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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs

Cherche La Pépite

8 juillet 2010 4 08 /07 /juillet /2010 14:02

 

Dans la presse ce matin... un article du Monde qui nous informe que la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), dans son rapport annuel 2009, estime que le racisme se développe de façon générale en Europe.

Fallait-il vraiment attendre ce rapport pour s'en apercevoir ? Si l'histoire ne se répète pas et qu'il n'existe pas de "lois historiques", un simple regard sur le XXème siècle aurait peut-être permis d'appréhender quelque peu ce constat.

Ce petit documentaire intitulé "Xénophobie, racisme : nationalisme pendant la crise économique de 1929" et distribué par l'INA nous permet de dresser un parallèle intéressant :

L'étape du premier constat étant franchie, ne faudrait-il pas désormais penser au temps de l'action car, faut-il encore le rappeler, la crise de 1929 est considérée comme l'une des étapes importantes de l'accession au pouvoir du nazisme en Allemagne et de l'explosion des manifestations latentes d'antisémitisme en France.

Méfions-nous néanmoins d'une vision anachronique : le racisme du XXIeme siècle ne sera pas celui du XXeme siècle. La commission européenne contre le racisme et l'intolérance signale dans son rapport quatre principaux groupes victimes de cette évolution :

  •    - Les Roms et les Gens du voyage,
  •    - Les Noirs,
  •    - Les Musulmans,  
  •    - les Juifs.

Personnellement, j'aurais également ajouté à cette liste la discrimination homophobe qui, comme j'ai déjà pu l'expliquer sur ce blog, est également en progression en France et dans le monde.

Pour les autres catégories, il suffit de rappeler qu'avant hier le plus ancien campement rom d'île-de-France était évacué dans une totale indifférence populaire ; que des croix gammées ont encore été récemment découvertes dans le cimetière d'Albi ; ou bien qu'Alain Finkielkraut s'est dernièrement illustré par des propos détestables sur l'équipe de France de football décrite comme révélatrice d'une "génération caillera". Et encore, je ne reviens pas sur le fait qu'un ministre de l'Intérieur et des Cultes (c'est important) puisse être condamné pour injure raciale sans être remercié...

Après avoir distribué plusieurs milliards d'euros pour le "sauvetage" des banques (et des banquiers), on attend donc désormais l'équivalent pour lutter contre un mal qui pourrait s'avérer tout aussi tragique.

 

Complément d'info du 22 juillet 2010 : ce gouvernement est tellement prévisible : http://tempsreel.nouvelobs.com//actualite/politique/20100721.OBS7454/sarkozy-scandalise-les-associations-avec-sa-reunion-sur-les-roms.html

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8 juillet 2010 4 08 /07 /juillet /2010 09:42

 

De retour sur la toile après quelques semaines studieuses et laborieuses dans les manuels d'histoire, je me penche quelques heures sur ma "boîte-mails" en me disant que l'on a finalement jamais autant communiqué qu'à notre époque. Certes, les plus rigoureux me rétorqueront que la situation de communication présente est pauvre, fugace et même fuyante... et ils n'auront pas tort ! Mais ne doit-on pas se réjouir malgré tout de pouvoir depuis notre appartement provincial atteindre numériquement les merveilleuses archives du centre de San Francisco par exemple. Ne doit-on pas non plus se réjouir de pouvoir communiquer en temps réel avec nos collègues d'outre-mer, d'outre-atlantique, d'outre-rhin... pour ne pas dire d'outrer-tombe en pensant bien évidemment au regretté François-René de Chateaubriand pour lequel le lecteur peut désormais consulter librement l'oeuvre sur le site Internet Gallica.

Néanmoins, le doute persiste. Que reste-t-il de nos amours archivistiques à l'époque du tout numérique ? Derrière la formidable avancée des possibilités cybernétiques, ne doit-on pas craindre d'être confronté à des enjeux bien plus graves ?

A mon sens, la question ne peut pas être présentée trop simplement. Dans un premier temps, nous devons reconnaître que l'avancée des sciences informatiques est une chance pour l'historien et pour la diffusion de la science historique. Votre serviteur le vérifie régulièrement lorsque, muni de son appareil photo numérique, il se rend aux archives nationales pour chasser les documents qu'il pourra ensuite étudier pendant des semaines (voire des mois) au gré de son emploi du temps chaotique bien peu adapté aux horaires d'ouvertures administratifs des centres. Miracle de la technologie, l'artisan-historien peut parfois même travailler sans quitter son atelier et recevoir sa matière première directement sur son écran. Les exemples ne manquent pas mais pour rester en France, nous pouvons citer le travail de la Bibliothèque Nationale de France (BNF) qui propose régulièrement par l'intermédiaire de sa bibliothèque numérique (Gallica) de magnifiques reproductions thématiques. Si l'on couple cette possibilité à l'ascension récente des réseaux sociaux et autres modes de communication modernes (newsletter, flux RSS, etc.), on donne naissance à un outil puissant et jamais atteint jusqu'alors de diffusion des archives.

Néanmoins, dans un second temps, on devrait peut-être davantage s'interroger sur les enjeux qui entourent cette évolution. Je suis d'ailleurs souvent surpris de constater que, si les archivistes se confrontent parfois à la question, peu d'historiens les rejoignent dans leur réflexion. On peut néanmoins citer le manuel de Jean-François SOULET sur l'Histoire immédiate qui, en lien avec cette réflexion épistémologique sur un courant encore marginal de l'historiographie, se pose la question des sources numériques.

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Cette problématique dépasse pourtant à mon sens l'enjeu strictement scientifique pour interroger plus largement l'avenir de notre société. Quelle image de nous, quelles traces allons-nous en effet laisser à nos successeurs ? Comment les historiens de l'an 3000 vont-ils bien pouvoir écrire notre histoire ? Avec quelles sources ?

La diffusion de l'outil informatique ne s'est en effet pas contenté de modifier nos méthodes de travail, elle a également révolutionné nos pratiques sociales. L'exemple le plus évident est celui de l'échange épistolaire. J'ai récemment rencontré sur les terrasses ensoleillées de Châlons-en-Champagne une charmante jeune fille qui me présentait son travail passionnant (mené sous la direction de Robert Muchembled) sur les lettres d'amour d'Henri IV. Je n'ai pas pu m'empêcher au cours de la discussion de penser qu'un lointain successeur, voulant travailler en 3010 sur les frasques amoureuses de Nicolas Sarkozy, serait probablement bien en peine de mener un tel projet à termes, à moins d'avoir éventuellement consersé précieusement un double de sa carte SIM... Et encore faudrait-il que le Président de la République et les réceptionnaires de ces messages n'aient pas effacé ces messages. Car l'une des conséquences dramatiques de cette envolée de communication numérique est de diminuer proportionnellement la valeur symbolique des mots échangés. Recevoir un courriel devient un acte tellement banal qu'on ne prend plus le temps désormais de l'archiver, de le sauvegarder, de l'imprimer... et il tombe rapidement dans l'oubli !

Il faut ajouter à ces considérations deux préoccupations modernes qui accélèrent encore ce phénomène : l'économie et l'écologie. Combien de fois n'ai-je pas sursauté en apprenant qu'une ville, une administration, une bibliothèque avait détruit plusieurs liasses de documents à défaut d'avoir la place pour les conserver. De même, que penser de ces messages bien-pensant qui, à la fin de nos courriels, nous invitent à ne pas imprimer pour sauver la planète ? Mais, à vouloir préserver quelques arbres, n'est-ce pas notre histoire que nous abattons progressivement ?

Ne doit-on d'ailleurs pas considérer que les premiers effets de cette évolution commencent déjà à se faire ressentir sur la toile sous la forme d'une lutte plus ou moins latente entre histoire et mémoire ? Que pensez en effet d'une véritable comparaison entre des sites proposant une lecture historique du passé (renseignée, désacralisée objectivée) et une lecture mémorielle dans laquelle l'émotion est largement mobilisée ? La concurrence est rude sur Internet et à cette course aux visiteurs, on peut considérer que les sites communautaires ont déjà pris une longueur d'avance.

 

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5 juin 2010 6 05 /06 /juin /2010 09:10

 

A vouloir toujours rationnaliser la mémoire par une lecture historique, on oublie parfois de signaler combien l’historien peut lui aussi être créateur de mémoire.

