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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Cherche La Pépite

28 août 2010 6 28 /08 /août /2010 13:26

Au programme ce week-end, cet excellent article du Nouvel Obs qui s'associe à l'INA(Institut National de l'Audiovisuel) depuis quelques semaines pour inaugurer une nouvelle rubrique très intéressante.

L'objectif est d'apporter une perspective historique aux principaux sujets qui font l'actualité par l'intermédiairedes archives de la télévision. La méthode présente certes quelques limites car elle ne peut guère prétendre remonter le temps au-delà des années 1950. Néanmoins, elle me semble très enrichissante pour illustrer de façon simple et efficace comment des thématiques récurrentes peuvent provoquer des réactions parfois très différentes dans une société à quelques décennies d'intervalle. Ainsi, ce petit exercice sur le temps court apparaît finalement comme un excellent révélateur de l'accélération de l'histoire dans une société qui semble zapper les évènements au même rythme effréné que les 543 chaînes sur l'écran de son téléviseur. Il nous permet donc de nous interroger dans le cadre de ce blog sur l'évolution de la mémoire collective soumise à l'omniprésence, voire la surabondance, d'information.

L'exemple développé cette semaine concerne le discours sécuritaire en politique. Il permet d'illustrer la persistance de cette thématique dans l'affrontement droite/gauche en France et de montrer que les arguments des uns et des autres n'ont finalement guère évolué.

Et pourtant, à en croire un récent sondage, les français semblent développer sans cesse un sentiment d'insécurité toujours plus fort. N'est-il donc pas permis de penser qu'au-delà des vaines polémiques politiciennes, le principal responsable de ce sentiment qui ronge les citoyens et provoquent chez certains d'entre-eux des comportements et des jugements excessifs, c'est le discours politique lui-même qui se nourrit de surenchère ?

Bonne lecture et bon week-end : http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/politique/20100827.OBS9094/flash-back-quand-l-insecurite-s-invite-en-politique.html

 

PS : Autant que faire se peut, je m'efforcerai de relayer cette rubrique chaque semaine sur ce blog, tout en la commentant bien sûr.  

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25 août 2010 3 25 /08 /août /2010 08:58

A quelques jours de la rentrée, je poursuis mon album mémoriel estival avec un brin de nostalgie ! Eh oui, déjà, la mémoire fait son oeuvre...

Aujourd'hui, il s'agit d'évoquer un lieu de mémoire mal connu : le Carrefour des Maréchaux à Verdun.

 

L'histoire d'une mémoire trop volumineuse

L'histoire singulière de ce lieu mérite déjà quelques précisions. Le projet semble naître dans l'entre-deux guerres. Cette information n'est pas sans conséquence si l'on considère comme moi que le temps historique peut être divisé en périodes mémorielles significatives qui contribuent à la compréhension d'une société donnée.

Dès lors, dans ce découpage théorique du temps qu'il conviendrait d'affiner, la mémoire se distingue sensiblement de son acception contemporaine. Tandis qu'on s'accorde pour voir apparaître une "mémoire victimaire" depuis le début des années 1970 (voir à ce sujet l'article consacré à un colloque dont les actes sont en préparation), l'époque immédiatement précédente semble s'illustrer par une mémoire davantage "héroïsante" : c'est certes le temps des "gueules cassées", de l'érection des premiers monuments aux morts, mais c'est aussi le temps de la chambre dite "bleu horizon" qui entend défendre avec vigueur le souvenir de ses combattants tombés en héros sur le champ de bataille (voir la thèse d'Antoine Prost, Les Anciens Combattants et la société française (1914-1939)).

L'entre-deux guerres est également une période qui se distingue dans son rapport avec l'armée et la guerre. Bien que le soutien américain ait été essentiel pour mettre fin au premier conflit mondial, l'armée française jouit encore d'un prestige international non négligeable depuis 1918 et elle entend bien le rappeler afin d'effacer au plus vite des mémoires la défaite de 1870. Il n'est pas anodin également de constater qu'on parle encore à l'époque du Ministère de la Guerre et non pas comme aujourd'hui du Ministère de la Défense.

C'est donc dans ce contexte que naît l'idée de rendre hommage aux maréchaux de France en leur consacrant à chacun une statue monumentale qui devait trouver sa place dans des niches prévues à cet effet au musée du Louvre dans la façade de la rue de Rivoli à Paris. Cependant, par une erreur d'inattention presque trop énorme pour être vraisemblable, les concepteurs étourdis se sont aperçus avec un peu tard que l'honneur mémoriel immense qu'ils réservaient aux militaires était incompatible avec la modestie des emplacements réservés dans la façade. D'autres statues plus petites ont donc été commandées tandis que les précédentes étaient stockées au fond d'une réserve.

statue-marechal-Jourdan-rivoli.jpgStatue du Maréchal Jourdan rue de Rivoli à Paris

 

Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale que le maire de Verdun, François Schleiter, se souvient de ces statues qu'il entend bien exposer dans sa ville qui continue à s'affirmer dans la mémoire nationale comme le symbole d'une des plus grandes batailles militaires.

Après quelques péripéties et obligations administratives, les statues sont enfin installées et visibles en plein air par le public au lieu qui devient dès lors le Carrefour des Maréchaux.  

 

La mémoire sélective de héros nationaux

Lors de ma découverte de ce lieu de mémoire, mon incompétence en histoire militaire est devenue flagrante. Il m'était alors impossible de savoir si tous ces Maréchaux avaient uniquement un lien avec la Première Guerre mondiale. Il est d'ailleurs regrettable que la municipalité n'ait pas pensé à ajouter un panneau explicatif car en l'état, le lieu ne fait pas sens immédiatement. Nonobstant, un de mes premiers réflexes a été de chercher si je pouvais trouver dans cette galerie des hommes d'armes illustres l'un des plus polémiques, mais aussi l'un des plus connus : le Maréchal Pétain. Ma recherche est restée vaine...

C'est pourquoi dès mon retour à Dijon, j'ai voulu éclaircir la logique d'organisation de ce lieu de mémoire un peu particulier.

J'ai tout d'abord appris que la République française considérait cet endroit comme un véritable "lieu de mémoire", recensé comme tel sur le site gouvernemental des Anciens Combattants.

J'ai ensuite appris que 16 statues étaient regroupées en hommage aux grands militaires de l'Empire, de la guerre de 1870 et de la Première Guerre mondiale. Il s'agit de Cambronne, Caulaincourt, Clauzel, Daurelles de Padalines, Exelmans, Fayolle, Franchet D'esperey, Gallienni, Junot, La Ronciere, Lobau, Marbot, Margueritte, Maunoury, Mortier et Serurier.

Pour tenter de comprendre la logique de cette liste, il faut s'attarder quelques instants sur le dénominateur commun des hommes représentés qui sont tous maréchaux. Le maréchalat de France est la plus haute distinction militaire française. Le titre de Maréchal apparaît à l'époque médiévale mais sa fonction évolue énormément au cours du temps et des souverains. Le maréchalat est aboli par la Convention le 21 février 1793 mais le sénatus-consulte du 18 mai 1804 rétablit des "Maréchaux d'Empire". Avec la Restauration, les maréchaux d’Empire deviennent "Maréchaux de France". C'est ce titre qui existe encore aujourd'hui bien qu'il soit utilisé avec davantage de parcimonie. Ainsi, aucun militaire n'a été honoré de cette distinction depuis la présidence de François Mitterrand et plus aucun Maréchal n'est encore vivant actuellement.  

Les premiers Maréchaux qui apparaissent dans la liste précédemment mentionnées sont donc ceux qui se sont illustrés sous Napoléon Ier. Il s'agit d'Adolphe ÉdouardCasimir Joseph Mortier et de Jean Mathieu Philibert comte Sérurier. Seuls deux Maréchaux sont donc représentés parmi les 26 généraux qui ont été élevés à la dignité de Maréchal par l'Empereur.

