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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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C'est Qui ?

  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs

Cherche La Pépite

4 novembre 2010 4 04 /11 /novembre /2010 17:26

 

Certaines activités ont le mérite de frustrer la curiosité des chercheurs. C'est le cas pour ma part lorsque je lis la lettre électronique du site Revue.org qui recense tous les mois les activités universitaires en projet, en cours ou à venir. Que de colloques ! Que de séminaires ! Que de journées d'études auxquelles on voudrait pouvoir assister ! Mais aussi, et surtout, quel dynamisme de la recherche française qui s'illustre quotidiennement par de telles rencontres.

Pour les lecteurs de ce blog qui auraient éventuellement le temps et la proximité géographique d'assister à ces évènements, j'ai sélectionné dans la lettre de cette semaine les principales manifestations en lien avec l'histoire, la mémoire et les sociétés.

Ce qui m'étonne le plus dans cette sélection, c'est la prédominence évidente de la sociologie autour de ces questions. Pierre Nora a démontré depuis fort longtemps, mais avec toujours autant d'efficacité, que la mémoire devait être un objet d'histoire ; les historiens intègrent désormais quasiment systématiquement la dimension mémorielle à leur sujet de recherche... et pourtant, rares sont encore les manifestations universitaires consacrées exclusivement à cette dimension ! On a l'impression que la mémoire est toujours traitée par nécessité, sans qu'elle soit réellement digne d'intérêt. J'ai même parfois l'impression qu'on utilise la mémoire comme jadis la géographie. Si la plupart des thèses d'histoire au début du XXe siècle commençaient par un chapitre introductif à dimension géographique, les thèses du début du XXIe siècle semblent se conclure régulièrement par l'évocation d'une dimension mémorielle. Il n'est pas question ici d'entrer dans une querelle vaine et anachronique entre disciplines. Néanmoins, on peut se demander en quoi la sociologie aurait une prééminence sur ce sujet par rapport à l'histoire.

Le deuxième aspect sur lequel je souhaitais insister, c'est l'apparition évidente de thèmes féconds, mais néanmoins redondants. Ainsi, les deux premières manifestations envisagent de travailler sur les rapports entre mémoires et migrations. Excellente idée !... si elle n'était pas traitée à quelques jours d'intervale dans des lieux et par des équipes différentes. Les organisateurs me répondront que les angles d'études sont sensiblement différents, et ils auront raison. Nonobstant, cela me semble révélateur sur l'influence de l'actualité (et des effets de mode) sur la recherche en sciences sociales... aussi !!!

Enfin, j'ai une préférence particulière pour la troisième et dernière référence qui traite de la mémoire du Mur de Berlin à travers les médias européens.  En somme, une méthodologie et un agle d'analyse que j'use régulièrement à travers ce blog.

 

1. Mémoires migrantes : citoyennetés, territoires

Résumé : Le séminaire « Mémoires Migrantes : Citoyennetés Territoires » (MMCT) associe les Laboratoires cités territoires environnement et sociétés (CITERES, UMR 6173 CNRS, Université Tours) et Migrations internationales, Espaces et Sociétés (MIGRINTER, UMR 6588 CNRS, Université de Poitiers) autour d'une thématique commune. Il vise à croiser différentes approches disciplinaires pour comprendre les phénomènes de mémorialisation et de patrimonialisation des immigrations. L’un des objectifs de cette troisième séance est d’interroger les rapports que migrants et descendants entretiennent aux lieux de l’origine, les savoirs qui en médiatisent l’attachement, les formes de mobilisation et la manière dont s’articule mémoire pour soi, transmission familiale, et mémoire collective rendue publique.

Lien : http://calenda.revues.org/nouvelle17650.html

 

2. Mémoires et patrimonialisations de l'immigration

Résumé : Depuis les années 1980, en France, les initiatives visant à « recueillir » les mémoires de l'immigration se multiplient, mais l'expérience de la migration ne serait généralement pas transmise de manière explicite, dans les familles, aux enfants. Nous partirons de ce paradoxe pour nous interroger sur les mécanismes qui visent à transformer les mémoires de l’immigration en une forme de patrimoine. Il s'agira d'abord de comprendre comment et pourquoi des processus de « patrimonialisation » des mémoires de la migration émergent. Quels acteurs (immigrés, pouvoirs publics, etc) se mobilisent ? Quels lieux et quels objets participent de ce processus ? Comment se construisent et sont construites des mémoires collectives ? On analysera ensuite les liens entre l'expression publique d'une mémoire de l'immigration et la transmission au sein des familles d'une mémoire de la migration.

Lien : http://calenda.revues.org/nouvelle17842.html

 

3. Les commémorations du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin à travers les médias européens

Résumé : La chute du mur de Berlin s'est transformée en retours commératifs scandés par les anniversaires et relevant d'une politique présente du passé. Toute commémoration met en tension constructions passées et présentes de l'événement, dans une regénération de ses représentations. D'où l'importance de ces retours médiatiques dans les recadrages actuels de l'événement.

Lien : http://calenda.revues.org/nouvelle17582.html

 

Pour ceux qui auraient l'occasion de se rendre à ces manifestations, ou à d'autres sur des thématiques similaires, nous leur serions reconnaissant d'utiliser l'onglet "contacter le blogeur" dans la rubrique "J'aime ce blog" afin de nous faire parvenir des compte-rendus qui pourraient être régulièrement mis en ligne sur ce blog.

 

Bonne lecture !

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28 octobre 2010 4 28 /10 /octobre /2010 14:50

 

Certains lecteurs vont finir par croire que mon intégrité mentale a été écornée par des mouvances d’extrême-droite. Qu’ils soient rassurés par ce préambule, ne faisant moi-même pas partie du groupe défini ce matin par l’IFOP comme « sympathisants de l’UMP », je ne compte par parmi les 32% (sic) qui se disent favorables à des accords électoraux entre l’UMP et le FN aux élections locales.

 

 

En revanche, je fais partie de ceux (un groupe probablement plus restreint) qui commencent à s’interroger sérieusement sur la signification des références récurrentes à Pétain, voire à d’autres hommes politiques attachés au régime de Vichy.

 

Benjamin Lancar et la « fachosphère »

Evacuons d’emblée le buzz politique (puisqu’il semble en être un spécialiste) du président des Jeunes UMP qui s’est fendu mardi 26 octobre 2010 d’un communiqué maladroit pour saluer le « redressement économique de la France par Pierre Laval en 1932 ». On peut certes discuter pendant des heures de l’intérêt d’une telle affirmation d’un point de vue historique mais, quand on prétend être un homme politique prometteur et intelligent, on s’interroge plutôt deux fois qu’une avant d’écrire de tels propos dans un communiqué.

Certains avanceront encore la jeunesse et l’inexpérience pour excuser sa maladresse. Pour ma part, je serai plus sévère. Benjamin Lancar n’est plus un novice et ses sorties régulières et remarquées dans la sphère médiatique montrent qu’il sait généralement très bien ce qu’il fait. Il est d’autant moins excusable qu’en tant que responsable politique, il a été témoin d’une polémique proche quand, en décembre 2009, le député socialiste Jean-Christophe Cambadélis avait osé une comparaison audacieuse en rapprochant Eric Besson à Pierre Laval. Le ministre n’avait alors pas du tout apprécié et il avait immédiatement déposé une plainte (nous avions déjà  traité cette affaire dans le cadre de ce blog).

Comment donc peut-on prétendre au sein de l’UMP vanter un jour les mérites de la politique de Pierre Laval tout en s’indignant un autre jour d’être comparé à lui ? Il y a à mon sens une ambiguïté constante dans ces pratiques qui me mettent mal à l’aise. On peut certes jouer, comme je le fais régulièrement et intentionnellement sur ce blog, avec les différentes facettes de la mémoire nationale pour mettre de côté les ficelles idéologiques un peu trop grosses et aller titiller les filaments qui dépassent. L’exercice devient plus difficile quand on intervient régulièrement dans les médias et que l’on sait pertinemment que ses propos seront ensuite malicieusement sélectionnés par des journalistes en recherche de scoop. On ne peut d’ailleurs pas s’attendre à autre chose des journalistes quand on s’appelle Benjamin Lancar et qu’on réduit (cette fois-ci de façon tout à fait caricaturale) les médias en ligne à une sorte de « gauchosphère ». Il est clair que si l’objectif à terme est de faire régulièrement référence à Pierre Laval, on risque plutôt de sombrer rapidement dans une la « fachosphère ». A choisir, je vous laisse deviner laquelle a ma préférence…

 

Pétain doit disparaître

L’autre référence au régime de Vichy dans l’actualité fait suite à une polémique qui avait éclatée au mois de janvier 2010 lorsque le maire de Gonneville-sur-Mer dans le Calvados avait refusé de décrocher un portrait de Pétain affiché dans la salle du Conseil municipal.