 

La disparition de Jean Le Bitoux, le 21 avril 2010 a été l’occasion pour bon nombre de ses amis, collègues, et proches de prendre le temps de la réflexion et de s’interroger dans l’émotion sur le rôle de ce militant infatigable, mais aussi sur l’époque qu’il représente.

Robert Badinter, Michel Chomarat, Christian De Leusse, Daniel Defert, Jacky Fougeray, Christophe Girard, Gérard Koskovich, Michael D. Sibalis, Florence Tamagne, Louis-Georges Tin, … sont autant de contributeurs qui ont accepté dans cet ouvrage de livrer un vibrant hommage à Jean, rassemblant ainsi différentes pièces d’une mémoire commune qu’il faudra un jour transformer en histoire.

 

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Jean Le Bitoux, Passeur de mémoire, éditions Mémoire Active, 2010  

 

Liste des contributeurs

Robert Badinter, Hélène Barbé, Bob devenu Béchir, Mickaël Bertrand, Patrick Bloch, Fabrice Bosque, Hugues Bouchu, Hussein Bourgi, Michel Branchu, Alain Burosse, Patrick Cardon, Michel Chomarat, Stéphane Corbin, Isabelle Darmengeat, René de Ceccaty, Christian de Leusse, Daniel Defert, Ladri Ibrahima Diarra, Fleury Drieu, Marc Dumoulin, Lionel Duroi, Eric Fleutelot, Jacques Fortin, Jacky Fougeray, Tristan Garcia, Christophe Girard, Gérard Koskovich, Emile L., Michel Le Bitoux, Philippe Le Bitoux, Voto Leclerc, Christine Le Doaré, Francis Letellier, Catherine Marjollet, Hugo Marsan, Christophe Martet, Claude Mercier, Jean-Pierre Michel, Charles Myara, Antoine Perruchot, Jean-Bernard Peyronel, Alain Piriou, Jean-Paul Pouliquen, Denis Quinqueton, André Sarcq, Michael D. Sibalis, Florence Tamagne, Jean-Sébastien Thirard, Louis-Georges Tin, Carole Trémeau, Jacques Van Dem Borghe, Franck Zanni.

 

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15 mai 2010 6 15 /05 /mai /2010 11:47

 

Certains textes ne peuvent être écrits que sous le coup de la colère et celle qui m’anime aujourd’hui est trop grande pour ne pas s’épandre sur une toile qu’on aurait déjà trop souillée d’une encre bien trop sombre.

Fidèle aux engagements qui ont été les miens à la création de ce blog, j’ai souvent affuté ma plume dans une perspective résolument citoyenne, tout en essayant au mieux de conserver une approche historienne afin d’analyser les enjeux mémoriels de l’actualité politique, sociale et culturelle, française et internationale.

Certains évènements cependant ne peuvent pas laisser indifférent. Comme Stéphane Hessel dans le film-documentaire Walter, retour en résistance, je considère que « l’indignation » est une valeur essentielle de l’Homme, une qualité intrinsèque de la Résistance qui devrait être précieusement entretenue contre toute dérive potentiellement totalitaire.

Les fidèles lecteurs de ce blog voudront donc bien m’excuser par avance de cette liberté de ton inhabituelle mais elle est le témoin d’un élan d’humeur que je canaliserai désormais dans de tels billets, en complément d’analyses qui resteront majoritairement apaisées et un peu plus objectives.

 

Dans la nuit du 1er au 2 mai 2010, un homme de 64 ans se faisait agresser dans un lieu de rencontre homosexuel sur les bords de l’Orne dans la ville de Caen. A en croire le rapport annuel de l’association SOS Homophobie, un tel évènement n’est pas si exceptionnel en France. Cette agression se distingue néanmoins par sa violence : la victime compte en effet 23 fractures et elle est toujours hospitalisée au service de réanimation du CHU de Caen.

Or, nous apprenons aujourd’hui que ces sévices auraient peut-être pu être évités. Une semaine avant l’agression en question, une inscription avait en effet été découverte à proximité du lieu : « Triangle rose, souviens-toi des années 40 ». Cette courte phrase qui sonne comme un avertissement n’avait semble-t-il guère été prise au sérieux. Il convient pourtant de s’y arrêter quelques instants tant il me semble qu’elle est le témoin emblématique d’une évolution récente.

 

Il convient tout d’abord d’exercer une comparaison qui, toute proportion gardée, peut soulever quelques éléments révélateurs. Comment se fait-il qu’en France, en 2010, une telle inscription n’ait suscité aucune réaction tant au niveau local que national. La mémoire des homosexuels déportés et persécutés durant la Seconde Guerre mondiale n’aurait-elle pas la même valeur que celle des Résistants, des Juifs ou des Tziganes ?

La référence à la Seconde Guerre mondiale est pourtant flagrante et je me demande encore comment elle a pu rester sans conséquence. Elle n’a pas pu être considérée comme une manifestation "banale" de l’homophobie latente puisque ses auteurs se sont efforcés à donner une dimension historique et idéologique à leur geste. Il est impossible que personne n’ait compris le sens profond de leur acte et des présupposés détestables qu’il véhicule.  

Il n’est bien entendu pas question de réveiller ici les spectres d’une concurrence mémorielle que nous nous appliquons par ailleurs à contenir. Néanmoins, il me semble nécessaire que ce tragique évènement puisse servir de leçon pour que, s’il venait à se reproduire, les hommes politiques, les associations et les médias s’en emparent et dénoncent publiquement de tels propos, dans un objectif pédagogique de prévention, comme c’est le cas à chaque fois qu’une croix gammée apparaît sur les murs d’une mosquée ou dans un cimetière juif.

 

Non seulement aucune condamnation publique n’a été entendue dans cette affaire mais au contraire, depuis quelques jours, les agresseurs n’ont pu être que confortés dans leurs agissements.

En visite au Portugal, le Pape Benoit XVI affirmait jeudi 13 mai 2010 que le mariage homosexuel représentait un « des défis les plus insidieux et les plus dangereux qui, aujourd’hui, s’opposent au bien commun ». Cette information était reprise dans tous les plus grands médias nationaux.

Le 30 avril 2010, le député Christian Vanneste écrivait dans un billet intitulé Quelques réflexions sur l’Eglise et la pédophilie que « le lien et même la confusion qui règnent entre l’homosexualité et l’éphébophilie est patent ». L’affirmation n’est pas moins grave que celle du cardinal Bertone que le député français entend justement défendre. Pourtant, cette fois-ci, elle n’a donné lieu à aucune condamnation officielle alors que la France s’était fendue, par l'intermédiaire du porte-parole du ministère des Affaires Etrangères, d’un communiqué qualifiant les propos du cardinal d’ « amalgame inacceptable ». La raison de ce revirement de situation concernant l'élu est simple : malgré les promesses de Nicolas Sarkozy à une époque où il entendait encore flirter  avec un électorat gay, l’UMP a officieusement soutenu la candidature de Christian Vanneste en ne présentant aucun candidat en face de lui dans sa circonscription. Condamner ses propos reviendrait donc à condamner un élu de droite soutenu par l’UMP.

Enfin, dernier exemple parmi de nombreux autres, le « Kiss-in contre l’homophobie » prévu le 15 mai 2010 place Saint-Jean à Lyon vient d’être reporté sur ordre du préfet du Rhône et sous les menaces insistantes d’intégristes catholiques qui organisent dans la plus grande liberté une action similaire à celle de Paris au cours de laquelle plusieurs individus ont été agressés et blessés.

 

Le 14 février 2010, des centaines de personnes s'étaient rassemblées sur le parvis de la cathédrâle Notre-Dame pour chasser des homosexuels qui voulaient s'embrasser dans ce lieu public (et non pas à l'intérieur de l'édifice).

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Le message des catholiques extrémistes lyonnais est clair : ils veulent reproduire la violence de la première manifestation .  

 

Dans ces conditions, quand les plus grandes éminences religieuses, les élus de la République et les garants de l’autorité prônent ou soutiennent une telle intolérance, comment imaginer que des individus aux idées dangereuses pour la République ne soient pas confortés.

De façon plus générale, comment lutter aujourd’hui efficacement contre les discriminations quand un ministre affirme que : « Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes » (que cette personne soit Auvergnate, arabe ou rattachée à n’importe qu’elle autre communauté) ?

