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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Paperblog : Les meilleurs actualités issues des blogs

Cherche La Pépite

28 octobre 2015 3 28 /10 /octobre /2015 09:53

 

English summary

Ben Carson, candidate for the Republican nomination in the 2016 presidential election, declared that "The likelihood of Hitler being able to accomplish his goals would have been greatly diminished if the people had been armed". New historical theory ? In fact, only a new example of the Godwin's Law in the American (and Occidental) memorial system. 

Premiers rebondissements mémoriels dans la campagne présidentielle américaine

Certaines logiques mémorielles sont parfois impénétrables. 

Que les candidats à l'investiture républicaine aux Etats-Unis soient opposées à toute forme de durcissement dans la législation sur le port d'armes s'entend : 

  1. Tout d'abord, cette idée est en totale contradiction avec leur idéologique ultra-libérale solidement défendue dans le deuxième amendement de la Constitution. 
The American Bill of Rights

The American Bill of Rights

« Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. »

American Bill of Rights

  1. Ensuite, la National Rifle Association (NRA) qui milite activement pour défendre le droit des porteurs d'armes exerce une très forte influence sur l'électorat républicain dont seulement 13% des membres pensent que ce lobby a trop d'influence (contre 68% chez les électeurs démocrates). En tant que candidat à l'investiture républicaine, il serait suicidaire d'adopter une position contraire. 
  2. Enfin, à partir du moment où Barack Obama s'est positionné pour un contrôle plus strict du port d'armes aux Etats-Unis, il devient quasiment systématique pour les candidats républicains d'adopter une position inverse. 

Les récentes tueries de masse qui se multiplient dramatiquement depuis quelques semaines aux Etats-Unis ont conduit la plupart des candidats à exprimer clairement leur position à ce sujet. 

Parmi eux, Ben Carson, candidat républicain qui est actuellement le mieux placé dans les sondages après le tonitruant Donald Trump (sondages en date du 28/10/2015). 

Premiers rebondissements mémoriels dans la campagne présidentielle américaine

Lors d'une interview accordée à CNN au début du mois d'octobre 2015, ce candidat s'est fendu d'une comparaison historique pour défendre sa position pro-armes : 

La probabilité qu'Hitler puisse atteindre ses objectifs aurait été grandement diminué si les gens avaient été armés

CNN

Ce à quoi Ben Carson a ajouté ensuite : "Quand la tyrannie advient traditionnellement dans le monde entier, ils essaient de désarmer les gens d'abord". 

Cette déclaration pose évidemment de nombreuses questions aussi dramatiques que dérangeantes dans la perspective d'une lecture uchronique de l'histoire (aussi appelée alternate ou "What if" history en anglais) : 

  • Aurait-il fallu que les Juifs allemands aient des armes individuelles pour résister à l'antisémitisme omniprésent dans l'Allemagne des années 1930 ? 
  • Aurait-il suffi que les Juifs allemands aient des armes individuelles pour résister à l'industrie militaire nazie qui a permis de conquérie une grande partie de l'Europe en quelques mois ? 

Mais on comprend bien que ce ne sont pas du tout ces problématiques historiennes qui intéressent Ben Carson. Ses principaux objectifs en utilisant cette malheureuse formule visent à contrer politiquement ces deux principaux adversaires : 

  1. Donald Trump qui s'impose depuis quelques mois comme le roi de la formule choc qui permet d'attirer les médias et de monopoliser des heures d'antenne en jouant sur les plus bas instincts. 
  2. Barack Obama (et les principaux dirigeants démocrates) qui sont ainsi comparés à Hitler car ils voudraient prendre le contrôle des armes pour ensuite mieux contrôler la société américaine et lui imposer une tyrannie. 

C'est donc ce que l'on appelle un parfait Point Godwin qui vise encore une fois à mobiliser les références d'un régime mémoriel obnubilé par le nazisme pour mieux tuer le débat et disqualifier son adversaire. 

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22 octobre 2013 2 22 /10 /octobre /2013 09:38

C'est l'affaire du moment, voire l'affaire du quinquennat selon certains journalistes persuadés de chroniquer des évènements historiques chaque matin : Leonarda Dibrani, 15 ans, collégienne rom scolarisée en 3e dans le Doubs, a été interpelée par la police le mercredi 9 octobre dans le cadre d'une sortie scolaire.

En quelques jours, l'évènement est rapidement devenu une "affaire" mobilisant la plupart des services d'information prompts à recueillir le moindre avis et la toute dernière remarque d'un dirigeant politique, mais aussi d'un associatif ou d'un témoin de l'interpelation. Dans ce contexte de boulimie déclarative, il est arrivé que certains laissent échapper une faille dans les éléments de langage de leur plan de communication ou bien décident consciemment de jouer la provocation en utilisant le terme de "rafle" appliqué à l'arrestation de Leonarda Dibrani. C'est le cas notamment du député socialiste du Nord Bernard Roman, mais aussi de la sénatrice écologiste Esther Benbassa, ou encore du coprésident du Parti de Gauche Jean-Luc Mélenchon.

Affaire Leonarda : nouveau Point Godwin à la française

Un débat médiatique sur l'histoire sans historien

Il n'en fallait pas davantage pour relancer la machine médiatique pendant au moins 48h, avec cette particularité cependant d'être en mesure d'ergoter pendant des heures sans jamais mobiliser l'avis d'un historien sur le sujet, alors même qu'un journaliste faisait récemment remarquer qu'il fallait "appeler les historiens à se montrer plus offensifs" pour ne pas délaisser le front du débat aux bonimenteurs.