Les suivants dans l'ordre chronologique sur notre liste ont été honorés par Louis Philippe Ier. Il s'agit de Bertrand, comte Clauzel et de Georges Mouton, comte de Lobau. On s'étonne alors que le site gouvernemental cité précédemment affirme que ces maréchaux se sont illustrés uniquement sous l'Empire, la guerre de 1870 et la Première Guerre mondiale puisqu'il apparaît en fait que quelques uns ont été reconnus par la monarchie de Juillet.

Le comte Exelmans est quant à lui honoré par Napoléon III alors qu'il était encore Président de la République. Daurelles de Padalines et Margueritte seraient également devenus Maréchaux sous le Second Empire et le début de la Troisième République.

Joseph Simon Gallieni, Louis Félix Marie François Franchet d'Esperey, Marie Émile Fayolle, et Michel Joseph Maunoury sont enfin devenus maréchaux sous le Président Alexandre Millerand à la suite de la Première Guerre mondiale.

Statue du Maréchal Maunoury sur le carrerou des Maréchaux à Verdun

Statue du Maréchal Maunoury sur le carrerou des Maréchaux à Verdun

  

Pour une raison encore inconnue, nous n'avons pas retrouvé la trace des autres mentionnés sur le site du Ministère de la Défense, à savoir Cambronne, Caulaincrout, Junot, La Roncière et Marbot. Il semblerait que ces derniers n'apparaissent pas dans les listes des maréchaux de France car ils ont été en fait des Maréchaux de camp, un grade militaire certes prestigieux mais disctinct de ceux que nous avons évoqué jusqu'à présent.

En bref, on s'aperçoit au terme de cette rapide analyse qu'une confusion générale règne autour de ce lieu de mémoire, ce qui explique peut-être que la municipalité ait renoncé à l'élaboration d'un document de présentation cohérent. Difficile de trouver une logique dans le choix des militaires représentés, mais encore plus difficile de justifier certains absents.

 

Sur Internet, un de mes collègues blogueur apporte quelques éléments d'information concernant l'un des plus prestigieux : le Maréchal Joffre.Selon lui, la galerie comportait au départ 17 statues, mais celle de Joffre aurait mystérieusement disparu durant le transport entre Paris et Verdun. Or, depuis 1960, personne n'aurait retrouvé la trace de cette sculpture de 3 tonnes !... Quoiqu'il en soit, on se demande également pourquoi une copie de cette statue n'a pas non plus été demandée.

J'aimerais enfin pour terminer poser également la question de l'absence du Maréchal Pétain. D'un point de vue purement historique, on peut en effet légitimement s'interroger puisqu'avant de devenir le chef d'Etat controversé du régime de Vichy, il a d'abord été considéré comme le vainqueur de la bataille de Verdun. Il reçoit d'ailleurs son titre de Maréchal le 19 novembre 1918 en récompense de son action durant la Première Guerre mondiale. Dès lors, pourquoi ne pas l'avoir ajouté à cette galerie ? D'autant plus lorsqu'elle est transférée à Verdun, haut lieu mémoriel de ce conflit.

Mon objectif n'est pas ici de prendre la défense d'un homme dont les actions sont indéniablement tâchées d'actes, d'ordres et de pensées détestables. Néanmoins, je m'interroge sur la condamnation mémorielle dont il fait l'objet. Son action ultérieure en tant qu'homme politique suffit-elle à justifier l'oubli de l'ensemble de sa carrière militaire ? Au contraire, ne peut-on pas considérer qu'il est important de connaître l'homme pour mieux condamner son action (et peut-être ainsi éviter que tout ceci ne se reproduise) ?

J'ai parfois l'impression en constatant certaines formes d'ostracisme mémoriel de retrouver l'époque impériale romaine durant laquelle les empereurs pouvaient décider de la damnatio memoriaede certains prédécesseurs et/ou opposants politiques (voir, entre autres à ce sujet, Benoist S. et Lefebvre S., « Les victimes de la damnatio memoriae : méthodologie et problématiques », Congrès de Barcelone-AIEGL,septembre 2002, Barcelone, 2008). Certes, la situation n'est pas strictement comparable au risque d'entraîner de dangereux anachronismes. Cependant, il serait peut-être bon se s'interroger aussi sur notre époque contemporaine pour comprendre comment, à défaut d'un ordre clair émanant du prince, un consensus social est en mesure de s'installer pour organiser progressivement l'oubli d'un homme qui a pourtant marqué l'histoire.

 

Ajout du 28/10/2010 : Je me permets d'amender tardivement ce texte à partir  de quelques informations complémentaires fournies par un professeur ayant compté dans mon cursus : "Votre question finale sur l'absence de Philippe Pétain me paraît très pertinente. Il y a là un grand indicible de la mémoire française : comment le "sauveur de la Patrie" de 1918 peut-il être en même temps l'homme de Montoire ? C'est une des raisons, je crois, qui rend le discours sur 1914 si délicat chez nous -rien de tel en Angleterre, par exemple. On pourrait ici faire l'histoire des débats infinis autour du rapatriement des restes du "vainqueur de Verdun" à Douaumont. Je me contente de vous signaler une façon de faire qui m'avait paru pertinente : c'était en 2002, pour la grande exposition"Les saints-cyriens : vocation et destinées" destinée à célébrer, aux Invalides, le bicentenaire de l'Ecole. Une section s'intitulait "Les grands commandements" et rassemblait notamment, dans une vitrine, les bâtons de maréchal de tous les cyrards devenus maréchaux de France : celui de Pétain s'y trouvait, parmi les autres. Et c'était normal, et même nécessaire : dans la série historique des maréchaux, il est définitivement inscrit. Prétendre l'en ôter, c'est récrire une histoire commode, sans ombres, où tout finit bien, comme dans les contes. Mais non : il y a des maréchaux qui vont à Vichy, puis à l'île d'Yeu. C'est pour cela que je trouve importante la question que vous soulevez. Il y a une certaine objectivité de l'histoire, que dissout le sentimentalisme larmoyant à la mode".

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21 août 2010 6 21 /08 /août /2010 12:01

 

De retour de vacances, je rapporte dans mes valises de nouveaux sujets d'articles. La période estivale est en effet propice à la découverte de nombreux lieux de mémoire qui m'ont conduit cette année dans l'Est de la France, puis dans le Sud et enfin en Italie. La prochaine série d'articles sera donc essentiellement consacrée à des réflexions pérégrines au gré des découvertes mémorielles.

Et tout d'abord, je souhaiterais inaugurer une nouvelle rubrique que je dédicace à Monsieur et Madame Lenelle, fidèles lecteurs de ce blog, qui m'ont invité à passer un très agréable et instructif séjour dans la région de Verdun.

 

Cette rubrique intitulée "Mémoire de musées" fait appel à l'interactivité des lecteurs de ce blog qui pourront me communiquer à l'envi leurs expériences de visite des musées dans toute la France et à l'étranger. L'objectif est d'illustrer l'omniprésence de la mémoire dans les projets muséographiques anciens et récents. En somme, il s'agit d'exercer une lecture mémorielle critique du récit historique proposé dans des lieux considérés comme pédagogiques et ouverts au grand public. Comme toujours dans ce blog, il n'est pas question de porter un jugement gratuit sur un lieu, une pratique ou une opinion, mais plutôt de proposer une autre lecture ou bien de souligner avec respect d'éventuels abus dans l'écriture d'une histoire parfois un peu trop officielle. Et qui sait ? Peut-être qu'avec votre aide, nous encouragerons certains musées à réfléchir de nouveau sur leux expositions...

 

Les photographies proposées dans cet article ont été prises en juillet 2010 au Centre Mondial de la Paix, des Libertés et des Droits de l'Homme à Verdun. Le titre est un peu ronflant. D'autant plus que malgré la qualité de son espace et de l'exposition, le site de l'ancien palais épiscopal de Verdun s'avère vraiment modeste pour une réelle ambition internationale. Disons plus honnêtement que ce centre permet à la ville de Verdun d'attirer dans son centre des touristes et visiteurs qui pour la plupart se contentent de passer par les champs de batailles, les forts et les musées situés dans un rayon de 10 km sans s'arrêter dans la ville qui donne son nom à la célèbre bataille de 1916.

