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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Cherche La Pépite

16 octobre 2012 2 16 /10 /octobre /2012 18:26

 

Vendredi 12 octobre 2012, le prestigieux Prix Nobel de la Paix a été attribué à l'Union européenne (UE). Depuis, les réactions se multiplient pour dénoncer ou justifier cette décision. Et s'il s'agissait finalement d'une stratégie éculée des hommes politiques pour imposer aux Européens une construction à marche forcée ?

 

Jagland.jpg


Une caution historique discutée

Dans son discours, le président du comité a justifié cette décision par l'histoire. Il a notamment rappelé que "durant 60 ans, l’Union a contribué à l’instauration de la paix, à la réconciliation, à la démocratie et aux droits de l’homme". Il a également invoqué l'argument le plus évident en rappelant "les horreurs de la Seconde Guerre mondiale" tout en précisant que "depuis 1945, la réconciliation franco-allemande est devenue une réalité".

Il n'a pas fallu plus de quelques heures pour que les premières voix dissonantes se fassent entendre dans tous les médias. Henri Guaino et Nicolas Dupont-Aignon ont par exemple expliqué vendredi soir sur Europe 1 qu'ils n'étaient pas d'accord avec cette interprétation. Le premier a notamment affirmé dans une très belle formule que "ce n'est pas l'Europe qui a fait la paix ; c'est la paix qui a fait l'Europe". Selon l'ancienne plume de Nicolas Sarkozy, ce sont les peuples et les grands hommes politiques tels que Monnet, De Gaulle, Adenauer qui, lassés par la guerre, ont ouvert la voie à une construction européenne.

Comme souvent en histoire, ces deux interprétations peuvent être discutées et nous attendons donc avec impatience que les historiens spécialistes de la construction européenne tels que Robert Frank ou Denis Rolland se saisissent de la question pour apporter quelques éléments de réponse.

 

Un coup de force des fédéralistes

L'attribution du Prix Nobel de la Paix n'a cependant pas vocation à constituer un sujet de dissertation d'histoire pour les prochains candidats au baccalauréat. Il s'agit avant tout d'une récompense révélatrice des rapports de force géopolitiques à l'échelle internationale. 

Le président du comité n'a d'ailleurs pas pu s'empêcher d'évoquer cette réalité en précisant qu'actuellement "l’Union européenne rencontre de graves difficultés économiques". Cette phrase, bien que vouée à s'en défendre, témoigne bien de la dimension politique qui justifie cette décision. 

Il suffit d'ailleurs pour s'en convaincre d'étudier la composition du comité à l'origine du prix. Alors que le peuple norvégien a refusé l'entrée dans la Communauté Économique Européenne (CEE) en 1972, puis dans l'Union Européenne en 1994, les membres du comité se distinguent par un sentiment d'europhilie bien plus développé. Hasard du calendrier, Agot Valle, la seule membre eurosceptique du comité qui aurait pu jouer son véto est tombée malade au moment de la décision et n'a pas pu prendre part au vote.

La place était donc libre pour Thorbjørn Jagland, le président du comité depuis 2009, ancien premier ministre travailliste norvégien et surtout actuel secrétaire général du Conseil de l'Europe. Visiblement, le comité du Prix Nobel n'est pas doté de règles contre les conflits d'intérêts...

 

Vers un roman européiste

Le contexte dans lequel intervient cette décision n'est pas anodin. Alors qu'un tel prix aurait pu se justifier dans les années 1990, il apparaît aujourd'hui comme anachronique... sauf à considérer le calendrier politique de l'Union européenne qui tourne au ralenti depuis le refus du projet constitutionnel en 2005 et la crise économique sans précédent qui interroge véritablement pour la première fois les mécanismes d'une construction européenne.

Face à ce blocage institutionnel et le manque d'enthousiasme populaire, les hommes politiques et les technocrates de Bruxelles tentent depuis plusieurs années de trouver des solutions visant à développer le sentiment européen chez des citoyens qui en sont totalement dénués. L'adoption d'un drapeau et d'un hymne poursuivaient déjà cette ambition. La mise en place d'une monnaie commune appelée "euro" visait également à approfondir cet aspect. Les premiers ne sont cependant pas parvenus à supplanter les symboles nationaux et la monnaie commune pâtit actuellement d'une image plutôt négative. Il fallait donc trouver un moyen de rebondir !

La solution est venue des sciences sociales. Depuis quelques années, l'Union Européenne dote en effet assez généreusement des laboratoires de recherches tels que l'IRICE (Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe) ou encore le CIFE (Centre international de formation européenne) qui produisent ainsi des études sociologiques instructives sur le sentiment européen et des ouvrages montrant qu'il existe une histoire de l'Europe avant même la construction européenne.

Le procédé est rodé. Il est mobilisé depuis des siècles par les États qui cherchent à renforcer leur souveraineté et développer le sentiment national au sein de leur population. En France, cette stratégie a été théorisé sous le terme de roman national et suscite d'ailleurs encore actuellement des débats et polémiques sur son degré d'application dans l'enseignement de l'histoire.

Tout porte à croire que le roman national subit actuellement une adaptation à l'échelle européenne. C'est en tout cas l'impression qui ressort à la lecture des travaux de l'historienne Stella Ghervas parmi lesquels figurent, entre autres, un ouvrage sur les symboles qui participent à la construction d'une identité européenne (Lieux d’Europe : mythes et limites, Paris, Editions de la MSH, 2008, co-dirigé avec F. Rosset). Dans une interview passionnante accordée à La Vie des Idées au mois de septembre 2012, l'historienne explique que l’idée de paix constitue le plus efficace principe de légitimation de l’Union qui pourrait actuellement être réactivé. Son propos a visiblement été entendu en très haut lieu...

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