L'éditorialiste politique Alba Ventura ne s'est pas encombrée de tels scrupules, préférant donner des leçons de morale aux responsables politiques qui utilisent un terme renvoyant "à une autre époque" et ne faisant "qu'attiser la violence" :

Alba Ventura : "En employant des mots comme rafle, les politiques attisent la violence"

Si de nombreux historiens refusent de se rendre sur les plateaux de télévision et dans les studios de radio pour commenter l'actualité, ce n'est certainement pas parce qu'ils seraient perchés et reclus dans une tour d'ivoire arrogante des savoirs et de la connaissance, mais parce que leur discipline ne se prête guère à l'exercice journalistique où l'angle d'approche doit être immédiatement identifié et laisser peu de place à la nuance (ce qui constitue au passage un exercice complexe et respectable à porter aux crédit de nos amis journalistes).

Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant que les historiens ne se prononcent pas sur l'actualité et n'ont pas d'avis sur le monde qui les entoure. Jean Birnbaum convoquait Duby pour justifier l'intervention des historiens sur la place publique en citant ces mots : "Je ne perds aucune occasion de m'adresser à d'autres qu'à mes élèves et à mes collègues". Je préfère pour ma part citer cette anecdote de Marc Bloch dans Apologie pour l'histoire :

L'incompréhension du présent naît fatalement de l'ignorance du passé. Mais il n'est peut-être pas moins vain de s'épuiser à comprendre le passé, si l'on ne sait rien du présent.
J'ai déjà ailleurs rappelé l'anecdote : j'accompagnais, à Stokholm, Henri Pirenne ; à peine arrivés, il me dit : "Qu'allons-nous voir d'abord ? Il paraît qu'il y a un Hôtel de Ville tout neuf. Commençons par lui". Puis, comme s'il voulait rpévenir un étonnement, il ajouta : "Si j'étais antiquaire, je n'aurais d'yeux que pour les vieilles choses. Mais je suis historien. C'est pourquoi j'aime la vie".
Cette faculté d'appréhension du vivant, voilà bien, en effet, la qualité maîtresse de l'historien.

Apologie pour l'histoire ou métier d'historien

 

Rafle ou pas rafle ?

Suivant l'exemple de leurs prédecesseurs, les historiens contemporains se sont pas restés insensibles à l'affaire Leonarda. Leurs propos recueillis sur des blogs, des listes d'information professionnelles ou dans les médias écrits témoignent de deux positions majoritaires qui se cristallisées autour d'un article d'Eric Conan dans Marianne.

Selon ce journaliste ayant coécrit avec Henri Rousso un ouvrage essentiel sur la construction mémorielle de la Seconde Guerre mondiale en France (Vichy, un passé qui ne pas pas), il y aurait lieu de se préoccuper de "ce qui sort de certains cerveaux de gauche après deux décennies de « devoir de mémoire»". En l'occurence, il considère que "ces comparaisons avec Vichy et le nazisme ne sont pas seulement obscènes et sacrilèges, elles sont dangereuses et coupables" car elles joueraient en toute désinvolture avec "des mots du passé sacrés, chargés de honte ou de gloire, de drames ou de sacrifices, qui ne nous appartiennent pas".

Affaire Leonarda : nouveau Point Godwin à la française

Au-delà de la position tranchée de l'auteur, l'un des intérêts de ce texte réside dans le rappel d'autres affaires qui ont déjà suscité de tels rapprochements avec l'histoire de Vichy : l'association Act Up par exemple qui dénonce dans les années 1990 l'indifférence des Français et de leur gouvernement face à l'épidémie de Sida, ou encore les manifestations contre les lois Pasqua-Debré sur l'immigration qui mettent en scène de faux déportés et des affiches assimilant le ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré à Pétain.

Eric Conan pousse cependant la réflexion à l'extrême en considérant que ceux qui utilisent le terme de "rafle" pour décrire l'arrestation puis l'expulsion de Leonarda entretiennent inconsciennement une forme de négationnisme "peut-être plus efficace que le négationnisme pervers des antisémites". Selon lui, la comparaison abusive entre la France d'aujourd'hui et celle de Vichy participerait à une banalisation des drames de l'Histoire qu'aucune sommité intellectuelle ne serait plus désormais en mesure de dénoncer. Il est vrai que la dernière fois qu'on a vu l'une des figures qu'il invoque à la télévision, à savoir Serge Klarsfeld, c'était pour soutenir le député Christian Vanneste qui venait de nier sans aucune source historique l'existence d'une déportation pour motif d'homosexualité à partir de la France...

Face à cette argumentation, d'autres historiens tels que Charles Heimberg ont pris la plume pour rappeler qu'Eric Conan pouvait lui-même être considéré comme "pris au piège du « devoir de mémoire »".

La mise au point est simple : "S'il n'y a pas lieu d'assimiler l'affaire de Leonarda à une rafle, il n'en reste pas moins qu'une réflexion comparatiste, distinguant points communs et différences, garde tout son sens dans la perspective d’une intelligibilité du passé qui puisse éclairer le présent et ses enjeux".

On retrouve dans ces mots la tonalité de Marc Bloch et d'Henri Pirenne sur l'usage du passé comme piste de lecture du présent, tout en ajoutant la dimension nouvelle du travail de mémoire qui, malgré toutes ses limites scientifiques, relèverait d'une démarche utile pour prévenir l'éventuel retour de pratiques violentes qu'on pourrait croire strictement cantonnées aux livres d'histoire.

Un point Godwin à la française

A mon sens, ce débat engagé chez les historiens et poursuivi sur de nombreux forums relève d'une adaptation française de la théorie du Point Godwin.

Si le principe initial de cette loi repose sur la probabilité exponentielle de trouver une comparaison impliquant Hitler et les nazis au cours d'une discussion, nous avons déjà pu remarquer sur ce site que le schéma universel se décline généralement en une multitude d'adaptations nationales.

