Comme tous les mois, nous poursuivons notre recension du magazine l'Histoire afin de compléter notre réflexion sur les principales thématiques mémorielles abordées dans la recherche et l'édition. Au programme de ce numéro, un nouveau musée de la Résistance qui occulte la Déportation, les non-commémorations de la guerre d'Algérie, la repentance au programme des lycées et les mémoires antagonistes de la campagne de Napoléon en Russie.
Un nouveau musée de la résistance à Limoges
La ville de Limoges a inauguré mercredi 25 janvier 2012 son musée de la Résistance.
Situé dans l’ancien couvent des Sœurs de la Providence du XVIIème et XVIIIème siècle, il propose sur 1400m2 un parcours muséographique retraçant les faits historiques de la Seconde Guerre mondiale en Haute-Vienne.
L'orientation scientifique a été élaborée par Olivier Wieviorka, avec l'assistance d'Annie Martin et de Pascal Plas, historiens, qui ont complété le programme par leurs connaissances locales du sujet. Annie Martin a d'ailleurs pris la direction de l'établissement. La scénographie est l'oeuvre de Frédéric Casanova.
Musée de la Résistance de Limoges
Deux éléments ont plus particulièrement attiré notre attention.
1. D'abord, la dédicace du député-maire PS de Limoges, Alain Rodet, "à tous les anonymes, pour autant authentiques résistants, qui n’auront ni rue ni plaque". Il s'agit là d'une originalité significative au regard de la pratique mémorielle qui s'attache souvent à des individus, qu'ils soient héros ou victimes, pour en faire de véritables "accroche-mémoires". L'ancien musée était d'ailleurs intitulé "Henri Chadourne", du nom du maire de Limoges de 1944 à 1945.
2. A l'inverse, on s'étonne de la nouvelle dénomination sur le site Internet de la ville de Limoges qui revendique le nom de "Musée de la Résistance" tandis que le précédent était, selon le site du ministère de la Défense, un "musée de la Résistance et de la Déportation". Un rapide regard sur les collections permanentes permet en effet de remarquer que la déportation n'est désormais évoquée qu'à la fin de l'exposition, et uniquement sous le prisme mémoriel. Curieuse et révélatrice évolution pour laquelle nous n'avons trouvé aucune explication...
Crispations autour de la guerre d'Algérie
A l'approche du 19 mars, la question des commémorations de la fin de la guerre d'Algérie est évoquée à plusieurs reprises dans la rubrique "Actualités" mais aussi "médias" du magazine. Toutes les dates et évènements ont cependant déjà fait l'objet d'une réflexion dans le cadre de notre rubrique consacrée aux " Mémoires 2012 de la guerre d'Algérie".
La mémoire nationale remplace l'histoire dans les lycées
L'excellent article d'Annette Wieviorka sur les nouveaux programmes d'histoire au lycée a été abondamment cité et commenté dans différents médias et réseaux enseignants. A ceux qui ne l'auraient pas encore lu, il faut absolument le faire !
Dans un développement clair, concis et rigoureux, l'historienne met en parallèle les éléments qui permettent de dresser une "orientation historiographique" de notre actuel président de la République avec l'écriture des nouveaux programmes d'histoire de première élaborés au sein du ministère de l'Education Nationale et enseignés en classe depuis la rentrée 2011. Le constat est sans appel : "C'est la défaite de la volonté de comprendre (...). La conception qui émane des nouveaux programmes est au contraire une conception compassionnelle d'une histoire tendant à faire communier les adolescents dans la douleur du passé".
On est loin, très loin, du refus de repentance prôné en 2007, et réitéré dans le cadre de la campagne de 2012 à propos de la guerre d'Algérie. Dans un entretien accordé à Nice Matin lors d'un déplacement auprès de pieds-noirs et de harkis, Nicolas Sarkozy a en effet répété que la France ne pouvait pas "se repentir d'avoir conduit la guerre d'Algérie".
Y aurait-il deux façons de faire l'histoire ? L'histoire enseignée dans la repentance et l'histoire politique sans repentance ? Ou bien doit-on comprendre que certains évènements méritent plus de repentance que d'autres ? Il serait bon que le candidat soit amené à s'expliquer sur ces choix.
La mémoire de Napoléon, ici et ailleurs
Le dossier de ce numéro de l'Histoire est consacré à la chute de Napoléon devant les Russes en 1812 (autre anniversaire bien moins commémoré que la fin de la guerre d'Algérie). Nombreuses sont les réflexions mémorielles qui viennent ponctuer différents articles consacrés aux dernières batailles de l'empereur.
Marie-Pierre Rey, spécialiste de la question, rappelle notamment que si la campagne de Russie reste intimement associé à la Bérézina dans la mémoire occidentale ( sujet auquel j'avais jadis consacré un article dans la revue Regard sur l'Est), elle a favorisé l'émergence d'un sentiment patriotique fort et inédit en Russie qui va s'exprimer d'autant plus fièrement lors du bicentenaire que la Russie actuelle entretient toujours des rapports compliqués avec son voisin européen. Un conseil a d'ailleurs été constitué pour préparer les célébrations du jubilé de 1812 dans tout le pays. L'article de Pierre Gonneau nous apprend que ce conseil travaille notamment sur l'inauguration d'un musée de la bataille de 1812, la reconstruction du "Palais d'étape" où se tenait le conseil de guerre dirigé par Koutouzov et la restauration de différents monuments liées à cet évènement dans la capitale mais aussi à Smolensk et Maloïaroslavets.
Staline n'avait d'ailleurs pas hésité lui-même en 1941 a utiliser le souvenir héroïque de la guerre de 1812 pour mobiliser son pays contre l'attaque d'Hitler, comme nous pouvons le constater sur cette affiche explicite :
"Napoléon a été vaincu. Hitler le sera aussi !"
Vladimir Poutine, fraîchement et triomphalement réélu ne manquera probablement pas d'instrumentaliser cette mémoire dans ces prochains discours politiques.
Nathalie Petiteau nous propose enfin un article remarquable sur la mémoire collective des grognards de la campagne de Russie, expliquant comment cet évènement a été l'un des plus racontés par les survivants (largement dépassé depuis par les récits de la Seconde Guerre mondiale) et comment cette mémoire a longtemps "submergé l'histoire".
Tout comme pour la guerre d'Algérie, une étude comparative des constructions mémorielles progressives et respectives des anciens protagonistes serait passionnante.