 

 

Comment enseignez le respect d’autrui quand un ministre adresse des doigts d’honneurs aux journalistes ?

 

 

Et enfin, comment véhiculer un message de tolérance quand même le Président de la République lance un « Casse-toi pov’ con » à l’un des citoyens qu’il est censé représenté ?

 

 

A mon sens, une agression n’est jamais gratuite. Elle n’est jamais anodine. Et elle devrait toujours donner lieu à une réflexion plus vaste sur le contexte de son déroulement.

Les travaux de Michael Pollak sur la Shoah par exemple nous ont appris que cet évènement tragique n’aurait peut-être pas pu survenir dans un autre pays et un autre moment, que des signes avant-coureurs (qu’il est toujours un peu facile d’avancer a posteriori) auraient pu anticiper ce génocide. N’est-ce pas le moment, à l’image de Bertrand Delanoé en hommage à Jean Le Bitoux, de se demander si notre société n’est pas à un tournant de son histoire dans son intégration des minorités ?

 

« Triangle rose, souviens-toi des années 40 » : Ce message raisonne lourdement depuis déjà quelques années, sans qu’il ne soit jusqu'alors jamais aussi clairement exprimé. Je n’ai jamais oublié le sort des homosexuels durant la Seconde Guerre mondiale mais je n’ai pas oublié non plus le sort des homosexuels dans l’entre-deux guerre, leur relative liberté de parole et d’action, les bars qui se sont multipliés, et surtout, les appels du pied du grand Magnus Hirschfeld qui, à la veille de l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne, ne voulait pas croire à la menace que pouvait constituer ce parti contre les valeurs qu’il avait toujours défendu.

Triangles roses, rouges, verts, mauves… étoiles jaunes, souvenez-vous ! Il est peut-être encore temps de résister.

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10 mai 2010 1 10 /05 /mai /2010 17:53

 

A l'initiative d'Ed Berenson et Denis Peschanski, coresponsables du programme "Memory and Memorialization", c'est un colloque exceptionnel qui s'est tenu la semaine dernière au mémorial de Caen.

Associant deux grands mémoriaux - celui de Caen et celui à venir du 11 septembre 2001 à New-York -, le CNRS et l'Université de New York (NYO), cet évènement a réuni des spécialistes américains et français de la mémoire (historiens, sociologues, anthropologues, neuroscientifiques, pédopsychiatres, juristes, philosophes, professionnels des musées...) dans une perspective résolument pluridisciplinaire.

L'objectif de la rencontre : comprendre par une analyse croisée comment fonctionne la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et celle du 11 septembre.

Voici le programme des réflexions.

En attendant les actes du colloque, vous pouvez nous faire partager en commentaires vos impressions et compte-rendus si vous avez pu assister à cette manifestation universitaire.

 

Jeudi 6 mai 2010

Ouverture du colloque par Philippe Duron, député-maire de Caen, président du mémorial de Caen, et Stéphane Grimaldi, directeur du mémorial de Caen

 9h15-12h30

Table ronde 1 : Absence, oubli et occultation

Président de séance : Cliff Chanin, National September 11 Memorial & Museum

· Marie-Claire Lavabre, CNRS, sociologue et politiste

· Georges Fournier, université de Rennes 1, juriste

· Katherine Hite, Vassar, NY State

· Aniko Szucs, New York University

 

14h15-17h45

 

Table ronde 2 : Refoulement : l’individu et le collectif

Président de séance : Denis Peschanski, CNRS et mémorial de Caen

· Henry Rousso, CNRS-IHTP Paris

· Marie-Christine Laznick, psychanalyste

· Anne Raulin, Paris Ouest Nanterre La Défense, anthropologue

· Carol Gluck, Columbia University, historienne

 

 

Vendredi 7 mai 2010

Extraits du film « Einsatzgruppen » présentés par son auteur et réalisateur Michaël Prazan

 

10h-13h

Table ronde 3 : Peut-on tout montrer ?

Président de séance : Edward Berenson, New York University

· Henri Parens, pédopsychiatre, Philadelphie

· Marita Sturken, New York University, Media,

· Mark Schaming, musée d’histoire de l’Etat de New York

· Gérard Rabinovitch, CNRS-Paris, philosophe

· Yves Burnod, INSERM, Paris, ISC et Katia Dauchot, CNRS-Paris, ISC, neuroscientifiques

· Michaël Prazan, écrivain et cinéaste

 

 14h45-18h15

Table ronde 4 : A quoi sert un mémorial ?

Président de séance : Stéphane Grimaldi, directeur du Mémorial de Caen

· Alice Greenwald, National September 11 Memorial & Museum

· Jacques Fredj, Mémorial de la Shoah, Paris

· Alain Chouraqui, Mémorial des Milles (France)

· Gonzalo Conte, architecte, directeur de Mémorial Memoria Aberta, directeur du programme « la Topographie de la mémoire »

· Brigitte Sion, NYU, Perfomance Studies

 

 

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9 mai 2010 7 09 /05 /mai /2010 10:51

 

Comme chaque année, la journée nationale du souvenir de la déportation a fait couler beaucoup d’encre. Retour sur l’édition 2010 de cette commémoration qui n’a pas manqué d’attiser encore les étincelles du communautarisme par un vent printanier de polémique.

 

Il faut se rendre à l’évidence, presque plus personne ne se rend aux cérémonies commémoratives.

Alors que les contestations se soulevaient en masse à l’occasion du rapport d’André Kaspi en 2008 proposant maladroitement la suppression de journées du souvenir, rares sont ceux qui ont mis leurs paroles en actes pour démontrer que ces commémorations ont encore un sens de rassemblement citoyen.

Le constat initial de cette commission reste donc d’actualité : les cérémonies du souvenir sont désertées.

 

Des cérémonies renouvelées

Ne pouvant en réduire le nombre, les officiels ont reçu pour mission de les moderniser afin d’augmenter leur fréquentation. La préfecture de Côte d’Or qui organise l’évènement auquel j’ai assisté cette année a eu une idée particulièrement judicieuse : faire appel à une chorale de collégiens afin d’interpréter le chant des partisans, le chant des marais et la Marseillaise. L’idée n’est guère originale mais elle a le mérite d’être efficace car ces enfants sont venus accompagnés par plusieurs dizaines de spectateurs constitués de leurs parents, frères et sœurs, voire grands-parents, qui ne sont généralement pas présents à cette cérémonie.

Le choix des enfants n’a pas non plus été laissé au hasard : ce sont en effet des élèves du collège Marcelle Pardé de Dijon qui ont été choisis, afin de rendre hommage à l’ancienne directrice de leur école qui s’est engagé dans la résistance. Elle a été arrêtée puis déportée à Ravensbrück en août 1944 où elle mourut en janvier 1945.

 

Un corporatisme mémoriel inquiétant

D’autres villes en France avaient émis des idées similaires et toutes aussi intéressantes. C’est le cas à Parthenay dans les Deux-Sèvres où Nathalie Lanzi, une enseignante d’histoire-géographie avait pris l’initiative d’organiser une lecture par ses élèves d’un texte inédit et rédigé spécialement pour cette occasion par Ida Grinspan, rescapée du camp d’Auschwitz.

Dans ce court récit, l’auteur raconte comment ses parents ont voulu la protéger en l’envoyant dans le département des Deux Sèvres afin de la protéger contre d’éventuelles rafles qu’ils pressentaient. Elle fut alors admirablement accueillie dans une famille, aidée par la maîtresse d’école et intégrée dans la classe et dans le village par l’ensemble des habitants.

Dans cette description idyllique d’une France moins antisémite qu’on veut parfois bien la présenter, elle consacre néanmoins six lignes à ceux qui, sans les nommer, ont largement contribué à son arrestation :

« J’ai été arrêtée le 31 janvier 1944 par 3 gendarmes, l’inhumanité même, de ces 3 hommes, le chiffre 3, chiffre impair qui montre bien la détermination d'être solidaires de ne pas se laisser influencer face à la jeunesse, face aux suppliques de ma nourrice, des demandes insistantes du maire de la commune pour ne pas m’emmener moi, si jeune, si innocente, qui avait la malchance d’être née juive! Alors que les armées alliées sont en train de délivrer l’Europe des allemands, 3 gendarmes français, ont obéit aux ordres de m’emmener à Niort pour connaître le pire ».

