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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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C'est Qui ?

  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs

Cherche La Pépite

13 octobre 2013 7 13 /10 /octobre /2013 09:49

 

Summary : Iranian President Hassan Rohani decided to illustrate the differences with his predecessor Mahmoud Ahmadinejad by condemning the Nazy genocide during his American trip in September, 2013. This declaration was welcomed in the Occidental countries but is suspicious for Israel who is thinking of a memorial strategy in the ideological war between the two ennemies.

 

Le terrain avait été préparé au début du mois de septembre par le ministre iranien des Affaires Étrangères Mohammad Javad Zarif. Après avoir souhaité sur Twitter un joyeux Rosh Hashanah (une fête juive célébrant la nouvelle année civile du calendrier hébreu) à la communauté juive, et notamment aux Juifs iraniens, l'homme politique avait été interpelé par l'américaine Christine Pelosi, fille de la chef de file du parti démocrate à la Chambre des représentants depuis 2002, Nancy Pelosi. Cette jeune femme lui fait alors remarquer que cette nouvelle année serait bien plus douce s'il mettait fin au déni iranien à propos de l'Holocauste.

La réponse ne s'est pas faite attendre :

L'Iran ne l'a jamais nié. L'homme qui a pu donné cette impression est désormais parti.

Twitter

 

Dans un premier temps, cette prise de position inédite a été saluée par l'opinion internationale. Après des années de provocations par Mahmoud Ahmandinejad qualifiant l'Holocauste de "mythe", ce petit gazzouilli en provenance des plus hautes instances iraniennes témoignait d'un renouveau dont on attendait des gages depuis la victoire aux élections présidentielles du printemps 2013 du candidat considéré comme réformateur et modéré, Hassan Rohani.

Dans un second temps, la politique a repris ces droits et les commentateurs occidentaux ont considéré avec cynisme que cette déclaration était une orchestration visant à dédiaboliser l'Iran sur la scène internationale, à l'image d'un parti d'extrême-droite qui tenterait de lisser son image en interdisant l'usage de l'adjectif "extrême" pour le désigner...

Il fallait donc frapper plus fort pour être totalement crédible et c'est finalement le président iranien Hassan Rohani en personne qui s'est rendu sur un plateau de télévision américaine pour condamner les crimes nazis commis envers les Juifs.

Une nouvelle stratégie mémorielle dans la guerre contre Israël ?

La stratégie a été payante car le déplacement du président iranien a été positivement relayé dans les médias occidentaux et Barack Obama a décidé quelques heures plus tard de décrocher son téléphone pour une première discussion constructive après des années de silence diplomatique.

C'est cependant un tout autre son de cloche (sic) qui s'est fait entendre depuis Israël. La presse israélienne s'est en effet insurgée contre ce qu'elle considère comme une manipulation par l'Iran de leurs confrères occidentaux.

Anshel Pfeffer, chroniqueur dans Ha'Aretz, utilise des mots très durs, mais intéressants, pour commenter les propos du nouveau président iranien :

Même si Rohani se rendait au mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, qu'il récitait les quatre millions de noms qui y sont conservés, puis qu'il se joignait aux chercheurs qui s'efforcent de retrouver les 2 autres millions de noms qui manquent, qu'est-ce que cela changerait ? Cela changerait-il le fait que le régime qu'il sert soutient le massacre de civils syriens ? Pour une raison quelconque, nous avons transformé la reconnaissance de la Shoah en test politique, comme si nous avions besoin qu'un Iranien vienne nous confirmer que nos arrière-grands-parents ont bien été massacrés il y a 70 ans. Tout cet exercice revient à tourner leur mémoire en dérision.

Ha'Aretz

 

Son analyse confirme s'il en était encore besoin que le souvenir du génocide des Juifs d'Europe par les nazis a acquis une place exceptionnelle dans la plupart des régimes mémoriels occidentaux, devenant en quelque sorte un étalon de la souffrance et de l'horreur confirmé notamment par la théorie du point Godwin.

Or, Anshel Pfeffer considère que cette situation est un piège des ennemis d'Israël qui risque de se refermer sur son pays. Jusqu'à présent, la vision binaire autour de l'Holocauste permettait bien des raccourcis : nier son existence revenait en effet à être classé dans les rangs des ennemis d'Israël qui considèrent que ce pays instrumentalise la mémoire victimaire de l'évènement pour justifier son existence et ses droits sur la Palestine.

Les nouveaux dirigeants iraniens semblent décidés à sortir de cette caricature stérile en acceptant de reconnaître l'existence de l'Holocauste, ce qui leur permettra désormais d'entrer dans le débat pour mieux mettre en lumière ce qu'ils considèrent comme "le talon d'Archille des sionistes". En somme, il s'agit de démontrer que la Shoah a certes été une catastrophe, au même titre que le génocide des Arméniens, l'esclavage... et l'occupation de la Palestine depuis 1948 !

 

Nous n'avons pas la prétention sur ce site d'affirmer que les prises de position récentes du régime iranien relèvent d'une telle stratégie. Seul un témoignage officiel permettra peut-être un jour de confirmer ce qui apparaît pour le moment comme une très forte présomption de manipulation géopolitico-mémorielle. Si tel est le cas, les conséquences seront exceptionnelles, tant d'un point de vue géopolitique que mémoriel.

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25 août 2013 7 25 /08 /août /2013 13:31

La chancelière allemande Angela Merkel s'est rendu au camp de Dachau le mardi 20 août 2013. Après un temps de recueillement et un discours de qualité, la candidate à sa propre réélection s'est rendue à un meeting électoral sous une "tente à bière" qui constitue un lieu de sociabilité politique traditionnel en Bavière.

Une polémique s'est immédiatement développée autour de cette visite à mi-chemin entre l'hommage officiel de la part d'un chef de gouvernement et une tentative de récupération par un candidat en campagne.

La présidente du groupe des Verts au Bundestag, Renate Künast, a notamment considéré que cette juxtaposition des agendas était "de mauvais goût", tandis que Der Spiegel titrait : "au bon endroit au mauvais moment".

Angela Merkel à Dachau : pour un renouvellement commémoratif

On peut certes considérer qu'Angela Merkel aurait pu faire preuve d'un peu plus de finesse dans l'organisation de son emploi du temps qui l'entraîne à commettre une erreur de communication.

Difficile cependant de donner des leçons de ce côté du Rhin quand notre précédent président de la République s'était illustré par son instrumentalisation répétée des commémorations au plateau des Glières ou encore sa présence imaginaire lors de la chute du mur de Berlin.

