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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs

Cherche La Pépite

8 décembre 2009 2 08 /12 /décembre /2009 19:34

Depuis quelques jours, le ministre de l’Education Nationale Luc Châtel a annoncé que la réforme du lycée allait rendre optionnel l’enseignement de l’histoire-géographie en Terminale Scientifique. Depuis, des voix s’élèvent partout pour dénoncer cette mesure.

Il n’est nul besoin d’insister longuement pour vous faire comprendre mon point de vue sur ce dossier. Depuis sa création, ce blog a eu pour ambition de démontrer comment, à défaut d’histoire, la mémoire peut travailler le passé à des fins émotionnelles, partisanes, voire propagandistes.

Il est donc à mon avis nécessaire que le citoyen soit formé à une lecture historique des évènements afin non seulement de lui permettre d’élargir sa culture générale, mais aussi de développer son esprit critique face aux évènements qui constituent l’actualité.

 

Une mesure d’économie publique

La principale raison qui motive cette décision est dans la continuité des réformes entreprises depuis quelques mois dans l’Education Nationale : réduire les coûts et les effectifs !

L’équation est simple : depuis son arrivée à la Présidence de la République, Nicolas Sarkozy a promis de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux. Or, nous sommes forcés de constater que depuis deux ans, de nombreuses classes commencent l’année sans professeur. La fédération des conseils de parents d'élèves des écoles publiques (FCPE) a d’ailleurs ouvert un site Internet afin de recenser les milliers d’heures de cours non-assurées par le service public de l’Education Nationale, faute de professeur, et que le ministère se garde bien de communiquer. A défaut de recruter les professeurs nécessaires, il s’agit désormais de supprimer des heures de cours avant que la situation ne tourne à l’impasse.

Bien que la communauté des professeurs se soit essentiellement mobilisée autour de l’histoire, il convient de préciser que la géographie et l’éducation civique (soit trois disciplines et non pas une seule) sont concernées par cet "allègement" d’emploi du temps.

Au-delà de l’histoire, c’est toute la communauté éducative qui s’inquiète d’une telle mesure qui pourrait être rapidement élargie à d’autres disciplines dans d’autres filières pour les mêmes motifs d’économie.

 

Danger pour la République ?

Cette décision est d’autant plus surprenante qu’elle intervient au moment même du débat sur l’identité nationale. Doit-on comprendre qu’aux yeux de nos dirigeants, il serait plus efficace d’enseigner les rouages de l’identité nationale dans les tribunes politiques et sur des forums contrôlés par le gouvernement plutôt dans des salles de classe par des professeurs formés à cet effet ?

Christian Estrosi a inauguré la stratégie inverse lors d’un meeting où il entendait justement défendre l’initiative de son collègue Eric Besson sur l’identité nationale. Voici son propos :

« Si, à la veille du second conflit mondial, dans un temps où la crise économique envahissait tout, le peuple allemand avait entrepris de s'interroger sur ce qui fonde réellement l'identité allemande, héritière des Lumières, patrie de Goethe et du romantisme, alors peut-être aurions nous évité l'atroce et douloureux naufrage de la civilisation européenne. »

Que comprendre de cette affirmation ? Qu’Hitler au pouvoir depuis 1933 aurait du organiser un débat sur l’identité nationale ? Que la France est au bord d’une dérive pan-nationaliste que l’initiative gouvernementale est sur le point de désamorcer ? Ou bien qu’un ministre de la République falsifie l’histoire au nom d’une idéologie politique ?

Heureusement, pour l’instant, les lycéens ayant assisté à leur cours d’histoire connaissent la réponse… mais jusqu’à quand ?...

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5 décembre 2009 6 05 /12 /décembre /2009 15:32

Lundi 30 novembre 2009, John Demjanjuk, 89 ans, a été amené en civière au tribunal de Munich pour assister au procès dans lequel on l’accuse de complicité d'extermination de Juifs. Des centaines de personnes étaient venues assister à cette audience. Des forces de polices ont été appelées en renfort afin de canaliser une foule immense composée d’anciennes victimes et leurs familles, de journalistes du monde entier et de badauds venus voir ce phénomène de foire que l’on exhibe comme un paria que la société aurait néanmoins toléré pendant plusieurs décennies.


 Arrivée de John Demjanjuk à son procès à Munich

Demjanjuk à son arrivée au tribunal de Munich
















Une chasse à l’homme

Je ne peux m’empêcher de voir une extrême indécence dans toute cette affaire.

Certes, les photographies ci-dessus relèvent probablement de la mise en scène dramatique, mais la traque dont fait l’objet John Demjanjuk depuis plusieurs mois prête aussi à réfléchir.

 

L’homme est accusé depuis la fin des années 70 (cette fameuse décennie mémorielle où le monde a redécouvert l’Holocauste) d’avoir participé à l’extermination des Juifs d’Europe. D’origine ukrainienne, il aurait été gardien au camp de concentration de Treblinka et surnommé par les prisonniers « Ivan le terrible » (une mention que l’on retrouve en effet dans plusieurs témoignages). On lui reproche entre autres d'avoir dirigé les installations de gazage et d'avoir ainsi participé à l’assassinat de plus de 100 000 Juifs. Demjanjuk est alors extradé des Etats-Unis où il s’était réfugié depuis 1951 vers Israël où il est condamné à mort le 25 avril 1988.


 Carte des camps de concentration nazis
Carte des camps de concentration nazis


En 1993, une nouvelle source issue des archives de l’ex-URSS nous apprend qu’ « Ivan le terrible » ne portait pas le nom de Demjanjuk. Il y aurait donc eu méprise bien que dix-huit survivants l’aient visuellement identifié comme tel au cours du procès. Annette Wieviorka, dans ses ouvrages fondamentaux (« L’ère du témoin » et « Déportation et génocide. Entre la mémoire et l'oubli ») a bien montré comment la mémoire complexe des anciens déportés a pu parfois être traversée de phases d’oublis remémorés ensuite à la lueur d’autres lectures et témoignages parfois discordants mais symboliquement plus forts. Or, dans le cadre du premier procès de John Demjanjuk, cette dimension du souvenir qui n’avait pas encore été théorisée par l’historienne n’a pas été prise en compte.

Après sept années de détention, l’ancien condamné à mort est autorisé à rejoindre les Etats-Unis.

 

Le dossier n’a cependant jamais été totalement refermé et des familles de victimes se sont offusquées que cet homme, dont les activités d’encadrement au sein des camps nazis ont été prouvées, soit libéré.

Après plusieurs années d’enquête, le 19 juin 2008, c’est cette fois-ci l’Allemagne qui demande l'extradition de Demjanjuk pour sa responsabilité dans le meurtre de plus de 29 000 prisonniers juifs au camp d'extermination de Sobibor (au Sud de Treblinka) en 1943.