Quoique modeste, ce centre est très bien conçu et résume de façon pédagogique et actualisée les principales problématiques autour des thématiques de guerre et de paix.

L'une des salles est bien entendu consacrée à la construction européenne (il n'aura échappé à personne que le site Internet est d'ailleurs hébergé par un nom de domaine en "eu"). Les institutions européennes sont ainsi louées pour avoir mis fin à une longue série de conflits armés sur le continent, notamment entre la France et l'Allemagne (d'où le choix judicieux de Verdun).

Cette considération mériterait d'être discutée, ou pour le moins nuancée, même si nous convenons qu'un espace muséographique n'est pas le lieu le plus adéquat pour illustrer la complexité des nuances de l'analyse historique. C'est pourquoi nous nous contenterons de renvoyer à toute une série d'ouvrages récents qui, à l'occasion d'une question sur la construction européene posée dans le cadre du concours de recrutement des professeurs d'histoire-géographie, traite de ce sujet de façon plus détaillée et précise que le projet européen n'a pas été d'emblée considéré comme la meilleure solution pour éviter d'autres guerres mondiales.

 

Ce qui étonne davantage et plus directement, ce sont les erreurs et les abus qui se sont glissés dans cette salle.

Tout d'abord, un premier panneau constitue une frise chronologique ayant pour principe de montrer un cheminement quasiment inéluctable de la construction européenne par l'utilisation de la symbolique d'une route empruntée par différents engins motorisés. Cette simple mise en scène pose déjà un problème méthodologique puisqu'elle suppose une lecture téléologique de l'histoire. Elle devient ensuite carrément problématique quand on s'aperçoit que la date de création de la Politique Agricole Commune (PAC) mentionnée sur ce panneau est 1968 et non pas la date réelle de 1962.

Centre mondial de la paix à Verdun

Centre mondial de la paix à Verdun

 

La situation se complique un peu lorsque dans cette même salle, on se retourne pour tomber nez-à-nez devant un nouveau panneau consacré aux précurseurs de l'Europe.  Parmi eux figure Winston Churchill.

Les précurseurs de l'Europe

Winston Churchill :

Encore une fois, la méthode ne manque pas de classe (on mobilise ainsi des autorités morales) mais elle dissimule en fait un présupposé idéologique un peu gênant qui voudrait que les grands hommes du XIXe et du XXe aient appelé de leurs voeux une construction européenne qui aurait tardé à venir.

   - D'une part, on pourrait trouver au moins autant d'intellectuels qui ont rejeté cette perspective.

   - D'autre part, il me semble plutôt maladroit de faire appel à Winston Churchill qui est certes considéré comme l'un des plus grands hommes de notre époque, et qui a réellement prononcé cette phrase dans son célèbre discours du 19 septembre 1946 à Zurich lors du congrès de Zurich.

discours-churchill-Zurich.jpg

Cliquez sur l'image pour entendre le discours de Winston Churchill (en anglais)

Très précisément, voilà quels ont été les mots de Churchill :

"En quoi consiste ce remède ? <à la guerre> Il consiste à recréer la famille européenne, cela dans la mesure du possible, puis de l’élever de telle sorte qu’elle puisse se développer dans la paix, la sécurité et la liberté. Il nous faut édifier une sorte d’Etats-Unis d’Europe. Ce n’est qu’ainsi que des centaines de millions d’êtres humains auront la possibilité de s’accorder ces petites joies et ces espoirs qui font que la vie vaut la peine d’être vécue".

 

Ce que les concepteurs de ce panneau ont oublié de préciser, dans leur volonté inébranlable de faire l'apologie de l'Europe, c'est que lorsqu'il évoque ce projet ambitieux, Winston Churchill n'a aucunement l'intention d'y intégrer le Royaume-Uni dont il a été Premier Ministre de 1940 à 1945. Au contraire, il prend l'exemple de son pays pour tracer une voie parallèle, et non pas commune, à l'Europe :  

"Il existe déjà un tel groupement d’Etats dans l’hémisphère occidental. Nous autres Britanniques, nous avons le Commonwealth. L’organisation du monde ne s’en trouve pas affaiblie, mais au contraire renforcée et elle y trouve en réalité ses maîtres piliers. Et pourquoi n’y aurait-il pas un groupement européen qui donnerait à des peuples éloignés l’un de l’autre le sentiment d’un patriotisme plus large et d’une sorte de nationalité commune ?"

 

On peut dès lors douter de la pertinence d'inclure la figure de Winston Churchill dans ce tableau consacré aux "précurseurs de l'Europe". Mais on comprend vite que dans cette salle, le Centre Mondial de la Paix, des Libertes et des Droits de l'Homme a en fait pris quelques libertés avec l'Histoire pour mieux honorer la mémoire de l'Europe.

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30 juillet 2010 5 30 /07 /juillet /2010 14:00

 

A trop vouloir gloser sur la mémoire nationale et les mécanismes complexes de la construction mémorielle collective, on oublie parfois un peu vite que la mémoire se conjugue aussi à l’échelle communale, voire à celle d’un quartier, et qu’elle révèle des enjeux tout aussi importants.

 

Un quartier particulier

C’est le cas à Dijon en Bourgogne où est né depuis  2009 un projet intitulé tout simplement « Mémoire de quartier ».  Initié par le Centre Social du quartier de la Fontaine-d’Ouche, cette action s’inscrit dans le cadre d’un vaste et ambitieux chantier de rénovation urbaine.

 

 

Laurent Grandguillaume, Adjoint au Maire de Dijon et Conseiller général de Côte-d'Or,  présente la rénovation du quartier Fontaine-d'Ouche.

 

Le quartier de la Fontaine-d’Ouche n’est pas exactement un quartier comme les autres. Géographiquement excentrée par rapport au site historique de Dijon, la zone s’est essentiellement développée après les années 1945 dans le cadre d’un programme national d’urbanisme mettant en place les fameuses Zones à urbaniser en priorité (ZUP). Ainsi, le paysage est en fait principalement constitué de grands ensembles construits à l’époque dans l’urgence et qui font aujourd’hui l’objet de toutes les critiques. Accueillant au départ des familles issues de l’exode rural et devant faire face à la croissance démographique inégalée du baby-boom, ces logements se sont vite délabrés et sont devenus les principaux lieux d’accueil des populations immigrées et/ou en difficultés économico-sociales. Ces quartiers finalement récents dans l’histoire urbaine française sombrent dès lors assez rapidement dans une représentation spatiale négative que les médias relaient souvent sous le terme générique et désormais stigmatisant de « banlieue ». 

panorama Fontaine d'Ouche En arrière-plan, les tours d'habitation du quartier Fontaine-d'Ouche

 

C’est le cas du quartier de Fontaine-d’Ouche qui est, avec celui des Grésilles, l’un des plus multiculturels de la ville de Dijon. C’est en qualité de quartier considéré comme "sensible" que ce dernier s’inscrit dans le programme national de rénovation urbaine. Les habitants eux-mêmes sont conscients de cette image négative et c’est pourquoi les élèves du collège Rameau, dans le cadre d’un projet scolaire très intéressant sur l’histoire et la mémoire de leur quartier, partent d’un constat assez simple : « Le collège Rameau et le quartier de Fontaine d’Ouche sont victimes d’une mauvaise image ».

 

Dans ces conditions, la rénovation urbaine est considérée pour beaucoup comme une chance pour l’avenir et la revalorisation de l’image du quartier… mais de quel quartier ?

 

« Mémoire de quartier » : un projet populaire

Ce projet a véritablement été initié par les habitants, et plus particulièrement par le Centre Social du quartier. Il est essentiellement coordonné par Pascale Cadouot et rassemble une multitude de micro-actions telles que des expositions, spectacles, représentations théâtrales, etc. Il s’inscrit dans le prolongement de la rénovation urbaine qui devrait prendre fin en 2012.