Dans le cadre de ce débat, la dérive a été particulièrement rapide en raison des origines ethniques de la jeune fille et de l'intervention des forces de police française qui, selon les propos même de l'enquête administrative, ont manqué de "discernement".

Or, n'est-ce pas ce que l'on a longtemps reproché aux policiers français sous le régime de Vichy ? N'est-ce pas non plus le sens de l’interpellation du député Bernard Roman qui ne se contente pas de dénoncer une rafle, mais en profite pour revendiquer un "devoir d'insurrection" que d'autres préfèrent qualifier d'indignation.

En somme, il me semble abusif de considérer ces échanges comme relevant d'une accusation sérieuse de dérive totalitaire à l'encontre du pouvoir en place. La plupart des interlocuteurs sont bien conscients de se situer sur le terrain de la posture politicienne qu'ils entretiennent volontairement.

En revanche, cette polémique n'en demeure pas moins significative d'une forme d'usage politique du passé et du régime mémoriel de notre société. En ce sens, elle constitue une nouvelle contribution intéressante à l'écriture de l'histoire des mémoires de la Seconde Guerre mondiale.

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1 août 2013 4 01 /08 /août /2013 07:18

 

Notre société contemporaine a peur. Face aux doutes et au manque de perspective sur l'avenir, elle se bloque sur un présent omniprésent, quand elle ne se retourne pas d'ailleurs vers un passé fantasmé.

Cette constatation est celle de l'historien François HARTOG dans son étude sur les régimes d'historicités (réédition : Le Seuil, 2012) visant à expliquer les rapports qu'ont entretenu les hommes avec le temps. Il en arrive à la conclusion que nos sociétés contemporaines sont engluées dans ce qu'il a appelé "le présentisme". 

 

Régimes d'historicitéCroire-en-l-histoire.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette thèse a trouvé une nouvelle application dans la sauvegarde des témoignages des survivants du génocide des Juifs d'Europe qui constitue l'une des entreprises mémorielles les plus révélatrices de ce phénomène.

Depuis plusieurs décennies, le régime nazi s'est en effet imposé en Occident comme l'incarnation absolue du Mal dont il serait indispensable d'entretenir le souvenir afin de se protéger d'un éventuel retour insidieux. L'édition et la réédition de témoignages, de documentaires, de films, l'entretien de sites et monuments accueillant de multiples commémorations, la création de projets mémoriels tels qu'Aladin ou la Shoah Foundation Institute for Visual History and Education de Steven Spielberg, les dizaines de concours organisés chaque année... contribuent continuellement à notre actuel régime d'historicité.

 

Afin de moderniser ce phénomène (à défaut de pouvoir l'actualiser), l’ITC (Institute for Creative Technologies) et la Shoah Foundation Institute ont mis au point un nouvel outil promis à un bel avenir : modéliser les survivants encore en vie sous la forme d’hologrammes interactifs.

 

 

Techniquement, ces témoins ont enregistrés des heures d'interview supposées répondre aux questions récurrentes des élèves et visiteurs des musées.


Si l'idée peut se défendre d'un point de vue pédagogique et muséographique, elle n'est pas sans poser question d'un point de vue historiographique.

Tout d'abord, cette entreprise témoigne d'une appréhension toujours plus grande face à la disparition progressive des survivants de cet évènement qui occupe une place centrale dans notre système mémoriel. A défaut de témoins, certains se demandent si nos sociétés seront suffisamment armées pour continuer à défendre la mémoire du génocide des Juifs d'Europe contre un éventuel regain d'attaques négationnistes.

Ensuite, la forme même de ce projet interroge sur les modalités mémorielles du souvenir de la déportation. Par l'enregistrement et la reconstitution virtuelle du corps et de la voix des survivants en 2013, ce n'est pas seulement la mémoire du génocide des Juifs que nous conservons, mais bien la mémoire du génocide des Juifs au moment de l'enregistrement. Par cette technique, le témoignage est en quelque sorte sanctuarisé alors que  de nombreuses études ont montré à quel point le processus de remémoration pouvait être sujet à de multiples variations.

Enfin, bien que l'objectif initial soit de conserver le témoignage dans sa forme la plus pure, l'usage d'hologrammes n'est pas neutre. Il implique la mise en scène d'un témoin âgé, à la voix fragile, que l'on ne peut pas interrompre, et qui semble issu d'un autre temps. Tout ceci contribue à entretenir une forme de respect et d'émotion inhérente à la mémoire.

 

Si les nouvelles technologies nous permettent donc désormais de conserver plus longtemps les traces du passé, il convient de pouvoir réfléchir et discuter de ces nouvelles potentialités au même titre que pour la biotechnologie. Les historiens ne peuvent a priori que se réjouir de la multiplication des sources qui leur permettront plus tard de mieux écrire l'histoire. Cela ne sera cependant possible qu'à condition qu'une réflexion soit menée sur la valeur de ces documents que nous produisons pour la postérité et qui répondent dans le cas présent davantage à des objectifs mémoriels qu'historiques.

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10 juillet 2012 2 10 /07 /juillet /2012 07:10

 

L'historienne Susann Mauss a fait une découverte exceptionnelle au cours de ses recherches. Le genre de découverte qui justifie les heures passées dans des centres d'archives obscures à consulter des liasses de papier.  Adolf Hitler a momentanément protégé un ancien camarade juif.

Ernst Hess a en effet bénéficié pendant quelques années d'un document émanant des services d'Heinrich Himmler spécifiant que selon les souhaits du Führer en personne, il ne devait pas être importuné en raison de sa judéïté .