 

La plume est certes un peu acide mais peut-on réellement attendre autre chose d’une rescapée des camps de concentration ? Doit-on l’obliger, au nom de l’union nationale, à refouler le souvenir de ces trop longues années passées dans les camps nazis ?

 

2006-0715-j-ai_pas_pleure.jpg

Le témoignage d'ida Grinspan a également fait l'objet d'un ouvrage

 

La municipalité semble avoir pris sa décision à ce sujet : la lecture de ce texte a finalement été refusée par la municipalité et notamment, selon la presse, par Michel Birault, ancien gendarme et adjoint en charge des affaires patriotiques, soutenu par le maire de la commune Xavier Argenton.

Dans le courriel envoyé à la professeure d’histoire-géographie, les intéressés précisent :

« Ne stigmatisons pas une catégorie professionnelle qui dans ces temps troubles avait obéi aux ordres de l'autorité légitime. [Ce texte] n'est pas de nature à apaiser les ressentiments à une époque où le repentir est malheureusement mis en exergue ».

 

De tels propos laissent perplexes.

La professeure en question s’est défendu d’attiser les tensions : « Mon objectif n'était pas de blesser mais de dire l'histoire. Je suis attachée au devoir de mémoire et au souci de vérité ». Ce que Nathalie Lanzi semble cependant oublier à ce stade de l’affaire, c’est qu’il n’est déjà plus guère question d’histoire ; Il est question de politique, de conflits locaux (l’intéressée vient d’être élue au Conseil Régional) et surtout de mémoire.

On peut en effet se demander s’il est encore possible aujourd’hui, à une époque où le politique appelle au rassemblement national face à ce qu’il décrit comme une menace extérieure (la fameuse « crise »), s’il est encore possible d’évoquer sans dommage le souvenir d’époques précédentes où, face à un danger bien plus tangible, des français ont nui à d’autres français, en toute impunité. Une telle évocation pourrait en effet laisser penser que cette situation est reproductibe, voire que certains français en sont en partie responsables.

On peut également s’interroger (sans nécessairement condamner a priori) sur la place que prennent les forces de l’ordre dans notre société quand un ancien gendarme, devenu représentant de la République, continue à protéger par corporatisme l’histoire et la mémoire de son ancien corps de métier.

Le communautarisme que les hommes politiques stigmatisent bien volontiers ne serait donc pas exclusif aux identités de genre, de religion, ou encore d’origine. Il faudrait aussi regarder à mon sens du côté des corporatismes professionnels qui défendent jalousement leurs privilèges au détriment de l’égalité républicaine, par l’intermédiaire de minces pouvoirs et d’éventuels relais politiques qui leur permettent d’influer jusque dans l’écriture de l’histoire et la construction de la mémoire.

 

Catégories mémoriels vs catégories historiques

Le texte original d’Ida Grinspan avait au moins le mérite de se distinguer un peu du discours officiel convenu des associations d’anciens déportés, internés et résistants qui véhiculent inlassablement les mêmes poncifs bienveillants.

J’ai été néanmoins surpris à la lecture du traditionnel message d’entendre la mention explicite de quelques motifs d’arrestation. Dans ce court texte de quelques lignes sont ainsi évoquées successivement les Juifs, les Tziganes, mais aussi les « camarades » qui peuvent faire référence aux opposants politiques.

Ce texte qui se présente comme un message « de tolérance, de paix, d’amitié et de solidarité entre les hommes et les peuples » ne poserait aucun souci si, en l’état, il n’oubliait pas les autres catégories. Depuis quelques années en effet, afin de contenir les concurrences mémorielles qui s’exercent autour de ces cérémonies, il a souvent été rappelé aux nouveaux prétendants (notamment les associations militantes homosexuelles) qu’il était impossible de citer tous les motifs dans les discours et que par défaut, aucun ne devait l’être. Or, nous sommes ici forcés de constater que cette règle n’a pas été appliquée et qu’encore une fois, on passe sous silence les mêmes catégories.  

Une seule exception a pu être observée sur le territoire national. Il s’agit du discours d’Hubert Falco, Secrétaire d'Etat à la Défense et aux Anciens Combattants qui, dès le début de son intervention, prend quelques secondes pour évoquer les homosexuels. On peut cependant regretter qu’ici aussi, d’autres catégories demeurent dans le silence, faute de groupes de pression pour faire entendre leur voix.

 

tablo-triangles.jpg

Ce document retrouvé à Dachau illustre les différentes catégories persécutées par le régime nazi 

 

65 ans après le retour des premiers rescapés, certains silences n’ont donc toujours pas été dépassés…

Cet article nous donne néanmoins l'occasion de rappeler qu'à une époque pas si éloignée, le pouvoir présidentiel veillait encore à une lecture de l'histoire et à une construction de la mémoire radicalement différente de celles qui apparaissent en filigrane dans les manifestations développées ci-dessus.

 

 

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2 avril 2010 5 02 /04 /avril /2010 10:57

 

Cet épisode tragique de l’histoire française et israélite a récemment été remis en lumière dans une fiction réalisée par Roselyne Bosch. C’est un film important puisque jamais personne n’avait jusqu’alors tenté de représenter cet évènement essentiel de l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale. Malgré un accueil chaleureux dans la plupart des médias français, il faut prendre quelques précautions d’analyse.

 

Le scénario est fondé sur les souvenirs d’un témoin, Joseph Wiesmann, qui  était âgé de 10 ans au moment de la Rafle du Vél’ d’Hiv’. Il retrace le parcours commun de plusieurs familles juives victimes de cette arrestation massive organisée à Paris entre le 16 et le 17 juillet 1942.

 

 Bande annonce : La Rafle

 

Les critiques de cinéma ont notamment salué une « œuvre utile » (La Croix) « sans ostentation ni dérapages, avec une forme de sobriété » (Le Journal du Dimanche). C’est une qualité qu’il faut souligner tant il aurait été facile de sombrer dans le pathos et d’enclencher le mécanisme de la repentance à travers les larmes et la pitié. Roselyne Bosch choisit au contraire une forme de représentation plutôt neutre qui conduit cependant à d’autres limites, voire parfois à des dérapages. 

 

C’est donc intentionnellement que j’ai qualifié ce film de véritable « rafle », non pas au sens historique, mais au sens littéral du terme qui désigne l’ « action de piller » (Petit Robert, 2009). Traitant d’un sujet délicat, la réalisatrice réduit la fiction au strict nécessaire pour se consacrer quasiment exclusivement à l’illustration de l’évènement. Au final, le spectateur un peu renseigné a l’impression d’un pillage en règle de plusieurs ouvrages historiques sur la question, sans véritable esprit critique et sans souci de cohérence.

 

Un film d’histoire, un film historique ou un docu-fiction ?

Cette démarche n’est pas sans risque.

D’une part, je suis toujours un peu réticent à rester assis dans mon siège quand la projection commence par le message suivant :

« Tous les personnages du film ont existé. Tous les évènements ont bien eu lieu ».

Cette affirmation péremptoire lancée d’emblée au visage du spectateur supposerait que le témoignage de Joseph Wiesmann soit infaillible, y compris dans la description psychologique de ses voisins, mais aussi pour les évènements contextuels qu’il n’a pas lui-même vécu. Sachant que l’intéressé n’était âgé que de 10 ans au moment des faits et que 68 ans se sont écoulés depuis, il est indéniable qu’une reconstruction mémorielle ait été à l’œuvre.

Mon propos n’a pas pour ambition de condamner à tout prix la démarche de ce que nous appelons aujourd’hui, sans jamais l’avoir vraiment défini, un « film historique ». J’ai montré à plusieurs reprises dans ce blog que le cinéma pouvait être une entrée intéressante pour étudier, comprendre, ou illustrer la pratique de l’histoire. En revanche, mon propos sera toujours plus sévère contre les films qui prétendent écrire l’histoire. Pour être tout à fait clair, ma préférence se porte davantage sur la démarche d’un Quentin Tarantino par exemple, qui dans Inglorious bastards utilise l’histoire jusqu’au travestissement au service de son art (poussant l’audace jusqu’à faire mourir Hitler dans un attentat) plutôt qu’à un docu-fiction mal assumé qui prétend apporter une vérité historique là où les historiens s’écharpent depuis plusieurs décennies.   