Commence alors une véritable chasse à l’homme : le 14 avril 2009, l'extradition de John Demjanjuk est suspendue in extremis par la justice américaine : ses avocats avaient déposé dans la journée une ultime demande en raison de son état de santé.

 

 

 

 

Mais début mai 2009, une cour d'appel américaine le déclare finalement expulsable.

Le 30 novembre 2009, le prévenu se présente donc au procès en fauteuil roulant. Vingt minutes plus tard, la séance est interrompue suite à des maux de tête de l'accusé. Il était pourtant ramené quelques instants plus tard dans la salle, allongé sur une civière[].

 

Pourquoi un tel acharnement ?

Une telle situation exceptionnelle mérite quelques éléments explications.

Bien que l’intéressé soit actuellement en cours de jugement et que nous respectons la présomption d’innocence, les pièces du dossier laissent penser que sa condamnation est inéluctable.

 

Tout d’abord, le Centre Simon Wiesenthal a exercé une pression sur la justice américaine et internationale en faisant de John Demjanjuk sa tête de liste des criminels de guerre nazis. Cette nouvelle classification a été annoncée le 21 avril 2009 par Efraim Zuroff, directeur du Centre à Jérusalem, soit quelques jours après la suspension d’extradition par les Etats-Unis, mais aussi quelques jours avant la décision finale de la justice américaine d’envoyer malgré tout l’accusé se faire juger à Munich.

Nous précisons cependant que Serge Klarsfeld a quand à lui minimisé l’importance de procès, qualifiant John Demjanjuk de « piétaille du crime ».

 

Ensuite, il faut préciser que la stratégie de défense adoptée par les avocats de l’accusé est de nature à provoquer les familles des victimes. L'avocat du vieillard, Me Ulrich Busch, a immédiatement récusé l'impartialité de la cour, reprochant à la justice allemande de poursuivre un exécutant étranger (actuellement apatride mais d’origine ukrainienne) alors que, selon lui, des SS allemands qui étaient à Sobibor ont été précédemment acquittés. Son argumentaire est bien entendu d’autant plus provocant qu’il est prononcé au tribunal de Munich.
Au-delà de l’exhortation rhétorique, l’analyse dépassionnée de sa thèse n’est pas si anodine. C'est en effet la première fois que l'Allemagne juge un étranger pour crimes commis sous le nazisme. En quelque sorte, le pays a désormais pris suffisamment de recul sur son passé pour considérer que malgré les responsabilités indéniables des dirigeants nazis allemands dans l’Holocauste, il est temps aujourd’hui de dissocier le lien trop souvent établi entre « nazisme » et « Allemagne ».

Ce procès aurait donc un enjeu qui dépasserait la simple condamnation d’un homme (qui a par ailleurs déjà purgé sept années de prison). Ce procès aurait également des enjeux mémoriels. Il aspire à tracer un trait final sur l’image traditionnelle d’une Allemagne exclusivement nazie (portée par la célèbre phrase « Les allemands savaient… ») tandis que les autres pays européens n’auraient été que les victimes de la barbarie hitlérienne.
L'avocat de John Demjanjuk semble avoir parfaitement compris cette logique mémorielle et il a décidé d’en faire sa ligne de défense. Il a ainsi affirmé au cours de la première audience que son client était lui aussi une victime, au même titre que les Juifs morts dans les chambres à gaz de Sobibor. Les familles crient au scandale et cette stratégie pourrait s’avérer dangereuse pour John Demjanjuk. Elle a pourtant le mérite de poser les questions qui dérangent et qui sont, à mon sens, au centre de cette affaire judiciaire où l’accusé n’est qu’un prétexte dans une machinerie historico-mémorielle complexe.

 

Enfin, comme le rappellent les médias, il est fort probable que John Demjanjuk soit le dernier nazi vivant condamné par la justice pour ses activités durant la Seconde Guerre mondiale. Si l’on déplore souvent la disparition progressive des rescapés des camps de concentration, appréhendant avec anxiété l’érosion d’une mémoire dont les meilleurs gardiens auraient été les anciens déportés, on s’inquiète beaucoup moins de la disparition d’une mémoire qui à mon avis est au moins aussi importante que celle des victimes : celle des bourreaux !

Comment en effet donner tout son sens et sa force à la mémoire victimaire si elle n’est pas construite en parallèle avec son contre-point ?

Il me semble d’ailleurs que cette aspect de la question doit être considéré comme un élément d’explication pour mieux comprendre l’acharnement judiciaire et l’engouement médiatique qui se développe autour de l’affaire Demjanjuk. Derrière cet homme, c’est tout une page du passé qui se tourne.

Nous envisagions récemment le film de Gilles Perret, Walter, retour en résistance, comme un dernier cri de désespoir des anciens résistants qui verraient leur héritage s’évanouir sous le coup de la politique française contemporaine. Ne faut-il pas considérer ce procès comme un ultime cri des victimes de l’Holocauste face à la disparition de leurs anciens bourreaux ? Dans un monde qui définit encore largement l’échelle de l’horreur à partir d’un summum qui aurait été atteint avec le génocide juif, ne doit-on pas craindre en effet que les derniers représentants de cet épisode tragique nous quittent irrémédiablement ? Quel sera donc dès lors notre archétype référentiel du bouc-émissaire ? Du Mal intrinsèque ? Nul ne le sait encore…

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28 novembre 2009 6 28 /11 /novembre /2009 13:14

Le 25 novembre 2009, Pierre Nora adressait un communiqué aux adhérents de l’association et aux signataires de l’Appel de Blois dans lequel il attire l’attention sur les problèmes mémoriels qui se seraient récemment déplacés à l’Est, notamment en Russie.

 

De nouvelles lois mémorielles à l’Est

Le 6 mai 2009, un projet de loi mémorielle a en effet été proposé pour la première fois à la Douma  par un groupe de députés représentant le parti au pouvoir Russie unie. Le projet prévoit une modification du code pénal afin de réprimer toute fausse présentation des décisions du tribunal de Nuremberg dans le but de réhabiliter le nazisme, ainsi que toute tentative de déclarer criminelles les actions des pays membres de la coalition anti-hitlérienne.

 

Ces nouvelles lois mémorielles s’inscrivent dans la continuité des précédentes que nous avons identifiées en France et ailleurs sur ce blog. Elles répondent à une volonté manifeste du pouvoir politique d’influer sur la lecture du passé et de l’inscrire dans un cadre législatif afin d’en garantir la pérennité. La stratégie n’est donc pas inédite mais il est toujours intéressant d’étudier son application à un cas particulier, notamment lorsqu’il s’agit d’un Etat qui occupe une telle place dans l’histoire des relations internationales et pour lequel tous les historiens du monde semblent avoir un avis.

