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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs

Cherche La Pépite

28 octobre 2015 3 28 /10 /octobre /2015 09:53

 

English summary

Ben Carson, candidate for the Republican nomination in the 2016 presidential election, declared that "The likelihood of Hitler being able to accomplish his goals would have been greatly diminished if the people had been armed". New historical theory ? In fact, only a new example of the Godwin's Law in the American (and Occidental) memorial system. 

Premiers rebondissements mémoriels dans la campagne présidentielle américaine

Certaines logiques mémorielles sont parfois impénétrables. 

Que les candidats à l'investiture républicaine aux Etats-Unis soient opposées à toute forme de durcissement dans la législation sur le port d'armes s'entend : 

  1. Tout d'abord, cette idée est en totale contradiction avec leur idéologique ultra-libérale solidement défendue dans le deuxième amendement de la Constitution. 
The American Bill of Rights

The American Bill of Rights

« Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. »

American Bill of Rights

  1. Ensuite, la National Rifle Association (NRA) qui milite activement pour défendre le droit des porteurs d'armes exerce une très forte influence sur l'électorat républicain dont seulement 13% des membres pensent que ce lobby a trop d'influence (contre 68% chez les électeurs démocrates). En tant que candidat à l'investiture républicaine, il serait suicidaire d'adopter une position contraire. 
  2. Enfin, à partir du moment où Barack Obama s'est positionné pour un contrôle plus strict du port d'armes aux Etats-Unis, il devient quasiment systématique pour les candidats républicains d'adopter une position inverse. 

Les récentes tueries de masse qui se multiplient dramatiquement depuis quelques semaines aux Etats-Unis ont conduit la plupart des candidats à exprimer clairement leur position à ce sujet. 

Parmi eux, Ben Carson, candidat républicain qui est actuellement le mieux placé dans les sondages après le tonitruant Donald Trump (sondages en date du 28/10/2015). 

Premiers rebondissements mémoriels dans la campagne présidentielle américaine

Lors d'une interview accordée à CNN au début du mois d'octobre 2015, ce candidat s'est fendu d'une comparaison historique pour défendre sa position pro-armes : 

La probabilité qu'Hitler puisse atteindre ses objectifs aurait été grandement diminué si les gens avaient été armés

CNN

Ce à quoi Ben Carson a ajouté ensuite : "Quand la tyrannie advient traditionnellement dans le monde entier, ils essaient de désarmer les gens d'abord". 

Cette déclaration pose évidemment de nombreuses questions aussi dramatiques que dérangeantes dans la perspective d'une lecture uchronique de l'histoire (aussi appelée alternate ou "What if" history en anglais) : 

  • Aurait-il fallu que les Juifs allemands aient des armes individuelles pour résister à l'antisémitisme omniprésent dans l'Allemagne des années 1930 ? 
  • Aurait-il suffi que les Juifs allemands aient des armes individuelles pour résister à l'industrie militaire nazie qui a permis de conquérie une grande partie de l'Europe en quelques mois ? 

Mais on comprend bien que ce ne sont pas du tout ces problématiques historiennes qui intéressent Ben Carson. Ses principaux objectifs en utilisant cette malheureuse formule visent à contrer politiquement ces deux principaux adversaires : 

  1. Donald Trump qui s'impose depuis quelques mois comme le roi de la formule choc qui permet d'attirer les médias et de monopoliser des heures d'antenne en jouant sur les plus bas instincts. 
  2. Barack Obama (et les principaux dirigeants démocrates) qui sont ainsi comparés à Hitler car ils voudraient prendre le contrôle des armes pour ensuite mieux contrôler la société américaine et lui imposer une tyrannie. 

C'est donc ce que l'on appelle un parfait Point Godwin qui vise encore une fois à mobiliser les références d'un régime mémoriel obnubilé par le nazisme pour mieux tuer le débat et disqualifier son adversaire. 

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22 octobre 2013 2 22 /10 /octobre /2013 09:38

C'est l'affaire du moment, voire l'affaire du quinquennat selon certains journalistes persuadés de chroniquer des évènements historiques chaque matin : Leonarda Dibrani, 15 ans, collégienne rom scolarisée en 3e dans le Doubs, a été interpelée par la police le mercredi 9 octobre dans le cadre d'une sortie scolaire.

En quelques jours, l'évènement est rapidement devenu une "affaire" mobilisant la plupart des services d'information prompts à recueillir le moindre avis et la toute dernière remarque d'un dirigeant politique, mais aussi d'un associatif ou d'un témoin de l'interpelation. Dans ce contexte de boulimie déclarative, il est arrivé que certains laissent échapper une faille dans les éléments de langage de leur plan de communication ou bien décident consciemment de jouer la provocation en utilisant le terme de "rafle" appliqué à l'arrestation de Leonarda Dibrani. C'est le cas notamment du député socialiste du Nord Bernard Roman, mais aussi de la sénatrice écologiste Esther Benbassa, ou encore du coprésident du Parti de Gauche Jean-Luc Mélenchon.

Affaire Leonarda : nouveau Point Godwin à la française

Un débat médiatique sur l'histoire sans historien

Il n'en fallait pas davantage pour relancer la machine médiatique pendant au moins 48h, avec cette particularité cependant d'être en mesure d'ergoter pendant des heures sans jamais mobiliser l'avis d'un historien sur le sujet, alors même qu'un journaliste faisait récemment remarquer qu'il fallait "appeler les historiens à se montrer plus offensifs" pour ne pas délaisser le front du débat aux bonimenteurs.

L'éditorialiste politique Alba Ventura ne s'est pas encombrée de tels scrupules, préférant donner des leçons de morale aux responsables politiques qui utilisent un terme renvoyant "à une autre époque" et ne faisant "qu'attiser la violence" :

Alba Ventura : "En employant des mots comme rafle, les politiques attisent la violence"

Si de nombreux historiens refusent de se rendre sur les plateaux de télévision et dans les studios de radio pour commenter l'actualité, ce n'est certainement pas parce qu'ils seraient perchés et reclus dans une tour d'ivoire arrogante des savoirs et de la connaissance, mais parce que leur discipline ne se prête guère à l'exercice journalistique où l'angle d'approche doit être immédiatement identifié et laisser peu de place à la nuance (ce qui constitue au passage un exercice complexe et respectable à porter aux crédit de nos amis journalistes).

Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant que les historiens ne se prononcent pas sur l'actualité et n'ont pas d'avis sur le monde qui les entoure. Jean Birnbaum convoquait Duby pour justifier l'intervention des historiens sur la place publique en citant ces mots : "Je ne perds aucune occasion de m'adresser à d'autres qu'à mes élèves et à mes collègues". Je préfère pour ma part citer cette anecdote de Marc Bloch dans Apologie pour l'histoire :

L'incompréhension du présent naît fatalement de l'ignorance du passé. Mais il n'est peut-être pas moins vain de s'épuiser à comprendre le passé, si l'on ne sait rien du présent.
J'ai déjà ailleurs rappelé l'anecdote : j'accompagnais, à Stokholm, Henri Pirenne ; à peine arrivés, il me dit : "Qu'allons-nous voir d'abord ? Il paraît qu'il y a un Hôtel de Ville tout neuf. Commençons par lui". Puis, comme s'il voulait rpévenir un étonnement, il ajouta : "Si j'étais antiquaire, je n'aurais d'yeux que pour les vieilles choses. Mais je suis historien. C'est pourquoi j'aime la vie".
Cette faculté d'appréhension du vivant, voilà bien, en effet, la qualité maîtresse de l'historien.

Apologie pour l'histoire ou métier d'historien

 

Rafle ou pas rafle ?

Suivant l'exemple de leurs prédecesseurs, les historiens contemporains se sont pas restés insensibles à l'affaire Leonarda. Leurs propos recueillis sur des blogs, des listes d'information professionnelles ou dans les médias écrits témoignent de deux positions majoritaires qui se cristallisées autour d'un article d'Eric Conan dans Marianne.

Selon ce journaliste ayant coécrit avec Henri Rousso un ouvrage essentiel sur la construction mémorielle de la Seconde Guerre mondiale en France (Vichy, un passé qui ne pas pas), il y aurait lieu de se préoccuper de "ce qui sort de certains cerveaux de gauche après deux décennies de « devoir de mémoire»". En l'occurence, il considère que "ces comparaisons avec Vichy et le nazisme ne sont pas seulement obscènes et sacrilèges, elles sont dangereuses et coupables" car elles joueraient en toute désinvolture avec "des mots du passé sacrés, chargés de honte ou de gloire, de drames ou de sacrifices, qui ne nous appartiennent pas".

Affaire Leonarda : nouveau Point Godwin à la française

Au-delà de la position tranchée de l'auteur, l'un des intérêts de ce texte réside dans le rappel d'autres affaires qui ont déjà suscité de tels rapprochements avec l'histoire de Vichy : l'association Act Up par exemple qui dénonce dans les années 1990 l'indifférence des Français et de leur gouvernement face à l'épidémie de Sida, ou encore les manifestations contre les lois Pasqua-Debré sur l'immigration qui mettent en scène de faux déportés et des affiches assimilant le ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré à Pétain.

Eric Conan pousse cependant la réflexion à l'extrême en considérant que ceux qui utilisent le terme de "rafle" pour décrire l'arrestation puis l'expulsion de Leonarda entretiennent inconsciennement une forme de négationnisme "peut-être plus efficace que le négationnisme pervers des antisémites". Selon lui, la comparaison abusive entre la France d'aujourd'hui et celle de Vichy participerait à une banalisation des drames de l'Histoire qu'aucune sommité intellectuelle ne serait plus désormais en mesure de dénoncer. Il est vrai que la dernière fois qu'on a vu l'une des figures qu'il invoque à la télévision, à savoir Serge Klarsfeld, c'était pour soutenir le député Christian Vanneste qui venait de nier sans aucune source historique l'existence d'une déportation pour motif d'homosexualité à partir de la France...

Face à cette argumentation, d'autres historiens tels que Charles Heimberg ont pris la plume pour rappeler qu'Eric Conan pouvait lui-même être considéré comme "pris au piège du « devoir de mémoire »".

La mise au point est simple : "S'il n'y a pas lieu d'assimiler l'affaire de Leonarda à une rafle, il n'en reste pas moins qu'une réflexion comparatiste, distinguant points communs et différences, garde tout son sens dans la perspective d’une intelligibilité du passé qui puisse éclairer le présent et ses enjeux".

On retrouve dans ces mots la tonalité de Marc Bloch et d'Henri Pirenne sur l'usage du passé comme piste de lecture du présent, tout en ajoutant la dimension nouvelle du travail de mémoire qui, malgré toutes ses limites scientifiques, relèverait d'une démarche utile pour prévenir l'éventuel retour de pratiques violentes qu'on pourrait croire strictement cantonnées aux livres d'histoire.

Un point Godwin à la française

A mon sens, ce débat engagé chez les historiens et poursuivi sur de nombreux forums relève d'une adaptation française de la théorie du Point Godwin.

Si le principe initial de cette loi repose sur la probabilité exponentielle de trouver une comparaison impliquant Hitler et les nazis au cours d'une discussion, nous avons déjà pu remarquer sur ce site que le schéma universel se décline généralement en une multitude d'adaptations nationales.

Dans le cadre de ce débat, la dérive a été particulièrement rapide en raison des origines ethniques de la jeune fille et de l'intervention des forces de police française qui, selon les propos même de l'enquête administrative, ont manqué de "discernement".

Or, n'est-ce pas ce que l'on a longtemps reproché aux policiers français sous le régime de Vichy ? N'est-ce pas non plus le sens de l’interpellation du député Bernard Roman qui ne se contente pas de dénoncer une rafle, mais en profite pour revendiquer un "devoir d'insurrection" que d'autres préfèrent qualifier d'indignation.

En somme, il me semble abusif de considérer ces échanges comme relevant d'une accusation sérieuse de dérive totalitaire à l'encontre du pouvoir en place. La plupart des interlocuteurs sont bien conscients de se situer sur le terrain de la posture politicienne qu'ils entretiennent volontairement.

En revanche, cette polémique n'en demeure pas moins significative d'une forme d'usage politique du passé et du régime mémoriel de notre société. En ce sens, elle constitue une nouvelle contribution intéressante à l'écriture de l'histoire des mémoires de la Seconde Guerre mondiale.

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26 décembre 2012 3 26 /12 /décembre /2012 11:46

 

Nous avons rappelé dans notre précédent article que la théorie du Point Godwin est l'invention d'un avocat née de l'observation des forums et lieux de débats américains. Si ses conclusions ont rapidement été vérifiées à l'échelle internationale, elles demeurent, comme toute manifestation de l'esprit humain, attachées à une époque et à un contexte géographique particulier : celui des États-Unis au début des années 1990. Depuis, l'évolution des réseaux sociaux et du rapport des sociétés au passé (et plus particulièrement au nazisme et au génocide des juifs d'Europe) a sensiblement fait évoluer cette théorie.