Le constat initial et son fil conducteur sont simples : le visage du quartier va être profondément modifié d’ici 2012 ; comment conserver malgré tout une trace de son identité ?

 

Pour les besoins de cette enquête, j’ai rencontré les initiateurs et animateurs de l’une des actions entreprises dans le cadre du projet : les artistes Allan Ryan et Matthieu Louvrier.

Depuis plusieurs mois, ils animent un atelier de création artistique visant à réaliser une fresque murale sur un pont (avenue du Lac). Leur travail a comporté plusieurs étapes :

                - d’abord, une phase d’enquête durant laquelle les habitants leur ont livré plusieurs témoignages et anecdotes sur la vie du quartier depuis plusieurs décennies.

                - ensuite, des ateliers artistiques ont été organisés afin de réfléchir avec les usagers quotidiens de cet espace social aux meilleures façons de l’aménager et de représenter la mémoire du quartier.

                - enfin, depuis le début du mois de juillet, les habitants sont invités à participer à la réalisation de cette fresque murale sous le regard et les conseils du plasticien Matthieu Louvrier.

 

Au total, ce sont près de 100 personnes qui ont été associées de près ou de loin à l’une des étapes de ce beau projet. L’œuvre en cours de finalisation est composée de plusieurs panneaux représentant respectivement une idée.

 

DSCF3182.JPG Vue d'ensemble de la première partie de la fresque qui s'étend sur toute la longueur du pont

DSCF3175-copie-1.JPG

DSCF3174.JPG DSCF3178.JPG

 Quelques vues détaillées de la fresque, représentant notamment les esquisses architecturales du quartier, les cours d'eau et l'ombre du Chanoine Kir

 

Un nouveau lieu de mémoire ?

Une telle réalisation est à mon sens riche de sens et d’enjeux. Si l’on veut bien prendre le temps de mettre en perspective ce micro-évènement avec nos connaissances actuelles sur la mémoire, l’exemple local devient une formidable source de réflexion.

 

Il convient tout d’abord de s’interroger sur le contexte de son apparition. La mémoire, selon Pierre Nora, est une « histoire totémique » (opposée à l’histoire critique scientifique). En somme, c’est une représentation émotionnelle du passé par un individu ou un groupe qui, par l’intermédiaire de cette remémoration subjective,  tente de faire passer un message plus ou moins conscientisé.

Dans le cadre du projet « Mémoire de quartier », on peut considérer sans trop prendre de risque que la mémoire est ici la manifestation d’une angoisse évidente face aux travaux de rénovation urbaine. Quand les bulldozers entrent dans le quartier pour faire tomber les tours de béton et modifier l’organisation des lieux de sociabilité publique, ce n’est pas seulement le paysage urbain qui est touché mais c’est l’ensemble de l’identité locale qui est affectée.

Par cette fresque, ce sont finalement des « traces » de leur présence que les habitants du quartier veulent pérenniser.

 

Une telle constatation nous permet ainsi de comprendre que les enjeux qui entourent ce projet ne sont pas aussi anodins qu’ils pourraient paraître au premier abord.

D’un point de vue social, il traduit la crainte d’une population qui comprend que son quartier change et qui s’interroge sur la place qui lui sera dévolue au sein de ce nouvel espace dans un avenir proche.

L’interrogation est d’ailleurs largement justifiée. Généralement annoncées comme une solution aux difficultés d’un quartier dit « sensible », les opérations de rénovations urbaines ne manquent pas de publicité pour vanter les bienfaits du nouveau centre-commercial flambant neuf ou des nouvelles crèches construites à proximité. Or, les géographes manquent encore de statistiques fiables pour étudier les conséquences démographiques de ces opérations immobilières. Pour l’instant, nous ne pouvons que constater l’augmentation générale des loyers qui suit directement la rénovation et nous interroger sur la réelle possibilité pour certaines catégories de population à pouvoir s’y maintenir.

Ces constations pourraient alors conduire à d’intéressantes discussions sur les implications idéologiques que de telles politiques supposent, qu’elles soient appliquées par des municipalités dites « de gauche » ou « de droite ». Nous laisserons pourtant cette réflexion à la liberté du lecteur.

 

Dans le cadre de ce blog, nous nous contenterons d’évoquer les conséquences sociétales de cette construction mémorielle locale qui constituent déjà un axe de réflexion éminemment heuristique. On s’aperçoit alors que la mémoire, même à cette échelle locale, est productrice de communautarisme.

Au-delà des traits les plus évidents sur l’histoire du lieu, les artistes ont en effet constaté ponctuellement l’émergence de discours ambigus qui, sous prétexte d’une rénovation urbaine, entendaient encourager la redécouverte des "vraies racines" du quartier avant que d’autres ne viennent les subvertir. Hélas, les auteurs de ces propos ne se rendent pas toujours compte qu’ils sont eux aussi « les autres » selon le point de vue adopté.

C’est pourquoi je me suis étonné au cours de cette enquête qu’une place plus grande ne soit pas accordée à la notion de « diversité » aux côté de la notion de « mémoire ». C’est pourtant la voie qui a été choisie par d’autres projets similaires ailleurs en France. Ainsi, dans les villes d’Aulnay-sous-Bois, Cholet, Rosny-sous-Bois, et bien d’autres, la « Mémoire de quartier » se décline généralement plutôt sous la forme d’une action qui, autour de l’histoire d’un lieu de vie commun, invite les habitants à se rassembler pour mettre en valeurs ce qui les rapproche plutôt que ce qui les différencie.

 

La ville de Dijon n’est pourtant pas restée indifférente à ce projet. Aux différents stades de la réalisation, différentes personnalités municipales se sont succédées aux réunions et sur le chantier.  Dans le cahier des charges, la commission de quartier a d’ailleurs imposé aux artistes l’évocation de plusieurs mots-clefs censés représenter le quartier.

Si l’on peut tout à fait  comprendre que la municipalité ne souhaite pas voir apparaître sur les murs de la ville des inscriptions dont elle ne pourrait pas avoir le contrôle, on peut aussi s’interroger sur ce qui peut être considéré comme une forme de censure de la production artistique. La comparaison est certes provocante mais tout de même, n’est-il pas possible de penser que la municipalité protège l’écriture de son récit local, comme l’Etat protègerait son récit national face aux éventuelles revendications identitaires polymorphes ? Ainsi, de la fresque de l’Avenue du Lac de Dijon aux représentations idéelles de l’Histoire de France par les institutions républicaines, il n’y aurait qu’une étape parfois pas si éloignée. C'est pourquoi le discours d’inauguration prévu au mois de septembre 2010 est attendu avec impatience.

 

A ce stade de la réflexion, on peut seulement regretter qu’une réflexion plus large n’ait pas été menée (ou du moins n’apparaisse pas directement) autour de ce projet, sur ses conséquences immédiates et à venir. A n’en pas douter, le recours à une consultation plus régulière sur les questions mémorielles ou bien même l'existence d’un chargé de mission mémoire (comme nous l’avons précédemment mentionné dans la ville de Lyon) aurait probablement permis d’approfondir quelque peu l’étude initiale du projet.

En l’état actuel, le travail formidable déjà mené par le Centre Social du quartier Fontaine-d’Ouche, les artistes Allan Ryan et Matthieu Louvrier, ainsi que les nombreux participants aux multiples actions du projet « Mémoire de Quartier » doit néanmoins être souligné.  