Angela Merkel à Dachau : pour un renouvellement commémoratif

Cette polémique devrait plutôt faire réfléchir sur la place et le rôle des cérémonies commémoratives dans nos sociétés contemporaines. On ne peut pas sans cesse dénoncer une forme d'instrumentalisation politique de l'histoire et de la mémoire alors que ces manifestations sont justement l'apanage de la dimension politique dans l'acte commémoratif.

Au contraire, repenser les commémorations dans leur dimension politique et civique serait probablement l'un des meilleurs moyens de les moderniser et d'en renouveler les participants en attirant les nouvelles générations qui ne parviennent pas toujours à comprendre la signification des rassemblements actuels à la codification complexe et surannée.

Malgré les innombrables efforts du ministère de l’Éducation nationale qui ne cesse d'appeler les enseignants à encourager leurs élèves à participer aux cérémonies commémoratives, force est de constater que les rangs s'amenuisent d'année en année tandis que les survivants de la résistance et de la déportation disparaissent.

Nous avions déjà soulevé ce problème en 2011 à l'occasion du lancement du "Passeport pour la mémoire" par l'Office national des Anciens Combattants et Victimes de guerre (Onacvg) et la mairie de Saint-Maur-des-Fossés. A l'époque, je soulignais déjà la désaffection progressive des cérémonies par un jeune public qui connaît de moins en moins les évènements commémorés et qui ne comprend plus la signification et les codes de telles rencontres :

Cette initiative, aussi louable soit-elle, s’accroche désespérément aux attentes des plus anciens qui entretiennent une dimension quasiment sacrée autour des cérémonies commémoratives. Il serait peut-être préférable, quitte à faire grincer quelques dents chez les habitués, de réformer nos commémorations pour les rendre plus attractives, plus participatives et plus éclectiques.

Histoire, Mémoire et Société

Bien que la France soit restée très traditionnelle dans ce domaine (rassemblement, minute de silence, discours, pose d'une gerbe...), d'autres pays tentent progressivement d'instaurer d'autres formes commémoratives qui ne sont pas sans intérêt.

C'est le cas par exemple de l'Homomunument d'Amsterdam étudié par Régis Schlagdenhauffen dans le cadre de sa thèse sur la commémoration des victimes homosexuelles du nazisme.

Ce lieux de mémoire est inauguré en 1987. Il est composé de trois triangles équilatéraux dirigés vers des lieux symboliques : la maison d'Anne Frank, le Nationaal Monument, le siège du COC, une association homosexuelle néerlandaise.

Chaque année s'y déroule une commémoration qui s'inscrit dans le cadre du Dodenherdenking, la cérémonie nationale qui commémore toutes les victimes néerlandaises du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale.

A l'Homomonument, la cérémonie rassemble des militaires de l'HSK (Fondation Homosexualité et Armée), des policiers en uniforme, des élèves de l'académie de police, une élue de la ville d'Amsterdam, le président du COC Amsterdam accompagné de membres de l'association et le public.

Plusieurs discours se succèdent avant d'opérer le dépôt de gerbes par les autorités locales, les association, les militaires, les policiers et les pompiers et des membres de partis politiques. Une attention particulière est accordée à la présence des forces de police qui ont été accusées de passivité face à la persécution des homosexuels et à qui il est désormais rappelé qu'ils doivent contribuer à leur protection.

A priori, cette cérémonie commémorative ressemble donc à celles que l'on peut observer en France... sauf qu'elle s'inscrit ici dans une temporalité plus large qui commence par la fête de la Reine le 30 avril et se termine par le jour de la Libération le 5 mai.

Lors de la fête de la Reine, l'esplanade mémorielle se transforme en lieu de sociabilité où est installé une buvette et où sont organisés des jeux. Au soir du jour de la libération du pays, le monument se transforme en piste de danse pour l'organisation d'un bal qui rassemble plusieurs centaines de personnes.

A l'exception de cette commémoration nationale, le monument est susceptible d'accueillir d'autres manifestations au cours de l'année (lors de la Gay Pride ou pour commémorer d'autres évènements liés à l'histoire gaie et lesbienne). Il est d'ailleurs aussi devenu un lieu inscrit dans le patrimoine de la ville où les habitants et les visiteurs peuvent venir s'installer pour manger une gaufre, acheter des souvenirs et se renseigner au Pink Point sur la vie gaie et lesbienne d'Amsterdam.

Les vidéos ci-dessus illustrent les différentes facettes de l'utilisation de ce mémorial qui n'a pas été pensé uniquement comme un lieu de recueillement, mais aussi comme un lieu de sociabilité ancré dans le quotidien et voué à évoluer avec la société qu'il accueille en nombre.

L'expérience n'est probablement pas transposable en l'état dans un pays comme la France mais pourrait néanmoins permettre aux acteurs publics et aux associations liées à la mémoire d'entamer une réflexion sur le renouvellement de l'acte commémoratif à l'échelle locale et nationale.

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14 août 2013 3 14 /08 /août /2013 08:38


Dans une question écrite au ministère de l'Intérieur, le député UMP Eric Ciotti attirait l'attention de Manuel Valls sur la multiplication des actes antisémites au cours de l'année 2012, et plus particulièrement depuis les meurtres commis par Mohamed Merah au sein de l'école Ozar Hatorah. Il lui demandait alors de lui préciser les actions que compte entreprendre le Gouvernement pour lutter contre la recrudescence des actes antisémites en France.

La réponse du ministère détaille les dispositifs mis en place à cet effet : loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, mobilisation des services de police et de gendarmerie, sollicitation des correspondants sûreté des commissariats, programme de travaux de sécurisation de bâtiments appartenant à la communauté juive et création d'un poste de délégué interministériel chargé notamment de mettre en œuvre le plan national d'action contre le racisme et l'antisémitisme 2012-2014 dans le cadre du comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme (CILRA).

Ce dernier point nous intéresse plus particulièrement car sur les neuf axes que comptent ce plan national d'action contre le racisme et l'antisémitisme, le ministère a choisi d'insister plus particulièrement sur les mesures "dans les domaines de la formation, de l'enseignement, de la mémoire ou de lutte contre les manifestations d'intolérance sur Internet".

Nous devons donc comprendre que le ministère de l'Intérieur considère la mémoire comme un outil de prévention contre les actes de discrimination, mais aussi contre le terrorisme, ce qui mérite quelques explications.

Le document en question précise d'emblée :

Les initiatives culturelles et mémorielles doivent être utilisées comme une pédagogie de lutte contre la haine raciale sous toutes ses formes. Il s’agit de faire prendre conscience que l’horreur raciste et antisémite n’appartient pas qu’au passé, et qu’au sein de la collectivité chacun peut, et doit, exercer
sa propre responsabilité.

Comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme

Il s'inscrit donc bien dans une perspective mémorielle en mobilisant le passé en résonance directe avec les préoccupations du présent et le prisme de l'émotion ("l'horreur raciste et antisémite").

Campagne de communication du musée de l'Histoire de l'Immigration

Campagne de communication du musée de l'Histoire de l'Immigration

Parmi les propositions formulées par le Comité figurent des actions qui développent plus particulièrement cette dimension mémorielle :

  1. Répertorier et utiliser les initiatives prises par le réseau des musées de France en matière de lutte contre les préjugés, "en particulier dans les régions manquant de lieux de mémoire".
  2. Engager une réflexion sur la mise en réseau des lieux de mémoire consacrés à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, les liens à établir avec les réseaux culturels existants et les initiatives communes en direction des scolaires, des collégiens et des lycéens.
  3. Suivre des cohortes de lycéens et collégiens lors de leur passage au mémorial du camp des Milles afin d'évaluer son effet sur leur prise de conscience des phénomènes collectifs de haine raciale et de leurs mécanismes de formation.
  4. Réaliser un ouvrage grand public décrivant l'apport des diverses civilisations aux différents champs disciplinaires, vendu en librairie et relayé sur les sites de ressources pédagogiques du ministère de l'éducation nationale.

Il est surprenant de constater que pour les auteurs de ce document, les musées constituent une alternative aux lieux de mémoire. Pourtant, si ces deux institutions ont en commun leur rapport au passé, ils ne sont pas vraiment censés répondre aux mêmes objectifs mémoriels.

On peut également s'étonner d'une certaine forme de naïveté dans la nature des propositions. Il est certes rassurant de constater que le gouvernement propose enfin des mesures de prévention en parallèle des dispositifs de répression. Cependant, quels vont être les bénéfices réels de ces propositions pour les enfants et les adolescents ? Que va devenir ce répertoire des musées et des lieux de mémoire s'il n'est pas prévu de dégager des moyens pour permettre aux élèves de les visiter ? Que va devenir cet "ouvrage grand public" s'il n'est finalement disponible qu'en librairie et non pas dans les CDI des établissements scolaires ?

Comme souvent, la dimension mémorielle de l'action publique risque donc rapidement de se transformer en caution pseudo-pédago-citoyenne sans grand moyen, et finalement sans grand effet.

A titre d'exemple, il suffit de comparer les dispositifs mis en place par les gouvernements français et britanniques pour commémorer le centenaire de la Grande Guerre.

Le territoire français ayant été le lieu des principales batailles, la France occupera une place centrale dans l'organisation et l'accueil des cérémonies commémoratives internationales.

Le Royaume-Uni a donc décidé de débloquer un budget de 5.3 millions de livres afin de permettre à au moins deux élèves de chaque école publique de participer à une visite des principaux champs de bataille de la Première Guerre mondiale. Ils auront notamment pour mission à leur retour de faire partager leurs découvertes à leurs camarades.

A l'inverse, en France, les rapports, les missions, les "cartables virtuels" et dossiers pédagogiques se sont succédés pour aboutir au mois de juin 2013 à cette note de service du ministère de l’Éducation nationale qui cadre les orientations pédagogiques autorisées et recense les différentes ressources et partenaires en précisant :

Les projets labellisés pourront éventuellement recevoir un soutien de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale en appui des financements traditionnels.

Ministère de l'Education nationale

En somme, les enseignants français sont encouragés à participer à des concours, à lancer des projets autour des mémoires européennes, "à associer les élèves aux cérémonies et manifestations locales ou nationales"... mais sans moyens garantis !

Au final, mes élèves qui auront travaillé pendant une année sur les mémoires croisées de la Première Guerre mondiale entre la France, l'Angleterre et la République Tchèque devront probablement regarder les cérémonies à la télévision pendant que leurs correspondants étrangers seront en France pour visiter les musées et les champs de batailles.

La mémoire peut donc être considérée comme un outil efficace de l'action publique en France. Elle ne constitue pas une réponse unique à tous les problèmes mais elle est un vecteur important des politiques d'intégration, de lutte contre les discrimination, d'éducation à la citoyenneté... à condition d'y consacrer quelques moyens pour des actions concrètes et précises plutôt que de se cantonner à l'invocation.

Mise à jour (14/08/13) :
Henry Rousso nous a transmis cette vidéo d'une conférence donnée en 2012 sur l'antisémitisme et la mémoire de l'Holocauste en France où il met en parallèle les étapes d'une mémoire de l'Holocauste très présente depuis les années 1990 et la montée inexorable de l'antisémitisme.
Sa conclusion est sans appel : les politiques de la mémoire ne freinent pas la montée du racisme !
Peut-être pourrions-nous préciser : les politiques de la mémoire telles qu'elles sont actuellement men
ées...

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12 août 2013 1 12 /08 /août /2013 08:23

Abstract: About 50,000 people gathered in Hiroshima's peace park last week to commemorate the 68th anniversary of the world's first atomic bomb attack. The ceremony outwardly illustrated the national controversy about nuclear energy and nuclear weapons. But in fact, it hid the governmental control on this commemoration in order to protect the international shares about the nuclear economy.

50 000 : c'est le nombre de japonnais qui se sont rendus à la cérémonie commémorative du bombardement d'Hiroshima le 6 août 2013, 68 ans après la catastrophe.

Ils étaient déjà 50 000 en 2012 et plusieurs dizaines de milliers en 2011, quelques mois seulement après le drame de Fukushima.

Il s'agit donc aujourd'hui d'une des cérémonies commémoratives les plus importantes à l'échelle internationale... qui passe pourtant presque inaperçue dans les médias.

Mémorial d'Hiroshima

Mémorial d'Hiroshima

Une Mémoire politique devenue complexe

L'année 2011 constitue un tournant dans l'histoire de la mémoire des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki. Après l'accident de Fukushima, le peuple japonnais a commencé à douter de son modèle énergétique.

Principale victime des armes nucléaires à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le pays devenait 66 ans plus tard l'une des principales victimes du nucléaire civil qu'il avait cette fois-ci lui-même introduit consciemment sur son territoire.

Deux ans plus tard, le débat n'est pas clos et les cérémonies commémoratives sont justement l'occasion d'opposer les arguments respectifs.