La première question qui m’avait alors traversé l’esprit, mais à laquelle je n’ai jamais pu trouver de réponse, est la suivante : qu’est-ce qu’un portrait de Philippe Pétain faisait encore accroché dans ce lieu en 2010 et comment se fait-il que personne ne l’ait jamais remarqué ? Pourquoi, soudain, la question surgit dans les médias ?

Encore une fois, en lien avec les propos ci-dessus, ne peut-on pas considérer que c’est notre mémoire du régime de Vichy qui entre en ce moment en ébullition et dont nous apercevons les premières bulles de frémissement qui éclatent dans la sphère médiatique ? Si Henri Rousso pouvait encore récemment affirmer que la période de Vichy constituait « un passé qui ne passe pas », pourrait-on vraiment en dire autant aujourd’hui ?

 

La décision de justice qui vient d’être rendue par le tribunal administratif de Caen me semble également surprenante. Il a été en effet ordonné de décrocher le fameux portrait, car ce dernier serait contraire à la « neutralité du service public ». J’ai longuement essayé de comprendre le sens de cette expression qui ne parvient finalement pas à me convaincre. Si l’on doit s’interroger sur le sens de la « neutralité du service public », comment comprendre que le portrait de François Mitterrand soit accroché aux côtés de celui de Jacques Chirac. Sans entrer dans les détails des conflits d’interprétation qui tentent après coup de caractériser l’opportunisme d’une politique et sa marge de manœuvre face à son référent idéologique, ne peut-on pas considérer sans écorner la « neutralité du service public » que ces deux présidents successifs n’avaient pas les mêmes orientations ?

Si l’on revient à Philippe Pétain, considérant son mode d’accession au pouvoir en 1940, doit-on légitimement considérer qu’il constitue une parenthèse dans l’histoire de notre pays ? Si le régime a peu à peu pris une tournure autoritaire, il est de l’ordre du marronnier chez les historiens que de rappeler que Philippe Pétain a obtenu ce pouvoir tout à fait légalement par l’intermédiaire d’une loi dite « constitutionnelle » du 10 juillet 1940 et votée à une très large majorité à l’Assemblée Nationale.

Cette décision de justice, dans cette formulation, risque enfin de poser quelques difficultés très concrètes si des juristes un peu taquins s’y attardent. En effet, ne devra-t-on pas envisager d’éliminer par exemple tous les bustes de Marianne présent dans les mairies qui ont choisi le modèle des années 1960… aux traits de Brigitte Bardot !!! Connaissant ses orientations politiques actuelles assumées et médiatisées, ne peut-on pas considérer que cela constitue une atteinte flagrante à la « neutralité du service public » ?

 Buste-Brigitte-Bardot-en-Marianne.jpg

 

Il semble donc acquis depuis quelques semaines, et notamment depuis la découverte d’une mystérieux document faisant état d’un durcissement du statut des Juifs par la main de Philippe Pétain, que la mémoire de cet homme est condamnée à sombrer définitivement dans l’oubli. A défaut de pouvoir empêcher les comparaisons provocantes qui fleurissent dans les médias entre politique actuelle et politique passée, on semble donc résolu à faire oublier le passé pour mieux imposer le présent. Je m’attends donc presque à ce qu’Arno Klarsfeld, fraîchement nommé au Conseil d’Etat, propose dans quelques semaines une nouvelle loi mémorielle pour mieux encadrer les travaux historiques sur cette question.

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24 octobre 2010 7 24 /10 /octobre /2010 12:55

 

Depuis près de deux ans, je nourris régulièrement ce blog à partir des manifestations les plus médiatiques de la mémoire. Il ne m’était pourtant encore jamais arrivé de n’avoir sauvegardé aucun article sur mon bureau en vue d’un commentaire. Il faut donc croire que la mémoire connaît elle aussi des inflexions qu’il conviendrait de comprendre sur le temps long, moyen, et court.

Quoiqu’il en soit, ce défaut d’actualité brûlante m’a permis de me replonger dans des dossiers plus anciens, mais tout aussi passionnants. C’est le cas notamment d’un numéro de l’excellente revue Droit et Cultures consacré aux Mémoires et responsabilités de guerre. Les procès de Tôkyô et de La Haye.

Je me suis plus particulièrement intéressé dans le cadre de cet article aux questions qui concernent le Japon et son rapport à la Seconde Guerre mondiale dans laquelle le pays joue un rôle particulier.

 

Le procès de Tokyo

Le procès de Tokyo constitue un moment essentiel dans l’histoire contemporaine du Japon bien que cet épisode soit largement ignoré des historiens et des citoyens occidentaux. Selon la dénomination officielle, il s’agit plus précisément du Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient mis en place à la suite du conflit et visant à juger les responsables de guerre. En somme, le procès de Tokyo est l’équivalent pour le Japon du Tribunal de Nuremberg pour l’Allemagne.

Une première contradiction apparaît alors : puisque ces tribunaux sont censés être internationaux et qu’ils sont la conséquence directe d’une guerre que l’on a caractérisée comme « mondiale », comment se fait-il que deux tribunaux soient organisés en parallèle ? Il semblerait en fait que les Alliés (et surtout les Etats-Unis) aient très tôt souhaité distinguer les enjeux des deux fronts dans lesquels ils étaient impliqués, faisant fi des potentiels liens entre l’Allemagne nazie et le Japon.

Le juge indien Radhabinhod Pal qui a participé au procès de Tokyo apporte des éléments d’explication à cette volonté de différenciation : selon lui, ce tribunal ne serait qu’ « un simple instrument au service du pouvoir » [notamment américain].

 

Le juge Radhabinhod Pal

Le juge Pal est un homme-clef dans le procès de Tokyo. Il s’est imposé comme l’une des principales voix dissidentes au moment du jugement des responsables de guerre. Bien qu’il ne conteste pas les responsabilités du Japon en tant qu’agresseur, il rejette les chefs d’accusation de crimes contre la paix et crimes contre l’humanité en arguant qu’ils ne sont pas fondés en termes de droit international :

«  Si l’on intente un tel procès, la création d’un tribunal chargé de juger la présente affaire peut fort bien être perçue comme une manière de maquiller sous une apparence de justice des visées fondamentalement politiques ; il serait même très naturel d’interpréter les choses de cette façon. On aboutirait donc à une « vengeance ritualisée », qui non seulement n’apporterait qu’une satisfaction éphémère, mais se doublerait inévitablement, au bout du compte, de remords. Cependant, le seul moyen concevable pour contribuer effectivement au rétablissement de l’ordre et de la mesure dans les relations internationales, consiste à défendre la loi grâce à une véritable procédure juridique »

 

 

Juge PalMonument en mémoire du  juge Pal au sanctuaire de Yasukuni

 

 

La nationalité du juge Pal et le contexte géopolitique du procès n’est pas sans conséquence sur son positionnement. A un moment où l’Inde traverse ses ultimes soubresauts vers l’indépendance, son combat illustre assez clairement une volonté de s’émanciper de la domination occidentale et donc, de rejeter un procès exclusivement à charge contre l’Orient.

 

Le juge Pal ne rejette cependant pas toutes les propositions occidentales en bloc. S’il s’insurge contre une forme de "Diktat juridique" venu de l’ouest, il est prêt à accepter la naissance d’une organisation véritablement internationale :  

« Nous ne mettons aucunement en doute la nécessité, pour l’ensemble du monde, de créer une organisation internationale… ou plus exactement, … une communauté mondiale placée sous le contrôle de la loi, et cela, sans la moindre distinction de nationalité ou de race ».

