Créer un lieu de mémoire peut-il contribuer à la prévention des risques ?
Telle est la question que posent implicitement les Grands Ateliers de l'Isle d'Abeau qui organisent du 1er au 16 juillet 2012 un "atelier inondation" à Sommières dans le Gard.
Le projet est relativement simple : élaborer un lieu de mémoire autour du Vidourle (fleuve côtier des Cévennes) et de l'inondation.
L'atelier sera décomposé en deux temps :
- une semaine de formation sur les risques d'inondation,
- une semaine de création des projets sous la forme d'une compétition "amicale".
L'un des principaux intérêts du projet repose sur le caractère pluridisciplinaire recherché par les organisateurs. Ainsi, les équipes seront idéalement composées d'étudiants et professionnels en architecture, urbanisme, paysage, géologie, géographie, histoire, métiers du tourisme et du développement local ainsi qu'en arts plastiques.
Ensemble, les participants de cet atelier devront présenter un projet complet constitué d'un programme, d'esquisses architecturales et paysagères, de propositions muséographiques et de quelques éléments de budget.
Les Grands Ateliers de l'Isle d'Abeau n'en sont pas à leur coup d'essai en la matière. Un atelier similaire a déjà été organisé autour du risque sismique. Il a abouti à la création d' un site Internet qui mêle astucieusement des éléments de commémoration du séisme de 1909 en région PACA et des informations de prévention des risques sismiques.
L'approche est éminemment pédagogique puisqu'il est évident que pour sensibiliser efficacement la population, il est nécessaire de convaincre les destinataires de la prévention d'une potentialité suffisamment crédible d'un risque.
L'ami et fidèle lecteur de ce blog qui m'a signalé l'existence de cette initiative est un spécialiste de la question. Il me rappelait encore récemment que les avancées en termes de prévention sont soumises à une temporalité étroite et saccadée. Les autorités politiques investissent souvent massivement dans ces domaines en réaction à une catastrophe récente. Ainsi, l'accident de Fukushima en 2011 a-t-il entraîné une série de mesures d'urgence à l'échelle internationale visant à améliorer la prévention des risques nucléaires. Quelques mois plus tard, l'actualité portant l'attention des décideurs publiques vers d'autres sujets, les budgets sont progressivement réduits, voire disparaissent, jusqu'à la prochaine catastrophe !
Thierry GIRAUD, Feyzin, Mémoires d'une catastrophe, Lieux Dits, 2005.
La mémoire des catastrophes est un objet d'étude encore peu exploré
C'est pourquoi le projet mis en oeuvre cet été dans le Sud de la France nous apparaît intéressant. En introduisant une dimension mémorielle à la prévention des risques, les aménageurs du territoire réfléchissent en amont à l'efficacité et la durabilité de leur travail.
Nul doute que la création récente d'un portail consacré à la mémoire des catastrophes s'inscrit dans la même logique qui consiste à créer et organiser une mémoire non spontanée. Les manifestations mémorielles actuelles sont en effet le plus souvent issues de revendications communautaires qui ne nécessitent pas a priori d'impulsion externe : le membre du groupe justifie son appartenance par le partage d'une mémoire commune et, inversement, la mémoire commune permet d'entretenir le sentiment d'appartenance au groupe.
Il est révélateur dans cette perspective de constater que l'expérience commune d'une catastrophe naturelle ou technologique n'a jamais suffit pour l'instant à l'émergence d'une mémoire collective. Est-ce en raison de l'absence d'un responsable moral susceptible de cristalliser la mémoire ? Est-ce parce que l'expérience d'une telle catastrophe est finalement trop différenciée par des facteurs sociaux, économiques, culturels... ? Ou bien parce que les autorités publiques n'ont pour l'instant pas souhaité encourager l'émergence d'une telle mémoire qui risque de soulever la question des responsabilités ?
Toutes ces problématiques mériteraient d'être approfondies et permettraient probablement d'améliorer non seulement la prévention des risques, mais aussi notre compréhension des phénomènes mémoriels.
Nous attendons donc avec impatience de pouvoir découvrir et présenter les différents travaux qui seront réalisés au mois de juillet dans le cadre de cet atelier et qui pourraient apporter quelques éléments nouveaux à cette réflexion.
Actualisation du 2 mail 2012 :
Plusieurs lecteurs me rappellent judicieusement la présence de marqueurs le long des fleuves et rivières qui témoignent d'une forme de mémoire des précédentes crues et inondations.
Plaque commémorative rappelant le niveau de l'eau atteint lors d'une crue exceptionnelle
sur l'église de Russan
Il existe également des plaques commémoratives rappelant le souvenir de précédentes catastrophes technologique comme par exemple à proximité de l'usine BASF du site d'Oppau en Allemagne.
Actualisation du 3 mai 2012 :
J'apprends par l'intermédiaire des organisateurs que cet évènement n'aura finalement pas lieu "pour raisons de conjoncture politique". Ceci est vraiment regrettable.
Actualisation du 22 juillet 2012:
La mémoire est décidément un élément essentiel des recherches actuelles sur la prévention des risques et la résilience.
Un site récemment mis en ligne sur la prévention des risques et la résilience des organisations humaines aux catastrophes naturelles et technologiques propose notamment d'inclure une catégorie "mémoire" aux réflexions développées sur la thématique. Pour l'instant, il propose deux articles très intéressants sur les repères de crue (que nous avions évoqué sur ce blog) et sur l'accident entre un train et un camion d'essence à Port-Sainte-Foy en 1997.
En espérant que d'autres articles viendront prochainement l'enrichir...