D'un côté, le Premier ministre Shinzo Abe a rappelé qu'il ne ménageait pas ses efforts pour contribuer à la paix, travaillant notamment dans le sens d'une éradication des armes nucléaires. La précision était nécessaire car depuis son retour au pouvoir, le Premier ministre travaille à modifier la Constitution imposée par les Américains à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui n'autorise le Japon qu'à maintenir des forces d'autodéfense.

Au regard de la situation géopolitique de la région pacifique marquée par les ambitions militaires grandissantes de la Corée du Nord et de la Chine, des déclarations du vice Premier-ministre japonnais qui souhaite s'inspirer de l'Allemagne nazie pour parvenir à réformer la Constitution, ainsi que des projets du ministre de l’Éducation nationale qui souhaite revenir sur la reconnaissance officielle par le Japon des massacres de l'armée impériale au XXe siècle et mettre en place une éducation «patriotique», les Japonnais et leurs voisins étaient en effet en droit d'attendre quelques explications.

De l'autre côté, le discours du maire d'Hiroshima a rappelé qu'il n'était pas seulement question des armes nucléaires, mais du nucléaire en général. Il a notamment dénoncé la coopération économique mise en place dans ce domaine avec l'Inde depuis quelques années.

Au Japon comme ailleurs, les cérémonies commémoratives sont donc marquées par un usage politique du passé. La différence avec d'autres pays repose cependant sur la pluralité des opinions exprimées. Bien qu'il s'agisse d'une cérémonie nationale, le chef d’État n'exerce pas un monopole de la parole qui lui permettrait d'imposer une lecture officielle de l'histoire. Il doit accepter qu'à ses côtés, d'autres hommes politiques se fassent les porte-paroles d'autres mémoires, et notamment celles des victimes.

Les divergences mémorielles d'un évènement historique international

Bien que l'Europe de l'Ouest ait retenu la date du 8 mai comme fin officielle de la Seconde Guerre mondiale (et le 9 mai pour l'Europe de l'Est), l'Asie et l'Amérique étaient encore empêtrés dans les derniers émoluments de ce conflit à l'été 1945. C'est d'ailleurs justement la solution radicale de l'usage des premières bombes atomiques par les États-Unis qui met fin à la résistance acharnée des Japonnais. Leur reddition est signée le 2 septembre 1945, mettant un point final à la Seconde Guerre mondiale.

Depuis, l'évènement s'est imposé comme une étape importante de la mémoire internationale. Dans le contexte de la Guerre froide et d'une menace constante d'un conflit nucléaire global, de nombreuses sociétés ont perpétué le souvenir d'Hiroshima et Nagasaki comme symbole d'une crainte apocalyptique.

C'est pourquoi il semble finalement étonnant que cette commémoration ait actuellement si peu de relais en Occident.

En France, quelques dizaines de militants anti-nucléaires se sont pourtant rassemblés au pied de la Tour Eiffel pour entamer un jeûne de quatre jours en hommage aux victimes des bombardements américain, mais aussi des victimes des essais nucléaires depuis 1945, et pour réclamer la mise en place d'un plan d'élimination concerté des armes nucléaires au niveau mondial. Leur audience a été relativement limitée.

Aux États-Unis, on peut également s'étonner que le président et prix Nobel de la paix Barack Obama ne se soit pas encore rendu aux commémorations d'Hiroshima pour marquer une étape symbolique dans son combat pour la réduction des armes nucléaires.

Cette lacune a trouvé une réponse dans les câbles diplomatiques publiés par Wikileaks. En fait, le président des États-Unis avait envisagé de se rendre à Hiroshima dès le début de son premier mandat en 2009. Il avait alors reçu une fin de non recevoir du gouvernement japonnais arguant qu'un tel discours d'excuse mêlé à la problématique géopolitique de réduction des arsenaux nucléaires risquerait d'encourager les groupes anti-nucléaires et antimilitaristes (alors qu'en 2009, la catastrophe de Fukushima n'avait pas encore eu lieu et qu'il n'était pas non plus question de modifier la Constitution).

Ces éléments d'information qui seraient restés secrets sans les révélations de Wikileaks montrent à quel point le gouvernement japonnais exerce un contrôle étroit sur la mémoire des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki, malgré les apparences d'une pluralité mémorielle nationale.

Cette information est également révélatrice des pressions politiques et économiques qui peuvent s'exercer sur l'information de manière générale et sur l'écriture d'un roman national en particulier.

Alors que nous avions annoncé sur ce blog en 2009 la candidature commune des villes d'Hiroshima et Nagasaki pour l'organisation des Jeux Olympiques en expliquant à quel point cette stratégie mémorielle était presque infaillible, nous avions omis de considérer cet aspect qui apparaît évident aujourd'hui : comment concilier le souvenir d'une tragédie nucléaire tout en continuant à soutenir l'industrie nucléaire ? A défaut de trouver une solution à cette équation, le gouvernement japonnais a préféré abandonner la candidature olympique au profit de ses entreprises dans le domaine énergétique.

On apprendra peut-être dans quelques mois qu'Areva et le gouvernement français n'étaient pas totalement étrangers à l'absence de couverture médiatique autour de cette commémoration. Il ne faudrait en effet pas rouvrir le débat du nucléaire en France au risque de mettre encore en difficulté une coopération gouvernementale PS-EELV déjà bien fragile...

Actualisation du 16 août 2013

A l'occasion du 68ème anniversaire de la capitulation japonaise le 15 août 2013, plusieurs membres du gouvernement se sont rendus au très controversé sanctuaire Yasukuni, tandis que le Premier ministre Abe y faisait déposer une offrande et prononçait un discours rendant hommage aux victimes du conflit et rappelant ses intentions de contribuer à la paix dans le monde.

Il est possible de relire cet article sur l'histoire et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale au Japon pour comprendre que cette action s'inscrit encore une fois dans un contexte mémoriel ambigu qui interroge et inquiète quant aux intentions nationalistes de l'actuel Premier ministre nippon.

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11 août 2013 7 11 /08 /août /2013 13:24

Chaque année, le Haut comité des Commémorations nationales publie un recueil qui répond à l'une des principales exigences statutaires de cette institution : "proposer une liste d’anniversaires susceptibles d’être inscrits au nombre des commémorations officielles, afin de conserver la conscience nationale d'un événement de l'histoire collective".

La mission est délicate. En 2011, l'inscription du cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline sur cette fameuse liste des célébrations nationales avait d'ailleurs suscité des remous avant que Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture, ne décide de l'en supprimer.