 

Il va d’ailleurs accepter à la suite du procès de Tokyo un poste à la Commission du droit international à l’ONU. Son propos révèle néanmoins à mon sens toute l’ambigüité du personnage qui, dans un appel à soutenir une nouvelle forme de communauté mondiale, parvient malgré tout à réutiliser le terme de « race ». Certes, le mot n’était alors pas encore aussi connoté qu’aujourd’hui, surtout dans le contexte d’une société indienne de caste. Il l’utilise néanmoins vraisemblablement en connaissance de cause et entretient une position pour le moins ambigue.

 

Cette ambigüité réapparait quelques années plus tard lorsque, de retour au Japon, Radhabinhod Pal se recueille devant le mausolée du Parc de la paix à Hiroshima. Il est alors choqué par la stèle commémorative du bombardement atomique qui porte ces mots : « Dormez en paix, car l’erreur ne se répètera plus ». Il s’en explique :

«  Il est évident que cette phrase (l’erreur ne se répètera plus) vise les Japonais [plutôt que les Américains], mais de quelle erreur s’agit-il ? Je me pose la question. Il est évident aussi que l’on vénère ici les âmes des victimes du bombardement atomique, que ce ne sont pas les Japonais qui ont lâché la bombe, et que les mains de ceux qui l’ont lâchée sont loin d’être purifiées aujourd’hui. […] Si la décision de « ne pas répéter l’erreur » signifie que l’on renonce désormais aux armes, quelle magnifique résolution ! Mais si le Japon compte procéder à un réarmement, il commet de ce fait même un sacrilège à l’égard des âmes des victimes ».

 

Ainsi, peu après le conflit, cet homme pose à mon sens le problème mémoriel de façon parfois quelque peu provocante, mais éminemment intéressante. Malgré la proximité de l’évènement, Radhabinhod Pal ose mettre en doute le manichéisme du duo « coupable/victime » encore vivement discuté aujourd’hui entre les Etats-Unis et le Japon et aux conséquences gigantesques sur la gouvernance actuelle du monde.

 

Contre le « masochisme historique »

L’ambiguïté du juge Pal et la complexité de sa pensée conduisent néanmoins très rapidement à une difficulté : l’émergence d’une opinion révisionniste populaire.

En 1997 par exemple, une stèle a été inaugurée à la gloire du docteur Pal dans l’enceinte du sanctuaire Gokoku de Kyoto. Plus récemment encore, en juin 2006, l’administration du sanctuaire Yusukuni a fait elle aussi ériger une stèle à la mémoire du juge Pal. Lors de la cérémonie d’inauguration, Nanbu Toshiaki, un membre du clergé shintô, a fait une courte allocution en ces termes : « Je souhaite toujours instamment que le climat d’auto-flagellation qui règne au Japon se dissipe, et que vienne au plus vite le jour où les âmes des héros pourront enfin reposer en paix ».

En somme, une forme de révisionnisme décomplexé s’impose progressivement au Japon. Dans certains pays, des conseillers en communication présidentielle appelleraient ceci la « lutte contre la repentance » ; au Japon, le même phénomène est désigné comme une forme de « masochisme historique » issu de la vision de l’histoire établie par le procès de Tokyo.

Cette position semble s’imposer d’ailleurs progressivement depuis les années 1990 par différents moyens visant à la populariser et la vulgariser le plus largement possible. C’est le cas notamment avec le film japonais Pride : The Fateful Moment (1998) dont l’action se déroule durant la Seconde Guerre mondiale et qui présente le Premier Ministre Hideki Tōjō sous un aspect plus humain lors de son procès au Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient. C’est également, et surtout, le cas du créateur de mangas Kobayashi Yoshinori Sensôron qui s’impose depuis 1995 comme « le fer de lance des révisionnistes » avec son Manifeste pour un nouvel orgueillisme.

 

Il ne faudrait cependant pas penser trop rapidement que ces manifestations qui émergent progressivement dans l’opinion japonaises sont inédites. Un "terreau" semble avoir été entretenu et accepté… par les Etats-Unis eux-mêmes ! Dans l’immédiat après-guerre, et surtout dans un contexte de Guerre Froide, le Japon a connu le phénomène des « red purges » à l’encontre des supposés communistes. Cette psychose mondiale a été favorable à certains anciens condamnés des procès de Tokyo qui ont ainsi pu réintégrer rapidement leurs fonctions au plus haut niveau de l’Etat face à une menace considérée comme plus urgente. Politiquement, ces mesures ont permis aux partis les plus conservateurs de s’emparer du pouvoir avec la bénédiction américaine, alors même que leurs leaders sont les plus proches des accusés jugés comme criminels de guerre par le procès de Tôkyô. De façon tout à fait insidieuse, ces derniers vont alors influencer l’écriture de l’histoire dans leur pays en intimidant certains chercheurs, en coupant quelques crédits de recherche, ou encore en instaurant en 1953 des comités de validation des manuels scolaires qui prennent très rapidement pour habitude d’expurger de l’histoire enseignée aux jeunes élèves toute référence aux crimes de guerre japonais.

Le révisionnisme progresse donc discrètement chez les jeunes générations qui détiennent encore aujourd’hui les clefs du pouvoir politique.

 

Le sanctuaire Yasukuni

Parmi eux, on recense le Premier ministre Miki Takeo qui a fait l’objet de poursuites judiciaires pour s’être rendu à titre officiel au sanctuaire du Yasukuni.

Ce lieu est particulièrement intéressant dans son rapport à la mémoire.

Fondé en 1869 par l’empereur pour rendre hommage aux Japonais « ayant donné leur vie au nom de l’empereur du Japon », il a pour vocation d’abriter les âmes des hommes qui se sont sacrifiés.

 sanctuaire-Yasukuni.jpg

Bâtiment principal du sanctuaire Yasukuni

 

Cette forme de commémoration est très intéressante car elle dépasse largement la question du « héros » ou de la « victime ». Les Japonais morts au combat sont systématiquement inscrits sur la liste des noms selon « le désir sacré de l’Empereur », et sans forcément que la famille des intéressés soit consultée. Son règlement précise que le monument a pour mission d’exalter à travers les âges la mémoire de ceux qui sont morts au combat pour la patrie et qui sont ainsi remerciés par une forme de déification. Le nom du lieu, qui signifie littéralement « sanctuaire shinto du pays apaisé » appelle d’ailleurs à une forme de consensus national autour de la mémoire des combattants.

 

Or, depuis quelques années, des voix s’élèvent contre cet unanimisme de façade qui dissimulerait des réalités divergentes. Depuis quelques années, des familles demandent en effet que le nom de leurs ancêtres soit retiré des listes sur lesquelles il a été inscrit sans leur accord. Il semblerait en fait que parmi les âmes honorées et protégées dans ce sanctuaire figurent de nombreux « malgré-nous » qui auraient été enrôlés de force, sans nécessairement partager les idées d’un Japon impérialiste. Les familles demandent donc que leurs âmes soient sorties de ce lieu et utilisent dans ce but tous les moyens qui sont en leur possession.

Ainsi, ils dénoncent régulièrement les visites officielles des chefs d’Etat en invoquant l’article 20 de la Constitution japonaise qui garantit le principe de séparation des cultes et de l’Etat régulièrement bafoué par les ministres successifs qui se rendent systématiquement au sanctuaire. Ils rappellent alors systématiquement à l’opinion internationale la présence des âmes de 14 criminels de guerre de la Seconde Guerre mondiale condamnés comme tels au procès de Tokyo et qui sont pourtant régulièrement honorées, avec les autres par les représentants d’Etat.

C’est cet aspect qui a été particulièrement mis en exergue le 14 mai 2010 lorsque les chefs des principaux partis d’extrême-droite (dont Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch) se sont retrouvés à Tokyo à la suite d’une invitation de mouvement politique japonais Issuikai. Bien que les chefs des partis d’extrême-droite ne se soient pas explicitement prononcés sur cette polémique historiographique interne au Japon, leur visite dans le sanctuaire a été largement interprétée par la presse internationale comme un signe ostentatoire de négationnisme.