 

Dans cette perspective, le nouveau site de l’association Liberté pour l’Histoire constitue une véritable mine d’informations qui permet d’accéder à des ressources indispensables pour mieux comprendre le dossier. Liberté pour L’Histoire comble ainsi une lacune de la presse française qui ne relaie guère les débats qui se tiennent actuellement en Russie. Il faut donc aller le consulter sans tarder à l’adresse suivante : http://www.lph-asso.fr/.

 

Le sujet mériterait de multiples commentaires mais il serait difficile de résumer de tels enjeux dans le cadre modeste d’un blog. En revanche, l’initiative de Liberté pour l’Histoire m’interpelle davantage.

 

Une ONG internationale ?

Tout d’abord, dans son communiqué, Pierre Nora affirme que les « débats mémoriels ont été provisoirement réglés en France par la Mission sur les questions mémorielles, présidée par Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale, affirmant qu’il n’appartenait pas au Parlement d’écrire l’histoire ». Je m’étonne d’un tel optimisme et j’aurais plutôt tendance à considérer que notre attention devrait désormais se porter sur les autres stratégies développées par les pouvoirs politiques qui portent atteinte à la liberté scientifique de l’historien. Nos récents articles sur l’implication du même Bernard Accoyer dans le film Walter, retour en Résistance, constitue à notre avis une preuve suffisante des manœuvres d’évitement à l’œuvre en France pour imposer une lecture officielle de l’Histoire.

 

Je m’interroge ensuite sur l’implication directe et militante de Liberté pour l’Histoire dans ce dossier russe. Pierre Nora entretient en effet une correspondance avec ses homologues américains et russes dans laquelle il s’associe « personnellement » (mais aussi « en tant que président de l’association Liberté pour l’Histoire », ce qui à mon sens pose question) à la démarche de protestation contre les lois mémorielles russes. Certes, nous sommes bien d’accord sur le principe. Que ce soit en France, en Europe ou en Russie, une loi mémorielle reste une loi mémorielle et elle constitue un frein au travail des historiens.

Je reste cependant perplexe sur l’intérêt d’une démarche de soutien officiel dans un dossier où la question nationale est cruciale. Le gouvernement russe justifie déjà ces lois mémorielles contre une historiographie occidentale qui aurait falsifié jusqu’à présent l’écriture de son passé. A mon sens, de telles prises de positions ne peuvent que nourrir leurs certitudes.

 

A contrario, Pierre Nora conclue son communiqué en précisant : « Nous avons été beaucoup sollicités ces derniers temps pour intervenir dans le débat lancé par le gouvernement français sur l’identité nationale. Nous avons pensé que toute forme de déclaration dans ce débat piégé serait nécessairement utilisée à des fins qui ne sont pas les nôtres. J’ai moi-même, en tant que président de Liberté pour l’histoire, décliné les invitations pressantes des médias, me réservant d’intervenir au moment qui me paraîtra opportun ». Encore une fois, nous sommes d’accord sur le fond de cette affaire qui s’inscrit dans une démarche politicienne nauséabonde. Nonobstant, ne sachant pas encore quelles seront les conséquences concrètes de cette consultation publique, il me semble dangereux qu’un acteur aussi averti que Liberté pour l’Histoire n’élève pas la voix au-dessus des murmures individuels pour mieux débattre avec le seul intervenant qui bénéficie pour le moment des moyens de se faire entendre, à savoir l’Etat.

 

D’où mon sentiment un peu amer quant à cet intérêt soudain pour les lois mémorielles internationales de la part d’une association nationale. Il est certes important et normal de défendre ses principes et de vouloir les étendre à d’autres contrées. Cela pose cependant question quand il s’agit d’une association composée d’historiens qui prétend exporter ses préceptes en Russie. Un bref regard sur le XXe siècle devrait nous aider à comprendre que les intrusions occidentales à l’Est ne furent pas toujours heureuses et qu’elles n’ont pas souvent eu les effets que l’on attendait. On ne peut pas reprocher aux américains de vouloir imposer la démocratie en Afghanistan tout en militant nous aussi pour l’établissement de nos valeurs à l’Est.

Cette pratique est d’autant plus problématique qu’elle prête souvent le flanc à une comparaison illégitime et stérile. A trop vouloir adapter notre système aux autres, on revient au pays avec une vision presque utopique de notre modèle, oubliant de s’indigner contre ses failles persistantes.

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14 novembre 2009 6 14 /11 /novembre /2009 18:13

Puisque les cinémas français semblent avoir reçu pour ordre de boycotter le dernier film de Gilles Perret (à la date du 14/10/09, soit 10 jours après sa sortie nationale, il est référencé dans seulement 15 salles en France), il nous a semblé important d’en faire un compte-rendu afin que chacun sache qu’il est important de voir ce film, quelque soit ses opinions politiques.

Les spectateurs dijonnais ont eu la chance, grâce au cinéma Eldorado de Dijon, de bénéficier d’une séance en avant-première et en présence du réalisateur dans l’attente d’une programmation pour la fin du mois de novembre 2009.

 

 

Un pamphlet

Comme tout film engagé qui s’assume, Walter, retour en résistance est intéressant car il mène ces spectateurs à la réflexion. La critique trop facile (mais qui a au moins le mérite d’exister) reproche à ce film d’être une entreprise « de propagande de gauche » (Lionel TARDY, député UMP de Haute-Savoie) ou bien d’utiliser « des procédés d’idéologues, les mêmes qu’utilisaient les staliniens »  (Bernard ACCOYER, Président de l’Assemblée Nationale). Ce que ces détracteurs oublient cependant trop facilement, c’est que la comparaison ne tient pas quand les propos avancés sont publiquement assumés, voire revendiqués. Cela équivaudrait à condamner n’importe quel opposant politique au seul motif de son opposition (ce qui pour le coup, renverrait l’accusation à son destinateur).

 

Il ne faut en effet pas plus de quelques secondes au spectateur averti pour comprendre qu’il s’agit d’un véritable pamphlet anti-sarkoziste. Walter Bassan ne prétend jamais représenter l’ensemble des déportés. C’est une voix, parmi d’autres, qui s’exprime avec ses convictions de gauche, avec son expérience d’ancien militant CGT, mais aussi avec l’engagement républicain d’un citoyen de 82 ans qui consacre depuis près de vingt ans tout son temps et toute son énergie au service de la transmission de la mémoire.