 

Nota bene : à la suite de l'édition de cet article, Laurent Grandguillaume nous a fait l'honneur de lire cet article et d'apporter quelques informations supplémentaires :

"Merci et bravo pour cet article. Une petite précision, ce projet de fresque a été initié par la commission de quartier dans le cadre du budget participatif (budget de 40.000 euros par an, cette année seront également réalisés des panneaux ...éducatifs sur la faune et la flore le long du ruisseau, une aire de jeux pour les enfants à la combe) et non pas par une structure de quartier en particulier. Les thèmes ont été définis par un groupe de travail issu de la commission de quartier, groupe de travail composé d'habitants, de services techniques municipaux, d'élus de quartier et de représentants de l'association choisie pour réaliser la fresque et pour associer les habitants à cette réalisation. La fresque traite d'ailleurs du passé et du présent car le quartier de Fontaine d'Ouche a de nombreux atouts dont son environnement (lac Kir, ruisseau, combe, ...etc ). "Mémoire de quartier" regroupe d'autres actions, financées également par la ville de Dijon et pilotées par l'équipe du centre social, sur le quartier comme l'exposition réalisée récemment par le collège Rameau ou le film réalisé à l'école Alsace avec l'association Label Épique. Vous pourriez compléter votre texte par le contrat de quartier qui vise à agir sur l'humain en complément de l'urbain et qui a été réalisé à partir d'une large consultation et concertation".

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 15:09

Le 30 juin 2010, l’association Les Oubliés de la mémoire annonçait par communiqué de presse l’aboutissement d’un projet de longue haleine visant à inaugurer « une plaque à la mémoire des victimes de la barbarie nazie, déportées pour motif d’homosexualité dans le camp du Struthof ».

 Nous nous réjouissons d’une telle issue pour un projet compliqué qui a nécessité plusieurs années de tractations. Néanmoins, dans l’attente d’une inauguration annoncée le 25 septembre 2010, quelques questions méritent d’être esquissées autour des enjeux et de la portée d’un tel évènement.

 

Pourquoi au Struthof ?

L’appellation « Struthof » est  en fait un raccourci un peu rapide. Il faudrait, pour être tout à fait rigoureux, parler du camp de Natzweiler-Struthof (comme le fait notamment Robert Steegmann dans une étude récente considérée encore actuellement comme la référence sur ce lieu).

Steegmann-Le-camp-de-Natzweiler-Struthof.jpg

Ouvert par les nazis en 1941, c’est aujourd’hui le seul camp de concentration sur le territoire français. Il convient néanmoins de prendre des précautions quant à la caractérisation nationale de ce lieu. Il se situe en Alsace-Moselle, cette portion de territoire stratégique tant disputée par la France et l’Allemagne depuis le XIXème siècle. En 1941, le Reich annexe à nouveau cet espace qui est alors considéré comme une véritable région allemande. A cette époque, il s’agit donc d’un camp nazi parmi d’autres. Ce n’est qu’au moment de la libération et du retour de l’Alsace-Moselle dans le territoire national que la gestion du camp passe sous autorité française. Il faut donc bien prendre conscience dans ce cas précis d’une situation particulière (et parfois ambigüe) dans laquelle la France hérite d’un lieu fortement marqué par l’histoire allemande mais qui est progressivement devenu un lieu de mémoire européen.

L’attention des associations s’est portée sur ce camp car, par sa proximité avec la nouvelle frontière française, certains historiens ont longtemps considéré qu’il avait pu être un lieu d’accueil privilégié pour les déportés français.

Plus précisément pour le sujet qui nous intéresse, le rapport Mercier de 2001 pour la Fondation pour la Mémoire de la Déportation concernant « la déportation d’homosexuels à partir de la France dans les lieux de déportation nazis durant la Seconde Guerre mondiale au titre du motif d'arrestation n°175 » portait quasiment exclusivement son attention sur les « inscriptions des registres allemands du K.L.(camp de concentration) Natzweiler-Struthof et du Sicherungslager (camp de sûreté) Schirmeck ».

De plus, le célèbre témoignage de Pierre Seel qui a fortement influencé la construction mémorielle française de la déportation pour motif d’homosexualité s’inscrit également dans cette géographie. Le seul déporté français pour motif d’homosexualité s’étant fait publiquement connaître (et reconnaître) a en effet été envoyé au camp de Schirmeck en 1941 (Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, p. 43).

 Néanmoins, les dernières recherches menées par Arnaud Boulligny (toujours pour la Fondation pour la Mémoire de la Déportation) ont démontré que la majorité des déportés pour motif d’homosexualité détenus dans ce camp n’étaient pas de nationalité française. En l’état actuel des recherches ont peut considérer que la plupart des homosexuels français ont été arrêtés sur le territoire du Reich (hors Alsace-Moselle) et qu’ils ont été essentiellement condamnés à des peines de prison purgées en Allemagne. (Les conclusions des recherches de cet historien doivent être publiées à la rentrée dans un ouvrage que je dirige).

Quoiqu’il en soit, si l’on considère qu’un lieu de mémoire doit être en adéquation avec un lieu de référence historique, on peut considérer que le camp de Natzweiler-Struthof est probablement le plus pertinent.

 

 Existe-t-il d’autres lieux de mémoire pour la déportation des homosexuels français ?

Comme je l’ai déjà évoqué précédemment sur ce blog, une rue Pierre Seel a été inaugurée le 23 février 2008 à Toulouse, son dernier lieu de résidence. Déjà, l’association Les Oubliés de la Mémoire était à l’origine de ce projet qui a trouvé un accueil favorable auprès d’une municipalité plus attentive que jamais à la veille d’une échéance électorale serrée.  

Plus récemment, le 15 mai 2010, une nouvelle plaque était inaugurée à Mulhouse, ville natale de Pierre Seel. Cette fois-ci, le texte mentionne certes Pierre Seel, mais il fait également référence aux « autres Mulhousiens anonymes arrêtés et déportés pour motif d’homosexualité ».

Une telle précision n’est anodine. Elle constitue une étape dans la reconnaissance officielle nationale de la déportation pour motif d’homosexualité en France. Il ne s’agit plus seulement en effet de commémorer la mémoire d’un seul homme, mais de l’élargir à d’autres (ici dans le cadre municipal). On peut néanmoins s’interroger sur la légitimité d’une telle inscription puisqu’a priori,  la mention « anonymes » signifie bien que nous ne connaissons pas d’autres Mulhousien déporté pour un tel motif et qu’il est peut-être même possible qu’aucun autre Mulhousien ne l’ait été…

 L’inscription projetée pour la plaque commémorative envisagée dans le camp du Struthof est la suivante :

« À la mémoire des victimes de la barbarie nazie, déportées pour motif d’homosexualité »

Elle s’inscrit dans le cheminement que nous avons signalé précédemment : celui d’une reconnaissance toujours plus large. Le texte est en effet une référence une référence explicite à la vocation européenne du lieu de mémoire.

L’ambition est louable mais elle pose question : il n’aura pas échappé au lecteur attentif qu’entre l’échelle locale et internationale, le chainon manquant se situe précisément au niveau qui a toujours posé le plus de problèmes : l’échelle nationale ! Les négociations ayant permis de dénouer ce dossier bloqué depuis plusieurs années n’ont pas été rendues publiques. Ne peut-on donc pas considérer qu’elles sont le fruit d’une stratégie d’évitement qui consiste à reconnaître la réalité d’une déportation des homosexuels à l’échelle européenne (que personne n’a jamais niée) pour mieux passer sous silence la réalité d’une déportation des homosexuels à l’échelle française (qui en revanche pose débat depuis longtemps). Une telle méthodologie s’inscrirait alors dangereusement dans le jeu du négationnisme.

 

La plaque commémorative du Struthof peut-elle devenir un lieu de mémoire national ?

 Non, pour plusieurs raisons.

 Tout d’abord, pour les motifs évoqués précédemment. Si le doute persiste quant à la reconnaissance officielle de la déportation pour motif d’homosexualité en France, il sera difficile de rassembler autour de ce lieu.

 Ensuite, malgré les effets d’annonce, n’oublions pas qu’il s’agit d’une simple plaque commémorative qui sera apposée sur ce qui est appelé le « Mur du Souvenir ».

Mur-du-souvenir-Struthof.jpg

 Située en bas du camp, cette zone est en fait peu accessible au public. L’inscription sera d’ailleurs noyée parmi vingt autres plaques similaires. Il ne s’agit donc pas d’un véritable monument, et encore moins d’un lieu dans lequel des associations pourraient venir se recueillir et organiser librement des manifestations du souvenir. L’emplacement dans un camp de concentration est certes symbolique, mais elle réduit ensuite les possibilités d’entretenir librement la mémoire.  

