Puisque les cinémas français semblent avoir reçu pour ordre de boycotter le dernier film de Gilles Perret (à la date du 14/10/09, soit 10 jours après sa sortie nationale, il est référencé
dans seulement 15 salles en France), il nous a semblé important d’en faire un compte-rendu afin que chacun sache qu’il
est important de voir ce film, quelque soit ses opinions politiques.
Les spectateurs dijonnais ont eu la chance, grâce au cinéma Eldorado de Dijon, de bénéficier d’une séance en avant-première et en présence du
réalisateur dans l’attente d’une programmation pour la fin du mois de novembre 2009.
Un pamphlet
Comme tout film engagé qui s’assume, Walter, retour en résistance est intéressant car il mène ces spectateurs à la réflexion. La critique trop facile (mais qui a au moins le mérite
d’exister) reproche à ce film d’être une entreprise « de propagande de gauche » (Lionel TARDY, député UMP de Haute-Savoie) ou bien d’utiliser « des procédés
d’idéologues, les mêmes qu’utilisaient les staliniens » (Bernard ACCOYER, Président de l’Assemblée Nationale). Ce que ces détracteurs oublient cependant trop facilement, c’est que la
comparaison ne tient pas quand les propos avancés sont publiquement assumés, voire revendiqués. Cela équivaudrait à condamner n’importe quel opposant politique au seul motif de son opposition (ce
qui pour le coup, renverrait l’accusation à son destinateur).
Il ne faut en effet pas plus de quelques secondes au spectateur averti pour comprendre qu’il s’agit d’un véritable pamphlet anti-sarkoziste. Walter Bassan ne prétend jamais représenter l’ensemble
des déportés. C’est une voix, parmi d’autres, qui s’exprime avec ses convictions de gauche, avec son expérience d’ancien militant CGT, mais aussi avec l’engagement républicain d’un citoyen de 82
ans qui consacre depuis près de vingt ans tout son temps et toute son énergie au service de la transmission de la mémoire.
Certaines scènes du film sont particulièrement touchantes lorsque, parcourant plusieurs centaines de kilomètres, Walter sillonne les routes des écoles, des collèges et des lycées où l’on veut
bien l’inviter pour parler de la guerre, de la résistance et de la déportation. Les spectateurs dijonnais ont d’ailleurs découvert dans leurs rangs deux jeunes filles, aujourd’hui étudiantes à
l’Université de Bourgogne, qui ont été scolarisées en Savoie et qui ont eu l’occasion de croiser Walter au cours de ces innombrables déplacements. C’est avec une émotion à peine dissimulée
qu’elles sont venues retrouver à travers cet écran l’homme qu’elles ont apprécié et qui les a initié au souvenir de la déportation. On ose alors imaginer le nombre d’adolescents savoyards qui ont
été sensibilisés à cette question grâce à l’action de Walter Bassan…
Les propos de monsieur Lionel TARDY, député UMP de Haute-Savoie, sont donc à mon avis intolérables lorsqu’il qualifie de « triste sire (…) un certain Walter BASSAN, 82 ans,
résistant communiste et militant CGT de son état ». Cette description à l’emporte-pièce signifierait donc que l’âge avancé et les opinions politiques de l’intéressé rendraient son
propos invalide et sans valeur. Dans la même logique, ne pourrait-on pas considérer que les propos d’un député de la majorité présidentielle devraient être passés au détecteur de fidélité
partisane et d’ambitions carriéristes ? Bien sûr que non ! Car on imagine qu’avant d’être sarkoziste, monsieur Tardy est un citoyen et un représentant du peuple. On imagine aussi
qu’au-delà des divisions partisanes, ce représentant est fier de compter parmi ces concitoyens un homme qui s’implique autant dans la formation des jeunes générations.
« Adieu 1945 »
Walter, retour en résistance n’introduit donc pas « des ferments de guerre civile » ; il ne sème pas « la haine » comme le prétend le Général
BACHELET, président de l’Association des Glières. C’est le portrait d’un homme porté par des convictions et qui prétend les faire entendre aussi fort qu’un ministre au journal de TF1.
Ce qui semble d’ailleurs déranger ses détracteurs, ce ne sont pas tellement ses idées, mais l’exceptionnelle efficacité rhétorique avec laquelle il les défend. Ces arguments sont simples, concis,
et efficaces : depuis deux ans, l’Etat détruit une à une toutes les valeurs et toutes les constructions issues de la Résistance.
Lorsque que c’est Denis Kessler, ex-président du MEDEF, qui l’affirme dans les colonnes de Challenges le 4 octobre 2007, cela ne pose alors aucun problème. Dans son article intitulé
« Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! », il explique sans gêne ni remord que :
« Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement
s'y emploie » (allez le lire, l’analyse est déconcertante).