 

Une vulgarisation historique qui pose problème

A mon sens, malgré le respect que sa vie et son œuvre imposent, la mention de Serge Klarsfeld comme « conseiller historique » du film en générique ne suffit pas à assurer une caution infaillible. Ce film mériterait d’ailleurs un décorticage minutieux de chaque scène, mais ce blog n’est pas le lieu approprié pour un tel exercice et son auteur n’est d’ailleurs pas un spécialiste suffisamment compétent pour se prononcer sur chaque détail de l’histoire de la rafle. Il est néanmoins possible de relever quelques aspects fondamentaux de l’approche historiographique de la Seconde Guerre mondiale qui sont suffisamment malmenés par la réalisatrice pour être signalés.

 

Tout d’abord, il est malheureux de constater comment Roselyne Bosch pervertie les images d’archives. Elle utilise notamment à outrance les vidéos devenues célèbres d’Hitler en couleurs dans sa résidence bavaroise. Cette stratégie est d’autant plus regrettable qu’elle consiste en une instrumentalisation de sources historiques muettes au service de son scénario ; elle donne l’impression qu’Hitler aurait décidé l’extermination des Juifs depuis une magnifique résidence secondaire, dans une ambiance chaleureuse et conviviale. Non seulement on frôle la caricature, mais une telle pratique pourrait donner l’impression que les historiens ont une utilisation très aléatoire des archives qu’ils exploitent.   

 

 Les archives vidéos utilisées par Roselyne Bosch

               

De manière générale, on peut affirmer que toutes les scènes qui mettent en action les dirigeants et les décideurs posent problème. Laval est représenté comme l’archétype du salaud ayant bafoué les ordres du Maréchal Pétain. Ce dernier apparaît alors dédouané d’une partie de ces responsabilités dans cet évènement. L’hypothèse est séduisante. Elle n’est d’ailleurs pas exclusive à Roselyne Bosch et Serge Klarsfeld. Il n’en demeure pas moins que les sources nous manquent encore pour être aussi catégorique dans cette affirmation. Le scénariste décide ainsi de montrer des scènes de tractations imaginaires alors que les historiens ne savent toujours pas avec exactitude comment les décisions ont été prises. Encore une fois, une telle position n’est pas condamnable en soi. Il est au contraire louable (et nécessaire) dans ce genre de production que des prises de position soient effectuées. Cela pose cependant problème quand l’auteur prétend en introduction livrer une vérité historique.  

 

Des positions plus mémorielles qu’historiennes

Certains détails prêtent parfois à sourire tellement ils sont grotesques aux yeux même du néophyte. C’est le cas notamment à la fin du film, lorsque le médecin qui soigne la jeune infirmière dans le camp de Beaune-la-Rolande affirme avec assurance être « gaulliste » et lui révèle le sort morbide des juifs envoyés à l’Est. L’affirmation pose d’emblée une question cruciale : si De Gaulle et ses proches savaient, pourquoi n’ont-ils pas alerté officiellement la population et les alliés ? Ensuite, le terme lui-même pose un problème d’anachronisme assez évident. Il aurait peut-être été utile de se demander ce que représente réellement le général De Gaulle en 1942, quand il est encore réfugié à Londres et qu’il peine à faire reconnaître sa légitimité par les Alliés. Le gaullisme n’est-t-il pas une notion trop complexe pour la réduire à un simple attachement à un homme dont le destin est encore à l’aube de sa construction mémorielle.

 

C’est au milieu du film que le spectateur aperçoit avec davantage de discernement l’aspect presque propagandiste de cette fiction. La scène de discussion entre Laval et deux émissaires américains par exemple s’inscrit dans le scénario comme un numéro d’équilibriste dans une tragédie de Racine. Comment en effet justifier cette rencontre qui n’a a priori aucun intérêt dans l’affaire précise de la rafle du Vel’ d’Hiv ? Je me demande même si l’auteur serait en mesure de justifier la véracité de cet évènement comme elle le prétend en préambule puisque la question de la connaissance des alliés sur les réalités de l’extermination pose encore problème (Christian Destremau, Ce que savaient les Alliés, Perrin, 2007). La scène n’a donc aucun sens si ce n’est celui d’illustrer l’intime conviction de la réalisatrice.

 ce-que-savaient-les-allies.jpg

 

La mention du « fichier juif » dès le début du film est également problématique. Roselyne Bosch voudrait la présenter comme une affaire entendue en affirmant dans sa mise en scène que la rafle du Vel’ d’Hiv’ aurait été rendue matériellement possible par l’utilisation d’un « fichier juif » connu de tous (y compris des individus recensés) et constitué de boîtes dans lesquelles des fiches cartonnées auraient été soigneusement conservées. Rien n’est aussi simple et il s’agit en fait d’un malheureux raccourci.

La question du fichage des Juifs de France a conduit depuis plusieurs décennies à des affrontements parfois vifs entre chercheurs, révélant de forts antagonismes idéologiques et méthodologiques. Il serait prétentieux de ma part de prétendre apporter une solution à cet insoluble problème mais Il me semble en tout cas judicieux, en l’absence de certitude scientifique, d’exercer une prudence minimum et de se garder d’un jugement à l’emporte-pièce, surtout quand le conseiller historique est l’un des principaux protagonistes de ce débat.

En 1991, Serge Klarsfeld est en effet persuadé d’avoir retrouvé la trace du fichier dit « de la préfecture de Police » élaboré après l’ordonnance du gouvernement de l’Etat Français du 27 octobre 1940 et qui avait pour ambition de recenser l’ensemble des Juifs de France en vue de leur déportation. Il aurait été conservé aux archives du Ministère des Anciens Combattants. Ces arguments ont pourtant fait l’objet de contestations, notamment de la part de René Rémond au nom d’une commission pour l’étude du « fichier juif » qu’il a présidé.  

Pour l’heure, les principaux éléments qui peuvent être avancés témoignent d’une complexité difficilement réductible. La situation politique du territoire français lors de la Seconde Guerre mondiale laisse imaginer une organisation administrative aussi morcelée et embrouillée. Elle a conduit à la mise en place de plusieurs tentatives éparses de fichage des juifs (par la police française à l’initiative de l’Etat Français dans la zone Sud, par la Gestapo en zone Nord, etc.). Le fichage des Juifs n’était pourtant pas exclusif. Il était le plus souvent couplé avec d’autres fichages en lien avec l’évolution de leur statut : par exemple, le fichier des propriétaires d’un poste TSF (suite à l’obligation de recenser les biens des israélites), ou encore, à partir de 1941, en parallèle avec la création d’un numéro de sécurité sociale, la mise en place d’une discrimination numérotée pour les Juifs. Nonobstant, aucune tentative de centralisation nationale n’a jamais aboutie. Quelques essais ont certes été testés avec le développement des procédés mécanographiques, mais elles ont toutes été vouées à l’échec. En définitive, chaque administration possède son propre fichier, très fragmentaire, qu’elle communique très peu à l’extérieur de ses propres services.

               

La prise de position de Roselyne Bosch apparaît donc, sur ce point comme pour d’autres, un peu trop tranchée et réductrice.

 

De l’histoire et du cinéma

                Au final, on sort de ce film avec une impression très mitigée. Le sujet est en effet trop grave pour laisser insensible le spectateur qui se pose irrémédiablement l’éternelle question des responsabilités et, depuis quelques années désormais, de la repentance. Si les critiques ont loué à raison la sobriété du scénario dans ce domaine, je soulignerais néanmoins un renversement de situation qui me semble tout aussi inquiétant que les excès mémoriels masochistes à l’œuvre depuis les années 1970. Si le sentiment de culpabilité n’est plus vraiment d’actualité, je suis en effet un peu gêné de constater que c’est désormais l’exact inverse qui est à l’honneur. A l’exception de la vilaine et grosse épicière qui ne ressemble qu’à une caricature, quasiment tous les autres français auraient adopté un comportement digne et respectable, voire courageux. C’est le cas de la voisine qui tente en vain de sauver des enfants, en passant par les pompiers qui transmettent les messages, jusqu’au mendiant dans la rue qui donne du pain aux jeunes juifs discriminés.

Les religions sont également saluées dans cette production où l’un des personnages principaux est une infirmière protestante prête à donner sa vie pour accompagner les dernières heures de ces juifs condamnés. On voit également un prêtre catholique accueillir des juifs dans son église pour les dissimuler. On est alors à l’opposé des réflexions jusqu’alors dominantes sur le rôle problématique de l’Eglise catholique, et notamment de son pape Pie XII.  