 

Ce qui me surprend finalement davantage dans cette affaire, c’est cette forme de commémoration exceptionnelle et qui donne lieu à des revendications mémorielles inédites. Jamais je n’avais rencontré jusqu’à présent un tel dossier dans lequel la famille entend se réapproprier la mémoire supposée abusée de son aïeul. Si l’on entend parfois en France des associations s’insurger contre l’instrumentalisation politique des victimes ou des héros de l’histoire, jamais je n’ai réellement entendu parler d’une famille qui souhaiterait soustraire la mémoire d’un individu du groupe dans lequel on l’a automatiquement inclus.

Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour expliquer cette situation :

            - soit le Japon traverse une crise politique tellement forte qu’elle entraîne une scission de la population jusque dans la mémoire des disparus.

            - soit il s’agit d’une évolution sociétale qui est parvenu à une forme d’individualisme telle qu’il n’est plus vraiment envisageable d’inclure la mémoire d’un homme dans un groupe trop étendu.

 

Les recours judiciaires n’ont-ils pas en effet pour finalité de parvenir à une réelle forme de « loi mémorielle » jusqu’alors totalement inconnue. A la lumière des expériences japonaises, les projets que nous désignons sous ce terme en France relèveraient ainsi davantage des « lois historiennes » (restreignant l’écriture et l’interprétation de l’histoire) plutôt qu’à de réelles lois dites « mémorielles » qui influeraient directement sur le devenir de la mémoire d’un groupe ou d’un individu.

 

La mémoire japonaise sur la scène internationale

Quoiqu’il en soit, cette mémoire japonaise en pleine mutation n’est pas sans conséquence sur la géopolitique internationale actuelle. Nous ne développeront ici que trois dossiers parmi les plus révélateurs :

- D’abord, il est clair que les tensions sino-japonaises actuelles sont nourries par ce regain d’intérêt des japonais pour les phases de leur histoire impériale, agressive et expansionniste. Les autorités chinoises ne manquent jamais de rappeler leur malaise quand le Premier ministre japonais se rend au sanctuaire de Yasukuni.

- Ensuite, cette mémoire complexe de la Seconde Guerre mondiale a resurgi au moment de l’adhésion du Japon au Statut de Rome créant la Cour Pénale Internationale. Après des années de mise à l’écart des principales instances internationales, les autorités japonaises veulent ainsi signer leur retour dans les affaires mondiales. Une telle adhésion n’est cependant pas du goût de la Chine et de la Corée qui considèrent que le Japon n’a pas encore, contrairement à l’Allemagne, réglé ses comptes avec son passé d’agresseur. De même, en interne, certains se sont inquiétés de l’affiliation de cette nouvelle forme de justice internationale avec les précédents de Nuremberg et de Tokyo. L’absence d’une réelle tentative génocidaire commise par les Japonais, et le rejet des responsabilités de guerre sur les principales autorités militaires, ont permis à la nation de s’épargner une réelle réflexion sur ses propres responsabilités. Au contraire, les bombardements atomiques qui concluent la Seconde Guerre mondiale ont permis, dans une certaine mesure, de renverser le paradigme en préparant une forme de victimisation. Ainsi, certains pensaient au sein de la population qu’une telle adhésion à la Cour Pénale Internationale obligerait le Japon à se retourner sur son passé, voire à rendre à nouveau des comptes sur la scène internationale. Dès lors, toutes les précautions ont été prises durant les dix années qui ont précédé l’adhésion définitive pour éviter une telle situation.

- Néanmoins, cette adhésion ne sera de toute façon pas sans conséquence. Le Japon conserve la marque indélébile des désastres d’Hiroshima et Nagasaki dans sa mémoire nationale. Or, certains politiques japonais ont pour projet d’inscrire à moyen terme l’utilisation de l’arme nucléaire au nombre des crimes contre l’humanité passibles de la Cour. Cet aspect explique d’une part les réticences des Etats-Unis à rejoindre la CPI. Mais il explique également l’inflexion récente des Etats-Unis qui, s’ils refusent toujours de présenter des excuses et de payer des réparations pour les dommages infligés (considérant notamment que le l’usage de la bombe atomique a permis de mettre fin aux combats et ainsi, d’épargner des vies aux belligérants des deux côtés), ont décidé cette année pour la première fois de participer aux cérémonies commémoratives du bombardement et d’envisager progressivement une diminution multilatérale des armements nucléaires.

 

On s’aperçoit donc, s’il fallait encore le prouver, que la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est encore suffisamment brûlante, et pas seulement en France, pour influencer sur la politique internationale actuelle. Les Etats-Unis risquent donc de se retrouver prochainement dans une situation très inconfortable si les Japonais parviennent à convaincre leurs alliés que malgré l'attaque de Pearl Harbor enseignée en histoire, la victime reconnue par la mémoire n'est pas nécessairement celle que l'on croit.

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13 octobre 2010 3 13 /10 /octobre /2010 11:07

 

Je serai vendredi 15 octobre 2010 aux RDV de l'Histoire à Blois pour présenter un état des lieux de la recherche autour de la question de la déportation pour motif d'homosexualité en France, dans le cadre d'un cycle de rencontres consacré aux "sexualités minoritaires" organisés par Eric Fassin et Florence Tamagne.

 

L'occasion également d'aller écouter d'autres interventions parmi les centaines d'activités proposées encore cette année par les organisateurs du festival autour de la thématique suivante : "Faire justice".

RDV histoire de Blois

Cliquez sur l'affiche pour lire le programme

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3 octobre 2010 7 03 /10 /octobre /2010 10:26

 

Au moment où je publie mon précédent article qui porte notamment sur l’adoption du statut des Juifs par le régime de Vichy, j’apprends par un hasard inattendu que le texte original de ce document historique vient d’être retrouvé et remis par un généreux donateur au Mémorial de la Shoah.

 

Deux informations essentielles sont livrées dans cette information :

   - D’une part, que ce document nous était jusqu’alors inconnu. Cela peut paraître surprenant aux néophytes mais cela est souvent le cas. Certains documents connus de tous et inscrits dans la liste des documents patrimoniaux de notre République (c’est le cas pour le statut des Juifs) ne sont connus des historiens que par leurs transcriptions dans des journaux, ouvrages, affiches. On parle alors de sources « intermédiaires » ou « secondaires ».

D’où l’importance dans ce cadre des historiens du droit qui s’intéressent souvent à des corpus d’archives difficiles d'accès et délaissés par leurs collègues. J’ai souvent eu l’occasion dans ce blog et ailleurs de rappeler l’intérêt que présentaient pour moi les travaux de l’historien Marc Boninchi qui, s’ils peuvent paraître abrupts au premier abord (il s’agit d’étudier le parcours d’écriture des lois dans le contexte du régime de Vichy), sont d’un apport essentiel dans la compréhension de ce régime et de cette période historique.

   - d’autre part, on apprend que ce document a été remis au Mémorial de la Shoah par un donateur anonyme. Ce point me pose davantage de problème. Qui est donc ce mystérieux donateur qui a conservé pendant plusieurs décennies un document aussi précieux ? Comment a-t-il lui-même obtenu ce texte censé appartenir au domaine public ? Pourquoi décide-t-il aujourd’hui de le remettre au Mémorial de la Shoah et non pas aux Archives Nationales ?  

J’ai déjà évoqué dans ces lignes le rapport particulier qu’entretient M. Klarsfeld avec certaines archives qui lui sont particulièrement chères. Il n’est donc pas étonnant de le voir ce matin commenter dans la presse l’importance de cette révélation avec une analyse très pertinente. Le rôle du général Pétain dans la persécution des Juifs de France s’en trouve particulièrement chamboulé et il semble, à partir de ce nouveau document, qu’il ait lui-même décidé de durcir les conditions de vie et les discriminations envers cette population.

 

Néanmoins, en tant qu’historien, je n’oublie pas que chaque archive, aussi sensationnelle soit-elle, doit être passée au crible d’une analyse critique interne et externe minutieuse. Pour l’heure, tant que cette pièce ne sera pas rendue publique et que nous n’en connaîtrons pas le parcours, il nous est impossible d’en tirer davantage de conclusions.