 

Certaines scènes du film sont particulièrement touchantes lorsque, parcourant plusieurs centaines de kilomètres, Walter sillonne les routes des écoles, des collèges et des lycées où l’on veut bien l’inviter pour parler de la guerre, de la résistance et de la déportation. Les spectateurs dijonnais ont d’ailleurs découvert dans leurs rangs deux jeunes filles, aujourd’hui étudiantes à l’Université de Bourgogne, qui ont été scolarisées en Savoie et qui ont eu l’occasion de croiser Walter au cours de ces innombrables déplacements. C’est avec une émotion à peine dissimulée qu’elles sont venues retrouver à travers cet écran l’homme qu’elles ont apprécié et qui les a initié au souvenir de la déportation. On ose alors imaginer le nombre d’adolescents savoyards qui ont été sensibilisés à cette question grâce à l’action de Walter Bassan…

 

Les propos de monsieur Lionel TARDY, député UMP de Haute-Savoie, sont donc à mon avis intolérables lorsqu’il qualifie de « triste sire (…) un certain Walter BASSAN, 82 ans, résistant communiste et militant CGT de son état ». Cette description à l’emporte-pièce signifierait donc que l’âge avancé et les opinions politiques de l’intéressé rendraient son propos invalide et sans valeur. Dans la même logique, ne pourrait-on pas considérer que les propos d’un député de la majorité présidentielle devraient être passés au détecteur de fidélité partisane et d’ambitions carriéristes ? Bien sûr que non ! Car on imagine qu’avant d’être sarkoziste, monsieur Tardy est un citoyen et un représentant du peuple. On imagine aussi qu’au-delà des divisions partisanes, ce représentant est fier de compter parmi ces concitoyens un homme qui s’implique autant dans la formation des jeunes générations.

 

« Adieu 1945 »

Walter, retour en résistance n’introduit donc pas « des ferments de guerre civile » ; il ne sème pas « la haine » comme le prétend le Général BACHELET, président de l’Association des Glières. C’est le portrait d’un homme porté par des convictions et qui prétend les faire entendre aussi fort qu’un ministre au journal de TF1.

Ce qui semble d’ailleurs déranger ses détracteurs, ce ne sont pas tellement ses idées, mais l’exceptionnelle efficacité rhétorique avec laquelle il les défend. Ces arguments sont simples, concis, et efficaces : depuis deux ans, l’Etat détruit une à une toutes les valeurs et toutes les constructions issues de la Résistance.  

Lorsque que c’est Denis Kessler, ex-président du MEDEF, qui l’affirme dans les colonnes de Challenges le 4 octobre 2007, cela ne pose alors aucun problème. Dans son article intitulé « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! », il explique sans gêne ni remord que : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s'y emploie » (allez le lire, l’analyse est déconcertante).

Seulement, quand c’est un ancien résistant et déporté qui en parle, le ton monte. Walter Bassan dresse en effet la même constatation que Denis Kessler mais pour sa part il s’en émeut, il s’en indigne (avec Stéphane Hessel, ancien résistant, ancien déporté, corédacteur de la charte universelle des droits de l’homme, ancien ambassadeur de France) et il entend résister à nouveau contre cette attaque en règle des principes de la Résistance pour laquelle il s’est battu.

Pour ce faire, il pointe là où ça fait mal ; là, dans cet espace mi-obscur de notre lobe crânien, entre la raison et le sentiment ; oui, là, pile sur notre mémoire nationale !

 

A mort les résistants…

Car c’est tout de même un comble selon Walther Bassan d’appliquer une telle politique de destruction, tout en continuant à venir se recueillir régulièrement sur les hauts lieux de la résistance française en rappelant les sacrifices de ces hommes et l’hommage national que nous devons continuer à leur rendre au nom de la Liberté. Le hasard du calendrier fait que monsieur Sarkozy vient d’ailleurs de réaliser le 12 novembre 2009 le grand écart le plus impressionnant dans ce domaine à l’occasion d’un discours sur l’identité nationale à proximité du Mur des Fusillés de la Chapelle en Vercors. Après avoir évoqué dans un style qu’il affectionne tant (voir notre article sur ce point) les « villages bombardés, (…) maisons brûlées au lance-flammes, (…) maquisards massacrés, (…) civils assassinés… », il enchaîne sans transition sur la thématique de l’identité nationale

C’est alors qu’il nous offre un moment d’anthologie qu’il serait difficile de ne pas livrer en entier sans trahir le sens :

« C’est toujours au moment où l’on va les perdre que l’on mesure la signification et l’importance de ces choses indéfinissables avec lesquelles on a tellement l’habitude de vivre que l’on a l’impression qu’elles sont aussi naturelles que l’air que l’on respire. Nous vivons peut-être l’un de ces moments où les repères s’effacent, où l’identité devient incertaine, où nait le sentiment que quelque chose qui nous est essentiel pour vivre est en train de se perdre. Tout semble concourir à l’aplatissement du monde » (voir le texte intégral).

A l’heure où la sécurité sociale française fait l’objet d’une « refonte » (comprenne qui voudra) par l’actuel gouvernement, il faut croire que les conseillers du président de la République n’ont pas encore vu le film de Gilles Perret. Sinon, ils auraient peut-être modifié son discours. Car qu’on se le dise, si la nouvelle droite est dite « décomplexée » dans son rapport à l’argent, au succès et au pouvoir, elle n’assume pas encore publiquement ce rejet des valeurs de la Résistance.

 

Censure ?

Juridiquement, le film de Gilles Perret est condamnable. Sa construction repose sur une interview exclusive de Bernard Accoyer qui s’insurge contre ce qu’il considère comme un « amalgame » entre la Résistance et un débat politicien contemporain (en somme, le souvenir de la Résistance n’aurait droit de cité que dans les lieux de commémoration, pas au palais Bourbon). Or, le président de l’Assemblée Nationale a fait appel à son droit à l’image pour censurer cette interview. Le réalisateur et la production ont décidé de passer outre en assumant les poursuites judiciaires au nom de la liberté d’expression et du message qu’ils défendent.

Nous devons reconnaître qu’il s’agit là d’une indélicatesse un peu osée dans un monde politique impitoyable. Ce n’est d’ailleurs pas la seule limite de ce film parfois trop long, aux montages quelquefois maladroits, et qui présente le défaut de ne montrer qu’un seul résistant là où le monde associatif est plutôt partagé.

Seulement, pour que ces critiques puissent être étayées, il faudrait que les français puissent voir le film, ce qui est actuellement difficile. En effet, les médias ont depuis sa sortie nationale soigneusement évité d’en parler malgré l’importance de son message. D’ailleurs, il est fort probable que Bernard Accoyer ait renoncé à son droit à l’image afin d’éviter justement de faire une publicité non désirée du film dans la presse. Depuis, sans raison rationnelle ou avouable, on constate que les cinémas décommandent la programmation du film, sur un simple coup de fil…

 

C’est pourquoi il me semblait important d’écrire cet article, non pas comme une reproduction d’un pamphlet politique (le film se suffit à lui-même) mais comme un appel à la liberté d’opinion et d’expression. Que l’on soit d’accord avec Walter Bassan ou non, il est important qu’il puisse encore s’exprimer aujourd’hui au nom de la Liberté pour laquelle il s’est battu. Le refus de la repentance ne doit pas, selon nous, s’accompagner d’un refus de l’histoire et de la mémoire. Henry Rousso nous l’a démontré depuis bien longtemps, c’est seulement par la réflexion (certes douloureuse) que le passé passera…

 

En lien :

-          Le site de la production du film pour organiser des projections et/ou se procurer le futur DVD.