Seules les forces de l’ordre font l’objet d’un traitement particulier et plus ambigu, bien que le traditionnel argument de l’obéissance aux ordres soit particulièrement avancé pour dédouaner quelque peu ces fonctionnaires de l’Etat vichyste.

 

La balance n’est donc guère équilibrée et c’est avec le cœur léger que le spectateur quitte la salle puisque ce film semble lui montrer que la majorité des français a eu un comportement exemplaire ou, au pire, a été outragée par le sort des Juifs de France. Et pourtant, la rafle du Vel’ d’Hiv’ a bien eu lieu et le film de Roselyne Bosch n’apporte finalement aucun élément d’explication cohérent à cet évènement. Peut-être aurait-elle dû pour cela travailler en amont sur le contexte sociologique, politique et économique de la France des années 1940. Elle aurait alors découvert par exemple l’existence et le succès de films, de journaux et de radios alimentant l’écume de la haine du juif en France. Cette démarche aurait cependant mis aussi en valeur l’importance statistique de l’attentisme qui ne sied guère à une telle production cinématographique qui prétend attirer le grand public. 

 

Ce qui me choque dans ce film n’est donc pas tant les libertés prises par l’auteur avec les réalités historiques. Le couple histoire/mémoire s’est avéré très constructif dans certains cas lorsque l’union fût un mariage de raison. Des historiens et cinéastes sont d’ailleurs devenus les brillants témoins de cette alliance, en parrainant aussi leur féconde progéniture intellectuelle. C’est le cas par exemple dans le cadre d’actions telles que L’Histoire fait son cinéma organisée en 2009 à l’Université de Bourgogne au cours de laquelle les intervenants se sont interrogés autant sur l’histoire comme source d’inspiration cinématographique que sur le cinéma comme source de réflexion historique.

 

Roselyne Bosch ne semble pourtant pas totalement adhérer à cette perspective d’analyse du cinéma historique. A vouloir représenter simplement en images la complexité de l’histoire, elle perd toute la souplesse des mots et la subtilité de l’analyse. Les conséquences sont nulles quand le film ne se prend pas vraiment sérieux ; elles sont graves quand l’œuvre prétend apporter une vérité historique indéniable et la véhiculer très largement, jusque dans les salles de classe. Car au-delà du contenu, c’est aussi, et enfin, la forme qui dérange. Le site officiel du film est un véritable bunker médiatique qui vend son « package historique » : projection en milieu scolaire, ressources pédagogiques, etc.

               

Il n’est donc pas inutile de voir ce film tant les études et les représentations manquent pour évoquer la rafle du Vel’ d’Hiv’. Il ne faudrait cependant pas être dupe des présupposés qui ont conduit à la réalisation de cette production en particulier. Malgré ses apparences, elle répond à des objectifs précis qui s’inscrivent dans la représentation mémorielle contemporaine de l’histoire française.  

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7 janvier 2010 4 07 /01 /janvier /2010 15:54

Mercredi 6 janvier 2010, Bernard Kouchner (ministre des Affaires Etrangères) et Michelle Alliot-Marie (ministre de la Justice) ont signé en commun une tribune dans le journal Le Monde afin de favoriser la création d'un pôle « génocides et crimes contre l'humanité » au Tribunal de Grande Instance de Paris. L’initiative peut paraître intéressante mais elle pose un certain nombre de questions.

 

Un acte politique

Tout d’abord, quelle est son utilité ? Le tribunal international de La Haye n’a-t-il pas déjà vocation à remplir cette mission ? Alors que le texte des deux ministres prétend que l’initiative s’inscrit « en complémentarité de l'intervention de la Cour pénale internationale de La Haye », on peut se demander pourquoi la France serait mieux habilitée à juger ces questions plutôt que ces collègues anglais, allemands, ou encore américains. L’objectif d’un tribunal international n’est-t-il pas justement d’apporter une caution collective à un jugement qui s’inscrit le plus souvent dans un conflit entre deux Nations ?

Les motifs invoqués par les deux ministres paraissent alors contradictoires puisqu’ils expliquent que la création d’un tel pôle « favorisera la mutualisation des compétences, en réunissant des magistrats spécialisés, ainsi que les traducteurs, interprètes, experts et chercheurs indispensables au traitement d'affaires aussi sensibles que complexes » ? Or, comment prétendre mutualiser quand l’opération consiste justement à dédoubler une institution qui existe par ailleurs ?

L’objectif semble en fait répondre à des attentes plus concrètes et politiques. En effet, le texte mentionne l’existence de quinze rwandais (probablement réfugiés en France) dont les dossiers sont en suspens tant les procédures dans ces domaines juridiques sont longues et complexes. On peut dès lors se demander si l’objectif de la France par cette initiative n’est pas de répondre à des demandes qui s’inscrivent directement dans le cadre de ses relations diplomatiques.

 

Une propagande bienveillante

Il n’est cependant pas question d’assumer publiquement une telle position. C’est pourquoi l’introduction et la conclusion du texte s’attardent sur des motifs traditionnels qui font appel au pathos et incitent à l’inéluctable adhésion.

« Génocides, massacres organisés, viols collectifs, transferts forcés de population dans des conflits qui, aujourd'hui encore, ensanglantent le monde. Quel plus grand scandale que l'impunité des criminels contre l'humanité ? Quel plus grand outrage pour les victimes et, au-delà, pour l'humanité tout entière ? […] Patrie des droits de l'homme, la France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité ».

En théorie, nous ne pouvons qu’applaudir.

En pratique, doit-on comprendre que si notre président de la République invite à nouveau Mouammar Kadhafi sur le territoire français, ce dernier sera désormais sous le coup d’un mandat d’arrêt pour ses implications supposées dans l’attentat d’une discothèque berlinoise en 1986, l’attentat de Lockerbie en Écosse contre un avion de ligne civil américain en 1988 (270 morts), l’attentat contre un avion français à Paris en 1989 (170 morts) ou encore l’accusation de viol que lui oppose la journaliste Memona Hintermann depuis 1984.

Doit-on également comprendre que le ministère de l’Intérieur français pourrait être appréhendé pour avoir reconduit à la frontière plusieurs réfugiés homosexuels inquiétés pour leur liberté, voire pour leur vie, dans leur pays d’origine ? En effet, bien que la France se soit illustrée en décembre 2008 en prenant l’initiative d’une déclaration sur la dépénalisation internationale de l’homosexualité à l’ONU, les autorités françaises ont oublié d’aligner leur propre législation sur leur déclaration bienveillante. Ainsi, des réfugiés homosexuels sont encore régulièrement expulsés du territoire car la France n’admet toujours pas l’homosexualité au titre du droit d’asile.  

 

Vers un droit international contre l’oubli

Comme toujours pour ces questions, l’Histoire est largement invoquée par les auteurs. Dans ce document, c’est le cas à deux reprises. D’une part, pour justifier cette initiative à la lumière du passé national : « La France saura se montrer à la hauteur de son histoire, de ses valeurs et de son idéal ». D’autre part, pour préciser que si l’Histoire justifie les moyens, elle ne constitue pas une fin : « Le jugement des responsables des génocides et crimes contre l'humanité ne saurait se limiter au seul tribunal de l'Histoire. Les victimes de la barbarie humaine ont le droit de voir leurs bourreaux poursuivis et condamnés. Les sociétés meurtries par des crimes qui révoltent la conscience ont le droit de se voir offrir une possibilité de réconciliation. L'humanité a le droit de se défendre contre l'oubli ». En somme, et nous sommes bien d’accord, l’Histoire ne suffit pas pour réparer les génocides et autres crimes contre l’humanité. Les auteurs de tels actes doivent être condamnés et punis en conséquence.

En revanche, les dernières phrases sont plus surprenantes. Elles indiqueraient que seule la condamnation publique permettrait la réconciliation. Mais de quelle réconciliation parle-t-on ? N’est-il pas utopiste de considérer qu’un tribunal serait en mesure de réconcilier deux entités antagonistes ? D’ailleurs, l’oubli ne serait-il pas une méthode plus efficace vers un chemin de réconciliation ?