 

statut des juifsLe statut des Juifs français, un document dont l'histoire n'a pas encore été écrite

 

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3 octobre 2010 7 03 /10 /octobre /2010 09:06

 

Je poursuis le passage de relais de l’excellente initiative du Nouvel Obs et de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) qui se sont associés dans une démarche fructueuse pour offrir une perspective historique et médiatique à des sujets d’actualité. Bien entendu, il s’agit là d’une approche insuffisante qui nécessite ensuite l’approfondissement par d’autres sources historiques ; mais cette entrée par les médias présente souvent de nombreux intérêts.

Ces dernières semaines, deux sujets ont particulièrement attiré mon attention :

   - L’histoire du Front de Libération National (FLN) algérien.

   - La propagande française antisémite dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale.

 

L’histoire du Front de Libération National (FLN) algérien.

C’est à l’occasion de la sortie du dernier film polémique de Rachid Bouchareb, Hors la loi, que cet article a été préparé. N’ayant pas encore vu ce film, il m’est impossible d’en faire ici une critique. J’avais déjà attendu plusieurs années avant de me décider à louer son précédent film : Indigènes. Non pas que je sois réticent à son cinéma, mais parce que j’avais détesté sa prétention étalée sur tous les plateaux de télévision à vouloir écrire l’histoire et imposer sa lecture individuelle (et somme toute subjective) par l’intermédiaire du cinéma. Encore une fois, les historiens en prenaient pour le grade et l’éternelle accusation était utilisée : « Vous n’avez pas fait votre boulot ! ».

Je suis bien d’accord pour affirmer que l’histoire de la guerre d’Algérie est encore trop largement méconnue mais… est-ce vraiment surprenant ? Cette période appartient encore à un épisode très chaud de l’histoire du temps présent, les sources ne sont pas encore toutes disponibles, et les jeunes historiens qui prétendraient se lancer dans cette aventure intellectuelle se retrouvent très rapidement embourbés entre les sillons mémoriels des différentes interprétations militantes parfois très violentes, dont celle de M. Bouchareb. Si M. Bouchareb souhaitait tant connaître la vérité sur cette période de l’histoire, je l’inviterais volontiers à tenter d’éteindre ces vaines polémiques qu’il allume à chacun de ses films. Certes, le chiffre d’affaire de son box-office risque de s’en trouver d’autant plus diminué, mais sa contribution à l’écriture d’une histoire apaisée serait peut-être davantage efficace.

Quoiqu’il en soit, les archives ainsi mises en en valeur par le Nouvel Obs et l’INA permettent au lecteur de découvrir des documents intéressants sur les évènements et les acteurs principaux de ce dossier qui a empoisonné comme un fil rouge la IVe et la Ve République. C’est pourquoi nous attendons tous avec impatience la création de cette Fondation pour la Mémoire de la Guerre d’Algérie annoncée la semaine dernière (samedi 25 septembre 2010) par le Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants Hubert Falco (voir à ce sujet l’analyse que je fais de cette annonce dans mon article précédent, notamment sur l’intérêt que nous aurions plutôt à qualifier cette création de Fondation pour l’Histoire et la Mémoire de la Guerre d’Algérie).

INA-Algerie.jpgCliquez sur l’image pour atteindre l’article

 

 La propagande française antisémite dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale.

Le second dossier rappelle un anniversaire généralement oublié (en tout cas, certainement pas célébré) : celui de l’adoption par le régime de Vichy du premier « statut des Juifs de France » le 3 octobre 1940.

Ces documents m’ont particulièrement intéressé car ils montrent dans leur progression chronologique la naissance, puis la mise en place, d’une propagande qui s’installe presque sans contestation, à grand renfort de moyens, et notamment grâce aux célèbres « Actualités » qui sont ensuite relayées par des films, des expositions, des affiches, etc.

Au-delà des informations tirées de ces reportages, il y a peut-être, et surtout, un enseignement à retenir : celui que nos médias sont une arme redoutable pour façonner l’opinion. Ainsi, aujourd’hui, l’une des principales formations citoyennes devrait probablement consister en l’apprentissage d’une lecture critique des médias pour que jamais plus les hommes ne puissent être entraînés par un mouvement (qu’il soit extrême ou pas) visant à dicter leurs pensées et leur conduite. Autant dire tout de suite que l’évolution récente des médias français me laisse penser que cette ambition est non seulement toujours utile, mais d’autant plus urgente…

Ces reportages ici rassemblés nous paraîtrons grossier tant leur message nous semble aujourd’hui dépassé. N’oublions pas cependant qu’ils ont été vus et appréciés par la société de leur temps. Il est fort probable que nos successeurs regarderont avec un œil tout aussi critique et étonné la forme et le contenu de nos actualités contemporaines, en se disant : « Comment n’ont-ils pas vu venir ce qui les attendait ? »

INA-Statut-des-Juifs.jpgCliquez sur l’image pour atteindre l’article

 

Je réserve une mention spéciale au septième reportage de ce dossier intitulé : « Français, vous avez la mémoire courte ». Il me permet de boucler la boucle de cet article en revenant sur la mémoire de la guerre d’Algérie. Si la mémoire d’un évènement peut en effet s’allonger ou se raccourcir au bon vouloir des discours militants qui mobiliseraient ainsi ce qui conviendrait le mieux à leur discours… mieux vaut encore et toujours se tourner vers l’Histoire, fût-elle de la mémoire !

 

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1 octobre 2010 5 01 /10 /octobre /2010 13:25

 

Samedi 25 septembre 2010, une plaque en mémoire des victimes de la barbarie nazie déportées pour motif d’homosexualité a été inaugurée au camp de Struthof (Alsace). Je n’irai pas jusqu’à parler d’une « année zéro » de la reconnaissance mémorielle ; ce serait à mon sens oublier un peu trop vite plusieurs décennies de militantisme et de travaux (qu’ils soient militants, journalistiques ou universitaires) qui ont permis de faire avancer laborieusement ce sujet et cette revendication.

Quoiqu’il en soit, les 150 personnes présentes pour cet évènement avaient toutes l’impression de participer à un moment très important et très émouvant. Après les discours timides de Lionel Jospin en 2001, puis de Jacques Chirac en 2005, l’apposition d’une inscription gravée dans le marbre et installée avec solennité au sein d’un camp donne l’impression qu’une dynamique vient de se mettre en marche et que plus rien ne pourra l’arrêter.

Ceux qui lisent régulièrement ce blog savent qu’il n’est pas dans mes habitudes d’apporter un jugement personnel face aux différentes manifestations mémorielles, ceci afin de conserver au mieux l’intégrité d’un jugement critique distancié. Je dois néanmoins reconnaître que le statut d’observateur s’est parfois laissé dépasser par l’émotion toute mémorielle de cette cérémonie. L’association des Oubliés de la Mémoire  doit à mon sens être félicitée pour le travail qu’elle a accompli et le résultat obtenu.

 

Je ne reviendrai pas dans cet article sur les problématiques institutionnelles et associatives que pose cette forme de reconnaissance mémorielle. Nous l’avons déjà abordé dans ce blog et une réflexion plus approfondie sur ce sujet doit être publiée prochainement dans les actes d’un colloque sur les lieux de mémoire victimaire auquel j’ai participé.

Je souhaiterais donc simplement revenir sur l’organisation de la cérémonie afin de compléter les différentes dépêches journalistiques qui se sont généralement contentées de mentionner l’évènement sans le commenter davantage.

Tout d’abord, il faut reconnaître que la couverture médiatique a été plutôt satisfaisante d’un point de vue purement quantitatif. Les journaux et magazines communautaires (Yagg, Têtu, etc.) ont relayé l’information, et ils ont également été rejoints par les médias généralistes tels qu’Europe 1, L’Humanité, ou encore TF1 qui peut s’enorgueillir d’un reportage diffusé dans son édition du samedi 25 septembre (décidément, cet article va finir par bouleverser tous mes principes si je commence même à trouver des qualités à cette chaîne…)

 

 

 

Mais au-delà des images conventionnelles et des chiffres officiels, certains aspects de cette cérémonie m’ont laissé perplexe. Comme souvent, le « off » s’avère aussi intéressant que le « in » et je tenais à vous le faire partager.