Le motif de cette exceptionnelle indulgence repose sur le fait que les deux hommes aient combattu dans le même régiment durant la Première Guerre mondiale. Ils n'étaient pas pour autant amis et au contraire, la fille d'Ernst Hess rapporte la surprise de son père et de ses camarades de combat lorsqu'ils apprennent en 1934 que l'homme fort du Reich a combattu à leurs côtés pendant la Grande Guerre tant il était discret, voire asocial à cette époque. 

La protection sera cependant de courte durée car le précieux document lui est retiré en juin 1941. Ernst Hess devient alors un juif comme les autres et, à ce titre, déporté. Malgré cette expérience traumatisante, il survit et poursuit ensuite une carrière dans les chemins de fer.

 

La découverte est certes intéressante, mais son traitement médiatique l'est peut-être plus encore. Dans la bouche ou sous la plume de certains journalistes, la découverte de cette archive a quasiment détrôné celle du potentiel Boson de Higgs quelques jours plus tôt (il faut dire que la plupart des journalistes avaient alors l'impression de mieux la comprendre). La monstruosité d'Hitler était alors remise en cause. Celui que l'on considère souvent comme l'essence du Mal aurait présenté des failles.

 

C'est à ce titre que nous pouvons considérer que cette découverte est beaucoup plus intéressante d'un point de vue mémoriel qu'historique.

Les innombrables biographies consacrées à Hitler ont très souvent montré (parfois même à outrance dans des exercices de psychologie historique douteux) la face "humaine" du dictateur. Pour rester dans le même domaine, nous savons qu'Hitler avait accordé sa protection personnelle à un autre juif, Eduard Bloch, qui était son médecin de famille. Cet exemple est d'ailleurs beaucoup plus révélateur que celui d'Ernst Hess car Eduard Bloch a réellement entretenu une relation presque amicale avec le jeune Adolf Hitler qui n'a eu de cesse de lui prouver sa gratitude après que le médecin ait accompagné sa mère vers la mort en 1907.

Dans le cas d'Ernst Hess, à l'exception de ce document retrouvé par Susann Mauss, rien ne précise exactement la nature et les circonstances de cette protection. Etait-ce strictement individuel ou collectif ? Hitler avait-il accordé sa protection à tous les soldats du régiment ? Avait-il vraiment précisé les modalités concernant de potentiels militaires juifs ? En avait-il vraiment conscience ou s'agit-il d'une interprétation d'un subordonné ? Rien n'est moins sûr.

En revanche, la réaction des médias est révélatrice de la place qu'occupe encore Hitler dans l'inconscient collectif. Alors que la théorie du point Godwin délaie cette information dans des références multiples et souvent polémiques, la découverte de cette nouvelle archive illustre à quel point Hitler s'est imposé comme un personnage à part dans l'histoire et la mémoire de l'humanité, comme une référence culturelle commune et quasiment universelle censée représenter le Mal. Dès lors, toute nouvelle information biographique signalant une once d'humanité sera considérée comme une faille, un défaut dans la construction mémorielle de son image.

Hitler avait-il lui-même anticipé cette entreprise mémorielle ? Avait-il conscience de sa postérité ? Voilà des questions qui constitueraient une très belle étude historienne sur les mémoires.

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29 juin 2012 5 29 /06 /juin /2012 11:38

 

Le philosophe Roger Garaudy est décédé le mercredi 13 juin 2012 à l’âge de 98 ans. Déporté dans les camps vichystes d’Afrique du Nord durant la Seconde Guerre mondiale, député puis sénateur PCF avant d'être exclu du Parti, il est aussi l'auteur en 1995 d'un ouvrage polémique intitulé Mythes fondateurs de la politique israélienne dans lequel il développe sa pensée négationniste du génocide des juifs d'Europe par les Nazis. Il a d'ailleurs été condamné en 1998 pour contestation de crimes contre l’humanité, diffamation raciale et provocation à la haine raciale à la suite de la polémique autour de ce livre.

 

Pour signaler sa disparition souvent évoquée par une simple dépêche de l'AFP dans la plupart des médias français, un certain Robert Paulisson (qui a l'usage taquin du pseudonyme puisque personne n'aura échappé à l'évocation implicite de Robert Faurisson) s'est livré à un exercice journalistique particulièrement réussi : la négation de la disparition du négationniste ( lire l'article ici). En usant des méthodes traditionnelles du négationnisme, le journaliste rend ainsi hommage à sa façon en contestant la thèse officielle du décès de Roger Garaudy.

 

Au-delà du clin d'oeil journalistique, cet article est aussi un moyen de lutter contre le négationnisme en utilisant l'ironie et l'humour politiquement incorrect. Peut-être l'auteur a-t-il également considéré qu'il était possible par ce moyen de rendre justice à la mémoire des milliers de victimes du génocide des juifs en infligeant à celle de leur bourreau le châtiment qu'il a lui-même utilisé quelques années auparavant.

 

Bref, un exercice de style réussi et intéressant !

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10 septembre 2011 6 10 /09 /septembre /2011 07:46

 

World-trade-center-au-trocadero.jpg

 

A la veille d'une opération de commémorationite aiguë, une modeste contribution visant à apporter quelques éclairages historiens et mémoriels autour du 11 septembre 2001. 

Actualité oblige, cet article a été publié sur LePLus du Nouvel Obs ici.

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28 juin 2011 2 28 /06 /juin /2011 11:56

 

Les expériences liées à la mémoire n’en finissent d’étonner tant elles sont riches et diverses. Memoro n’est cependant pas une action supplémentaire qui viendrait s’ajouter aux projets déjà bien nombreux d’histoire orale liés à la Seconde Guerre mondiale. Cette initiative mise sur la participation active et volontaire des internautes qui s’emparent de cet outil.

