée d'un immense travail de recherche mené par le réalisateur et son équipe pendant plusieurs années. S'il n'est pas possible de multiplier les documentaires, on peut espérer que l'auteur aura le temps et l'envie de transcrire son travail sous une autre forme lui permettant d'approfondir les thématiques esquissées dans son film.

Car l'histoire des homosexuels qu'il impulse ne s'adresse pas uniquement à un public averti. Elle a beaucoup à apporter aux sciences sociales. J'ai notamment été interrogé par le témoignage d'un des hommes racontant assez naturellement et sans jugement de valeur son initiation à la sexualité par un voisin beaucoup plus âgé que le voile progressivement tissé par notre société nous conduirait aujourd'hui à qualifier de pédophile. Autre époque, autres moeurs !

Parmi les sujets qui ont particulièrement attisé ma curiosité figurent aussi la dimension politique des homosexuels. Presque tous les témoins sont passés par des phases d'engagement sur lesquels ils s'expriment peu tant cela leur semble naturel. Et pourtant, l'un d'entre eux explique qu'il a été écarté des Jeunesses communistes à une époque où le FHAR, Guy Hocquenghem et Daniel Guérin battaient le pavé à l'extrême-gauche.

Ces homosexuels n'expliquent pas non plus comment ils sont sortis de cette phase militante. Est-ce une décision assumée à un âge où la raison l'emporte sur la passion, ou bien se sont-ils sentis poussés vers la sortie par une nouvelle génération ?

Quid également des années SIDA. Ne se sentaient-ils plus concernés ? Comment ont-ils vécu cette période ?

Et les autres ? Qui sont ceux qui n'ont pas accepté de témoigner publiquement ? Quels sont ceux qui ont été écartés faute de pouvoir mettre leur histoire en récit ? Ne doit-on pas considérer que ceux-là constituent la forêt des Invisibles cachés derrière les arbres magnifiquement mis en lumière par Sebastien Lifshitz ?

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3 janvier 2013 4 03 /01 /janvier /2013 11:57

 

English abstract : In order to conserve information about storm Xynthia, the administration edited a document called “Elements of memory from storm Xynthia”. Such a good initiative, however the project reveals lacks of investment and finalities.


Sans parler d’effet de mode il apparait néanmoins que la question de la mémoire des catastrophes devient plus prégnante et préoccupe les autorités. Preuve s’il en est, le document « Eléments de mémoire de la tempête Xynthia » commandé par la DREAL Poitou-Charentes.

La tempête Xynthia a marqué les esprits ; c’est la dernière catastrophe naturelle meurtrière sur le territoire métropolitain révélant l’impréparation des citoyens, et un système de prévention réglementaire contourné. Le 27 février 2010, 65 départements français avaient été placés en vigilance orange par Météo France, et quatre en vigilance rouge dont la Charente-Maritime où les vents forts – de plus de 130 km/h – couplés à une marée ascendante ont entrainé l’inondation de plusieurs communes par phénomène de submersion marine. 59 riverains sont morts, pris dans leur sommeil, dont 35 en Vendée et 12 en Charente maritime. A cela s’ajoutent les coûts directs et indirects induits par la catastrophe.

Affirmant des intentions louables, les pouvoirs publics ont décidé de recenser des éléments de mémoire. Ceci dans le but de :

- « décrire le phénomène “hydrométéorologique” survenu,

- recenser des données détaillées sur l’évènement,

- établir un état des lieux précis des zones submergées sur des cartes au 1/25 000e (ou plus précises selon les enjeux touchés),

- servir de document de mémoire à la population, aux élus concernés, et à tous les acteurs gestionnaires du territoire. »

85 communes ont été identifiées, 79 d’entre elles on répondu au questionnaire qu’elles ont reçu. En plus des enquêtes auprès des mairies, un travail de terrain a permis de cartographier la zone.

 

Le travail entamé dès mai 2010 a été remis en mars 2011 par le bureau d’étude. Il est disponible depuis début septembre 2012 sur le site de la DREAL Poitou-Charentes, et mi-novembre 2012 sur le site de la préfecture de la Charente-Maritime. Nous ne l’avons pas trouvé sur le portail de la préfecture de Vendée, département qui avait pourtant connu le plus de morts, dans la commune de la Faute-sur-Mer.  

 

La disponibilité limitée n’est pas le seul problème. Nous déplorons un document difficile à lire (sur le site de la DREAL il faut télécharge 8 fichiers compressés, et sur le site de la préfecture de Charente-Maritime il faut télécharger une à une chacune des pages au format PDF).

 

Sur le fond, les auteurs reconnaissent les limites de leur document : « Il faut cependant noter que les informations y restent générales et leur précision limitée :

- le recueil d’informations et les rencontres avec les riverains ont débuté au mois de mai 2010, soit deux mois après l’évènement ; de nombreuses informations quant aux niveaux atteints sont alors effacées et certaines informations obtenues peuvent être erronées,

- l’emprise des zones inondées regroupe celles issues d’une submersion directe lors de l’évènement et celles issues des inondations indirectes (exutoires fermés générant une évacuation difficile du réseau d’eau pluviale dans les zones basses),

- la précision des informations recueillies et cartographiées est celle du 1/25 000e (voire du 1/10 000e dans les secteurs urbains denses). »

 

A cela s’ajoute le fait que le bureau d’étude s’est contenté de légender la carte de manière minimaliste ; en effet celle-ci n’explicite même pas à quoi correspond l’unique code couleur de la plage colorée bleue (le bon sens veut que ce soit la zone submergée lors de l’événement). 

 

Tempête Xynthia

Ce document se résume finalement en une compilation de cartes et de questionnaires remplis par les communes. Il n’y a aucune analyse critique de la situation ; c’est un simple document d’archive, une sorte de photographie à grande échelle.

On peut difficilement reprocher aux auteurs de ne pas avoir dépassé leurs objectifs initiaux. En revanche cette suite d’informations brutes et non traitées ne semble pas destinée à être partagée avec les autres départements côtiers qui pourraient profiter de ce retour d’expérience. Au mieux, des étudiants pourront se servir de cette base de données comme un point de départ d’une étude sur les conséquences de la submersion marine sur un territoire.

L’initiative doit dont être saluée, mais on peut néanmoins regretter que l’Etat ne se donne pas les moyens d’aller jusqu’au bout d’une démarche mémorielle. Un document d’archive a bel et bien été établi, mais son devenir et son utilité restent bien incertains. N’oublions pas qu’il a fallu Xynthia pour que la France se dote d’un plan submersion rapide, et qu'elle reste la catastrophe naturelle à cinétique rapide la plus meurtrière de la décennie en France (CRED 2013). Comment un fichier difficilement accessible et dont les informations ne sont pas vulgarisées pourrait suffire à sensibiliser une population qui choisi d’habiter sur la côte en feignant d’ignorer les vagues et les tempêtes ?

 

Arnaud Mangematin

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