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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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C'est Qui ?

  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Cherche La Pépite

18 juillet 2012 3 18 /07 /juillet /2012 06:34

 

La mémoire des homosexualités poursuit toujours un chemin particulier. Après avoir été invisible pendant de très longues années, elle semble peu à peu se libérer.

 

La mémoire d'Alan Turing par exemple a fini par être honorée après des décennies de silence tantôt méprisant, tantôt gêné.

Absent de la plupart des grandes synthèses sur la Seconde Guerre mondiale, ce mathématicien de génie a non seulement contribué à poser les premières bases de nos ordinateurs, mais il est aussi celui qui a permis le déchiffrage des codes de la machine Enigma utilisée pour les communications des sous-marins allemands croisant dans l'Atlantique nord. Aujourd'hui, plusieurs historiens considèrent que cette découverte constitue un des éléments essentiels qui ont contribué à la chute du nazisme.

Sa participation à l'effort de guerre a cependant été effacée sous le sceau de l'infamie. En 1952, il est condamné pour outrage aux bonnes moeurs en raison de son homosexualité. Il est alors contraint d'accepter une castration qui le plonge dans une profonde dépression, et finalement le conduit au suicide à l'âge de 41 ans.

Après une longue période de silence, ce n'est qu'au début des années 2000 que sa mémoire a fini par être honorée. D'abord par l'intermédiaire d'un mémorial inauguré en 2001 à Manchester : 

 

Alan-Turing-Manchester.jpg

 

A l'occasion du centenaire de sa naissance, les hommages se sont finalement multipliés partout dans le monde tant pour son oeuvre scientifique, que pour son statut de martyr.

Parmi les initiatives les plus marquantes, on note plus particulièrement la création d'un prix commémoratif Alan Turing visant à récompenser chaque année les individus ou les groupes ayant contribué à la lutte contre l'homophobie. De même, une pétition a été lancée afin d'éditer des billets de banque à son effigie. Enfin, la flamme olympique a fait un arrêt devant son mémorial lors de son passage à Manchester :

 

Alan-Turing-memorial-Olympic.jpg

 

Le cas d'Alan Turing n'est pas isolé. En 1957, l'astronome américain Frank Kameny était licencié de l'armée américaine en raison de son homosexualité. Après avoir essayé de contester cette décision jusque devant la la Cour Suprême, il s'était finalement engagé dans un combat militant pour les droits des homosexuels au sein de la Mattachine Society.

Ce n'est qu'en 2009 que le président Barack Obama s'est excusé pour ce licenciement, avant qu'un astronome canadien décide de lui rendre hommage en donnant son nom à un astéroïde récemment découvert.

 

Ces exemples sont révélateurs d'une mémoire des homosexualités en constante évolution, passant du silence gêné à une commémoration presque exagérée.

Cette construction mémorielle est le résultat d'une volonté de rattrapage qui est passée par une nécessaire étape de militance. Parmi les principaux acteurs français de cette entreprise mémorielle figurent deux hommes aux parcours exceptionnels qui ont disparu récemment : Jean Le Bitoux et Jacques Vandemborghe.

 

Le premier est décédé en 2010 et nous lui avions déjà consacré  un article sur ce blog, une communication dans un ouvrage collectif ainsi que la postface d'un ouvrage. 

Le second vient de disparaître (le 30 mars 2012). Parmi ses nombreux engagements figuraient la ferme volonté de développer la visibilité et la transmission des mémoires homosexuelles.

Avec Jean Le Bitoux, il a favorisé le témoignage du déporté Pierre Seel au début des années 1980, accompagnant ensuite la création de l'association Mémorial de la Déportation Homosexuelle. Cet engagement s'est ensuite élargi avec l'apparition de la fondation Mémoire des Homosexualités aux côtés de Christian de Leusse (qui préside toujours aujourd'hui une association appelée Mémoire des Sexualités Marseille). 

 

Ces différentes initiatives s'inscrivent dans un contexte particulier et répondent à deux logiques principales :

   1. Une recherche de reconnaissance sociale. En cultivant la mémoire, ces militants avaient en effet pour ambition de démontrer que la culture et les pratiques homosexuelles sont omniprésentes dans la société malgré les multiples tentatives de bannissement de l'espace publique.

   2. Une lutte contre l'oubli. Il n'est pas anodin de constater que ces projets émergent tous dans la continuité des années 1980 et l'apparition de l'épidémie de Sida longtemps caractérisée comme un "cancer gay". Lutter pour les mémoires, c'était aussi une façon pour ces militants de lutter contre la mort et contre l'oubli qui faisaient brutalement leur entrée dans le quotidien des homosexuels de cette époque.

 

Deux éléments caractérisent cependant plus particulièrement la position française dans ce domaine. 

D'abord, l'invisibilité flagrante des lesbiennes qui n'ont que très rarement été associées à ces réflexions.

Ensuite, l'importance de la démarche victimaire qui caractérise ce mouvement. Ainsi, les revendications de visibilité contemporaines sont systématiquement associées au rappel de la persécution puis de l'invisibilité passée (déportation, fichage, flicage...).

Or, nous avons pu constater par l'intermédiaire des exemples évoqués en introduction de cet article que la démarche est sensiblement différente dans les pays anglo-saxons qui, sans oublier les persécutions, revendiquent depuis quelques années la fierté de l'apport de la culture homosexuelle dans l'histoire universelle.

 

Consulté à de nombreuses reprises sur la nécessité d'introduire l'étude de la déportation pour motif d'homosexualité dans les programmes scolaire, nous avons souvent répondu que ceci était en effet indispensable... à condition d'avoir évoqué précédemment dans les programmes scolaires la pratique respectable de la pédérastie dans l'antiquité grecque (en insistant notamment sur sa distinction avec la pratique condamnable de la pédophilie contemporaine), certains aspects de l'homosociabilité de la chevalerie et du clergé médiévales (tout en présentant la montée en puissance parallèle des normes socio-sexuelles chrétiennes), mais aussi l'apport d'auteurs et artistes aussi talentueux que Rimbaud, Wilde, Gide (en présentant à parts égales leur génie universel, sans omettre leur homosexualité, ni la persécution dont ils firent l'objet).

En somme, il ne nous semble pas nécessaire d'imposer dans les programmes scolaires des chapitres consacrés à l'homosexualité comme cela a pu être fait récemment pour l'esclavage, les traites négrières et le génocide arménien à la suite de revendications mémorielles. En revanche, la démarche adoptée depuis quelques années pour valoriser la place des femmes dans l'histoire nous semble plus judicieuse. Soutenue par une forte volonté politique, elle s'est accompagnée de multiples initiatives visant à valoriser les recherches dans ce domaine ainsi que leur transcription et leur banalisation dans les programmes de formation et les manuels scolaires. 

 

C'est à cette seule condition à notre avis que les dimensions intellectuelles et citoyennes des mémoires homosexuelles pourront se renouveller dans les années à venir. Les éternelles accusations de communautarisme ne pourront être dépassées que par une démarche historienne présentant l'homosexualité comme ce qu'elle est, c'est-à-dire une composante omniprésente de l'histoire universelle.

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commentaires

S
very good writing here and effective step taken here by the readers to share and talk about the society and homosexuality which is a topic of great discussion at present. i can say that such sharing is important as it can reach many and more people worldwide.
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