 

Memoro-copie-2.pngPage d'accueil du site Memoro.org : cliquez sur l'image

 

 

Un projet participatif

Le projet est né en 2008 à Turin par l’initiative de quatre jeunes Italiens particulièrement dynamiques et entreprenants. Valentina Vaio, Luca Novarino, Lorenzo Fenoglio et Franco Nicola ont décidé de réactualiser la pratique ancienne et initiatique du parcours de la mémoire auprès des anciens.

Son principe est simple : pourquoi conserver dans notre seule mémoire individuelle (et faillible) les histoires de nos grands-parents alors que les évolutions technologiques permettent désormais de les mettre en valeur, les conserver et les partager avec la planète entière tout en contribuant modestement à l’écriture d’une histoire mondiale ?

Il ne s’agit donc pas d’une activité strictement liée à un évènement ou une période historique précise, financée par des organismes à la philanthropie sélective. Sur Memoro, ce sont les acteurs et les utilisateurs qui décident de la valeur d’un témoignage et de son utilisation. La seule contrainte temporelle consiste à ne sélectionner (pour l’instant) que des témoignages de personnes nées avant 1950.

 

Une mémoire internationale

L’une des autres richesses de ce projet repose sur la croyance en une valeur universelle de la mémoire. Dès lors, la dimension internationale s’est rapidement imposée et des liens ont été tissés entre les chasseurs de mémoire d’Italie et d’autres passionnés en Allemagne, Espagne, France, Royaume-Uni, Argentine, Puerto Rico, Venezuela, États-Unis, Japon et enfin au Cameroun. Cette liste déjà impressionnante est appelée à s’étendre encore davantage dans les prochains mois (en Suisse, Belgique, Pologne, Grèce, Maroc, Namibie, Malawi, Suède, Australie, Chine). Elle témoigne pourtant déjà d’une diversité intéressante qui contourne les limites d’une mémoire souvent strictement nationale, voire locale ou communautaire.

On peut cependant regretter que le site ne permette pas encore d’effectuer une recherche sur l’ensemble des réseaux nationaux à partir d’un mot-clef tapé en anglais. Ce sera peut-être l’une des évolutions à proposer dans les années à venir.

 

Une réflexion profonde et sérieuse sur l’histoire et la mémoire

Autre aspect très pratique de Memoro : le format très court et thématique des vidéos mises en ligne. Sur ce site, pas de discours fleuves et de témoignages filés. Les intervenants acceptent de relater un souvenir précis de leur vie, quitte ensuite à multiplier pour un seul témoin les vidéos qui lui permettront de recenser tous les évènements importants qu’il souhaite partager.

Certes, nos amis sociologues avanceront probablement les limites et les failles d’une telle procédure, et ils auront raison. Un bon témoignage n’est exploitable que lorsqu’il est placé dans son contexte d’élocution et de mémoration. Néanmoins, malgré toutes ces précautions méthodologiques, un souvenir n’en devient jamais pour autant infaillible. Ce cadre est parfaitement assumé par les concepteurs du site qui ne prétendent pas faire œuvre d’histoire et se spécialisent sans regret dans une entreprise de mémoire.

Ce choix ne signifie pas pourtant que Memoro est une réalisation d’amateurs nostalgiques. Au contraire, les choix méthodologiques et scientifiques sont mûrement réfléchis en amont. L’organisation du site est sérieuse et répond aux exigences du projet et des utilisateurs. Enfin, les concepteurs et participants ont le souci de diffuser et de rendre utiles leurs travaux. Progressivement, des partenariats sont donc passés avec des entreprises, des institutions, des médias, voire des universités pour enrichir le projet, le perpétuer, et surtout, rendre disponible ses milliers d’heures de témoignages à tous ceux qui veulent s’en emparer.

 

Vers une nouvelle forme de tourisme mémoriel

Enfin, Memoro ne se contente de collecter et de collectionner les mémoires comme le ferait un lépidoptérophile en épinglant ses papillons sur un mur de liège. Par l’intermédiaire de ce projet, ces initiateurs ne veulent pas seulement donner de la matière aux historiens. Ils croient aussi fermement dans la possibilité de rapprocher les hommes par la mémoire.

A l’échelle internationale tout d’abord, on ne peut que constater que la mémoire d’un soldat italien engagé dans l’armée mussolinienne, mobilisé dans l’occupation du sud de la France durant la Seconde Guerre mondiale, avant d’être fait prisonnier par les Nazis, permet de relativiser l’écriture d’une histoire bien trop souvent nationale.

A l’échelle nationale ensuite, la rencontre d’un reporter et du témoin permet également de créer une alchimie intéressante entre les générations qui prennent conscience, le temps d’une interview, d’être les outils d’une mémoire qui se transmet. Le public scolaire pourra donc trouver sur ce site non seulement des ressources pour apprendre, mais aussi des activités pédagogiques à placer sous le signe de la mémoire et de l’histoire.

Enfin, à l’échelle locale, Memoro permet l’organisation de véritables « tours de la mémoire » durant lesquels des équipes partent pendant quelques jours à la rencontre des témoins d’une région. Encore une fois, le site innove en proposant une nouvelle forme de tourisme mémoriel, participatif et citoyen.

 

Rendez-vous à l’adresse suivante : http://www.memoro.org/

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2 avril 2011 6 02 /04 /avril /2011 13:42

 

Régulièrement, les médias nous refont le coup du devoir de mémoire.

L’expression est tellement usée depuis plusieurs années qu’elle en devient presque agaçante et répulsive.

Quelle est donc en effet cette injonction lancinante à se souvenir de choses qu’il n’est même pas permis de comprendre ? Pourquoi le citoyen devrait-il se rendre chaque année en pèlerinage au mémorial de la Shoah alors qu’il n’est plus autorisé qu’à apprendre par pointillés l’histoire de ce drame lors d’une scolarité lycéenne en série S ?