-          Un compte-rendu de l’activité de l’association « Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui » qui se réunit désormais chaque année sur le plateau des Glières.

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19 octobre 2009 1 19 /10 /octobre /2009 11:15

Les archives ont décidément encore bien des secrets à délivrer. Le dernier en date a été publié par le quotidien britannique The Guardian mardi 13 octobre 2009. Il affirme que Benito Mussolini a été un agent des renseignements britanniques durant la Première Guerre mondiale.

Il faut cependant préciser les brèves lacunaires qui ont été écrites en France.

Benito Mussolini était alors âgé de 34 ans et il travaillait comme journaliste pour le quotidien Il Popolo. Il ne faut pas s’imaginer un agent infiltré dans les rouages du pouvoir. Son action consistait essentiellement à diffuser des articles de propagande dans son journal afin de convaincre l’Italie de rester dans le camp des Alliés. Ponctuellement, il pouvait être amené à envoyer des collaborateurs dans des manifestations pacifistes afin d’inviter les opposants à la guerre à rester chez eux.

La presse française a beaucoup insisté sur l’exceptionnalité de cette affaire et le montant de sa rémunération. Précisons cependant que les services des renseignements britanniques étaient bien implantés en Italie car il s’agissait alors d’une base importante pour agir rapidement sur le continent. La somme délivrée à Mussolini que les spécialistes estiment à environ à 6440 euros par semaine (calcul par équivalence de marché) pose encore question. Puisque Benito Mussolini devait entretenir une équipe d’intervention,  la somme globale devait probablement s’expliquer par la nécessité de multiples rémunérations modestes. L’historien Peter Martland avance quant à lui des frais d’entretien des multiples maîtresses de Mussolini sans pour autant être en mesure d’avancer des preuves à ces affirmations. Si l’hypothèse a le mérite d’écarter un éventuel rôle de la Grande-Bretagne dans l’ascension du Duce, je doute que les services secrets britanniques aient continué à verser une telle somme en période de guerre sans en connaître l’utilisation exacte.

L’information n’est finalement pas si inédite car le député Sir Samuel Hoare, représentant du MI5 en Italie  et recruteur de Benito Mussolini, avait mentionné ce fait dans ses mémoires en… 1954 ! L’historien Peter Martland nous confirme aujourd’hui cette information car il a pu avoir accès aux archives de Samuel Hoare et qu’il est en mesure de fournir plus de détails (notamment financiers) sur le contrat. Le scoop perd donc de sa fraîcheur.

En revanche, ce sont les interrogations que cette affaire pose qui peuvent s’avérer importantes. La question qui apparaît en filigrane est la suivante : les britanniques ont-ils contribués à l’émergence du dictateur ? Il faudrait, pour s’en assurer, savoir si les hommes qui entourent le Duce durant la Première Guerre mondiale ont été par la suite les premiers membres de ses célèbres « chemises noires ». Par conséquent, l’argent britannique aurait été utilisé pour la constitution d’une milice qui, trois ans après la fin de la Première Guerre mondiale, prenait le pouvoir en Italie.

Quoiqu’il en soit, ce dossier demande approfondissement sur le temps long puisque le recruteur de Mussolini a gravi lui aussi les échelons du pouvoir en devenant par la suite ministre des Affaires Etrangères britanniques. Il est en effet à l’origine du fameux Pacte Hoare-Laval (du nom du Premier Ministre français) qui a proposé en 1935 que l'Italie reçoive les deux tiers de l’Abyssinie (ex-Ethiopie), ainsi que la permission d'agrandir les colonies existantes en Afrique orientale. Il faudrait donc s’interroger sur l’importance d’une éventuelle relation persistante entre Mussolini et Samuel Hoare dans la conclusion de cet accord particulièrement avantageux pour l’Italie.

Les archives nationales britanniques seront-elles cependant suffisamment ouvertes pour permettre une telle entreprise qui remet fondamentalement en question le rôle des démocraties dans l’ascension des dictatures du XXe siècle ?

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16 octobre 2009 5 16 /10 /octobre /2009 12:22

C’est une petite bombe qui risque d’être lancée sur nos écrans d’ici quelques jours. Projeté en avant-première depuis plusieurs semaines, ce film-documentaire réalisé par Gilles Perret propose de suivre le quotidien de Walter Bassan, ancien déporté à Dachau, aujourd’hui âgé de 82 ans, et qui continue en 2009 à défendre des idéaux hérités de la Résistance.

 

 

Il ne s’agit pas pour l’heure d’en faire une analyse critique puisque je n’ai pas encore eu la chance de le visionner. C’est donc pour l’instant sur le principe même du film et sur les réactions qu’il provoque déjà que je souhaiterais proposer quelques éléments de réflexion.

 

Un film d’histoire

Tout d’abord, sans préjuger du contenu, l’idée initiale me semble intéressante, presque pédagogique. Il s’agit en effet de rappeler non seulement le destin tragique des déportés mais aussi, et surtout dans cette entreprise, les actions qui ont été menées collectivement par les Anciens Combattants de la Seconde Guerre mondiale. Qu’ils soient issus des forces vives de la Résistance extérieure (autour de la figure du Général De Gaulle) ou bien de la Résistance intérieure (dans le maquis ou dans les camps), des milliers d’hommes ont prolongé leur engagement au-delà du 8 mai 1945. Ils se sont notamment retrouvés autour du Conseil national de la Résistance fondé en 1943 par Jean Moulin et qui se proposait de réunir les représentants de mouvements de Résistance, de partis politiques et d’organisations syndicales. Dès 1944, cette coalition publie un programme politique, économique et social qui inspire largement les réformes menées après la Libération.

Ce document d’une grande valeur historique contient des passages particulièrement importants qui sont encore au fondement de notre système sociétal. Au-delà des grandes déclarations de principe sur la liberté et les droits de l’homme, il évoque des points très précis dont il faut citer quelques exemples :

Sur le plan économique : « Le retour à la Nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques ».

Sur le plan social : « Un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat » ou encore « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ».

Dans les faits, ces idées se concrétisent dès 1945 par une vague de nationalisations : les usines Renault d’abord parce que leur patron avait largement collaboré avec l’occupant, puis de nombreuses banques dont la Société Générale, quelques compagnies d’assurance, puis les secteurs énergétiques du gaz et de l’électricité. Concernant le volet social, la Sécurité sociale française est créée par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945.