 

L'enlisement depuis quelques jours du débat autour de l'exil fiscal de l'acteur Gérard Depardieu en Belgique ne pouvait pas échapper à cette règle. Chaque article publié sur ce sujet fait l'objet d'innombrables commentaires, détournements et caricatures... qui finissent irrémédiablement en Point Godwin !

L'intervention de mastodontes du cinéma et de la culture française à la rescousse de leur congénère ne pouvait qu'offrir une manifestation originale et inédite de ce phénomène populaire.

Catherine Deneuve en fut l'instigatrice en s'adressant à Philippe Torreton dans Libération : "Qu’auriez vous fait en 1789, mon corps en tremble encore !". 

Cette stupeur et ces tremblements furent ensuite partagés par la patronne du MEDEF, Laurence Parisot, qui déclarait sur France Info : "On est en train de recréer un climat de guerre civile, qui s’apparente à 1789". 

Quelques heures plus tard  sur l'antenne de RTL, c'était au tour du lunetier Alain Afflelou de déclarer : "On est en train de faire une guerre de tranchées, on est en train de revenir en 1789, il faut arrêter de dire que les chefs d'entreprise sont des voleurs, sont des voyous, sont des gens malhonnêtes".

 

Beaucoup de journalistes ont réagi à cette manifestation nouvelle du Point Godwin qu'ils ont appris à découvrir dans la modération de leurs articles sur l'Internet. Pierre Haski, co-fondateur du Rue 89, a livré  l'un des papiers les plus complets sur le sujet, rappelant les précédents et leur interprétation politique, dont notamment une césure inédite entre la gauche française et son traditionnel soutien du monde de la culture et des médias.

Satisfaits par cette référence, rares sont ceux cependant à s'être aventurés dans une analyse du contexte mémoriel dans lequel apparaît cette polémique. Cette petite phrase glissée dans le débat sur l'exil fiscal n'est pourtant pas seulement révélatrice d'une adaptation française de la théorie du Point Godwin ; elle est aussi symptomatique de la redécouverte de la centralité du phénomène révolutionnaire dans l'inconscient collectif national.

 

Notre chroniqueur Mémorice de France avait déjà observé l'émergence de ce phénomène lors de sa couverture des élections présidentielles françaises de 2012.

Les discours de Jean-Luc Mélenchon ont été inlassablement truffés de références révolutionnaires. Il s'en confessait d'ailleurs ouvertement à Emmanuel Laurentin dans un ouvrage paru durant la campagne : "Le tonnerre de la Révolution, l'onde de choc de 1789 m'habitent encore". Ses références dignes d'une "culture d'un maître d'école" selon l'historien Christophe Prochasson ont été sévèrement jugées par Michel Onfray et Laurence Parisot qui lui reprochent son admiration pour des hommes qui ont porté les germes du terrorisme et de la dictature, tels que Robespierre et Saint-Just.

Devant ce véritable rapt de l'héritage révolutionnaire par l'extrême gauche, le candidat socialiste avait bien tenté de ramener à lui la couverture mémorielle. Ainsi, dans un discours prononcé le 4 avril, il promettait qu'en cas de victoire, le Parlement continuerait à travailler jusqu'au 4 août pour mettre en oeuvre une réforme fiscale sonnant "la fin des privilèges". Dans son meeting du Bourget, François Hollande reproduisait d'ailleurs cette référence en rappelant que "chaque nation a une âme. L’âme de la France, c’est l’égalité. C’est pour l’égalité que la France a fait sa révolution et a aboli les privilèges dans la nuit du 4 août 1789".

Même Marine Le Pen avait fini par en appeler à une révolution porteuse d'une "nouvelle nuit du 4 août" dans un discours prononcé le 10 décembre 2011, tentant alors de républicaniser son parti.

 

A l'exception des historiens spécialisés, rares sont ceux à avoir saisi sur l'instant cette résurgence du phénomène révolutionnaire au sein du débat public. Ce fut cependant le cas de Jean-Luc Chappey, Bernard Gainot, Guillaume Mazeau, Frédéric Régent et Pierre Serna qui ont profité de ce contexte mémoriel pour publier un petit opuscule formidable intitulé  Pour quoi faire la Révolution ? 

 

PourQuoiFaireLaRevolution.png

 

Que nous révèle finalement ce contexte mémoriel sur l'actuel polémique autour d'un Point Godwin 1789 ?

1. Tout d'abord, que le point Godwin est une théorie malléable susceptible d'évoluer en fonction des acteurs, de l'époque et du contexte géographique.

2. Ensuite, que le nazisme en tant que référence universelle de l'horreur recule irrémédiablement.

3. Enfin, que le contexte politique français fait actuellement réapparaître un contexte mémoriel particulier dont les déclaration de Catherine Deneuve, Laurence Parisot et Alain Afflelou ne constituent que la partie émergée de l'iceberg. On avait beaucoup reproché à Nicolas Sarkozy pendant la campagne électorale de diviser la communauté nationale ; on s'aperçoit désormais que cette rupture a été intériorisée et même entretenue par l'opposition aujourd'hui au pouvoir. Au-delà de la traditionnelle dichotomie droite/gauche, le débat politique actuel semble se recentrer autour de fractures révolutionnaires traditionnelles entre riches et pauvres, privilégiés et exclus

 

On peut donc considérer d'un côté que le Point Godwin 1789 franchi par Catherine Deneuve est une manifestation maladroite de la préciosité langagière d'une actrice déconnectée des réalités ; mais on peut aussi d'un autre côté mettre cette déclaration en perspective du contexte mémoriel pour tenter de comprendre ce qu'elle nous révèle sur notre société. Parmi tous ceux qui ont moqué les propos de la Reine Deneuve, de l'intendante Parisot et de l'argentier Afflelou, personne finalement ne s'est réellement offusqué d'une condamnation en règle de la Révolution française, n'y voyant qu'une manifestation de violence du peuple contre les élites bienveillantes. Deux siècles d'historiographie réduits à néant par une petite phrase : voilà peut-être la véritable force de la théorie du Point Godwin !