D’abord, malgré la mention du patronage de Monsieur Hubert Falco, secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens Combattants, on a regretté son absence qui aurait été appréciée en cette circonstance exceptionnelle. L’homme était cependant retenu à Paris où il présidait une cérémonie organisée à l’occasion de la journée nationale d’hommage aux Harkis. Difficile dans ces conditions de ne pas être taxé de communautarisme en signalant que le secrétaire d’Etat aurait peut-être pu faire un effort en se déplaçant en Alsace pour cet évènement unique plutôt que pour une cérémonie annuelle. L’idéal aurait probablement été de le voir participer aux deux cérémonies, ce qui n’aurait d’ailleurs pas été matériellement impossible depuis l’entrée en service du TGV Est.

Il faut dire qu’Hubert Falco avait une annonce importante à communiquer : depuis le Struthof, nous avons en effet appris qu’une Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie était en cours de création. Cette nouvelle est a priori heureuse tant les recherches manquent sur cette période historique. Je m’interroge cependant sur ce titre ronflant : chacun sait que ces fondations mémorielles ont en fait pour objectif de répondre et de temporiser des concurrences mémorielles qui s’expriment souvent en l’absence de recherches historiques satisfaisantes. Dès lors, pourquoi persister à les appeler « Fondation pour la Mémoire » quant on pourrait plus judicieusement utiliser l’expression « Fondation pour l’Histoire et la Mémoire » ? C’est souvent par ces petits détails que je m’aperçois que le champ épistémologique de l’histoire des mémoires a encore de beaux jours devant lui.

Hubert Falco était donc absent et il a été remplacé par un sous-préfet représentant l’autorité publique. Son discours a laissé dans l’assistance un sentiment de déception tant il a véhiculé des lieux communs sans intérêt, et totalement inadaptés à la circonstance. On attendait bien plus qu’un simple rappel des chiffres.

Ce ne fût pas le cas de deux autres discours remarquables.

Le premier nous vient d’outre-Rhin, et plus précisément d’un député du Land voisin de l’Alsace. Dès ses premiers mots, on comprend immédiatement l’avance prise en l’Allemagne par rapport à la France sur les questions sociétales. Cet élu du peuple n’hésite pas en effet à se présenter par ses fonctions politiques et administratives, mais aussi en justifiant sa présence à cette cérémonie à titre individuel en raison de son homosexualité. A priori, il ne semblait pas s’inquiéter qu’un de ses concitoyens puisse lui reprocher de soutenir une cause communautariste…

Le second discours remarquable et remarqué fût celui d’Yves Lescure, Directeur Général de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Le choix judicieux des mots, l’intelligence du propos général et la clarté du message a laissé l’assistance sans voix. Enfin, nous savions exactement pourquoi nous étions tous rassemblés, pourquoi il était important que cette reconnaissance soit établie, et pourquoi nous ne devions pas oublier non plus toutes les autres victimes malgré le motif spécifique qui était alors rappelé en ce jour.

Parmi les officiels, nous avons en revanche été choqués par la présence de l’ambassadeur de Russie. En effet, seulement quelques jours après la séquestration de Nikolaï Alekseev, militant russe et vice-président du comité Idaho, sa présence pouvait paraître inopportune.

Parmi les autres désagréments de cette journée, nous avons été particulièrement déçus par la visite guidée du camp qui a été ponctuée de remarques surprenantes, voire choquantes. Ainsi, notre guide a commencé son discours en précisant qu’il venait d’apprendre le jour même que des individus avaient été déportés pour motif d’homosexualité. Nous avons alors compris que nos prédécesseurs n’avaient jamais été informés de cette réalité au cours de leur visite du Struthof et que nos successeurs ne le seraient pas forcément davantage. La visite s’est également terminée par une précision biographique sur les principaux officiers allemands qui ont dirigé le camp et qui ont été jugés et pendus. Notre guide précise alors en guise de conclusion que « finalement, ce n’est que justice ». Fort heureusement, aucun adolescent n’était présent durant la visite car je me suis imaginé, après une telle intervention, devoir expliquer encore à nouveau à mes élèves que la peine de mort a été abolie en France et qu’il important que cette avancée juridique ne soit pas remise en cause au prétexte d’exemples toujours caricaturaux.

 

Dans l’attente de nouvelles revendications (car les associations françaises ne semblent pas vouloir s’arrêter à ce stade de la reconnaissance), nous pouvons déjà nous réjouir d’une telle avancée.

 

Inauguration de la plaque en mémoire des homosexuels déportés au Struthof La cérémonie a été organisé en présence des représentants officiels

"A la mémoire des vicimes de la Barbarie nazie, déportées pour motif d'homosexualité"

Rudolf Brazda

Rudolf Brazda, dernier déporté pour motif d'homosexualité vivant et connu, a participé à la cérémonie d'inauguration

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26 septembre 2010 7 26 /09 /septembre /2010 09:13

 

Pour se rappeler que les vacances ne sont pas encore si loin, je vous propose aujourd’hui un petit voyage outre-rhin où l’un de mes amis m’envoie régulièrement des "petites cartes postales" mémorielles. Je le remercie vivement pour ces informations qui nous permettent aujourd’hui de donner à ce blog une dimension davantage internationale.

 

Le 3 septembre 2010 à Mayence (Allemagne), une nouvelle synagogue a été inaugurée. Le judaïsme ne s'est jamais vraiment illustré par sa tradition architecturale mais les locaux d'un immeuble récent ne sont jamais satisfaisants pour la pratique d’une religion, d’autant plus à Mayence. Avec Worms (où se trouve le plus vieux cimetière juif d'Europe), Trier et Francfort, Magenza (son nom yiddish) comptait en effet une des communautés juives les plus importantes d’Allemagne. S'il fallait citer un nom parmi ses membres, ce serait sans aucun doute celui de Guershom ben Yehouda (Xe siècle), un des talmudistes les plus importants, surnommé "lumière de la Diaspora".

 

Quelque soit l'endroit où l'on se trouve en Allemagne, l'histoire du patrimoine juif allemand est inéluctablement marquée par l'année 1938 et la "nuit de cristal" (die Reichskristallnacht, entre le 9 et 10 novembre) où des milliers de Juifs furent assassinés ainsi que des centaines de synagogues et magasins saccagés. La synagogue de Mayence ne fut pas épargnée et fut elle aussi détruite.

On ne sera donc pas étonné de constater que la pose de la première pierre, aboutissement d'un projet vieux de quinze ans, ait eu lieu en novembre 2008, soit exactement 70 ans plus tard. Elle fut posée en présence des représentants de la communauté juive de Mayence, mais également de la présidente du conseil des Juifs d'Allemagne (Charlotte Knoblauch) et des principales  personnalités politiques de la ville et du Land (le maire de la ville, Jens Butel, le ministre-président de la Région Rhénanie-Palatinat, Kurt Beck).

 La construction d'une nouvelle synagogue en Allemagne recouvre indéniablement, en raison de l'histoire et de la mémoire allemande, une dimension politique forte. Il faut rappeler néanmoins que ce pays ne connaît pas la même tradition de laïcité qu’en France et qu’il a intégré dans ses frontières une communauté juive pluriséculaire (le yiddish comporte d’ailleurs de nombreux mots dérivés de l'allemand).