 

Un film de mémoire

Ce que ce film interroge finalement, c’est cet héritage de la Résistance en 2009, à une époque où les privatisations sont aussi nombreuses et rapides que les nationalisations décidées en 1945. Les réformes actuelles des retraites et de la Sécurité sociale posent également de lourdes questions sur le nouveau système de société qui est en cours de construction au détriment de celui que nous connaissons depuis plus de soixante ans.

C’est sur ce point que le film peut être considéré comme une œuvre de mémoire. En utilisant le récit autobiographique, Gilles Perret introduit une notion de subjectivité et d’émotivité dans sa démonstration. Il nous montre en fait que la société française tourne une page importante de son Histoire qui va la conduire à changer de chapitre.

Fait symptomatique de cette évolution : lorsque le Ministère de l’Education nationale a instauré la liste des documents patrimoniaux présentés comme des outils nécessaires à la formation commune des citoyens, le discours du 17 juin 1940 de Philippe Pétain a été conservé, l’appel du 18 juin également… mais pas le programme du CNR !

Du coup, c’est aussi tout un volet de l’histoire politique qui se referme. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, on a parlé de chambre « bleu horizon » pour signaler la forte présence des Anciens Combattants à la chambre des députés. Trente ans plus tard, ils étaient relayés par les Déportés et Résistants de la Seconde Guerre mondiale. C’est pourquoi le Ministère des Anciens Combattants a toujours été un lieu important de la République française qui s’est maintenu jusqu’en 1999 avant d’être finalement réuni au Ministère de la Défense et de devenir un secrétariat d’Etat. Aujourd’hui, nous sommes forcés de constater que l’importance symbolique de ce Ministère diminue d’autant que le nombre de disparitions des Déportés et Résistants augmente.

 

Un film d’actualité

Dans la bande annonce du film, on peut voir Bernard Accoyer, actuel président de l’Assemblée nationale, réagir avec agacement à la projection. Ces mots se font même menaçants lorsqu’il déclare qu’en cas de tentative d’amalgame entre la Résistance et un débat politicien contemporain : « ça se passera pas bien. Vous avez compris, hein ! Je ne laisserai rien passer ». Selon le site officiel du film qui recense différentes réactions à la suite des projections, le président de l’Assemblée nationale aurait également affirmé : « Les méthodes utilisées par Gilles Perret sont scandaleuses. Il fait un amalgame entre deux périodes qui n’ont rien à voir. Ce sont des procédés d’idéologues, les mêmes qu’utilisaient les staliniens. Je me sens profondément choqué et trahi ».

Loin d’y voir un séisme politique et une incitation à la guerre civile comme ont pu l’affirmer certains commentateurs, je me contenterai d’y voir une « rupture » (eh oui, encore une ! on nous l’avait promis) de la droite française avec une partie de son électorat traditionnel qui ne semblait plus suffisamment nombreux et influent pour imposer sa voix dans la cacophonie politicienne actuelle.

A mon sens, ce film est un dernier cri de désespoir qui peine à se faire entendre…

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12 octobre 2009 1 12 /10 /octobre /2009 12:22


Lundi 12 octobre 2009. Les deux villes japonaises d’Hiroshima et Nagasaki (qui demeurent dans l’histoire comme ayant été victimes des deux seules bombes atomiques utilisées dans le cadre de Seconde Guerre mondiale) vont présenter une candidature commune pour les Jeux Olympiques de 2020.

L’association est audacieuse. Les villes qui se présentent pour accueillir les JO sont généralement un prétexte pour une candidature qui engage de fait l’ensemble du pays (Tokyo s’était présentée pour l’organisation des Jeux en 2016).

Ce qui est encore plus surprenant, c’est que le dossier préliminaire indique que cette candidature se place sous le thème de l’abolition des armes nucléaires et la paix dans le monde. L’information est surprenante car il est rare qu’un pays candidat avance d’autres arguments que celui de la promotion des valeurs sportives (qui véhiculent au sens large l’universalisme et donc la paix dans le monde par extension).

Il semblerait que les japonais exploitent ici une stratégie particulièrement intelligente qui pourrait s’avérer payante.  

Tout d’abord, rappelons que le lieu d’accueil est choisi par les membres du Comité Olympique International (CIO) composé de membres représentant la plupart des pays de la planète (La France est notamment représentée par Jean-Claude KILLY et Guy DRUT). La répartition n’est cependant pas équitable et l’on peut observer une surreprésentation des grandes puissances occidentales. Le processus de désignation des villes d’accueil font d’ailleurs souvent l’objet de tractation longues, compliquées et parfois obscures (des scandales financiers ont éclatés au moment de la désignation de Salt Lake City en 1998) et de pressions diplomatiques (le Président Obama s’est récemment déplacé afin de soutenir la ville de Chicago pour l’organisation des Jeux Olympiques de 2016). En somme, la désignation d’une ville d’accueil pour les JO est un véritable moment de cristallisation des relations internationales.

Dès lors, l’objectif est de réunir un maximum de soutiens derrière une candidature. C’est dans ce cadre que le projet d’Hiroshima-Nagasaki est particulièrement intéressant car il entend exploiter la mémoire victimaire de la Seconde Guerre mondiale (qui par définition a touché quasiment l’ensemble de la planète) et notamment l’épisode dramatique des deux bombes atomiques lancées par les américains pour mettre un terme au conflit en Pacifique (inaugurant ainsi l’"ère atomique" qui rassemble aussi une grande partie de la planète sous un même trait culturel).

Ce projet est d’autant plus intelligent qu’il place les Etats-Unis dans une position inconfortable. La présentation anticipée  du projet d’Hiroshima-Nagasaki rend en effet difficile pour les Etats-Unis la présentation d’une candidature concurrente puisqu’ils sont considérés comme les responsables historiques du largage des deux bombes en question. On s’attend donc de leur part qu’ils apportent un soutien aux japonais et qu’ils renoncent à une éventuelle candidature américaine.