 De plus, rappelons que le camp du Struthof est situé en Alsace, au milieu des forêts. D’autres expériences internationales ont montré que les lieux de mémoire homosexuels situés hors des grandes métropoles rassemblent peu et perdent progressivement leur vocation initiale. Les travaux récents de Régis Schlagdenhauffen sur la sociologie comparée des commémorations de la déportation pour motif d’homosexualité en Allemagne, en France et aux Pays-Bas sont sur ce point très éclairants (sa thèse est à paraître prochainement aux éditions Autrement).

 Enfin, nous avons indiqué depuis le début que ce projet est porté par l’association Les Oubliés de la Mémoire qui, malgré ses avancées incontestables dans la commémoration de la déportation pour motif d’homosexualité en France, ne fait pas l’unanimité dans le monde associatif. Il suffit de citer par exemple l’association concurrente du Mémorial de la Déportation Homosexuelle (MDH) fondée par le regretté Jean Le Bitoux. Tout comme à Toulouse, puis à Mulhouse, il sera intéressant d’étudier en septembre la sociologie des participants à l’inauguration pour savoir si devant l’ampleur d’un projet, les oppositions partisanes s’effacent le temps d’une cérémonie.

L’inauguration d’une plaque en mémoire des déportés pour motif d’homosexualité dans le camp du Struthof constitue donc un évènement important dans la construction mémorielle de l’homosexualité. Néanmoins, il serait erroné de le considérer comme une finalité. De nombreuses interrogations subsistent autour de ce projet. De plus, cette étape n’efface nullement l’absence d’un véritable monument national (tel qu’on peut en trouver en Allemagne ou aux Pays-Bas par exemple), ni les incidents récurrents qui entourent la Journée Nationale du Souvenir de la Déportation au cours de laquelle la participation de délégations homosexuelles est sans cesse remise en cause dans plusieurs villes de France.

Il serait donc judicieux que cette inauguration à la rentrée 2010 soit l’occasion d’approfondir encore un peu la réflexion pour obtenir peut-être un jour une commémoration nationale satisfaisante.

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 09:39

De passage dans la Nièvre ce week-end, ma curiosité a été chatouillée par les traces paysagères d'un passage récent du célèbre Tour de France : montages ingénieux de balles de foin formant des cyclistes, vélos bariolés accrochés aux façades des maisons, inscriptions d'encouragement sur les routes... autant d'éléments résiduels sans prétention mémorielle a priori... et pourtant...

Il n'est pas anodin de constater que le Tour de France cycliste a fait l'objet d'un article dans les célèbres Lieux de mémoiredirigés par Pierre Nora. Sans vouloir sur-valoriser l'importance d'un tel évènement sportif, il faut reconnaître que l'engouement médiatique, politique et même international autour de la course laisse perplexe le piètre spectateur télévisuel que je suis. Cela n'empêche pas de vouloir comprendre les enjeux qui entourent cette manifestation populaire.

Au-dessus de la montagne médiatique, l'article du géographe Gilles Fumey (voir le lien ici) me semble être le plus complet et le plus pertinent sur la symbolique mémorielle du Tour de France. Malgré sa longueur et quelques répétitions, il présente efficacement l'histoire de la "boucle" (accompagnée de cartes très révélatrices des logiques de son tracé), ses enjeux économiques, nationaux, internationaux, territoriaux, etc.

L'épreuve sportive, prenant le relais par exemple du livre de lecture Le Tour de France par deux enfants, s'inscrit dans la continuité d'une volonté de rassemblement populaire s'adaptant aux aléas historiques du XXème siècle tout en donnant à voir la France, sa Nation, son territoire, sa culture et son patrimoine.

Bonne lecture !

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19 juillet 2010 1 19 /07 /juillet /2010 07:43

Dans la presse ce matin... cet article du Nouvel Observateur sur un Comité pour le remboursement immédiat des milliards envolés à Haïti.

Les militants en question se sont faits habilement connaître par la création d'un faux site Internet reproduisant celui du Quai d'Orsay (le site a depuis été fermé, ce que je trouve, avec Laurence Fabre, porte-parole de ce Comité, inquiétant quant à la liberté d'expression). Depuis, le gouvernement et les militants jouent au chat et à la souris. Ces derniers sont parvenus à ouvrir un nouveau sitecontre lequel le ministère des Affaires Étrangères entend entamer des poursuites judiciaires.

Comite-pour-le-remboursement-immediat-des-milliards-envol.jpg

Cette inquiétude autour des libertés fondamentales est pourtant bien la seule réflexion que je partage avec ce comité dont les revendications m'agacent.

Voici par exemple, la réponse qu'ils proposent aux menaces du gouvernement :

"Mais si un simple pastiche de site web est un crime, comment alors qualifier les agissements de la France en Haïti, notamment :

   - La capture de force, le commerce, l’esclavage, la torture et le meurtre de millions d’Africains sur plus de deux siècles.

   - Les 90 millions de francs or exigés à Haïti pour la perte des profits liés au trafic d’esclaves suite à l’indépendance du peuple haïtien. Un montant qui a placé Haïti sous le joug d’une dette illégitime qu’elle a mis 122 ans à rembourser à la France.

   - La participation active au renversement le 29 février 2004 de Jean-Bertrand Aristide, président élu démocratiquement, en grande partie parce que Aristide avait eu la témérité d’exiger que la France rembourse à Haïti la “dette de son indépendance". En tenant compte des intérêts, le versement devait s’élever à 21 milliards de dollars US. C’était la première fois qu’une ancienne colonie d’esclaves demandait réparation à sa nation colonisatrice.

   - La promesse de verser 180 millions d’euros à Haïti par l’entremise des agences de l’ONU, des ONG et de la Croix-Rouge. Six mois plus tard, Haïti n’a pas vu l’ombre du moindre centime, selon le site de surveillance de l’aide humanitaire de l’ONU, ReliefWeb. Ce qui n’a pas empêché le secrétaire d’État chargé de la Coopération de se rendre en jet privé - au coût de 143 000 dollars - à la conférence des donateurs pour Haïti.

Nous laisserons donc à l’opinion publique le soin de déterminer qui sont les véritables criminels".

 

Je ne prétends pas représenter l'opinion publique, mais qu'il me soit au moins permis d'apporter une petite contribution au débat.

Certes, et nous l'avons démontré à plusieurs reprise sur ce blog, l'Histoire est faite d'un récit national officiel éclairé sous les feux d'une propagande plus ou moins assumée ET de différentes zones d'ombre qu'il convient de débusquer. Certes, il est injuste que certaines périodes, acteurs et évènements de l'Histoire soient oubliés, voire ostracisés. Néanmoins, au risque de surprendre, je préfère qu'il en soit ainsi.

Il faut à mon sens raison garder sur ces questions au risque de sombrer un peu trop facilement dans des considérations démagogiques. Je pense qu'à la lecture des quelques pages qui précèdent ce billet, le lecteur pourra difficilement me reprocher d'être un porte-voix autoproclamé à la botte du pouvoir. J'ai souvent souligné les utilisations abusives, les dérives et les abus du gouvernement en place (et encore plus souvent du Président de la République lui-même) avec l'Histoire. Et pourtant, faut-il nécessairement prendre le strict contre-point du refus de repentance de Nicolas Sarkozy afin de dénoncer comme le font ces militants les "crimes" de l'Histoire ?

Il est heureux d'apprendre que depuis le 14 juillet 2010, les pensions des anciens combattants des anciennes colonies françaises seraient désormais alignées sur celles des Français après des décennies d'inégalités injustes. Il est heureux d'apprendre qu'une plaque à la mémoire des déportés pour motif d'homosexualité sera enfin aposée au Mur du Souvenir du camp du Struthof le 25 septembre 2010. Mais faut-il pour autant sans cesse condamner au nom de la mémoire les actes de l'histoire passée ? S'il n'est jamais trop tard pour demander une courte citation dans un discours politique, une petite inscription sur un monument publique ou encore une simple reconnaissance symbolique, faut-il toujours demander davantage d'indemnisation et de visibilité ?