 

Cette semaine, à l’occasion de la sortie d’un DVD de témoignages des rescapés réalisé par l’Union des déportés d’Auschwitz, les journaux se sont surpassés en poncifs, déclarations bienveillantes et autres bonnes intentions dénuées de réflexion critique.

Comme à chaque anniversaire et commémoration depuis vingt ans, la même rengaine est déclamée avec force de conviction : Comment allons-nous pouvoir enseigner la Shoah quand tous les survivants auront disparu ? Comment allons-nous pouvoir lutter contre les attaques négationnistes sans avoir un témoin à leur mettre sous le nez ?

 

La langue et les doigts commencent généralement à me démanger à ce moment de la discussion quand j’entends ce genre d’absurdités car elles représentent justement à mon avis le principal danger face aux arguments des négationnistes. Comment donner l’impression en effet d’adopter une position ferme, scientifique et indéniable si l’on tremble par avance de ne pas pouvoir la soutenir en l’absence d’une voix frêle, hésitante et parfois gâteuse en fond sonore ?

J’ajouterai qu’on fait bien peu confiance à l’Histoire également si l’on se persuade que l’absence de témoins vivants permet n’importe quelle dérive. Que pensez alors de nos collègues antiquisants, médiévistes et modernistes qui ont eu l’imprudence de laisser disparaître Périclès, Charlemagne et Louis XIV sans dégainer leurs dictaphones et caméras ? Décidément, les chaires universitaires et les salles de classe seraient peuplées de charlatans !  Que fait la police des mémoires ?

 

Il serait bon également de préciser aux défenseurs de la société protectrice des témoins que nous n’avons jamais accumulé plus de témoignages que pour la Seconde Guerre mondiale. Le Centre de Recherche d’Histoire Quantitative vient d’ailleurs de lancer un programme de recension des récits de guerre tellement les publications sont nombreuses et éparses. Une telle initiative pourrait d’ailleurs être élargie ensuite autour des documentaires, des interviews médiatiques, voire des interventions publiques tant les témoins ont été invités à s’exprimer (certes, tardivement...). Il faut également ajouter à ces diverses interventions les différents projets d’enregistrement qui ont été mis en place, notamment par l’USC Shoah Foundation Institute, la fondation créée par Steven Spielberg avec les bénéfices de son film, La Liste de Schindler.

 

Dans cette cacophonie mémorielle, il faut absolument lire l’interview de Georges Bensoussan et Sophie Ernst dans Libération . Leur propos est limpide et instructif. Parmi les meilleurs morceaux, on retiendra la réponse de Georges Bensoussan à propos des voyages scolaires à Auschwitz : « Je suis très sceptique. La plupart du temps, ce sont des voyages éclair d’une journée. Or, comme il ne reste plus grand-chose, si on n’en sait pas déjà beaucoup, on ne voit rien. On est alors dans l’émotionnel, le compassionnel et le devoir de mémoire, avec des collégiens qui ne comprennent pas la portée de ce qu’ils voient ».

 

On ne le répètera donc jamais assez : Vive le devoir d’histoire !!! (même pour les Terminales Scientifiques) et haro sur le devoir de mémoire.

 

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15 février 2011 2 15 /02 /février /2011 22:23

 

Le sujet devient un véritable marronnier journalistique : Google est-il devenu le meilleur espion du XXIème siècle ? Quel est notre droit à l’oubli numérique ? Pouvons-nous protéger notre intimité contre cette irrémédiable évolution de la modernité informatique ?

Autant de questions auxquelles je n’entends pas répondre directement, mais qui suscitent quelques réflexions dans la perspective de ce blog consacré aux questions sociales croisées entre histoire et mémoire.

 

Tout d’abord, je dois avouer que je reste souvent perplexe devant l’inflation des articles qui traitent de ce sujet. A une époque où tout le monde veut avoir son profil sur Facebook, cumuler des milliers d’amis et faire le buzz sur la toile, qui donc s’intéresse vraiment à la question de l’identité numérique à l’exception d’une poignée de journalistes en manque d’inspiration et de quelques récalcitrants opposés par définition à toute forme d’évolution sociale, encore plus lorsque celle-ci s’accompagne des machines ? 

On pourrait aussi s’interroger sur l’obsession autour des mythes Google et Facebook présentés comme le mal  absolu alors que rien en revanche n’est écrit sur la carte Leclerc, Carrefour ou Auchan qui permet à ces entreprises de collecter sans difficulté des informations souvent très confidentielles sur les ménages et les individus. Ainsi, il n’est pas impossible d’observer le père de famille attentionné interdire à son enfant de poster le dernier clip de son groupe préféré pour le partager sur Facebook, mais renseigner en même temps sans complexe (à sa décharge, souvent sans s’en rendre compte), une banque de données illimitée en faisant ses courses. La centrale d’achat pourra ensuite sans grande difficulté exploiter les habitudes alimentaires de son enfant pour lui proposer, en partenariat avec les puissantes entreprises agro-alimentaire, des promotions et publicités ciblées autour des goûts, pratiques et budgets de la famille.

L’exemple pourrait paraître caricatural à première vue… mais il n’est hélas pas vraiment éloigné de la réalité.

 

Une fois ce constat préalable évacué, on peut s’interroger plus précisément sur les enjeux de cette évolution que constitue, dans nos sociétés, l’avènement de l’Internet et des réseaux sociaux. Faut-il s’en inquiéter ? Faut-il l’encourager ?