 

L'architecture audacieuse du bâtiment est due à Manuel Herz. Élève de Daniel Libeskind (à qui l'on doit déjà le musée juif de Berlin), son projet porte un nom-hommage à Ben Yahouda. Il est lui-même à l'origine d'autres créations dont le musée d'Achdod en Israël. La synagogue de Mayence, de par ses formes surprenantes qui l'identifient au premier regard, représente la graphie d'un mot hébreu : Qadushah que l'architecte traduit en allemand par erhöhen (élévation) et segnen (bénir).

synagogue-Mayence-1.jpg

Synagogue-Mayence-2.jpg

 La synagogue de Mayence s'illustre par une architecture moderne et audacieuse

 

Entre histoire, mémoire, religion et société, cette synagogue soulève quelques réflexions et questions. Située sur le lieu même de l'ancienne synagogue, son emplacement à fait un petit débat à Mayence, en raison du nom de la rue (voir à ce sujet l’article que nous avons déjà consacré à la question de la mémoire des rues). Cette synagogue se situe en effet à l'angle des rues Josefsstrasse et Hinderburgstrasse. Paul von Hindenburg (1847-1934) s'illustre comme un grand chef de guerre au cours du premier conflit mondial aux côtés d’Erich Ludendorff. Se lançant ensuite en politique à la faveur des difficultés de la fragile République de Weimar, il en devient président en 1925 grâce au soutien d'un bloc de droite (dont faisait partie le NSDAP). En nommant Hitler chancelier en 1933, le vieil homme, en dépit des controverses sur sa responsabilité dans cette action (aurait-il pu/voulu s'opposer à cette nomination ?), conserve une réputation peu compatible avec les valeurs démocratiques qui sont désormais cultivées en Allemagne. La présence d'une synagogue "rue Hindenburg" laisse donc chez certains comme une gêne.

 

Manuel Herz, par une architecture qui tranche avec celle de l'ancienne synagogue, semble vouloir la projeter dans l'avenir. Des éléments de l'ancienne synagogue peuvent pourtant être relevés. Des travaux commencés en 1988 ont été l'occasion d'exhumer des vestiges du précédent bâtiment. Érigées devant la nouvelle synagogue, ces colonnes munies de frises sont les vestiges d'un ancien temple et se dressent comme un signe hautement symbolique envers ceux qui voulaient faire disparaître définitivement les Juifs d’Europe.

Synagogue-Mayence-3.jpg

Des éléments du passé viennent compléter et donner du sens à la modernité du lieu

 

Cette synagogue interroge enfin le visiteur quant à son utilité. On peut en effet se demander si ce bâtiment était indispensable. Face à des fidèles qui se font de moins en moins nombreux et de plus en plus vieux, la construction de cette synagogue semblerait davantage répondre à des préoccupations mémorielles qu'à des motivations concrètes et matérielles. Cette question reste néanmoins délicate à poser pour les décideurs politiques en Allemagne. Si cette synagogue devait se transformer en vaste bâtiment fantôme, ne serait-ce pas le signe que la richesse humaine à l'origine de la culture et du patrimoine juif dans cette région du Rhin a été irrémédiablement perdue par la politique meurtrière des nazis ? Fallait-il alors vraiment souhaiter l'édification d'un tel bâtiment qui ferait davantage résonner l'écho d'une gloire passée regrettée plutôt que d'une réalité actuelle ?

Lorsqu'on déambule entre les tombes vieilles de plusieurs siècles du cimetière juif de Worms, une sensation ne nous quitte pas : la culture juive de la vallée du Rhin semble désormais reléguée dans l'histoire. Avec l'extermination d'une partie des Juifs sous le IIIe Reich, c'est une composante importante de la richesse culturelle allemande qui a été définitivement anéantie.

 

Si la synagogue de Mayence s'inscrit désormais dans le paysage mémoriel de la ville, il est donc peu probable qu’elle parvienne à estomper la rupture provoquée par le IIIe Reich.

 

Nota bene du 02 novembre 2010 : Le principal contributeur de cet article m'apprend ce matin que la nouvelle synagogue de Mayence vient de faire l'objet d'une attaque avec un cocktail Molotov (lire l'article ci-joint, en allemand). La synagogue de Worms aurait elle aussi fait l'objet d'une attaque récente, provoquant un incendie violent. Décidément, à quelques jours du triste anniversaire de la Nuit de Cristal, certains gestes font frémir tant leur symbolique est évidente.

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24 septembre 2010 5 24 /09 /septembre /2010 15:01

 

En parcourant la presse de cette semaine, j’ai découvert la disparition d’un homme dont je ne connaissais pas jusqu’à présent l’existence: Mohammed Arkoun.

 

mohammed-arkoun.jpg 

Intellectuel franco-algérien, philosophe et historien de l’islam, il est décédé à Paris le 14 septembre 2010 à l’âge de 82 ans. Ses principaux travaux portent sur l’ « islamologie appliquée » : une notion qu’il a fabriqué afin de réfléchir sur l’évolution de la religion musulmane dans le temps et dans l’espace. Bien qu’il soit difficile de résumer la complexité et la richesse de sa pensée au croisement de l’histoire, de l’anthropologie, de la sociologie et de la géopolitique, on peut considérer que sa principale conclusion invite à adopter une position critique envers toute forme d’opposition radicale entre l’islam et les autres religions, entre l’Orient et l’Occident. En somme, il remarque que le « choc des civilisations » identifié par Samuel Huntington en 1996 est en contradiction avec l’histoire de l’islam sur le temps long.

Cette réflexion menée à l’échelle d’une vie riche l’a conduit à s’engager sous diverses formes pour le dialogue entre le monde musulman et l’occident. Nous pourrions multiplier à volonté ses différentes actions dans ce sens mais nous nous concentrerons d’abord dans ce blog sur son engagement dans un projet que nous voulions évoquer depuis longtemps : le projet Aladin.

 

Le projet Aladin

Ce projet a été lancé l’année dernière avec le soutien médiatique remarqué de Jacques Chirac qui inaugurait alors l’une de ses premières actions de reconversion après douze années passées à la tête de l’Etat. L’objectif consiste à soutenir une reconnaissance véritablement internationale de la Shoah. On oublie en effet un peu trop souvent que si nos sociétés occidentales sont largement sensibilisées à ce drame qui marque l’histoire de l’humanité, d’autres sociétés, notamment musulmanes, ignorent totalement cet évènement historique ou bien sont invitées à en contester l’existence. Il suffit pour s’en rendre compte de citer l’exemple de l’Iran où le président Mahmoud Ahmadinejad a encore récemment qualifié la Shoah de « mythe ». Or, dans la bouche de cet homme, ces mots n’ont aucune valeur historique. Ils s’inscrivent dans un contexte éminemment politique de soutien aux Palestiniens à l’encontre des Israéliens.

 

Partant de constat, le projet Aladin propose différents outils pour remédier à cette méconnaissance, voire à une forme de négationnisme :

            - une bibliothèque en ligne qui permet de télécharger gratuitement des livres sur la Shoah traduits en arabe, persan et turc (c’est le cas par exemple du Journal d’Anne Frank ou encore de Si c’est un homme de Primo Levi)

            - un site internet disponible en 5 langues qui fournit des informations essentielles sur la Shoah.

 

Faut-il intégrer la mémoire de la Shoah dans le patrimoine mondial de l’humanité ?

A ce stade de la réflexion, tout le monde conviendra que ce projet est non seulement utile, mais également très intéressant. Néanmoins, certains points méritent réflexion.

J’ai en effet pu lire sous la plume de Jean Daniel,  éditorialiste au Nouvel Obs, que par l’intermédiaire de ce projet, Mohammed Arkoun « entendait intégrer la mémoire de la Shoah dans le patrimoine de l'humanité ». Or, sur le site du projet Aladin, on lit plutôt que « la Shoah cessera alors d'être une histoire "d'eux et pas de nous" pour devenir une histoire commune appartenant à toute l'humanité : une histoire que musulmans et non musulmans doivent étudier et dont nous devons tous tirer les leçons ».  

A mon sens, ces deux affirmations doivent être pesées avec attention afin d’éviter toute forme d’amalgame.

            - dans le premier cas, la formulation de Jean Daniel peut prêter à confusion. A une époque où la France tente de faire reconnaître par l’UNESCO sa gastronomie comme un patrimoine culturel immatériel (au même titre que des danses traditionnelles japonaises ou encore des chants baltes), on pourrait croire que l’un des objectifs du projet Aladin serait de faire reconnaître officiellement la mémoire d’un évènement comme relevant du patrimoine mondial de l’Humanité.

            - dans le second cas, on comprend qu’il n’en est rien. L’objectif est de mieux faire connaître l’histoire de la Shoah, notamment par des populations musulmanes, dans une ambition de tolérance et de respect, et non pas pour l’immortaliser dans une perspective patrimoniale.