Les auteurs de ce texte ne semblent pas partager cet avis puisqu’ils concluent leur argumentaire en appelant de leurs vœux un droit international contre l’oubli. Impossible de savoir véritablement ce qu’ils entendent par cette formule mais il est préférable que cette idée ne sorte des bureaux du ministère. Elle représenterait sans doute une forme idéelle de la loi mémorielle par excellence, à partir de laquelle n’importe quelle communauté pourrait revendiquer sa place dans les programmes d’histoire, dans les cérémonies mémorielles, dans les programmes de recherche… au nom du droit contre l’oubli !!!


Ajout du 8 janvier 2009 :
Je persiste à croire que les grandes déclarations politiques répondent rarement à de réelles motivations philantropiques. J'en veux pour preuve cette citation de Bernard Kouchner éditée ce matin dans le Nouvel Observateur :
"Nous allons reprendre des relations normales. Il y a à développer des programmes en matière de culture et de développement (...) Quant aux heures sombres, il nous faudra (...) demander aux historiens, aux sociologues, aux témoins, aux rescapés, de travailler ensemble pour que nos pays sachent ce qui s'est passé".
En somme, la déclaration solennelle de Bernard Kouchner et de Michelle Alliot-Marie quelques jours avant dans le journal Le Monde constituent surtout un argument politique de plus dans la botte de Bernard Kouchner qui prenait l'avion mercredi soir en direction du Rwanda afin d'encourager la reprise de relations diplomatiques normales avec ce pays.

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20 décembre 2009 7 20 /12 /décembre /2009 13:02

 

D’aucuns penseront que ce blog devient décidément bien politique. Je le regrette également mais forcé de constater que le débat sur l’identité nationale vampirise une partie non-négligeable du temps de parole dans les médias, je m’efforce d’apporter quelques éléments de réflexion qui me semblent essentiels afin de ne pas être dupe des stratégies de communication déployées à cette occasion.

 

L’affaire Besson/Laval

Jeudi 17 décembre 2009, les services d’Eric Besson, ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire annoncent que le représentant de l’Etat va déposer une plainte contre le député socialiste Jean-Christophe Cambadélis et Gérard Mordillat, romancier et cinéaste. Cette poursuite judiciaire vise des propos publics des deux hommes qui auraient assimilé l'action du ministre "et celle des agents de son ministère aux heures sombres du régime de Vichy et à l'entreprise criminelle d'extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale".

J’utilise ici sciemment le conditionnel car ce sont les propos des services du ministère retranscrits dans les médias qui n’indique pas leurs sources, empêchant ainsi le citoyen de se faire sa propre opinion sur cette affaire.

Malgré nos recherches, nous n’avons trouvé nulle part la trace de commentaires aussi précis.

Certes, le 10 novembre 2009, Jean-Christophe Cambadélis était invité sur le plateau de Michaël Szames (France 24) aux côtés d’Eric Raoult, Député UMP de Seine-Saint-Denis, pour débattre de l’identité nationale.

Cliquer sur l'image pour accéder à la vidéo 
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Or, au cours de ce débat, point de dérapage de la nature de ceux qui sont dénoncés par Eric Besson à l’exception de cette digression que le journaliste n’a semble-t-il pas souhaité développer :

 

Eric RAOULT.- Il est dans l’opposition. Je l’ai lu, il a dit que son ancien camarade Eric Besson était l’aval.

Jean-Christophe CAMBADÉLIS.- Son ressort, c’est l’aval.

 

Je précise immédiatement qu’il s’agit ici de la retranscription des propos par les journalistes de France 24 que je reproduis sans changer une virgule (ou plutôt devrais-je dire sans changer l’apostrophe…) et sans vraiment savoir s’il faut blâmer l’inculture du journaliste (qui semblerait tout de même aberrante dans ce contexte) ou bien un stratagème de dissimulation bien maladroit et malvenu.

 

C’est une interview du journal Libération datée du 1er décembre 2009 qui semble en fait être plus précisément mise en cause par le Ministre. Dans cet article, les journalistes sont allés rencontrés les éléphants du Parti Socialiste afin de recueillir sans grande originalité et pour la énième fois, leur sentiment face à celui qui a quitté la rue de Solferino pour mieux s’installer dans les dorures des services de la République. Au cours de l’interview, Jean-Christophe Cambadélis affirme « «Il est en plein dans les thèses du Grece (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), selon laquelle l’immigration vient dénaturer l’identité nationale. Il fait du lepénisme culturel, sinon programmatique. Pour moi, c’est Pierre Laval. A gauche, il n’a jamais été reconnu. Mais comme il s’estime plus intelligent que les autres, il finit par démontrer qu’il peut l’être à gauche comme à droite. Sans aucun état d’âme».

 

Condamner Laval : Un traitre ? Un arriviste ? Un antisémite ?

Certes, la comparaison n’est guère flatteuse. Le nom de Pierre Laval reste associé dans la mémoire nationale comme étant le principal maître d’œuvre de la politique de collaboration avec l’Allemagne nazie. On lui fait souvent porter une grande responsabilité dans la persécution antisémite de l’Etat français, protégeant ainsi quelque peu la mémoire du maréchal Pétain qui aurait adopté des positions plus mesurées sur cette question.

La mémoire étant par définition sélective et affective, on oublie cependant que la carrière de Pierre Laval ne se réduit pas à son action durant l’occupation. Son entrée en politique est largement associée à l’extrême-gauche. Avocat, il défend la cause de nombreux syndicalistes avant d’être élu député sans étiquette d’abord en 1914, puis comme socialiste indépendant en 1924. C’est alors qu’il occupe les postes de ministre des Travaux publics, puis de la Justice, du Travail avant de devenir président du Conseil en janvier 1931. De nouveau ministre du Travail avec Tardieu et des Colonies sous Doumergue, il succède à Barthou au ministère des Affaires étrangères et redevient président du Conseil en 1935. Il est cependant mis en échec face à la coalition du Front Populaire et ne fait son retour qu’après l’armistice.

 

Dès lors, comment comprendre la comparaison de Jean-Christophe Cambadélis ? S’agissant d’un article intitulé « Variations sur le thème de la traîtrise », le député socialiste fait-il référence uniquement et historiquement à une carrière sous le signe du reniement des appartenances d’origine ou bien à la dimension mémorielle du personnage, à savoir son rôle sulfureux dans la déportation de milliers de Juifs français dans les camps de concentration nazis ?

A mon sens, la question n’est pas tranchée et c’est ce qui fait toute la problématique (mais aussi toute l’intelligence, il faut bien le reconnaître) de cette comparaison. Ce sera probablement l’un des éléments centraux de la défense de Jean-Christophe Cambadélis devant la justice. L’intéressé a d’ailleurs déjà fait savoir lors d’une interview provocante à TF1 News qu’il ne craignait pas de défendre ses positions : « Je me réjouis de pouvoir faire la démonstration publique que le ressort de l'évolution de Besson est le même que celui qui anima Laval ». Personne n’oserait affirmer qu’Eric Besson est un antisémite qui enverrait des milliers de Juifs dans des camps de concentration. Ce serait aussi stupide qu’insultant. Seulement, en laissant la comparaison à un stade suffisamment large, il peut légitimement évoquer le thème de la traitrise tout en suggérant prudemment les charters qui s’envolent actuellement vers l’Afghanistan avec à leur bord, des hommes que l’on reconduit dans un Etat en guerre et dans lequel ils sont considérés comme des déserteurs et quasiment condamnés à une mort prévisible.

 

En somme, Jean-Christophe Cambadélis va probablement s’essayer devant les juges à un exercice intéressant qui consiste à justifier une comparaison historique entre deux individus séparés par quelques décennies. La pratique n’est cependant pas très originale. Au contraire, il s’agit plutôt d’un classique du pamphlet politique. Après tout, Laurent Joffrin n’avait-il pas osé qualifier la présidence de Nicolas Sarkozy de « monarchie élective » en pleine conférence de presse ? N’a-t-on trouvé récemment dans nos librairies des ouvrages qui filent la métaphore tels que Le Roi est mort ? Vive le roi ! Enquête au coeur de notre monarchie républicaine de Laurent Guimier et Nicolas Charbonneau ?

 le-roi-est-mort.jpg


Condamner la mémoire

Ce qui m’inquiète davantage, ce sont finalement les menaces d’Eric Besson lancées sur la place publique. Le ministre précise en effet à la fin de son communiqué qu’il « entend à l'avenir poursuivre systématiquement en justice tout propos similaire ».