 

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1 décembre 2012 6 01 /12 /décembre /2012 12:40

 

Comme nous l'avions expliqué dans un précédent article, le point Godwin semblait a priori improbable dans le cadre du débat sur l'ouverture du mariage civil aux personnes de même sexe. En effet, la persécution des homosexuels par le régime nazi a laissé des traces mémorielles suffisamment importantes pour rendre un rapprochement quasiment impossible entre "nazisme" et "homosexualité". C'était sans compter sur le report au mois d'octobre du vote de cette loi au Parlement qui estime que le débat n'est pas encore assez abouti.

En effet, dans la logique de la théorie du Point Godwin, plus un débat perdure dans le temps, plus il est susceptible de sombrer dans un comparatif morbide avec les régimes totalitaires.

 

Une nouvelle étape vient d'être franchie le vendredi 30 novembre par la journaliste et essayiste Emmanuelle Duverger sur le site Boulevard Voltaire porté par son mari  Robert Ménard.

 Dans un article intitulé "Censure à la mode socialiste", elle s'emporte contre le sénateur-maire socialiste du XIXe arrondissement de Paris, Roger Madec, qui a fait couper l'électricité en plein tournage de l'émission Complément d'enquête sous prétexte qu'on lui aurait menti sur l'identité de l'invité. Il faut dire que l'invité annoncé (Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires de France et du comité IDAHO de lutte contre l'homophobie et la transphobie) a finalement été remplacé par Frigide Barjot qui se présente elle-même comme "l'attachée de presse de Jésus".

La journaliste n'a alors pas de mots assez dure pour dénoncer ce qu'elle considère comme une "censure" de la part d'un "apparatchik socialiste".

 

Emmanuelle Duverger a cependant l'indignation variable car il ne lui semble pas gênant en revanche d'illustrer son article par une une capture d'écran de Chaplin caricaturant Hitler dans Le Dictateur, en lui ajoutant un petit rainbow flag (symbole du militantisme LGBT) sur la chemise.

 

Hitler-Chaplin-gay.jpg

 

Pire encore, quand on clique sur l'image pour l'enregistrer, on s'aperçoit que celle-ci a été validée avec les mots-clefs suivants : "boulevard-voltaire-roger-madec-fascisme-gay.jpg".

 

Aux yeux de la journaliste et de la rédaction de Boulevard Voltaire, le geste du Maire du XIXe arrondissement est donc assimilable à une forme de "fascisme gay" dont l'élu de la République serait un représentant. 

La thèse semblait visiblement un peu trop caricaturale (et juridiquement dangereuse) pour être littéralement défendue dans le texte, mais des traces subliminales de cette position extrémiste ont été conservées dans l'illustration. D'ailleurs, à lire les commentaires des lecteurs, le message a été parfaitement compris par sa cible !

 

Cette dernière manifestation du point Godwin est à rapprocher de la déclaration du député UMP Nicolas Dhuicq à l'Assemblée nationale le mardi 27 novembre 2012. Dans une tirade mémorable, ce dernier a expliqué sans rougir que les enfants élevés par des homosexuels sont des terroristes en puissance

"Vous me permettrez de considérer que souvent le terroriste a un défaut : il n’a jamais rencontré l’autorité paternelle le plus souvent, il n’a jamais eu de rapport avec les limites et avec le cadre parental, il n’a jamais eu cette possibilité de savoir ce qui est faisable ou non faisable, ce qui est bien ou mal (...) N’y a-t-il pas une certaine contradiction, M. le ministre, dans vos propos et ceux de votre gouvernement, alors que vous cherchez désespérément à reposer un cadre, à, dans le même temps, soutenir un projet de loi qui va jusqu’à rayer le mot de père du code civil.".

 

Cette déclaration est à mon sens une manifestation assez évidente de l'évolution de la théorie du Point Godwin et de notre régime mémoriel occidental.

Pendant plusieurs décennies, cette théorie a fonctionné en référence au nazisme (et parfois au stalinisme) car ces deux phénomènes historiques ont été construits et considérés comme le summum de la barbarie que pouvait atteindre l'humanité.

Nous avons rappelé à plusieurs reprises dans les articles consacrés à cette théorie qu'elle ne pouvait cependant pas être considérée comme universelle car d'autres civilisations ne se reconnaissent pas dans cette échelle de l'horreur. Or, il semble également que cette théorie soit destinée à évoluer assez rapidement dans notre propre régime mémoriel dans lequel les actions terroristes telles que les attentats, les lapidations et autres mises à morts brutales tendent à remplacer peu à peu le référentiel omniprésent des camps d'extermination.

 

Cette hypothèse sera vérifiée dans les prochains mois par l'intermédiaire des articles de cette rubrique qui vise à préparer une synthèse plus complète sur cette théorie du Point Godwin qui n'a en fait jamais été théorisée par son concepteur.

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21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 17:59

 

Article actualisé le 13 janvier 2012 

Ce point Godwin s'est fait attendre ! Au regard du temps médiatique consacré à l'ouverture du mariage civil pour tous et de la quantité d'informations échangées sur les réseaux sociaux à ce sujet, cette dérive traditionnelle visant à rapprocher un sujet à l'idéologie nazie et/ou stalinienne est finalement plutôt tardive.

 

Le point Godwin a été atteint par le père René-Philippe RAKOTO, curé de la communauté des paroisses catholiques de Vendenheim, Mundolsheim, Eckwersheim et Lampertheim (Nord de Strasbourg). Dans son bulletin paroissial daté "Automne 2012" (qui a depuis disparu du site de la communauté), il signe un éditorial pour le moins surprenant dont voici quelques extraits :

"... Euthanasie, eugénisme, stérilisation forcée des handicapés, manipulations génétiques et expérimentation sur l'humain, avortement jusqu'à 6 mois de grossesse... On pourrait croire, en examinant la litanie, que ces choses sont contemporaines, choisies par un pays dit "avancé sur son temps et son époque, à la pointe de la modernité". Eh bien, cela se passait il y a plus de 70 ans en Allemagne sous le régime nazi (démocratiquement élu !) A l'époque, l'Allemagne n'en faisait pas trop la publicité car les mentalités étaient encore marquées par la morale judéo-chrétienne qui considérait cela comme immoral, injuste et surtout inhumain. Au nom de la dignité de l'homme, ces lois et pratiques allemandes étaient jugées comme abominables et dangereuses pour l'humanité, et pour cause, nous avons vu les dégâts qu'elles ont engendrés pour l'Allemagne et une bonne partie de l'Europe".