A mon sens, la revendication du Comité pour le remboursement immédiat des milliards envolés à Haïti est dangereuse car elle ouvre encore une fois la boîte de Pandore mainte fois entrouverte de la judiciarisation de l'Histoire. Voter à l'Assemblée Nationale un "Accord-Cadre" afin de restituer une somme précédemment payée par un pays dans le cadre d'un accord légal reviendrait à reconnaître de fait une position victimaire à ce pays qui tente encore difficilement de s'extraire de tutelles plus ou moins prégnantes des anciennes colonies.

Et si nous poursuivions cette logique à son terme, l'Amérique toute entière pourrait aussi demander une indemnité au colonisateurs européens qui ont importé de nouvelles maladies outre-atlantique ; les agriculteurs, plutôt que d'attendre désespérément une énième réforme de la PAC, pourraient aussi se constituer en groupe identitaire héritier des paysans de l'époque médiévale pour demander une indemnisation contre l'appropriation des terres par les seigneurs et le remboursement des corvées...

Les idées stupides ne manquent pas... mais pendant ce temps, Haïti ne se reconstruit toujours pas et les rigolos en tailleur s'amusent à faire le buzz.  

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16 juillet 2010 5 16 /07 /juillet /2010 09:13

En prolongement de notre réflexion d'hier, ce lien vers une interview d'Anne Cheng parue dans l'excellente revue Vacarme :

http://www.vacarme.org/article1917.html

On y apprend que la Chine peut à elle seule constituer un modèle mémoriel à distinguer de ses voisins asiatiques. Traversée par de vastes projets de sociétés qui ont marqué l'histoire du XXe siècle, la pensée chinoise serait un formidable exemple pour étudier les amnésies, les réminiscences et les adaptations de la tradition face à la modernité.

On pourra donc lire tout d'abord cette interview, avant d'aller visiter la page Internet de l'auteur sur le site du Collège de France puisqu'Anne Cheng y est titulaire de la chaire "Histoire intellectuelle de la Chine" depuis 2008. Cette reconnaissance institutionnelle est une chance pour le lecteur puisqu'elle lui permet de diffuser largement ses travaux dont de nombreux extraits sont publiés sur cette page.

cheng-anne.jpg

On ne se privera pas cependant d'emporter en vacances l'un de ses ouvrages sur la question :

   - Histoire de la pensée chinoise, Éditions du Seuil, 1997, 650 p. (Ouvrage récompensé en 1997 par le prix Stanislas Julien de l'Académie des inscriptions et belles-lettres et par le prix Dagnan-Bouveret de l'Académie des sciences morales et politiques ; Réédition révisée et mise à jour en format de poche dans la collection « Points-Essais »).

 Histoire-de-la-pensee-chinoise.gif

  

   - La pensée en Chine aujourd'hui, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Folio essais », 2007.

La-pensee-en-Chine-aujourd-hui.jpg

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15 juillet 2010 4 15 /07 /juillet /2010 12:58

L'image a toujours été un prisme privilégié de communication. Des enluminures à la bande-dessinée, le dessin et la couleur ont été largement utilisés pour diffuser des messages, voire des idéologies.

Un ouvrage récent dirigé par l'historial de Peronne et intitulé La Grande Guerre dans la bande-dessinée rappelle d'ailleurs judicieusement que la BD peut être à la fois une source, mais aussi un objet d'histoire en tant que catalyseur de mémoire.

 

BD-et-Grande-Guerre.jpg

Vincent Marie et l’Historial de la Grande Guerre (dir.), La Grande Guerre dans la bande dessinée (de 1914 à aujourd’hui), Historial de la Grande Guerre, Péronne, 2009, 112 p.

 

Dès lors, il convient de s'interroger plus généralement sur le rôle de l'art dans la construction mémorielle d'un groupe.

Un simple coup d'oeil jeté sur le sommaire des Lieux de mémoire dirigé par Pierre NORA nous rappelle à quel point le sens visuel et artistique a été mobilisé par la République dans la recherche d'une cohérence civique. Monuments et symboles étaient ainsi convoqués dans une volonté assumée de rassemblement autour des grands hommes panthéonisés (Mona Ozouf), des morts anonymes mais héroïsés par les monuments funéraires de la Première Guerre mondiale (Antoine Prost) ou encore de la figure maternelle de Marianne, omniprésente sur les places et dans les mairies (Maurice Agulhon).

Ce modèle national français n'est pourtant pas immuable et exclusif. L'un des intérêts de cet ouvrage collectif est justement de montrer que ces symboles ont aussi une histoire et qu'ils ne se sont pas imposés sans contestation. Il ne faut donc pas considérer avec trop de dédain les polémiques qui s'expriment actuellement en Europe de l'Est autour d'expositions et/ou de monuments. Elle peuvent être, et elles sont à notre avis, la manifestation dans le domaine artistique de l'émergence d'un véritable lieu de mémoire, vu comme le point de cristallisation face à une mémoire que l'on croit fuyante et pour laquelle on craint l'oubli.

 

Le vendredi 25 juin 2010 tout d'abord, les médias français révèlent qu'une statue de Staline a été déboulonnée à Gori en Géorgie, la ville natale de l'ancien dictateur.

Staline-deboulonne.jpg

Le lecteur occidental apprend alors au détour d'une brève qu'il n'est pas seul sur la planète à se débattre avec un passé qui visiblement ne passe plus alors qu'il avait été accepté jusqu'à présent.

L'opération n'a en effet pas été sans polémique. Il s'agit en fait d'une décision politique du gouvernement géorgien qui tente de prendre ses distances avec Moscou, quitte à déboulonner quelques pierres dans les fondations de son passé. La population locale n'a pas été sans manifester son mécontentement mais nos médias occidentaux n'ont semble-t-il pas estimé important de s'interroger davantage sur cet évènement symbolique. Ainsi, nous ne savons pas ce qu'est devenu la statue, ni si les habitants se sont depuis organisés pour contester la disparition du monument public et mémoriel.

 

Plus récemment, un collectif de 13 artistes russes a adressé au Président Dimitri Medvedev une lettre lui demandant de mettre fin à une procédure judiciaire en cours visant à condamner deux organisateurs d'une exposition d'art intitulée "Art interdit 2006" sous prétexte que certaines oeuvres véhiculeraient un vocabulaire grossier et constitueraient une incitation à la haine raciale et religieuse.

Art-interdit-2006.jpg

Art-interdit-2006-1.jpg

Plus précisément, ce sont des associations religieuses ultra-orthodoxes et nationalistes qui sont à l'origine de la plainte et qui reprochent à certaines oeuvres d'être une offense envers les symboles religieux (voir les arguments avancés par l'Eglise orthodoxe russe). Il est indéniable que la nature même de cette exposition se veut provocatrice, puisqu'elle entend dénoncer une censure considérée comme étant de plus en plus pregnante dans la société russe contemporaine. En cela, nous pouvons considérer qu'elle a atteint son objectif puisque son interdiction a mobilisé les plus hautes instances de l'Etat, ainsi que de nombreuses ONG et artistes à l'échelle internationale.

Néanmoins, la position relativement consensuelle de la condamnation (l'exposition a été interdite et les organisateurs se sont vus infliger une amende de 9000 euros alors qu'ils risquaient jusqu'à 3 ans de prison) a eu pour conséquence de tronquer le débat. Des travaux universitaires en cours (notamment ceux de Marie Mendras) tendent à montrer que la Russie travaille beaucoup à la réecriture de son histoire. Il aurait été à mon sens intéressant de se demander en quelle mesure le contrôle de plus en plus étroit de l'art constitue un enjeu de taille dans la construction mémorielle russe.