 

La nuance peut paraître infirme et pourtant ses implications sont immenses. Inscrire la Shoah dans le patrimoine mondial de l’humanité consisterait à vouloir sacraliser une forme de construction mémorielle. En somme, ce serait une tentative inédite d’une époque arrogante qui voudrait inscrire sa lecture du passé dans un socle immuable, refusant ainsi la nature même de la mémoire censée s’adapter à un contexte particulier.

Ce serait donc aller à l’encontre même de l’enseignement de Mohammed Arkoun qui a consacré sa vie à démontrer que les religions ne sont pas invariables mais qu’au contraire, leurs adaptations peuvent permettre de prôner une tolérance mutuelle  plutôt qu’un affrontement acharné.

 

Bibliographie indicative :

   - Histoire de l’islam et des musulmans en France du Moyen Âge à nos jours, Le Livre de poche, 2010.

   - L'Islam hier, demain, Paris, Buchet-Chastel , 1982.

   - Humanisme et Islam : Combats et propositions, Librairie Philosophique Vrin, 2005.

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17 septembre 2010 5 17 /09 /septembre /2010 12:57

 

Depuis près de quinze jours, mes nouvelles responsabilités au sein de l’Education Nationale me conduisent à consacrer une grande partie de mes lectures nocturnes à une littérature historique destinée aux adolescents. Cela me permet de découvrir souvent avec intérêt, mais aussi parfois agacement, une variété déconcertante de documents proposés à la vue de nos charmantes têtes blondes qui viennent de rejoindre les bancs de l’école.

Or, ce matin, mon proviseur-adjoint m’a fait partager son étonnement devant la « Une » du quotidien L’Actu dont nous venons de recevoir de nombreux spécimens.

 

Au premier abord, je suis plutôt satisfait de constater qu’une telle publication consacre sa couverture à vanter les mérites des travaux récents d’une historienne américaine encore méconnue en France, Wendy Lower, qui démontrent que les femmes ont eu un rôle non négligeable dans le système concentrationnaire nazi. Ces travaux ne semblent pas encore avoir fait l’objet d’un ouvrage de synthèse (et il est encore moins probable qu’ils soient traduits en France avant 2020…) mais en attendant on lira avec intérêt cet article du New York Times qui nous en apprend davantage depuis le 17 juillet 2010 (il faut croire qu’il est finalement plus difficile de franchir les frontières intellectuelles de la France plutôt  que l’océan atlantique…)

femmes-dans-les-camps-de-concentration.jpg L’historienne Wendy Lower considère que les femmes ont pu représenter jusqu’à 10% du personnel des camps de concentration.

 

La lecture de l’article du quotidien pour adolescents s’avère en fait très décevante. Tout d’abord, on s’aperçoit bien vite que ce journal consacré aux petits n’a rien à envier aux grands. Il reproduit les mêmes stratégies commerciales visant à vendre une information exclusive à renfort de gros titres pour finalement accoucher d’une souris. Le lecteur n’apprendra donc rien de réellement nouveau d'un point de vue scientifique. Les lignes les plus intéressantes sont composées d’une courte interview de l’historien français Olivier Lalieu qui nous propose un éclairage synthétique sur cette question. La forme pédagogique du journal oblige à une concision qui peut paraître déconcertante, mais elle se justifie tout à fait dans ce cadre où il n’est pas question de proposer aux élèves la lecture d’un article d’une revue scientifique. Néanmoins, on aurait au moins apprécié dépasser les clichés pour proposer un angle d’étude un peu original.

 

En revanche, je m’interroge plus sévèrement sur le choix éditorial des illustrations que je reproduis ci-dessous :

couverture de l'ActuIllustration de l'Actu

La première illustration est la couverture du journal. Je m’interroge plus précisément sur l’utilité de la représentation d’une croix gammée rose à côté du titre, dans une position de visibilité enviée. J’ai tenté de comprendre quelles avaient pu être les motivations des maquettistes… en vain !  D’autant plus que cette illustration ne semble pas du tout répondre aux critères de la caricature qui serait, de toute façon, maladroite dans ce contexte. Une telle production artistique nécessite en effet que celui qui l’observe puisse prendre une distance suffisamment critique afin de comprendre son effet comique en décalage avec la réalité. Tout professeur pourrait ainsi rappeler à l’équipe rédactionnelle que ce qui paraît évident à l’adulte informé ne l’est pas forcément pour l’adolescent en cours d’acquisition des principaux repères culturels occidentaux.

Si l’on pousse la réflexion encore un peu plus loin, on regrettera encore davantage l’utilisation de la symbolique du rose dans cette illustration. C’est en effet sous l’influence de l’histoire du genre que des études telles que celle de Wendy Lower peuvent être menées. Or, la plupart de ces travaux démontrent que la différenciation sexuelle est le résultat d’une forte pression sociale qui tend à attribuer certains comportements, couleurs, et autres clichés au genre masculin ou féminin. Par l’utilisation de la couleur rose, le dessinateur choisit donc de reproduire ce poncif dépassé alors que l’étude de l’historienne tente justement de le dépasser en montrant judicieusement que c’est notre vision traditionnelle des notions de l’ordre et de l’autorité qui nous a conduit à oublier en partie le rôle des femmes au sein de l’univers concentrationnaire.  La seconde illustration enfonce encore davantage ce clou plus ou moins sexiste par les mots des personnages représentant des déportés : « L’égalité des sexes existe… dans la cruauté !!! ». Quand certains semblent le découvrir seulement en 2010 par l’intermédiaire d’un dessin que je trouve personnellement vulgaire, je préfère rappeler que d’autres ont déjà évoqué cette question avec davantage d’esprit. Ainsi, Bernard Schlink dans son ouvrage The Reader que nous avons déjà évoqué sur ce blog, travaillait déjà depuis le début des années 1990 sur la figure féminine au sein des camps de concentration.

 

Enfin, d’un point plus général, je m’interroge toujours sur cette vision gratuite, mais en même temps restrictive de la croix gammée. Est-il en effet judicieux de représenter aussi souvent le régime nazi par cette croix qui jouissait d’une histoire multiséculaire et multiculturelle avant d’être récupérée par un courant politique qui n’a vécu que quelques décennies ?

Comme on pourra le remarquer sur cette magnifique mosaïque conservée au musée gallo-romain de Lyon, la croix gammée était utilisée par des civilisations pour lesquelles le lien avec ce symbole est désormais complètement oublié.  

 

mosaïque croix gammée

 Mosaïque d'une croix gammée (appelée Swastika) au musée gallo-romain de Lyon. Archives personnelles, Mickaël Bertrand.

 

De même, si l’on visite les magnifiques catacombes de Saint-Sébastien dans la banlieue de Rome, on pourra rencontrer à nouveau cette croix parmi d’autres symboles utilisés par les chrétiens dans ces lieux de sépulture.

 

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Panneau d'information résumant les symboles rencontrées durant la visite des catacombes de Saint-Sébastien à Rome. Archives personnelles, Mickaël Bertrand.

 

Avant qu’il ne soit désigné sous le terme de « croix gammée », ce symbole était appelé Swastika. Il est utilisé depuis l’époque néolithique dans une perspective religieuse. C'est d’ailleurs l'un des plus anciens symboles connus que l'on retrouve sous plusieurs formes dans la majorité des civilisations du monde, avec parfois des divergences de signification.

Depuis qu’il a été monopolisé par les nazis et qu’il est désormais teinté d’une connotation négative, plus personne ne semble vouloir porter son attention sur un tel signe. C’est pourquoi les études scientifiques se sont progressivement réduites à son sujet depuis les années 1940 alors qu’elles étaient encore nombreuses à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Il est d’ailleurs possible de le vérifier en feuilletant sur Gallica les très belles pages du compte-rendu du Journal de la Société des Américanistes pour l’ouvrage de Thomas Wilson intitulé simplement Swastika et paru en 1896 (il vous est possible de lire la totalité du compte-rendu en passant d’une page à l’autre…)

Une nouvelle preuve, s’il en était encore besoin, de la puissance de la mémoire face à l’histoire…

 

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