"Les seules choses qui pourraient manquer pour être "parfaitement moderne et en phase avec la société" seraient le mariage des personnes de même sexe et la possibilité pour ces mêmes personnes d'adopter des enfants".

"L'Église catholique aujourd'hui se retrouve dans la position de ceux qui peuvent être dénigrés et persécutés pour prétendre défendre la dignité de l'homme dans on intégralité et sans exception, comme au temps des nazis et des soviétiques".

 

Cette manifestation du point Godwin peut être considérée comme un modèle du genre.

Le propos ne sert qu'une cause : disqualifier les positions de son adversaire en les rapprochant des pires atrocités commises par les régimes nazis et soviétiques, quitte à travestir l'Histoire.

Sans que le lien ne soit vraiment expliqué, l'auteur entend nous faire comprendre que l'ouverture du mariage et l'adoption accordée aux personnes de même sexe peuvent être comparées à l'euthanaise, l'eugénisme, la stérilisation forcée des handicapés... Ces pratiques ayant été mises en oeuvre par les nazis, ceux qui voudraient aujourd'hui marier des homosexuels doivent donc être considérés comme tels !

 

Ce curé a visiblement l'habitude de prêcher auprès de convaincus, mais il serait bon de lui rappeler néanmoins quelques bases :

1. Le "régime nazi" n'a pas été "démocratiquement élu". Les Allemands ont accordé leurs suffrages à des représentants appartenant à un parti, mais c'est un non-sens que d'affirmer qu'un régime politique puisse être élu.

2. Il est indécent de lire sous la plume d'un ecclésiastique que l'Église catholique serait aujourd'hui "dans la position de ceux qui peuvent être dénigrés et persécutés".

L'une des raisons qui explique le caractère tardif et exceptionnel de ce point Godwin repose justement sur son impossibilité théorique en raison de la persécution des homosexuels par les nazis. Depuis  la polémique autour des propos de Christian Vanneste en début d'année 2012, la plupart des médias ont rappelé la nature et la mesure de cet aspect dramatique de la politique d'Hitler. Par conséquent, il devenait difficile d'établir un lien entre le mariage des homosexuels et le nazisme... sauf pour ce curé qui ne se contente d'ailleurs pas de formuler un point Godwin mais qui se positionne au passage en véritable victime des homosexuels ! 

 

Une belle démonstration donc de la force et de la validité de cette théorie mémorielle qui s'impose même dans les circonstances que l'on pourrait croire les plus improbables.

 

 

Actualisation du 13 janvier 2013

Interrogé par la chaîne d'information BFM-TV quelques minutes avant le départ de la "Manif pour tous", Xavier Bongibault, l'un des porte-paroles du mouvement, a renouvelé ce point Godwin en comparant le président de la République François Hollande à Hitler :

 

 

Il déclare ainsi : "On nous explique en permanence que les homosexuels sont pour ce projet de loi, parce qu'ils sont homosexuels. C'est une logique choquante et homophobe de la part de ce gouvernement. C'est dire que tous les homosexuels n'ont pour seul instinct sexuel que leur orientation sexuelle : c'est la ligne qui était défendue par un homme que l'Allemagne a bien connu à partir de 1933 et c'est la ligne que défend aujourd'hui François Hollande".

 

Encore une fois, on atteint ici les sommets du point Godwin.

Pour parvenir à stigmatiser son adversaire incarné par le chef d'Etat, l'intéressé n'hésite pas à manier l'anachronisme et la manipulation historique afin d'expliquer que l'actuel projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe serait une entreprise fondée sur l'héritage de l'idéologie nazie.

Rappelons pour mémoire qu'entre 5 000 et 15 000 homosexuels ont été envoyés en camp de concentration entre 1933 et 1945 et que plusieurs dizaines de milliers d'autres ont été fichés, arrêtés, inquiétés, torturés et internés dans des hôpitaux psychiatriques où ils ont servi de cobayes à des expérimentations médicales.

 

En quelques minutes, la déclaration provocante de Xavier Bongibault a été relayée par les médias qui s'en offusquent, mais qui diffusent néanmoins l'information. Il aurait été intéressant que le journaliste ne se contente pas de cette petite phrase sans demander à l'intéressé de s'expliquer sur sa pensée et d'avancer quelques arguments pour la justifier.

Les colonnes de ce blog lui sont d'ailleurs ouvertes s'il souhaite nous faire part de sa théorie que nous ne manquerons pas d'étudier !

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9 juin 2012 6 09 /06 /juin /2012 08:11

 

Après s'être opposés dans le cadre de la course à la présidentielle, les deux candidats des fronts respectifs (national d'une part, et de gauche d'autre part) se sont retrouvés pour les élections législatives. Dès le départ, l'affrontement promettait d'être violent. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont même allés au-delà des prévisions en conduisant le combat jusque sur le terrain mémoriel.

 

Round 1 : le tract de trop

Tout à commencé à la fin du mois de mai par la distribution d'un tract anonyme sur fond vert (la couleur traditionnel de l'islam) comportant la photo de Jean-Luc Mélenchon et l'une de ses phrases prononcées lors d'un discours à Marseille, le 14 avril 2012 : "Il n'y a pas d'avenir pour la France sans les Arabes et les Berbères du Maghreb". En dessous, on peut lire une inscription en arabe qui serait la traduction (à l'envers) de "Votons Mélenchon !". L'équipe de campagne de Marine Le Pen a immédiatement assumé la paternité de ce tract.

 

tract-Melenchon-arabe.JPG

Alors que Jean-Luc Mélenchon aurait pu répondre davantage sur le fond et rappeler qu'en vertue de notre histoire et des perspectives démographiques, notre avenir (mais aussi notre présent) passe effectivement par les Arabes et les Berbères du Maghreb, le candidat aux élections législatives a préféré concentrer ses efforts sur la forme en annonçant qu'une plainte serait déposée pour infraction au Code électoral.

 

Round 2 : une commémoration éminemment politique

Quelques jours plus tard, c'est Jean-Luc Mélenchon qui tire le débat sur le front mémoriel en organisant "une marche contre l'austérité et le fascisme" autour de la figure d'Emilienne Mopty, une résistante originaire du Pas-de-Calais. 