 

Last but not least, une polémique similaire était encore relayée ce matin dans la presse, ayant cette fois-ci pour scène la Pologne. Encore une fois, Mickey était attaqué pour avoir été représenté sous les traits d'une femme nue, surmontée d'une croix gammée.

 

Mickey-a-la-croix-gammee.jpg

La toile est intitulée NazySexyMousse

 

L'usage de ces thématiques récurrentes (Mickey, McDonald's, l'homosexualité, la pornographie) devraient peut-être nous interroger davantage. Les contestations qui s'élèvent en Europe orientale (et qui ne semblent pas être du seul fait de l'Etat, mais aussi de multiples relais populaires) ne sont-elles révélatrices d'une mémoire régionale, voire de mémoires nationales, en construction contre un modèle occidental qui se voudrait universel ?

Alors que les travaux se multiplient en France sur les mémoires et aboutissent progressivement à des synthèses de plus en plus complètes, j'ai toujours eu un doute sur l'universalité de leur validité au regard de ce qu'il m'est permis d'observer en Europe de l'Est ou encore en Afrique. Ne serait-il pas venu le temps de s'interroger au-delà des frontières pour dépasser une vision ethno-centrée de la mémoire ?

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12 juillet 2010 1 12 /07 /juillet /2010 07:54

Certains mots ont un sens symbolique tellement fort qu'ils semblent occulter toute autre forme de signification générique : c'est le cas du mot "génocide" qui est essentiellement utilisé pour désigner le massacre des Juifs d'Europe durant la Seconde Guerre mondiale. Cette situation n'est pas surprenante puisque le mot lui-même a été créé à cette époque pour désigner les pratiques de l'Allemagne nazie. Formé du grec genos (origine ou espèce) et du suffixe latin cide (provenant de caedere, tuer), le terme est inventé en 1944 par Raphael Lemkin, professeur de droit international à l'université de Yale. Il désigne alors dans son acception la plus simple "la destruction d'une nation ou d'un groupe ethnique".

Puis, progressivement, le mot évolue, essentiellement dans un contexte juridique : il est d'abord utilisé dans le cadre du tribunal de Nuremberg, puis repris par l'assemblée générale des Nations-Unies qui adopte en 1948 une Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Le terme est alors précisé dans l'article II pour désigner :

a) le meurtre de membres du groupe;

b) une atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

e) le transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.

On comprend alors que la signification est bien plus large que celle véhiculée notamment par les programmes scolaires qui n'utilisent le terme que dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale.

Les massacres pouvant être désignés de la sorte sont pourtant nombreux et certains tentent parfois d'en dresser  une liste exhaustive comme c'est le cas sur Wikipédia. De telles entreprises demeurent néanmoins soumises à critiques car elles proposent une relecture téléologique de l'histoire à partir d'une notion strictement contemporaine. C'est pourquoi elles ne peuvent faire l'économie d'une réflexion épistémologique minimum telle que celle proposée par David El Kenz dans l'ouvrage qu'il a dirigé sur l'histoire des masacres.

massacre.jpg

David EL KENZ, Le massacre, objet d'histoire, Paris, Gallimard, 2005.

 

Le massacre de Srebrenica, un génocide ?

L'usage précis des mots devient essentiel dans ce contexte puisque plusieurs expressions cohabitent parfois et laissent paraître quelques choix idéologiques. Ainsi, cet article du Nouvel Observateur daté du lundi 12 juillet 2010 intitulé "La Bosnie commémore les 15 ans du massacre de Srebrenica" dont le chapeau laisse perplexe :

'Le massacre, qualifié de génocide par la justice internationale, a fait près de 8.000 victimes musulmanes, tuées par les forces serbes bosniaques en juillet 1995'.

En lisant cette phrase, on peut avoir l'impression que l'auteur met en doute la nature génocidaire de cet évènement... et pour cause ! De plus, la désignation de ces victimes dites "musulmanes" laisse perplexe.

Pour comprendre, il faut rappeler brièvement la nature des évènements mentionnés. Le massacre de Srebrenica survient dans le contexte de la guerre de Bosnie-Herzégovine qui se déroule de 1992 à 1995. La chute du communisme a en effet bousculé l'ordre régional de l'Europe de l'Est et plus particulièrement la Yougoslavie qui se disloque sous l'effet d'une montée des nationalismes.

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Carte de l'ex-Yougoslavie

Le massacre de Srebrenica constitue probablement le paroxysme de cet affrontement. Du 13 au 16 juillet 1995, l'armée des Serbes de Bosnie s'empare de Srebrenica, une enclave bosniaque encerclée depuis le début du conflit où se sont réfugiés des milliers de personnes, protégées jusqu'alors par les Casques bleus de l'ONU.

330px-carte-de-bosnie-herzegovine-srebrenica.png

Les "victimes musulmanes" évoquées par l'article du Nouvel Obs désignent en fait une nationalité de slaves du sud de tradition musulmane. En l'absence de nationalité bosniaque officiellement reconnue, les habitants de cette région sont en effet qualifiés de "Musulmans" en référence à leur religion.

 

Le génocide, vecteur de mémoire

La qualification de génocide pour la massacre de Srebenica a été reconnue pour la première fois en 2004 par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et plus particulièrement par le juge Theodor MERON.

Cette désignation a été contestée à plusieurs reprises. En 2006, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a pourtant confirmé l'utilisation du terme "génocide" en éludant partiellement la question des responsabilités. Si le massacre a bien été commis par l'armée serbe bosniaque et que la Cour reconnaît que la Serbie n'a rien fait pour l'empêcher, elle considère aussi que "ces actes de génocide ne peuvent être attribués aux organes étatiques".

Outre ces questions d'ordres géopolitique et économique (car elles posent nécessairement la question des indemnisations), des voix se sont élevés également pour rappeler que malgré l'émotion populaire suscitée par un tel massacre dans toute l'Europe, la désignation devait prêter à réflexion. C'est le cas de Rony Brauman, Président de Médecins sans frontières de 1982 à 1994 qui affirme à propos du massacre de Srebrenica :

"Les faits sont pourtant clairs et acceptés par tous, mais on a appelé ça un génocide. Srebrenica a été le massacre des hommes en âge de porter des armes. C'est un crime contre l'humanité indiscutable, mais on a laissé partir des femmes, des enfants, des vieillards, des gens qui n'étaient pas considérés comme des menaces potentielles. Nous sommes donc face à  un massacre d'un classicisme déprimant mais d'un très grand classicisme quand même. Que l'on en ait fait un génocide montre bien que tous les massacres d'une certaine envergure ayant fait l'objet d'une certaine préparation entrent dans cette qualification. C'est une notion qui a perdu en profondeur tout ce qu'elle a gagné en surface".

Si elle peut paraître iconoclaste sur certains points, la réflexion de Rony Brauman ne manque pas à mon sens de légitimité. Il semble en effet que la notion de "génocide", d'abord inventée dans un contexte juridique, soit tombée bien vite dans l'escarcelle de la mémoire avant même que l'histoire n'ait pu réellement se l'approprier.

Depuis quelques années, de nombreuses actions sont ainsi menées afin d'ancrer dans la mémoire l'idée d'un génocide musulman qui demeure néanmoins flottant en histoire.

En 2003 par exemple, un mémorial était inauguré par Bill Clinton sur l’ancienne base du bataillon néerlandais à Potocari. Ce dernier a la particularité d'être non seulement un lieu de mémoire, mais également un lieu d'inhumation pour la plupart des victimes identifiées progressivement par des tests ADN.

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Il est à noter également que le massacre de Srebrenica constitue désormais un élément essentiel de l'identité collective des Musulmans des Balkans dont les membres sont disperçés dans une sorte de "diaspora".

On comprend donc dans le cadre du massacre de Srebrenica que la mémoire est bien au service d'un projet qui dépasse le simple souvenir. Il constitue désormais un lieu de revendications sur lequel se réunit annuellement  toute une population qui veut montrer au monde entier la légitimité de son existence commune.

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