Après les débats sur l' "identité nationale", après le projet de "maison d'histoire de France", après l'instauration de tests d'histoire à l'intention des candidats à la nationalité française qui ont marqué le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les historiens qui composent cette institution veulent éviter à tout prix de réveiller "la querelle autour de la notion d'une histoire nationale, une histoire où chaque personnage, chaque événement n’aurait de sens que selon une finalité ouvertement affichée : saisir l’émergence de l’entité « France »".

C'est pourquoi le Haut Comité a fait siennes les conclusions de Jean-Noël Jeanneney visant à distinguer étroitement les notions de "commémoration" et "célébration".

Dans le premier cas, il s'agit simplement de prendre acte d'un évènement historique de l'histoire, tandis que le second comporte une dimension laudative, voire élogieuse.

Malgré toutes ces précautions, ce recueil ne peut cependant pas être totalement objectif, en témoigne la couverture du recueil illustrée par une lithographie de Cocteau intitulée "Nous croyons en l'Europe".

Et comme le signale l'avant-propos d'Aurélie Filippetti, le hasard est parfois espiègle, notamment lorsque le cinquantenaire de la disparition de Jean Cocteau en 1963 répond au centenaire de la naissance de Jean Marais en 1913.

Recueil des commémorations 2013
Recueil des commémorations 2013

Voici donc le résultat de la sélection pour 2013 qui ne retient que les cinquantenaires et les centenaires afin d'éviter l'exhaustivité :

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9 août 2013 5 09 /08 /août /2013 06:38

JORF n°0184 du 9 août 2013 page 13601
texte n° 79

ARRETE
Arrêté du 2 août 2013 portant nomination au Haut Comité des commémorations nationales

NOR: MCCC1312126A


Par arrêté de la ministre de la culture et de la communication en date du 2 août 2013 :
Sont nommés membres du Haut Comité des commémorations nationales :
M. Christian Amalvi, professeur à l'université Paul-Valéry - Montpellier-III.
Mme Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuelle de l'Académie des sciences.
M. Gilles Cantagrel, musicologue.
M. Alain Corbin, professeur émérite à l'université Paris-I - Panthéon-Sorbonne.
Mme Nicole Garnier, conservatrice générale, chargée du musée Condé de Chantilly.
Mme Claude Gauvard, membre de l'Institut universitaire de France.
M. Robert Halleux, membre de l'Académie royale de Belgique.
M. Jean-Noël Jeanneney, ancien ministre.
M. Pascal Ory, professeur à l'université Paris-I - Panthéon-Sorbonne.
M. Alfred Pacquement, directeur du musée d'art moderne Georges Pompidou.
M. Jacques Perot, président de l'Association française pour la protection des archives privées.
Mme Danièle Sallenave, membre de l'Académie française.
Mme Danièle Sallenave est nommée présidente du Haut Comité des commémorations nationales.

Pour rappel, ce Haut comité des commémorations nationales a été institué par arrêté du 23 septembre 1998 afin de conseiller le ministre de la Culture et de la Communication dans la définition des objectifs et des orientations de la politique des Célébrations nationales. À ce titre, il propose chaque année à l’arbitrage du ministre une liste d’anniversaires susceptibles d’être inscrits au nombre des commémorations officielles.

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8 août 2013 4 08 /08 /août /2013 06:06

 

Abstract: Canadian government launched a large project called "Promoting Canadian History" which includes a Canada History Week, a Government of Canada History Awards and a Canada History Fund endowed with 12 million dollars. All these projects can be however considered as rather defending national memory than history. 

 

James Moore, ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles, a présenté au mois de juin 2013 une série de nouvelles mesures visant à promouvoir l'histoire du Canada.

Cette annonce s'inscrit dans le cadre d'un phénomène récent de cristallisation autour des histoires nationales, ou plutôt du "roman national", qui s'illustre en France par de nouvelles polémiques sur l'enseignement de l'histoire française relancées à chaque rentrée depuis trois ans.

Force est de constater que le débat trouve des échos chez nos voisins britanniques,  au Quebec, en Italie, aux Etats-Unis et donc aussi au Canada.

Promoting-Canadian-History.jpg

 

Parmi les mesures annoncées figurent :

- Un Prix d'histoire du gouvernement du Canada à l'intention des élèves et enseignants qui s'illustrent par leur intérêt pour la célébration de l'histoire nationale. La gestion de ce prix est confié à un organisme national indépendant intitulé " Histoire Canada".

- Deux nouvelles Minutes du patrimoine par année d'ici au 150e anniversaire du Canada, en 2017.

- Une Semaine de l'histoire du Canada (du 1er au 7 juillet)

- Un Fonds pour l'histoire du Canada doté de 12 millions de dollars permettant de financer ces projets nationaux et d'autres programmes locaux.

 

Il est assez révélateur d'observer l'absence de mention du mot "mémoire" dans les discours du ministre, sur le site du gouvernement et dans les documents officiels présentant ce projet global de promotion de l'Histoire du Canada.

En comparaison, la France peut paraître singulière avec ses Fondations pour la mémoire (de la Shoah, de la Déportation, de la Guerre d'Algérie), mais aussi son nouveau concours des Petits artistes de la mémoire dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre, et son traditionnel "Devoir de Mémoire" retrouvé partout sur les sites des ministères et dans les discours des hommes et femmes politiques.

 

Cette apparente distinction n'est pourtant qu'une façade linguistique. Dans les détails, le plan annoncé par le ministre James Moore s'inscrit bien dans une perspective mémorielle. Il justifie d'ailleurs une telle avalanche de moyens en précisant que "c'est un objectif qui devient important à l'approche du 150e anniversaire du Canada en 2017. Cet anniversaire nous offre une occasion sans précédent de célébrer notre histoire et toutes les réalisations qui ont contribué à faire du Canada le pays libre, fort et uni dans lequel nous vivons aujourd'hui ». En somme, il s'agit bien de préparer une échéance commémorative importante, tout en valorisant le récit national.


John G. McAvity, directeur général de l'Association des musées canadiens, confirme d'ailleurs cette impression en commentant cette annonce gouvernementale : "L'histoire du Canada nous entoure. Toutefois, elle est rarement enseignée à l'école".

Les élèves canadiens ne bénéficient en effet que de deux années d'enseignement d'histoire-géographie en primaine (7ème et 8ème année). Avant, ils reçoivent un enseignement plus général intitulé "Etudes sociales" ; Après, dans le secondaire, l'histoire est intégrée dans un conglomérat appelé "Sciences humaines et sociales" qui rassemble de la philosophie, de la psychologique, de la sociologie, de l'anthropologie à travers l'étude d'entrées thématiques telles que "Alimentation et nutrition", "Développement humain et vie familiale", "mode et habitation", etc.