On comprend bien que l’homme soit agacé par de telles comparaisons. Ce n’est jamais agréable d’être ainsi associé à un homme politique dont la mémoire est entachée par la mort de milliers d’individus. Cependant, plutôt que d’essayer de comprendre (avec l’aide des conseillers en communication qui l’accompagnent, grassement rémunérés par la République) comment une telle association a pu s’opérer sur sa personne et comment il peut s’en débarrasser par quelques opérations médiatiques bien orchestrées (Brice Hortefeux a bien été décoré par l'Union des patrons et des professionnels juifs de France pour sa lutte contre le racisme…), le ministre préfère s’engager dans une poursuite judiciaire inédite entre un membre du gouvernement et un député de l’opposition.

Il est inutile de préciser que l’action en elle-même pose question et qu’on peut s’interroger utilement sur l’avenir d’une opposition politique dans ce pays si même les députés n’ont plus le droit de critiquer la majorité.

D’un point de vue strictement historique et mémoriel, le procès soulève également d’autres problèmes puisqu’en souhaitant interdire toute comparaison avec Pierre Laval, Eric Besson condamne aussi la mémoire du personnage. Il est bien entendu que toute métaphore historique n’est jamais strictement exacte. Il s’agit d’une figure de style visant à rapprocher plusieurs éléments dont on souligne une éventuelle analogie, souvent au détriment d’un anachronisme grossier mais assumé. Seulement, en interdisant cette pratique, le ministre s’attaque à l’un des ressorts essentiels de l’Histoire dans notre République qui voudrait non seulement que cette discipline renforce notre identité nationale (il n’est plus à une contradiction prêt…) mais aussi à mieux expliquer le présent. Comment en effet prévenir de nouvelles dérives si l’on nous interdit de se souvenir des erreurs commises par nos aïeux ? Comment prévenir de nouvelles tentatives génocidaires sans alarmer l’opinion publique avec des slogans tels que celui d’Act Up au début de l’épidémie du sida qui clamait : « Le SIDA est notre Holocauste ».  Comment ne pas lutter contre les tentatives abusives de fichage de la population sans rappeler que ces expériences ont conduit durant la Seconde Guerre mondiale des millions d’individus dans les camps de concentration ?

J’ai moi-même dans ce blog rappelé à plusieurs reprises les excès auxquels peuvent conduire de telles comparaisons. Loin de moi pourtant l’idée de les condamner car il est bien évident qu’il vaut mieux comparer au préalable, par anticipation, plutôt qu’a posteriori, une fois que la comparaison est devenue légitime.

 

Condamner Besson

Le plus ridicule dans cette affaire, c’est qu’elle pourrait mettre n’importe quel citoyen sous le joug de la loi. Qui en effet ne s’est jamais essayé à une comparaison historique ? Certaines sont tellement courantes qu’elles sont devenues proverbiales. Ainsi, quand vous arriverez désormais chez des amis au cours d’une soirée quelque peu mouvementée, gardez-vous bien d’une réflexion telle que « c’est le Bérézina », de crainte que votre hôte ne vous poursuive en justice pour comparaison abusive avec Napoléon dont la mémoire est elle aussi entachée de milliers de morts.

Eric Besson lui-même pourrait être pris à son propre jeu si l’on reprenait chacun de ses discours et interview publics. Le plus récent concerne sa comparaison assez surprenant entre les femmes qui portent la burqa et les nains qui étaient jadis lancés dans la foule en boîte de nuit ?

 


Ne pourrait-on pas dés lors imaginer qu’une de ses femmes porte plainte contre le ministre pour comparaison abusive entre son vêtement (élément culturel par définition) et une particularité physique souvent considérée comme un handicap ?

Encore plus récemment sur BFM TV, Eric Besson comparait Nicolas Sarkozy à un sélectionneur de foot qui placerait ses joueurs sur le terrain. Le Président a-t-il apprécié la métaphore ? Si Nicolas Sarkozy  aime à nous montrer qu’il mouille la chemise pour la France, accepte-t-il d’être ainsi associé à notre actuel sélectionneur de l’équipe de France qu’une grande majorité du pays considère comme un éternel perdant ?


 

Finalement, derrières toutes ces petites phrases assassines, ces discours alambiqués, ces réformes et ces plaintes, on pourrait croire qu’une cohérence existe au sein de la majorité gouvernementale. L’Histoire, ce serait l’affaire du gouvernement,  du Président de la République et de quelques initiés qui auraient le droit de réécrire les faits à volonté. En revanche, dans l’opposition et pour le peuple, point d’Histoire à l’exception des quelques références que ces hommes politiques introduits à l’Elysée voudraient bien glisser ponctuellement dans leur discours, comme des arguments d’autorité, que les citoyens seraient bien obligés d’entendre à défaut de comprendre.

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13 décembre 2009 7 13 /12 /décembre /2009 10:36

Pour que ce blog soit un outil interactif et d’actualité mémorielle, nous souhaitons relayer plus régulièrement les évènements universitaires autour de l’histoire de la mémoire.

Nous invitons donc les chercheurs et universitaires à nous tenir informer des différentes actualités autour de ce thème.

Cette semaine, il s’agit d’un appel à contribution sur les « lieux de mémoire » en Orient grec à l’époque latine dans l’optique d’un colloque international organisé par nos amis suisses qui se proposent d’associer audacieusement la notion contemporaine forgée par Pierre Nora avec la période antique.

Voici le texte de l’annonce :

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Université de Lausanne, 6-8 avril 2011

Présentation du sujet

La notion de "lieux de mémoire", depuis qu'elle a été développée par les travaux de P. Nora au milieu des années 80, a largement démontré sa pertinence et sa richesse dans le champ des études historiques, mais elle n'a pas été autant exploitée dans la recherche sur l'Antiquité que dans celle qui porte sur les autres périodes.

L'objectif de ce colloque est d'explorer cette notion au sens strict du terme "lieu", c'est-à-dire en son sens physique, géographique. Les participants sont invités à étudier les lieux de la mémoire (anciens champs de bataille, tombeaux, sanctuaires, cités…) qui étaient susceptibles, à l'époque impériale, d'attirer les visites et de susciter les commémorations dans l'Orient grec. On accordera un intérêt particulier à la construction de ces "lieux de mémoire" et à leur évolution dans le temps.

Pour tenter une approche globale de cette notion, on envisagera plusieurs approches :

-          on pourra analyser le discours écrit ou iconographique sur la mémoire : comment est-il construit, quand, où et pourquoi fait-on référence à ces "lieux de mémoire", quels sont les stéréotypes et quels sont leurs usages ?

-          on pourra aussi étudier les traces dans le paysage : inscriptions, statues, monuments, qui sont les marqueurs de cette mémoire ;

-          on essayera, enfin, d'interpréter les différentes formes de la commémoration : fêtes et concours, apparat et rituels…

Il est tout à fait souhaitable que l'on puisse confronter les "lieux de mémoire" en Orient grec pour les Grecs eux-mêmes (Thermopyles, Marathon, Salamine…) et ceux pour les Romains : ainsi Philippes, le tombeau d'Alexandre ou Troie... Ce dernier exemple constitue un "lieu de mémoire" à la fois pour les Grecs et pour les Romains, ce qui peut conduire à s'interroger sur le fonctionnement différent des mémoires collectives grecque et romaine, et sur la manière dont les Romains se sont comportés avec la mémoire grecque.

Ce colloque est ouvert aux historiens, philologues, archéologues et anthropologues de l'Antiquité. Les contributions dureront entre vingt et trente minutes.

Les chercheurs confirmés ou les jeunes chercheurs intéressés par cette problématique sont invités à proposer une communication dont le titre et un résumé d'une page A4 maximum (soit 1500 signes, espaces compris), accompagnés par un bref CV, doivent être envoyés dans un document PDF d'ici au 15 février à Anne Gangloff (Anne.Gangloff@unil.ch).

Les propositions seront examinées par un Comité scientifique afin de sélectionner les contributions et d'établir le programme du colloque.

tombeau-Alexandre-le-Grand.jpg

« « Lieux de mémoire » en Orient grec à l'époque impériale », Appel à contribution, Calenda, publié le mardi 17 novembre 2009, http://calenda.revues.org/nouvelle15045.html

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