Cette position est d’ailleurs renforcée depuis l’élection de Barack Obama à la Présidence des Etats-Unis qui multiplie les interventions publiques pour prôner la diminution des armes et équipements nucléaires. Le calendrier choisit pour l’annonce de cette candidature n’est d’ailleurs pas anodine. Elle intervient seulement deux jours après que ce même Barack Obama ait été gratifié d’un prix Nobel de la Paix particulièrement controversé puisque ses positions demeurent pour l’instant au stade de la déclaration d’intention. Donc acte : les japonais semblent lui lancer un défi et attendre probablement du jeune Nobel qu’il honore ses engagements par un désistement symbolique au détriment des intérêts nationaux américains (la mention du terme « Obamajority » en fond sur la photographie officielle de l’annonce apparaît dès lors comme un clin-d’œil peut-être involontaire mais plutôt ironique…)

 

                                     Présentation conjointe du projet de candidature par les maires d'Hiroshima et Nagasaki


D’un point de vue mémoriel, le projet s’inscrit également dans une perspective commémorative puisque les JO sont organisés durant la période estivale. Or, les 6 et 9 août 2020, l’humanité fêtera le soixante-quinzième anniversaire de cet évènement tragique. Il est donc fort probable que l’ensemble de la candidature d’Hiroshima-Nagasaki repose sur cette colonne vertébrale et c’est pourquoi les organisateurs ont décidé d’inclure le thème de l’abolition des armes nucléaires et la paix dans le monde au cœur du projet.

Si cette candidature aboutie (et il sera très intéressant d’observer son cheminement progressif dès les premières esquisses du projet), elle pourrait devenir l’une des plus grandes manifestations mémorielles à l’échelle globale de la planète.

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11 octobre 2009 7 11 /10 /octobre /2009 07:54

Samedi 10 octobre 2009, les ministres  des Affaires Etrangères turc Ahmet Davutoglu et arménien Edouard Nalbandian étaient entourés à Zurich de leurs homologues américain Hillary Clinton, suisse Micheline Calmy-Rey, russe Sergueï Lavrov, français Bernard Kouchner et européen Javier Solana.

Il est plutôt rare de voir se réunir un tel gratin mais il semble que l'occasion en valait la peine.
La Turquie et l'Arménie ont signé des accords salués comme "historiques" par la presse. Ils visent à fixer un calendrier pour le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays et pour l'ouverture des frontières.

Précisons immédiatement que seule la presse occidentale salue avec un tel enthousiasme ces accords. En Arménie et en Turquie, la colère d'une partie de la population gronde dans la rue contre cette décision et parle d' "abdication" de leurs gouvernements. Il est d'ailleurs permis de douter de la réussite finale de ces accords qui doivent encore être ratifiés par les parlements des deux pays. 

Comme toujours dans ces situations, les termes de la conciliation demeurent volontairement vagues afin de ne pas cristalliser les tensions.  On prévoit donc la création de sept commissions consacrées aux échanges commerciaux, à l'énergie, l'éducation, l'environnement, la protection du patrimoine... et l'histoire !

Cette dernière commission serait chargée d'étudier "de manière scientifique et impartiale les données historiques et les archives pour définir les problèmes actuels".
On ne peut guère en effet trouver de formulation plus consensuelle. Cependant, si ce projet sort des traités diplomatiques pour se concrétiser en actes, il risque de poser de nombreuses questions :
   - par qui sera composé cette commission historique ?
   - comment ces individus pourraient-ils trouver un accord là où ils ont échoué depuis des années ?
   - que signifie "pour définir les problèmes actuels" ? L'histoire ne répondrait-elle qu'à éclaircir des troubles contemporains ? Ne faudrait-il alors pas plutôt définir cette commission de "mémorielle" ? 
   - la Turquie et l'Arménie ne se dirigeraient-elles pas vers l'élaboration d'une "loi mémorielle", suivant en cela le chemin tracé par de nombreux pays à travers le monde ?

Affaire à suivre...

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11 octobre 2009 7 11 /10 /octobre /2009 07:33


Les semaines passent et ce blog se nourrit progressivement. Le temps manque hélas parfois pour traiter avec profondeur de chaque sujet.
Et pourtant, les incursions de l'histoire et de la mémoire ne manquent pas dans l'actualité politique, économique et sociale du monde. Il est souvent frustrant de ne pas pouvoir faire état de cette omniprésence dans ce blog. 
C'est pourquoi j'ai voulu inaugurer cette nouvelle rubrique que vous retrouverez dans l'onglet à gauche de votre écran : "Au fil de l'actu". Il s'agit de recenser plus régulièrement (sous forme de brèves) différentes manifestations historico-mémorielles sans forcément leur consacrer à chaque fois un article de fond. Vous pouvez d'ailleurs participer à cette entreprise et proposer des sujets en utilisant la fonction "contact" en bas de page.
Bien entendu, nous conservons en parallèle la formule qui fait le succès de ce blog : à savoir des articles d'érudition qui développent à un rythme bimensuel un sujet particulièrement intéressant. 
Cordialement,  

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25 septembre 2009 5 25 /09 /septembre /2009 12:42

L’aspect utilitaire des noms de rue est devenu tellement évident que l’on oublie parfois à quel point ces dénominations sont chargées de significations. Les rues organisent non seulement l’espace social mais elles ont aussi tendance à devenir le prisme d’une nouvelle structuration de l’espace mémoriel.

 

Dimanche 20 septembre 2009, les rue de Dijon sont traversées par des centaines de badauds profitant des Journées du Patrimoine pour découvrir (ou redécouvrir) les richesses de l’ancienne capitale des Ducs de Bourgogne.

Entre les somptueux hôtels particuliers, la Tour Philippe Le Bon et le puits de Moïse, rares sont ceux qui prennent un instant pour lever les yeux sur ces curieuses petites plaques qui s’insèrent discrètement dans le paysage urbain : les noms de rue.

Et pourtant, que d’histoire(s) ont-elles à nous raconter ! Que de péripéties avant d’être fixées sur ce mur dont elles ne seront que rarement décrochées. D’ailleurs, plutôt que d’être descendus de leur piédestal, elles sont bien plus souvent taguées ou transformées.

Quelques éléments de réflexion mémorielles et odonymiques sur un phénomène qui n’est pas si anodin…

 

Histoire d’une rue

Le vendredi 23 novembre 2007, l’Association identitaire Les Oubliés de la Mémoire transmet à la municipalité de Toulouse une pétition qui lui demande d’attribuer une rue au seul déporté pour motif d’homosexualité officiellement reconnu en France : Pierre Seel. Cette demande avait été formulée pour la première fois dès l’année 2006.

Elle est exceptionnelle pour plusieurs raisons :

-          Tout d’abord, elle intervient très rapidement après la disparition de l’intéressé. Pierre Seel est décédé le 25 novembre 2005 à Toulouse où il a vécu les dernières années de son existence. Aucune législation précise ne règle cette pratique qui est laissée à la liberté des municipalités. Néanmoins, la commission chargée de l’attribution des noms de rue de Toulouse a précisé qu’une dérogation avait été nécessaire pour ce cas précis, disparu depuis moins de quatre ans.  C’est le conseil municipal qui a décidé en dernier ressort.