Cette approche très anglo-saxonne de l'enseignement de l'histoire ferait s'évanouir en France les mignons de Louis XIV et provoquerait une révolte chez les généraux de Napoléon qui défendent encore aujourd'hui de toutes leurs forces la mémoire de leurs héros nationaux par l'intermédiaire de livres, de jeux vidéos, de parcs à thème, d'opéra-rock, de films... mais surtout à travers les programmes scolaires qui constituent à leurs yeux un sanctuaire dont la dimension sacrée impose le respect et l'intangibilité. 

A l'inverse, au Canada, toute tentative de réécriture des programmes au profit du roman national serait interprété comme une forme d'instrumentalisation politique dénoncée par les professionnels de l'enseignement. C'est pourquoi le gouvernement limite pour l'instant son action à d'autres secteurs en insistant lourdement sur son caractère "historien" alors qu'il s'agit essentiellement d'une entreprise "mémorielle".

Entre le modèle canadien et le modèle français, il serait peut-être possible de trouver un compromis satisfaisant ?

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6 août 2013 2 06 /08 /août /2013 07:31

 

Abstract: Consumer society has changed since the "Glorious Thirty". Previously, mass consummation was synonym of modernity. Nowadays, consumers prefer products which can give us the sensation of being part of history or awake their memory. 

 

Janvier 2013, l'enseigne Casino annonce qu'elle va faire revivre des marques disparues à travers une opération baptisée Casino Collector : les chips Flodor et le soda Pschitt.

Dans les rayons des supermarchés, la communication commerciale joue sur un sentiment de nostalgie par l'intermédiaire d'un message humoristique :

Flodor.jpg

 

L'idée a été unanimement saluée par les publicitaires qui travaillent sur cet angle d'accroche depuis quelques mois. En 2011 déjà, l'entreprise Juva Santé avait d'ailleurs ressuscité son célèbre slogan "Si Ju va bien, c'est Juvamine" en soulignant avec humour le contraste entre l'aspect vintage de sa communication et la modernité de ses produits :

 

 

Cette communication n'est évidemment pas gratuite. Elle est le résultat d'une stratégie marketing bien ficelée visant à attirer davantage de consommateurs. Deux hypothèses permettent d'expliquer cette tendance : soit les publicitaires ont eu une intuition de génie qu'ils tentent depuis d'exploiter, soit ils ont fait appel aux compétences des sciences humaines et sociales qui ont des élements à leur apporter dans ce domaine.

 La passion française pour l'histoire n'est en effet pas une nouveauté pour les historiens qui tentent de comprendre par l'intermédiaire de l'historiographie les motifs et les modalités de ce retour au passé qui caractérise nos sociétés occidentales contemporaines : lois mémorielles, commémorations, lieux de mémoire, polémiques mémorielles... sont autant de sujets récurrents dans l'actualité que nous tentons justement d'analyser sur ce blog.

 

Bien que chaque campagne publicitaire réponde aux exigences particulières d'une entreprise, il est possible de dégager deux axes principaux dans ce phénomène :

 

1. Valoriser l'histoire d'une marque comme gage de qualité

Cette stratégie est la plus connue et la plus démocratisée dans tous les secteurs de l'économie. Il s'agit de mettre en valeur un savoir-faire ancestral transmis de génération en génération.

Le plus souvent, elle se manifeste par la mention d'une date de fondation de l'entreprise sur l'emballage du produit ou dans le slogan.

camembert LEPETIT

 

Faute de pouvoir avancer l'argument de l'ancienneté d'une entreprise (et a priori d'une recette), certains adoptent d'autres techniques. C'est notamment le cas du camembert Le Rustique qui, en plus de son nom associé à la tradition, soigne son emballage en faisant mention d'un "maitre fromager" et en représentant une charette tirée par un cheval livrant des bidons de lait : 

Le Rustique

 

Enfin, d'autres font appel aux outils offerts par la législation pour mettre en valeur l'aspect traditionnel d'un produit : ce sont les appelations d'origine contrôlée ou protégées (AOC ou AOP), ainsi que les multiples labels censés garantir un produit du terroir :

Produits du terroir

 

Cette stratégie commerciale est intimement liée à la question mémorielle. 

Dans une société marchande et concurrentielle où un nouveau produit doit venir régulièrement remplacer l'ancien (dont l'iPhone d'Apple est devenu un modèle), le consommateur perd ses repères et entretient le mythe de l'obsolescence programmée. Il cherche donc parfois à se réfugier dans des marques qui peuvent lui fournir la garantie d'une longévité, gage de qualité. En somme, le consommateur adapte ses habitudes d'achat à l'air du temps : à savoir un manque de confiance en l'avenir et donc un retour vers les valeurs du passé.

 

En ce sens, on peut donc considérer que la publicité "Juvamine" (ci-dessus) présente une limite importante qui a visiblement échappé aux publicitaires : en opposant l'ancien et le nouveau, la marque mobilise certes à bon escient son capital mémoriel... mais en l'opposant à une série de scientifiques dans un laboratoire qui représente une modernité en totale contradiction. Au final, le message devient confus : évocation d'une science efficace mais plutôt froide versus mobilisation d'un personnage dépassé mais plutôt sympathique. Le consommateur est perdu...

 

L'expérience la plus aboutie et la plus réussie dans ce domaine est probablement celle du Bon Marché qui pour fêter ses 160 ans s'est offert un plan marketing ambitieux et audacieux mêlant l'histoire de l'entreprise à l'histoire de l'architecture de son magasin, l'histoire de ses vitrines, l'histoire de la mode et même l'histoire sociale des conditions de travail de ses employés.

Mise en scène du magasin, agencement des vitrines, expositions, documentaire et film animé promotionnel : "Une façon inédite de célébrer ce bel âge dans une joyeuse modernité".

Le message est clair : "Le Bon Marché revisite aujourd'hui son patrimoine à partir de motifs historiques extraits des archives de la maison et donne naissance à une collection dédiée".

 

 

L'entreprise a donc parfaitement réussi à mêler son histoire à celle de ses consommateurs et de leur pays dans un plan marketing visant non seulement à célébrer le savoir-faire de la maison, mais aussi à vendre une nouvelle collection.

 

 

2. Réveiller le lien émotionnel entre l'histoire de la marque et l'histoire du consommateur

Il faut reconnaître que la tâche n'est pas toujours aisée pour ces publicitaires qui doivent adapter des stratégies théoriques aux produits et aux entreprises. Si l'argument d'une valorisation de l'histoire de l'entreprise comme gage de qualité vaut essentiellement pour le domaine de l'agro-alimentaire ou des services, il ne peut pas être appliqué pour les domaines liés aux nouvelles technologies sans risque d'une contradiction observée avec l'exemple précédent de Juva Santé.

