Le journal Libération a consacré cette semaine un article passionnant sur les apports de l'archéologie en l'histoire contemporaine (à lire ici).
Depuis plusieurs mois, des fouilles archéologiques ont en effet été entreprises à La Glacerie, près de Cherbourg dans le Nord-Contentin, afin de préserver les vestiges d'un ancien camp de prisonniers allemands découvert à l'occasion d'un projet de construction de lotissements.
Travaux en cours dans l'ancien camp de prisonniers allemands
Aussi surprenant que cela puisse paraître pour un évènement aussi récent, l'archéologie s'avère être indispensable pour comprendre la réalité quotidienne de la vie de ces soldats emprisonnés jusqu'en 1948.
Malgré l'historiographie florissante autour de la Seconde Guerre mondiale, malgré la profusion de témoignages et les récits encore nombreux des survivants, il reste encore des zones d'ombre. Parmi elles : le sort des soldats allemands à la suite de la capitulation.
Un site Internet consacré à la Seconde Guerre mondiale en Normandie propose de courts reportages afin de comprendre les découvertes qui ont été réalisées au cours de ces fouilles :
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Le plus étonnant dans ce projet repose finalement sur la nécessité de recourir à l'archéologie dans ce domaine des études historiques. On a longtemps pensé avoir tout dit (et tout entendu) sur la Seconde Guerre mondiale. Les rayons des libraires ne désemplissent pas des témoignages de déportés, de résistants, de prisonniers, voire de simples attentistes, qui ont livré au public, dans une démarche tant introspective que libératrice, leur expérience de la guerre.
Et pourtant, on ne le répètera jamais assez, leur mémoire n'est ni infaillible, ni complète. Elle est le produit d'une remémoration plus ou moins consciente d'évènements que notre environnement permet de faire resurgir tandis que d'autres éléments sont complètement exclus des mémoires individuelles et collectives.
La question des soldats allemands à la fin de la Seconde Guerre mondiale fait partie de ces aspects qui ont été progressivement marginalisés. Jusqu'à la Libération, ils intéressent la mémoire nationale au sens où ils représentent le bourreau auquel on résiste, ou avec lequel on collabore. A partir de mai 1945, ils disparaissent brutalement des mémoires pour plusieurs raisons :
- d'une part, dès le lendemain du conflit, on ne veut plus en entendre parler et on préfère les isoler pour tenter d'oublier les souffrances récentes de l'occupation.
- d'autre part, on ne peut guère échanger avec eux. Ils rejoignent le plus rapidement possible leur pays, laissant un minimum de traces de leur passage.
- enfin, ils ne constituent plus un référent mémoriel efficace. Bien au contraire, emprisonnés pendant des mois à l'intérieur de camps en attendant un transfert, leur sort suscite un certain malaise au moment où des flots de survivants des camps de concentration et d'extermination nazis reviennent sur le territoire national français.
C'est donc par l'intermédiaire de tels exemples que l'on comprend le mieux l'utilité de l'archéologie dans la construction d'un récit national. La multiplication des témoignages écrits et oraux ainsi l'inflation des archives numériques ne suffiront jamais totalement à écrire l'histoire d'une société. Il faudra nécessairement croiser les approches modernes et traditionnelles, tout en prenant conscience des biais mémoriels inérents à chaque époque.