Le coup politique et médiatique est plutôt efficace. En s'attachant une figure de la résistance locale, Jean-Luc Mélenchon essaie de faire oublier son manque d'ancrage local qui constitue un handicap par rapport à sa principale adversaire. De plus, en faisant appel à une héroïne communiste intimement liée à l'histoire des mineurs du Nord-Pas-de-Calais, il exploite les effets inhérents à la pratique mémorielle : non seulement un sentiment d'intégration autour d'un évènement ou d'une figure commune et rassembleuse ; mais aussi une mobilisation autour d'une cause contemporaine renforcée par un comparatisme historique anachronique. 

Il suffit pour se convaincre de cet aspect de regarder les vidéos qui circulent sur Internet afin d'immortaliser (mais aussi diffuser) ce moment : 

 

 

Dès les premières secondes, le mot de "Résistance" est scandé par les meneurs de foules.

C'est ce même mot qui avait été choisi au-début du quinquennat de Nicolas Sarkozy pour dénoncer les dérives de sa politique. On l'a régulièrement entendu dans la bouche de ceux qui se sont finalement appelés ensuite les Indignés, mais aussi chez ceux qui reprochaient justement au précédent chef de l'Etat d'instrumentaliser l'histoire, sans forcément toujours comprendre qu'eux aussi répondaient alors par le même écueil. 

 

Cette pratique politique qui s'étend régulièrement sur le champ mémoriel n'est pas une particularité française. Quelques jours avant la manifestation organisée par Jean-Luc Mélenchon, une démarche similaire était entreprise par Bidzina Ivanichvili, principal opposant au pouvoir en Géorgie  dans un contexte similaire de campagne législative. En adéquation avec la politique de décentralisation menée sous son mandat, le président géorgien Mikhéil Saakakchvili a en effet célébré la fête nationale à Koutaïssi, promue deuxième ville du pays, plutôt qu'à Tbilissi, la capitale. Son principal opposant a dès lors exploité cette absence de l'espace symbolique pour organiser une cérémonie de recueillement dans la cathédrale de la Trinité (Sameba) en insistant sur l'hommage rendu à la mémoire des trois personnes décédée lors de la fête nationale de 2011.

Par cette cérémonie commémorative, Bidzina Ivanichvili met en scène son attachement à l'identité nationale par l'intermédiaire de l'Eglise géorgienne, tout en l'associant à une pratique émotionnelle qui rappelle sa posture d'opposition au pouvoir en place présenté comme répréssif.

 

Round 3 : la dérive godwinienne

Dans de telles conditions et avec de telles références culturelles, il n'a pas fallu longtemps aux deux opposants politiques pour répondre aux logiques du point Godwin.

Rappelant la nature mémorielle du rassemblement en l'honneur d'Emilienne Mopty, David Noël, secrétaire de section du Front de gauche à Hénin-Beaumont a rapidement dérivé vers le point Godwin le plus couramment admis, à savoir celui rapprochant sans autre forme de procédure le Front national et le fascisme (ou le nazisme selon les auteurs) :

"Son combat est toujours d'actualité. La marche d'aujourd'hui est contre l'austérité et le fascisme. On redresse la tête et on montre qu'ici c'est une terre de gauche (...), pas le fief de Marine Le Pen".

On remarquera néanmoins l'extrême prudence employée désormais par les auteurs de ces formules godwiniennes qui prennent toujours garde désormais à introduire une précaution syntaxique permettant ensuite de se protéger contre une éventuelle attaque en diffamation. Ainsi, Marine Le Pen n'est pas directement associée au fascisme dans cette phrase. Seul le rapprochement des deux sujets permet de supposer le sens du lien.

 

Les premiers coups ayant été donnés et l'échéance électorale étant imminente, la suite ne pouvait être que plus violente. Elle s'est faite sous la forme d'un nouveau tract présentant Jean-Luc Mélenchon grimé en Hitler, devant l'entrée d'un camp de concentration portant la célèbre inscription "Arbeit macht Frei" et une nouvelle citation du candidat :

 

Tract-Melenchon-Hitler.jpg

 

L'affiche rappelle bien entendu  celle réalisée contre Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle, quoique cette dernière soit encore plus violente. Il ne s'agit pas en effet seulement d'associer Jean-Luc Mélenchon à Adolf Hitler en laissant l'électeur libre de son interprétation. Cette fois-ci, il est clairement fait référence à la politique d'extermination menée par le dictateur. En rappelant le mot "éradication" employé par le candidat lors d'une interview, la volonté des concepteurs de ce tract est d'expliquer que Jean-Luc Mélenchon a pour ambition d'éliminer physiquement ses ennemis politiques, comme Hitler pour les communistes à partir de 1933.

 

L'attaque est violente mais, passé le temps de l'indignation, elle est aussi révélatrice de la validité de la théorie du point Godwin qui insiste sur le caractère systématique et l'omniprésence de la référence honnie du nazisme et du fascisme. Durant la campagne présidentielle, plusieurs historiens et philosophes avaient souligné les excès du candidat Mélenchon. Dans l'introduction de l'excellent ouvrage d' Emmanuel Laurentin sur les hommes politiques et l'histoire, Christophe Prochasson rappelle l'attachement et l'hommage récurrent du leader du Front de Gauche à des hommes politiques aussi controversés que Maximilien de Robespierre et Louis-Antoine de Saint-Just. Michel Onfray avait lui aussi mentionné dans un article du Nouvel Obs daté du 12 avril 2012 que cette admiration sans faille au père de la Terreur posait question. Et pourtant, cette référence à un épisode de l'histoire nationale n'est jamais parvenue à susciter autant de réactions que celle beaucoup moins logique (pour ne pas dire complètement irrationnelle) d'un rapprochement avec l'extrême-droite nazie.

 

Si les résultats de dimanche conduisent à une triangulaire en présence de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, les deux intéressés pourraient bien inventer un nouveau stade ultime du point Godwin.

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26 mai 2012 6 26 /05 /mai /2012 08:07

 

La polémique s'est progressivement diffusée cette semaine à partir du  Lab d'Europe 1 qui a permis de soulever plusieurs informations importantes au cours des derniers mois.

L'objet du délit est un photomontage réalisé par Robin King, directeur artistique de l'équipe de campagne de François Hollande :

 

Sarkozy-Hitler.jpg

 

A moins d'être un geek particulièrement habitué des réseaux sociaux, vous n'avez probablement jamais vu cette affiche car l'équipe du candidat socialiste a décidé de ne pas la diffuser officiellement. Néanmoins, son créateur l'a publié pendant quelques temps sur son compte facebook personnel et elle a été donc pu se diffuser en "off".