C'est pourquoi d'autres stratégies marketing ont été mises en place pour mobiliser l'efficacité du capital mémoriel sans recourir à l'idée de trandition. Elles consistent à réveiller le lien émotionnel qui a pu se créer entre un consommateur-cible bénéficiant généralement du meilleur pouvoir d'achat (plus de 30 ans) et l'histoire d'une marque.

 

C'est notamment la stratégie mise en oeuvre timidement par le groupe Casino en ressuscitant une marque comme Pschitt qui est devenu un véritable mythe pour la génération des trentenaires qui ont grandi avec le Kiki, la Nes de Nintendo et Chantal Goya :

 

 

Casino semble cependant se contenter pour le moment d'un retour modeste de marques anciennes dans ses rayons sans l'accompagner d'un véritable plan de communication visant à attirer de nouveaux clients dans ses magasins.

D'autres vont beaucoup plus loin dans la démarche. C'est le cas notamment de McDonald's qui, bien que relativement récent, s'est doté à l'échelle internationale d' un véritable service d'archives. Ses objectifs sont simples : non seulement rassembler et protéger les éléments permettant d'écrire l'histoire de l'entreprise, mais aussi participer à l'immense stratégie marketing du groupe. En proposant par exemple aux studios hollywoodiens des éléments "clefs-en-main" permettant de reconstituer l'environnement d'un restaurant McDonald's en 1980, il parvient progressivement à placer de la publicité discrète, intelligente et à moindre coût.

McDonald-s-history.jpg

 

Que ce soit pour leur achats courants,  ou pour les produits de luxe, les consommateurs sont visiblement prêts à mettre le prix à partir du moment où le produit dispose d'un "supplément d'âme culturel". Quarante ans après la fin des Trente Glorieuses, consommer ne suffit donc plus à donner l'impression d'entrer dans la modernité ! Cette pratique sociale doit désormais permettre de se situer dans le temps et dans l'histoire, soit en rassurant le consommateur par la légitimité inhérente à la tradition, soit en construisant progressivement avec lui un lien de complicité générationnel et émotionnel.

 

Actualisation du 22 octobre 2013

Le mois d'octobre 2013 a été celui de l'anniversaire des 50 ans des magasins Carrefour (mais aussi de l'apparition du premier hypermarché en France). A cette occasion, l'enseigne a mis en ligne un "hyperstorique" interactif de l'entreprise mêlant des éléments de son histoire avec des informations vantant la réussite et les mérites de la marque en 2013.

Entreprises, marques, publicités : quand la mémoire crée de la valeur

Cette approche mémorielle n'a finalement pas été exploitée davantage par l'enseigne de distribution qui a préféré centrer la communication de son anniversaire autour des promotions proposés en magasin. Un choix plutôt traditionnel au regard des orientations marketing récentes.

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4 août 2013 7 04 /08 /août /2013 09:56

 

Abstract : The memories of the atrocities of the totalitarianisms is still complicated at the European scale. Although the European Parliament had voted for a resolution on European conscience and totalitarianism in 2009, the French Communist Party contests the association between nazism and communism, denouncing a political attack.

 

C'est l'un des débats historiographiques les plus passionnants de la seconde moitié du XXème siècle. Il consiste à s'interroger sur la possibilité et la légitimité d'une comparaison entre le nazisme et le communisme.

A la suite d'Hannah Arendt qui rassemble les deux régimes sous le terme de "Totalitarisme" en 1951, des dizaines d'historiens se sont frottés à cette question qui, en raison de ses implications politiques, a souvent pris des accents polémiques : certains pensent que les régimes nazis et soviétiques ont les mêmes racines idéologiques (notamment leur opposition commune aux démocraties libérales), quand d'autres affirment que le nazisme allemand et le fascisme italien constituent les réponses occidentales à l'émergence initiale du bolchévisme en Russie.

Comme souvent en historiographie, le débat s'achemine plus ou moins rapidement vers une position médiane faisant la synthèse des arguments. Dans ce cadre, elle consiste à défendre l'idée d'une valeur heuristique de la démarche comparative dans certains aspects des régimes totalitaires, sans tomber dans l'écueil de la croyance absolue en cette méthode pour comprendre la logique de systèmes complexes. 

 

L'instrumentalisation politique récurrente d'une question historiographique

Bien que les historiens soient parvenus à une issue relativement consensuelle sur ce sujet, le débat est régulièrement réveillé par l'intermédiaire de ses implications politiciennes.

Le sujet est devenu particulièrement vif depuis que plusieurs responsables politiques de la droite française ont évoqué la possiblité d'une alliance électorale avec le Front national. D'aucuns ont immédiatement saisi cette annonce pour dénoncer la rupture d'un hypothétique "front républicain" au bénéfice d'un parti politique réputé prendre ses racines dans l'extrême-droite européenne, dont le nazisme allemand.

 

Hitler---Le-Pen.jpg

Affiche diffusée par  Le libertaire bizontin

 

Face à cette attaque, l'UMP et le FN ont rapidement mis en oeuvre un argumentaire commun reprenant les principales logiques de la querelle des historiens : pourquoi l'UMP s'interdirait-elle de s'associer avec l'extrême-droite alors le PS n'a jamais remis en cause son association avec l'extrême-gauche... réputée prendre ses racines dans le communisme soviétique ?

 

Il n'en fallait pas moins pour réactualiser un débat qui s'était progressivement éteint dans la sphère des historiens. La question a d'ailleurs conduit à l'organisation d'une table ronde intitulée "Fascisme et communisme : actualité d’une comparaison" à l'occasion des Rendez-Vous de l'Histoire de Blois en octobre 2012.

La tournure prise par les discussions entre les historiens tels que Sophie Coeuré, Romain Ducoulombier et Nicolas Werth face aux arguments des responsables politiques comme Pierre Laurent est révélatrice de la césure entre ce qui relève désormais d'une "mémoire froide" aux yeux des chercheurs occidentaux, tandis que le secrétaire nationale du PCF s'attarde à dresser l'historique de l'assimilation entre fascisme et communisme comme un outil récurrent de disqualification politique. 

 

Une nouvelle loi mémorielle européenne ? 