-          Ensuite, cette demande est exceptionnelle car il s’agit du premier acte commémoratif de la déportation des homosexuels scellé dans la pierre sur le territoire français. Il n’est pas anodin de constater que cette mémoire « de pierre » (qui se distingue de la mémoire dite « de papier » : dans les livres, les discours et les affiches…) se propose d’abord de célébrer la mémoire d’un homme plutôt que celle d’un groupe. Elle est le signe révélateur d’un échec dans la construction mémorielle communautaire (puis nationale) de la déportation pour motif d’homosexualité en France.

Le 23 février 2008, la rue était inaugurée en présence de plus de 200 personnes dont les présidents des associations identitaires le Mémorial de la Déportation Homosexuelle et Les Oubliés de la Mémoire, deux des trois enfants de Pierre Seel, et du maire de Toulouse.

On comprend mieux les enjeux mémoriels autour de cette manifestation en portant notre attention sur les outils de communication qui ont été déployés à l’occasion de cette inauguration. Il faut dire que le contexte était favorable à cet exercice. A quelques mois des élections municipales, les élus et les prétendants à leur succession se bousculaient à l’inauguration. Il en était de même pour les associatifs qui revendiquent tous la paternité de ce projet.

Fait rarissime pour ce genre d’évènement, des cartons d’invitation ont été envoyés dans toute la France. En voici un exemplaire :

 

Ces documents ont notamment pour ambition de mettre en valeur l’action avant-coureuse de la municipalité de Toulouse ainsi que l’implication de l’association des Oubliés de la Mémoire dans ce dossier. L’extrait d’un communiqué de presse de cette dernière indique d’ailleurs très clairement les enjeux mémoriels de ce nom de rue :

« Grâce à cette décision exemplaire, la Ville de Toulouse pourra s’enorgueillir d’être précurseur dans la poursuite du travail de reconnaissance de cette déportation »

Il ne s’agirait donc que d’une étape, et non d’une fin, vers une reconnaissance nationale que l’association des Oubliés de la Mémoire entend illustrer par l’apposition d’un plaque commémorative dans le camp de Natzweiler-Struthof.

 

Des mémoires dans l’impasse

Pour l’instant, cette nouvelle rue Pierre Seel n’a fait l’objet d’aucune contestation sur son principe. De nombreuses rues et places font cependant régulièrement l’objet de polémiques.

On se souvient par exemple de l’inauguration de la place Jean Paul II à Paris en 2006 qui avait été perturbée par des manifestants de plusieurs associations réunies faisant appel au principe de laïcité et dénonçant les prises de position conservatrices du défunt pape sur le préservatif et l’homosexualité.

Plus récemment, l’association Diverscités a lancé un projet visant à débaptiser les noms de rue portant la mémoire de ceux qu’elle qualifie de « négriers », notamment dans les villes de Bordeaux, Nantes, La Rochelle et le Havre. Le projet a d’ores et déjà été refusé par le maire de Bordeaux, Alain Juppé, qui l’a qualifié d’ « absurde ».

La réponse de Jean-Marc Ayrault, Député-Maire de Nantes et Président du groupe parlementaire PS à l’Assemblée nationale est plus intéressante car, si ce dernier n’envisage pas non plus la suppression des noms de rues incriminés, il a le mérite de poser les fondations d’un débat plus constructif. Il argumente tout d’abord son refus en précisant que « cette forme d’effacement reviendrait à nier une parcelle de notre histoire ». En somme, il explique que la commémoration des victimes ne doit pas se faire par la négation des bourreaux. Or, impossible de nier que la pratique d’appellation des rues s’inscrit dans une démarche mémorielle positive. C’est pourquoi Jean-Marc Ayrault propose de travailler plutôt sur un parcours mémoriel urbain et pédagogique qui intègrerait tout autant les nouveaux lieux de mémoire victimaires que les rues préexistantes qui mentionnent leurs éventuels bourreaux.

L’idée est consensuelle mais elle est aussi, à mon sens, réfléchie et féconde. Jean Marc Ayrault ne se contente pas de répondre à une énième revendication mémorielle ; il propose de redéfinir les codes de l’espace mémoriel. Ainsi, plutôt que de multiplier les monuments et les plaques commémoratives, plutôt que d’en détruire d’autres, il propose de donner un sens aux lieux préexistants.

Ne soyons pas dupes ! L’homme n’a jamais cessé de vouloir imprimer sa marque sur son époque. L’idée de Jean-Marc Ayrault s’inscrit donc logiquement dans une perspective de commémoration des victimes. Seulement, sa méthode invite au respect des interprétations précédentes de l’histoire. Plutôt que de faire table rase, il préfère jouer sur la mise en œuvre des éléments du passé au service d’une lecture contemporaine. On peut imaginer que dans plusieurs décennies, d’autres interprétations viendront se surimposer sur les précédentes, mais elles pourront peut-être s’approcher au plus près de la Vérité historique, car elles auront toujours le bénéfice des premières traces du passé qui n’aura pas été détruit.

 

Sur la route de Dijon

J’en arrive donc à l’affiche croisée dimanche 20 septembre à Dijon. Elle recouvre entièrement le panneau du « Boulevard Thiers » pour le remplacer par un « Boulevard Duval », présenté comme une victime du précédent :

 

  


Pour rappel, après une longue carrière politique qui lui fait traverser la Monarchie de Juillet, la Deuxième République et le Second Empire, Adolphe Thiers devient le premier Président de la Troisième République en 1871. Il est le responsable du gouvernement lors de la Commune de Paris et il donne l’ordre à l’armée d’exécuter plus de 25 000 communards durant le soulèvement. Cet épisode tragique de l’histoire de France est resté dans les mémoires comme la « Semaine Sanglante ».

Emile-Victor Duval est un illustre communard, élu au Conseil de la Commune dans le XIIIe  arrondissement. Le 3 avril 1871, il est nommé général de la Commune. Lors d’une offensive désastreuse en direction de Versailles où est réfugié Adolphe Thiers, il est arrêté et fusillé.

Si l’affiche n’est restée accrochée que quelques heures, son mystère reste entier. Elle n’est pas sans rappeler une pratique ancienne des anarchistes de Dijon qui s’étaient appliqués à renommer plusieurs rues de la ville durant quelques mois. Ainsi, quelques impasses avaient été rebaptisées « Capitalisme » et certains boulevards arboraient le nom des figures héroïques de l’anarchisme.

Pour l’heure, cette pratique est restée ponctuelle. Elle a le mérite de faire sourire et d’être pacifique. Ne serait-elle pourtant pas révélatrice de la naissance d’un nouveau prisme mémoriel ? Après les livres, les monuments et les commémorations, les murs de nos rues ne vont-ils pas bientôt être envahis par des idéologies concurrentes ? Les pouvoirs publics et les scientifiques ne devraient-ils d’ailleurs pas profiter de cette occasion pour investir ces nouveaux espaces d’histoire avant qu’ils ne soient appropriés par de nouvelles revendications mémorielles ?

A suivre…

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