Seulement, quand c’est un ancien résistant et déporté qui en parle, le ton monte. Walter Bassan dresse en effet la même constatation que Denis Kessler mais pour sa part il s’en émeut, il
s’en indigne (avec Stéphane Hessel, ancien résistant, ancien déporté, corédacteur de la charte universelle des droits de l’homme, ancien ambassadeur de France) et il entend résister à nouveau
contre cette attaque en règle des principes de la Résistance pour laquelle il s’est battu.
Pour ce faire, il pointe là où ça fait mal ; là, dans cet espace mi-obscur de notre lobe crânien, entre la raison et le sentiment ; oui, là, pile sur notre mémoire nationale !
A mort les résistants…
Car c’est tout de même un comble selon Walther Bassan d’appliquer une telle politique de destruction, tout en continuant à venir se recueillir régulièrement sur les hauts lieux de la résistance
française en rappelant les sacrifices de ces hommes et l’hommage national que nous devons continuer à leur rendre au nom de la Liberté. Le hasard du calendrier fait que monsieur Sarkozy vient
d’ailleurs de réaliser le 12 novembre 2009 le grand écart le plus impressionnant dans ce domaine à l’occasion d’un discours sur l’identité nationale à proximité du Mur des Fusillés de la Chapelle
en Vercors. Après avoir évoqué dans un style qu’il affectionne tant (voir notre article sur ce point) les
« villages bombardés, (…) maisons brûlées au lance-flammes, (…) maquisards massacrés, (…) civils assassinés… », il enchaîne sans transition sur la thématique de
l’identité nationale
C’est alors qu’il nous offre un moment d’anthologie qu’il serait difficile de ne pas livrer en entier sans trahir le sens :
« C’est toujours au moment où l’on va les perdre que l’on mesure la signification et l’importance de ces choses indéfinissables avec lesquelles on a tellement l’habitude de vivre que
l’on a l’impression qu’elles sont aussi naturelles que l’air que l’on respire. Nous vivons peut-être l’un de ces moments où les repères s’effacent, où l’identité devient incertaine, où nait le
sentiment que quelque chose qui nous est essentiel pour vivre est en train de se perdre. Tout semble concourir à l’aplatissement du monde » (voir le texte intégral).
A l’heure où la sécurité sociale française fait l’objet d’une « refonte » (comprenne qui voudra) par l’actuel gouvernement, il faut croire que les conseillers du président de
la République n’ont pas encore vu le film de Gilles Perret. Sinon, ils auraient peut-être modifié son discours. Car qu’on se le dise, si la nouvelle droite est dite « décomplexée » dans
son rapport à l’argent, au succès et au pouvoir, elle n’assume pas encore publiquement ce rejet des valeurs de la Résistance.
Censure ?
Juridiquement, le film de Gilles Perret est condamnable. Sa construction repose sur une interview exclusive de Bernard Accoyer qui s’insurge contre ce qu’il considère comme un
« amalgame » entre la Résistance et un débat politicien contemporain (en somme, le souvenir de la Résistance n’aurait droit de cité que dans les lieux de commémoration, pas au
palais Bourbon). Or, le président de l’Assemblée Nationale a fait appel à son droit à l’image pour censurer cette interview. Le réalisateur et la production ont décidé de passer outre en assumant
les poursuites judiciaires au nom de la liberté d’expression et du message qu’ils défendent.
Nous devons reconnaître qu’il s’agit là d’une indélicatesse un peu osée dans un monde politique impitoyable. Ce n’est d’ailleurs pas la seule limite de ce film parfois trop long, aux montages
quelquefois maladroits, et qui présente le défaut de ne montrer qu’un seul résistant là où le monde associatif est plutôt partagé.
Seulement, pour que ces critiques puissent être étayées, il faudrait que les français puissent voir le film, ce qui est actuellement difficile. En effet, les médias ont depuis sa sortie nationale
soigneusement évité d’en parler malgré l’importance de son message. D’ailleurs, il est fort probable que Bernard Accoyer ait renoncé à son droit à l’image afin d’éviter justement de faire une
publicité non désirée du film dans la presse. Depuis, sans raison rationnelle ou avouable, on constate que les cinémas décommandent la programmation du film, sur un simple coup de fil…
C’est pourquoi il me semblait important d’écrire cet article, non pas comme une reproduction d’un pamphlet politique (le film se suffit à lui-même) mais comme un appel à la liberté d’opinion et
d’expression. Que l’on soit d’accord avec Walter Bassan ou non, il est important qu’il puisse encore s’exprimer aujourd’hui au nom de la Liberté pour laquelle il s’est battu. Le refus de la
repentance ne doit pas, selon nous, s’accompagner d’un refus de l’histoire et de la mémoire. Henry Rousso nous l’a démontré depuis bien longtemps, c’est seulement par la réflexion (certes
douloureuse) que le passé passera…
En lien :
- Le site de la production du film pour organiser des projections et/ou se procurer le
futur DVD.
- Un compte-rendu de l’activité de l’association « Citoyens
Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui » qui se réunit désormais chaque année sur le plateau des Glières.