Pierre Laurent explique que la dimension politique du débat a d'ailleurs largement dépassé les frontières nationales, à l'instar du débat historiographique. Selon lui, "ce thème est encore utilisé aujourd’hui par les dirigeants de droite de l’Union européenne, comme on le voit avec la résolution adoptée par le Parlement européen en 2009 qui assimile fascisme et communisme".

Il fait alors référence à un long cheminement mémoriel qui est le résultat de plusieurs années d'intense lobbying à l'échelle européenne et mondiale.

 

Depuis le début des années 1980, dans le cadre encore vif de la Guerre froide, divers mouvements se coalisent pour attirer l'attention sur les crimes commis par l'Union soviétique.

La date du 23 août est choisie pour organiser annuellement des rassemblements et manifestations qui se réunissent sous l'appelation de "Jour du Ruban noir". Le jour et le nom sont lourds de signification : ils font référence au pacte germano-soviétique signé le 23 août 1939 et liant pour quelques années les deux régimes nazis et soviétiques.

 

Ruban-noir-chaine-humaine.jpg

Chaîne humaine traversant les pays baltes le 23 août 1989

afin de commémorer la signature du pacte germano-soviétique qui entérine leur occupation par l'URSS

 

Quelques années plus tard, après l'implosion de l'URSS et la fin de la Guerre froide, le débat se poursuit tant dans le domaine mémoriel que politique. 

Le Conseil de l'Europe est le premier en 2006 à condamner "avec vigueur les violations massives des droits de l’homme commises par les régimes communistes totalitaires" et à inviter "tous les partis communistes ou postcommunistes de ses Etats membres qui ne l’ont pas encore fait à reconsidérer l’histoire du communisme et leur propre passé, à prendre clairement leurs distances par rapport aux crimes commis par les régimes communistes totalitaires et à les condamner sans ambiguïté". Le Conseil de l'Europe considère notamment que les crimes des régimes communistes totalitaires "n’ont pas été traduits devant la justice par la communauté internationale, comme cela a été le cas pour les crimes horribles commis par le national-socialisme (nazisme)". 

Cette initiative est poursuive en 2008 par le Parlement européen qui, à l'initiative du gouvernement tchèque, adopte  une déclaration sur la proclamation du 23 août comme journée européenne de commémoration des victimes du stalinisme et du nazisme qui entraîne un an plus tard une résolution sur la conscience européenne et le totalitarisme demandant que "le 23 août soit proclamé "Journée européenne du souvenir" pour la commémoration, avec dignité et impartialité, des victimes de tous les régimes totalitaires et autoritaires".

 

La difficile émergence d'une mémoire européenne face à la diversité des mémoires nationales

On peut comprendre que l'historique et la logique de cette loi déplaise au dirigeant communiste Pierre Laurent. D'un point de vue strictement politique, cette résolution trouve son origine dans un mouvement de contestation anti-communiste qui assimile les crimes soviétiques aux crimes nazis, tout en reprochant à certains partis communistes de ne pas avoir condamné assez clairement les dérives de l'URSS.

Son argumentation est cependant limitée par son contexte d'énonciation. Alors que le responsable politique mobilise cette décision du Parlement européen pour dénoncer une instrumentalisation politique du passé par la droite dans le cadre d'un débat national, il oublie de préciser que le texte a certes été présenté à l'échelle européenne par le groupe du Parti populaire européen, mais qu'il a aussi été soutenu par les centristes de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe et le Groupe des Verts/Alliance libre européenne plutôt marqué à gauche de l'échiquier européen.

De plus, Sophie Coeuré rappelle que la résolution "a été largement poussée par les nouveaux entrants dans l’UE que sont les pays Baltes, pour lesquels la mémoire de la double occupation nazie puis soviétique est loin d’être une question froide". En somme, alors que le débat se limite en France à une querelle historiographique et une polémique politicienne, elle évoque pour la plupart des pays de l'Europe de l'Est "un passé qui n'est pas encore passé" et pour lesquels les mémoires des atrocités de  l'occupation nazie et l'occupation soviétique ne permettent pas encore une réflexion apaisée.

 

On comprend donc à partir de cet exemple qu'outre les défis économiques et démocratiques que l'Union européenne doit actuellement relever, il existe également un défi identitaire. Malgré l'existence d'un drapeau, d'une monnaie et d'un hymne commun, les fractures de l'histoire récente rendent pour l'instant difficile l'émergence d'une mémoire commune pourtant indispensable à la réussite du projet européen.  

 

 

Bibliographie :

Ernst Nolte, Le Fascisme dans son époque : L'Action française, Le Fascisme italien, Le National-socialisme (3 tomes), Paris, Julliard, 1970.

François Furet, Le Passé d'une Illusion, Plon, 1995

François Furet et Ernst Nolte, Fascisme et communisme, Plon, 1998

Philippe Burrin, Fascisme, nazisme, autoritarisme, Seuil, 2000

Ernst Nolte, La Guerre civile européenne (1917-1945) : national-socialisme et bolchevisme, Paris, Édition des Syrtes, 2000.

Henry Rousso (dir.), Stalinisme et nazisme : Histoire et mémoires comparées, Complexe, 2000.

Marc Ferro (dir.), Nazisme et communisme : Deux régimes dans le siècle, Paris, Hachette, 2005

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4 août 2013 7 04 /08 /août /2013 09:14

 

L'imaginaire au pouvoir

 

Mémoire(s) des origines et stratégies de légitimation du pouvoir

Lyon - 11-12 décembre 2013

 

 

Ce colloque proposé par le Centre lyonnais d’histoire du droit et de la pensée politique s'inscrit dans le cadre d’une série de rencontres universitaires dont l’objectif commun est de mettre au jour les stratégies de légitimation du pouvoir.

 

Le premier, prévu en décembre 2013, portera sur la thématique suivante : Mémoire(s) des origines et stratégies de légitimation du pouvoir.

Les communications permettront notamment de s'interroger sur l'utilisation dans ce cadre de l’historiographie, de la généalogie et de l’anthroponymie, des emblèmes et insignes du pouvoir (sceaux, devises, décorations, monnaies, actes officiels...), des rites et actes de représentations et de légitimation du pouvoir (tels que les sacres, jubilés, mariages, funérailles mais aussi les hommages, anniversaires, commémorations) et enfin des lieux de mémoire.

 

Si les pistes proposées dans l'appel à communication mettent essentiellement en valeur des stratégies mémorielles anciennes et souvent liées au pouvoir monarchique, les organisateurs précisent cependant qu'ils ne souhaitent pas "restreindre le champ chronologique des recherche".

L'objectif est ambitieux mais il promet des réflexions passionnantes sur l'histoire des usages politiques du passé de Périclès à François Hollande...

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