Il est peut-être encore un peu tôt pour analyser avec distance cette invention qui a radicalement révolutionné nos pratiques sociales, nos modes de communication et notre représentation du monde. Néanmoins, on peut d’ores et déjà constater que son accueil présente des similarités avec d’autres inventions tout aussi importantes au cours de l’histoire : le moteur à explosion, l’ampoule électrique, la voiture, etc. : certains s’enthousiasment, d’autres doutent, et quelques uns prophétisent des dangers catastrophiques pour l’humanité.

Comme toujours, seule l’histoire pourra répondre à ces interrogations. Pour l’heure, l’historien peut cependant réfléchir avec prudence sur la place que pourrait tenir ce phénomène dans l’histoire ; Et sur ces questions, il se pourrait que la tendance soit exactement à l’inverse de ce que nous dénonçons aujourd’hui.

 

La mémoire numérique qui inquiète tant les membres de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) et autres militants des droits de l’homme dépasse-t-elle en effet le régime de l’immédiateté ? La puissance des moteurs de recherche ne réside-t-elle pas justement dans la mise à jour en temps réel de liens actualisés quotidiennement, rendant ainsi obsolète toute information de plus de six mois ? Certes, les informations sont considérées comme indélébiles et demeurent stockées dans les profondeurs de l’espace numérique, mais n’était-ce pas déjà le cas auparavant dans les archives ? Le flux constant et immense des informations diffusées sur la toile n’a-t-il pas atténué d’autant les risques d’une médiatisation devenue plus accessible ?

Prenons l’exemple d’un jeune chanteur qui décide de diffuser son travail. Aujourd’hui, il aura tendance à créer un espace sur « MySpace » ou bien à utiliser les réseaux sociaux pour diffuser ses chansons quand, vingt ans auparavant, il aurait envoyé ses maquettes enregistrées sur des supports matériels à des producteurs. Dans quelle situation a-t-il laissé le plus de traces ? Certes, dans le premier cas, il risque d’être largement diffusé… mais pour combien de temps et dans quelles conditions ? A l’exception de Karl Lagerfeld, connaissez-vous vraiment beaucoup d’auditeurs qui conservent plus de quelques semaines leurs enregistrements sur leur ipod ? D’ailleurs, ses chansons resteront-elles visibles plus de quelques semaines si elles ne suscitent pas l’intérêt populaire ? En revanche, dans le second cas, la diffusion risque d’être plus restreinte… mais les maisons de disques ont généralement un service organisé d’archives dans lequel elles conservent précieusement et pendant plusieurs décennies les enregistrement qu’elles reçoivent.

Il me semble donc que ce n’est pas vraiment Internet et ses capacités de stockage numérique qui posent problème. C’est davantage la puissance de ses potentialités qui, encore aujourd’hui, donne le vertige et fait craindre des dérives mémorielles.

 

Le 13 octobre 2009, la secrétaire d’Etat chargée de la prospective et du développement de l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, réunissait autour d’une table plusieurs acteurs importants de l’Internet en 2010 (Skyblog, Copains d’avant, etc.) afin de signer une charte consacrant un droit à l’oubli numérique. C’était hélas sans compter l’absence des acteurs essentiels tels que Google et Facebook, et sans prendre en compte la logique nouvelle de l’économie numérique, à savoir l’immédiateté, le renouvellement, et la rapidité. Qui se souvient en effet de Lycos,  Alice ou encore Yahoo ? Au début des années 2000, ces entreprises étaient considérées comme des leaders de l’Internet devant Google et Microsoft. Qu’est-ce qui nous certifie donc que les acteurs d’aujourd’hui seront les acteurs de demain ? Que deviendra alors la Charte de NKM dans 2, 3 ou 5 ans ?

 

Je pense enfin qu’il devient urgent, face à ces évolutions qui parfois nous dépassent, d’entreprendre une réelle réflexion de fond sur les traces que nous laissons actuellement à nos successeurs afin qu’ils puissent nous comprendre et, à leur tour, se construire à partir de nos expériences. Si l’historien des années 2000 peut travailler sur les sociétés qui l’ont précédé, c’est parce que ces dernières lui ont laissé des sources, des écrits et des productions diverses qui nous permettent aujourd’hui de les étudier. Les milliers de kilomètres linéaires que constituent aujourd’hui les registres d’Etat civil et les archives des ministères sont autant de matériaux qui nous permettent de retrouver les traces de nos ancêtres.

Qu’en sera-t-il de l’historien des années 3000 ? Quelle sera sa réaction en s’apercevant que par souci d’économie, nous avons décidé de dématérialiser la plupart de nos actes administratifs ? Comment pourra-t-il étudier les rapports entre des hommes qui ne s’écrivent quasiment plus que par courriels aussi rapidement écrits qu’effacés ? Quelles seront les sources de son travail sur une époque où les productions, échanges et modes de consommations sont essentiellement numériques ?

La véritable problématique repose donc à mon sens sur la propriété et le devenir de toutes ces données. Sans que l’on s’en soit réellement rendu compte, une très grande partie des informations nous concernant sont passées du domaine public au domaine privé, stockées dans d’immenses bases de données aux destinées et utilisations souvent mystérieuses.

 

Ainsi, alors que la plupart des journalistes, le gouvernement et certains usagers s’inquiètent d’une mémoire numérique individuelle qui serait indélébile (en fait, plutôt brouillonne et rapidement noyée dans une immense masse documentaire), mon inquiétude repose davantage sur l’oubli numérique d’une société sur le long terme.

Que retiendrons-nous en effet des logiques qui ont conduit aux mouvements qui traversent actuellement les pays d’Afrique du Nord ? Dans quelle mesure sera-t-il possible d’évaluer la place et le rôle des réseaux sociaux dans les rassemblements de milliers de personnes visant à faire tomber les régimes dictatoriaux ? (à lire absolument, cet article très intéressant publié par Newsweek sur les inconnus qui ont organisé la révolte des Egyptiens).