 

D'aucuns ont pu qualifier cette initiative de point Godwin, ce qui n'est pas tout à fait exact.

Le point Godwin est en effet censé être le résultat d'un débat dans lequel l'un des interlocuteurs ne trouve plus aucune issue sinon celle d'associer son contradicteur à une idéologie extrémiste en invoquant Hitler, Staline ou les camps de concentration.

Dans cette affaire, la figure hitlérienne est bien utilisée mais nous ne pouvons pas vraiment considérer qu'elle intervient dans le cadre d'un débat ou d'une discussion argumentée. Il s'agit ici simplement d'une campagne de propagande au message plutôt flou (est-ce la politique menée par Nicolas Sarkozy depuis 2007 qui doit être rapprochée au nazisme ou bien doit-on comprendre que Nicolas Sarkozy envisagerait un avenir de dictateur ?).

 

Cette affiche est donc plutôt révélatrice de l'omniprésence de la mémoire du nazisme dans notre échelle de valeurs occidentale. Lorsqu'il s'agit de dénoncer une personne, un acte ou une politique considérée comme relevant du mal absolu, la personne d'Hitler semble encore aujourd'hui signifier le message le plus clair devant Ben Laden, kadhafi ou Gengis Khan.

 

Aussi évidente soit-elle, cette référence commune est en fait révélatrice d'une construction mémorielle dont il convient de comprendre les rouages et les enjeux.

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17 mai 2012 4 17 /05 /mai /2012 07:57

 

Toute polémique sur un thème historique apporte souvent sa dérive "godwinique". Ce fut donc le cas autour de l'hommage rendu à Jules Ferry dans le discours de François Hollande au jardin des Tuileries le jour de son investiture.

 

Luc Ferry, ancien ministre de l'Education Nationale, s'est illustré en pourfendeur de symboles corrompus au début de la semaine. Il a rappelé à qui voulait bien l'entendre sur son compte Twitter que l'homme des lois scolaires de 1881 et 1882 était aussi un "colonialiste" doublé d'un "raciste".

Certains followers n'ont pas manqué de l'interpeller sur le sujet pour lui rappeler que sa critique était peut-être un peu facile et anachronique. D'autres, encore plus taquins, sont allés consulter ses discours d'ancien ministre de l'Education Nationale pour rappeler que la référence à Jules Ferry ne semblait pas si nauséabonde au philosophe durant son mandat puisqu'il a lui-même rendu hommage au père de l'école laïque, gratuite et obligatoire à l'Assemblée nationale en 2004. A l'époque, il ne semblait pas choquant pour le ministre de distinguer les positions de Jules Ferry sur la laïcité (qu'il entendait reprendre à son compte) et les positions par ailleurs colonialistes. Aujourd'hui, une telle distinction ne serait plus possible... mais les Tweet ne disent pas pourquoi !!

 

Par contre, comme souvent pour esquiver une impasse dans l'échange polémique, l'un des interlocuteurs décide de dériver vers une comparaison avec le nazisme : c'est exactement le principe du Point Godwin dont nous suivons les manifestations depuis quelques semaines sur ce blog ( voir la catégorie dédiée). Ainsi, Luc Ferry a-t-il fini par répondre à ses contradicteurs :

"On a le droit d'inventaire. Hitler a construit des autoroutes, ça ne justifie pas son bilan"

 

Bref, il faudrait taire les actions positives des personnages les plus controversés de l'Histoire car cela risquerait d'adoucir leur bilan, mais il faudrait par ailleurs dénoncer fermement les positions contestables d'autres quitte à occulter la majorité de leur travail irréprochable : curieuse conception de l'Histoire et de la mémoire pour un philosophe !

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26 avril 2012 4 26 /04 /avril /2012 12:31

 

Depuis les résultats du premier tour à l'élection présidentielle française, et le classement de Marine LE PEN en troisième position avec 18% des suffrages, une vague historico-mémorielle (pour ne pas dire hystérico-mémorielle) s'empare des médias et des réseaux sociaux.

 

Le premier journal a avoir lancé la polémique dans les kiosques est l'Humanité avec cette Une plutôt osée :

Une-Humanite-Sarkozy-Petain.jpg

 

Depuis, les militants se déchaînent sur Twitter et Facebook. Les affiches de propagande se succèdent pour diffuser l'idée d'un président-candidat aux racines intellectuelles vichystes :

Petain-fete-du-travail-1.jpg

Petain-fete-du-travail-2.jpg

 

Le raccourci est bien entendu excessif mais c'est un peu le principe d'une campagne électorale.

 

Quitte à utiliser le passé pour montrer les accointances entre l'UMP et les idées d'extrême-droite, autant mobiliser des faits évidents qui concernent directement les dirigeants actuels : je rappelle par exemple qu'à l'occasion des cantonales de 2011, les instances dirigeantes de l'UMP s'étaient refusées à donner des consignes de vote en cas de duel entre le Parti socialiste et le Front national au second tour.

 

L'indignation actuelle du président-candidat et de ses lieutenants est d'autant plus feinte et instrumentalisée qu'elle s'oppose à d'autres points Godwin beaucoup plus violents et radicaux qui n'ont pas été dénoncés avec la même vigueur dans le cadre du premier tour.

 

Le premier d'entre-eux apparaît sous la plume de Jean-Pierre RANOUX, conseiller municipal et membre du groupe d’élus Communistes et Républicains de Chenôve en Bourgogne.

Dans une tribune libre du bulletin municipal, il écrit : « M. Sarkozy […] considère que les corps intermédiaires, dont les syndicats, appartiennent à une élite glissée entre lui et son bon peuple. Le chancelier Adolph Hitler en 1933 a donné corps à cette idée en supprimant les syndicats… ».

Pierre JACOB, président du groupe UMP « Un nouveau souffle pour Chenôve », a alerté le préfet de Côte-d’Or, Pascal MAILHOS, mais la polémique n'a pas été reprise et exploitée à l'échelle nationale.

 

Le second point Godwin a été davantage relayé car il est le fruit d'un maestro en la matière : Jean-Marie LE PEN.

En marge du dernier meeting de sa fille Marine au Zénith de Paris mardi 17 avril, le président d'honneur du Front national a fait un rapprochement entre les initiales de l'actuel président de la République (NS) et celles du parti nazi (le national-socialisme). Filant la métaphore, entre autres traits d'humour visiblement réservés à un public d'initiés, Jean-Marie LE PEN a également comparé la place de la Concorde (où Nicolas Sarkozy a organisé un meeting) à Nuremberg, magnifique ville de Bavière tristement célèbre pour ses gigantesques rassemblements et manifestations en l'honneur d'Hitler.