Finalement, les archives de Facebook ne seront-elles pas indispensables pour écrire l’histoire de l’humanité ? Ne devrait-on finalement pas s’inquiéter davantage des difficultés d’accès à ces archives qui risquent de disparaître tôt ou tard avec l’entreprise dématérialisée plutôt que de la diffusion de quelques informations éparses sur des individus qui répandent volontairement et publiquement des éléments de leur identité ?

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3 octobre 2010 7 03 /10 /octobre /2010 09:06

 

Je poursuis le passage de relais de l’excellente initiative du Nouvel Obs et de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) qui se sont associés dans une démarche fructueuse pour offrir une perspective historique et médiatique à des sujets d’actualité. Bien entendu, il s’agit là d’une approche insuffisante qui nécessite ensuite l’approfondissement par d’autres sources historiques ; mais cette entrée par les médias présente souvent de nombreux intérêts.

Ces dernières semaines, deux sujets ont particulièrement attiré mon attention :

   - L’histoire du Front de Libération National (FLN) algérien.

   - La propagande française antisémite dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale.

 

L’histoire du Front de Libération National (FLN) algérien.

C’est à l’occasion de la sortie du dernier film polémique de Rachid Bouchareb, Hors la loi, que cet article a été préparé. N’ayant pas encore vu ce film, il m’est impossible d’en faire ici une critique. J’avais déjà attendu plusieurs années avant de me décider à louer son précédent film : Indigènes. Non pas que je sois réticent à son cinéma, mais parce que j’avais détesté sa prétention étalée sur tous les plateaux de télévision à vouloir écrire l’histoire et imposer sa lecture individuelle (et somme toute subjective) par l’intermédiaire du cinéma. Encore une fois, les historiens en prenaient pour le grade et l’éternelle accusation était utilisée : « Vous n’avez pas fait votre boulot ! ».

Je suis bien d’accord pour affirmer que l’histoire de la guerre d’Algérie est encore trop largement méconnue mais… est-ce vraiment surprenant ? Cette période appartient encore à un épisode très chaud de l’histoire du temps présent, les sources ne sont pas encore toutes disponibles, et les jeunes historiens qui prétendraient se lancer dans cette aventure intellectuelle se retrouvent très rapidement embourbés entre les sillons mémoriels des différentes interprétations militantes parfois très violentes, dont celle de M. Bouchareb. Si M. Bouchareb souhaitait tant connaître la vérité sur cette période de l’histoire, je l’inviterais volontiers à tenter d’éteindre ces vaines polémiques qu’il allume à chacun de ses films. Certes, le chiffre d’affaire de son box-office risque de s’en trouver d’autant plus diminué, mais sa contribution à l’écriture d’une histoire apaisée serait peut-être davantage efficace.

Quoiqu’il en soit, les archives ainsi mises en en valeur par le Nouvel Obs et l’INA permettent au lecteur de découvrir des documents intéressants sur les évènements et les acteurs principaux de ce dossier qui a empoisonné comme un fil rouge la IVe et la Ve République. C’est pourquoi nous attendons tous avec impatience la création de cette Fondation pour la Mémoire de la Guerre d’Algérie annoncée la semaine dernière (samedi 25 septembre 2010) par le Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants Hubert Falco (voir à ce sujet l’analyse que je fais de cette annonce dans mon article précédent, notamment sur l’intérêt que nous aurions plutôt à qualifier cette création de Fondation pour l’Histoire et la Mémoire de la Guerre d’Algérie).

INA-Algerie.jpgCliquez sur l’image pour atteindre l’article

 

 La propagande française antisémite dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale.

Le second dossier rappelle un anniversaire généralement oublié (en tout cas, certainement pas célébré) : celui de l’adoption par le régime de Vichy du premier « statut des Juifs de France » le 3 octobre 1940.

Ces documents m’ont particulièrement intéressé car ils montrent dans leur progression chronologique la naissance, puis la mise en place, d’une propagande qui s’installe presque sans contestation, à grand renfort de moyens, et notamment grâce aux célèbres « Actualités » qui sont ensuite relayées par des films, des expositions, des affiches, etc.

Au-delà des informations tirées de ces reportages, il y a peut-être, et surtout, un enseignement à retenir : celui que nos médias sont une arme redoutable pour façonner l’opinion. Ainsi, aujourd’hui, l’une des principales formations citoyennes devrait probablement consister en l’apprentissage d’une lecture critique des médias pour que jamais plus les hommes ne puissent être entraînés par un mouvement (qu’il soit extrême ou pas) visant à dicter leurs pensées et leur conduite. Autant dire tout de suite que l’évolution récente des médias français me laisse penser que cette ambition est non seulement toujours utile, mais d’autant plus urgente…

Ces reportages ici rassemblés nous paraîtrons grossier tant leur message nous semble aujourd’hui dépassé. N’oublions pas cependant qu’ils ont été vus et appréciés par la société de leur temps. Il est fort probable que nos successeurs regarderont avec un œil tout aussi critique et étonné la forme et le contenu de nos actualités contemporaines, en se disant : « Comment n’ont-ils pas vu venir ce qui les attendait ? »

INA-Statut-des-Juifs.jpgCliquez sur l’image pour atteindre l’article

 

Je réserve une mention spéciale au septième reportage de ce dossier intitulé : « Français, vous avez la mémoire courte ». Il me permet de boucler la boucle de cet article en revenant sur la mémoire de la guerre d’Algérie. Si la mémoire d’un évènement peut en effet s’allonger ou se raccourcir au bon vouloir des discours militants qui mobiliseraient ainsi ce qui conviendrait le mieux à leur discours… mieux vaut encore et toujours se tourner vers l’Histoire, fût-elle de la mémoire !

 

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