 


Il faut reconnaître que Jean-Marie LE PEN est visiblement un spécialiste (et surtout un passionné) de la culture nazie.
Les commémorations de la Guerre d'Algérie ont en effet permis de rappeler récemment une histoire sordide à propos du président d'honneur du Front national.

Engagé volontaire dans le 1er régiment étranger parachutiste, le sous-lieutenant Jean-Marie Le Pen a participé à la guerre d'Algérie sous les ordres du général Paul Aussaresses en 1957.

Au cours d'une mission ayant conduit à la torture d'Ahmed Moulay (à l'eau, l'électricité, mais aussi le tailladage au couteau des commissures des lèvres), un des parachutistes français présent a oublié sa ceinture à laquelle était accroché un poignard. Récupéré courageusement par le fils de la victime alors âgé de 12 ans et ayant assisté à la scène, l'objet ne réapparaîtra qu'en 2003, date à laquelle l'envoyée spéciale du Monde à Alger réussit à le rapporter en France pour le présenter comme pièce à conviction à la 17ème chambre lors du procès en diffamation intenté par Jean-Marie Le Pen contre le journal.

La description offerte par la journaliste est sans appel : "En acier trempé, long de 25 centimètres et large de 2,5 centimètres, il s'agit d'un couteau du type de ceux qu'utilisaient les Jeunesses hitlériennes, fabriqué par des couteliers allemands de la Ruhr. La lame porte le nom de J.A. Henckels, fabricant à Solingen. Le manche, en partie recouvert de bakélite noire, est incrusté d'un losange dont l'écusson est tombé dans les années 1970, à force d'avoir été manipulé par les enfants Moulay. Sur le fourreau de ce poignard, on peut lire : J. M. Le Pen, 1er REP".

 

Est-ce cette expérience du passé qui autorise certains à pouvoir atteindre les sommets du point Godwin sans susciter la moindre indignation... ou bien la volonté de ne pas braquer des électeurs indispensables au second tour ? Quoiqu'il en soit, le point Godwin semble avoir une géométrie variable selon son auteur, son destinataire et l'époque à laquelle il est atteint.

 

 

Actualisation du 03 mai 2012 :

Nous avons appris ce jour la disparition de Mohamed Moulay, fils d'Ahmed Moulay, évoqué dans cet article. Malgré son histoire, il avait gardé une amitié respectable pour la France.

 

 

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17 mars 2012 6 17 /03 /mars /2012 10:50

 

A plusieurs reprises, nous avons déjà évoqué l'existence de ce fameux point Godwin sur notre blog.

Son principe est assez simple : plus un débat dure, plus les probabilités qu'un interlocuteur ait recours à une comparaison impliquant Adolf Hitler ou le régime nazi augmente.

Cette théorie jamais vraiment théorisée par son inventeur, l'avocat américain Mike Godwin, se vérifie assez régulièrement dans l'espace publique et dans les discours politiques (en période présidentielle ou non).

 

Au-delà de l'anecdote et des polémiques qui accompagnent toujours de telles déclarations susceptibles de comparer un individu à Hitler ou une politique au nazisme, ce phénomène est éminemment révélateur de notre régime de pensée historico-mémoriel.

C'est pourquoi nous avons décidé de créer une nouvelle catégorie sur ce blog visant à recenser et analyser les différentes manifestations du point Godwin, en France et à l'étranger. Les contributions des lecteurs de ce blog (de plus en plus nombreux chaque semaine et je vous en remercie) sont évidemment les bienvenues.

 

La dernière manifestation en date est celle de Jacques Béhague, vice-président UMP du conseil général des Hautes-Pyrénées qui, dans un article du 8 mars 2012 sur  son blog, a comparé le candidat socialiste François Hollande à Adolf Hitler.

L'article a depuis été retiré du site mais il est possible d'utiliser les citations recueillies par le journal Le Monde :

"François Hollande se rend coupable de pratiquer l'apologie de la haine d'une population, celle des riches. (...) Cette haine des riches a déjà été développée par Adolf Hitler au travers des juifs"

"J'accuse Monsieur Hollande de faire renaître ces mêmes haines qui ont conduit l'humanité dans ce que nous avons connu de plus effroyable et de nauséabonde. J'accuse monsieur Hollande de prôner le nettoyage ethnique de tous ceux qui auraient le malheur de 'trop' gagner d'argent, soit par la confiscation de leurs biens et de leurs revenus, soit par l'incitation à l'émigration".

 

La particularité de Jacques Béhaque réside dans sa capacité à nous offrir dans le même article une figure jamais rencontrée jusqu'à présent : celle d'un double point Godwin. En quelques lignes, il parvient en effet à accuser François Hollande de marcher sur les traces économiques et idéologiques d'Adolf Hitler, mais aussi de vouloir créer des "camps de concentration" pour les Roms.

 

Les propos de cet homme politique sont vraiment intéressants car ils montrent une démarche visiblement assumée et réfléchie. D'une part, ils ont été écrits et non pas prononcés dans l'enthousiasme d'un discours qui aurait dérapé. D'autre part, ils s'inscrivent dans un argumentaire mobilisant plusieurs idées visant à appuyer sa thèse d'un candidat socialiste qui tenterait de dissimuler maladroitement sa composante "nationale".

 

Jacques Béhague n'avait cependant probablement pas pensé qu'une telle attaque contribuerait davantage à consolider la position de François Hollande plutôt qu'à la discréditer. En affirmant que le candidat socialiste envisage "le nettoyage ethnique de tous ceux qui auraient le malheur de "trop" gagner d'argent", il confirme en effet un discours entendu plus souvent à l'extrême-gauche qu'au Parti Socialiste qui consiste à faire croire que "les riches" constitueraient une sorte de caste homogène, voire un peuple, une nation à part entière. En prenant leur défense de cette façon, le vice-président du conseil général des Hautes-Pyrénées soutient donc l'idée que cette communauté ethnique des riches existe et qu'il est possible de la soutenir ou de la dénoncer.

 

Dans ces conditions, la seconde composante de son double point Godwin annule la première. Jacques Béhague démontre en seulement quelques lignes les excès rhétoriques de cette stratégie.

 

 

NB : Vous pouvez être informés régulièrement des nouveaux articles de ce blog en vous inscrivant à sa newletter.

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