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C'est Quoi ?

  • : Histoire, Mémoire et Société (ISSN : 2261-4494)
  • : Ce blog se propose tout d'abord de recenser et d'analyser les réminiscences régulières de la mémoire dans notre actualité. Il vise aussi à rassembler différentes interventions d'historiens, mais aussi d'autres spécialistes, sur le rôle et les conséquences de la mémoire dans nos sociétés. Enfin, des réflexions plus fouillées sont proposées ponctuellement sur les manifestations de la mémoire dans les sociétés d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. ISSN : 2261-4494
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C'est Qui ?

  • Mickaël BERTRAND
  • Citoyen, historien et enseignant, j'ai souhaité partager sur ce blog mes réflexions quotidiennes sur la place de l'histoire et de la mémoire dans l'actualité nationale et internationale.
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Cherche La Pépite

18 mars 2012 7 18 /03 /mars /2012 09:33

Mémorice Président

 

Nous attendions cette déclaration depuis longtemps. A un moment ou à un autre, les candidats à l'élection présidentielle se sont tous prononcés sur l'enseignement de l'histoire en France... à l'exception de l'extrême-droite qui demeure très évasive sur le sujet.

 

Pourtant,  un ouvrage récent que nous avons évoqué sur ce blog met en valeur la culture historique de l'actuel président d'honneur du Front National et père de la candidate du parti. 

 

Pourquoi donc un tel silence sur l'enseignement de l'histoire d'un pays dont on entend prendre le pouvoir ?

 

Marine Le Pen a apporté quelques minces éléments de réponse samedi 17 mars 2012 lors d'un meeting en Corse où elle a fait l'apologie des "valeurs ancestrales qui sont aussi les valeurs primordiales de notre civilisation" ( tiens, cela me rappelle un autre discours...) :

 

 

 

Après avoir flatté ses auditeurs en rappelant leur rôle dans l'histoire de notre pays (en évoquant au passage l'empire colonial français), elle fait deux propositions simples : "l'apprentissage de l'histoire du territoire de chaque région dans les programmes scolaires" et "la création d'un Institut National du Patrimoine".

 

Difficile pour le moment de savoir à quoi cela correspond vraiment puisque la plupart des journalistes ont esquivé cette question des enjeux historiques et mémoriels de leurs interviews.

Concernant le premier point, nous pouvons tout de suite répondre à Marine Le Pen. Sa proposition est déjà mise en application par les programmes officiels qui, régulièrement, invitent les enseignants d'histoire à choisir des exemples locaux susceptibles d'éveiller la curiosité des élèves.

Concernant l'Institut National du Patrimoine, nous restons davantage perplexe. Ce projet a-t-il pour ambition de se substituer à l'actuelle Maison d'Histoire de France ou bien de créer une nouvelle institution ? Dans quel but ? Avec quelques présupposés idéologiques ?

 

L'histoire a cet avantage de permettre à la plupart des candidats de convoquer à la tribune les figures et les thématiques qui réveillent la fierté nationale et le sentiment patriotique. Marine Le Pen a semble-t-il décidé de jouer l'originalité et d'apparaître là où ne nous l'attendions pas. En s'adressant directement aux Corses et en leur promettant de favoriser leurs "valeurs ancestrales", elle ouvre la boîte de Pandore des communautarismes. Comment ne pas promettre ensuite aux Basques, aux Bretons et aux Alsaciens les mêmes attentions ? Comment ne pas envisager non plus d'accorder de tels honneurs aux Juifs et aux Musulmans de France qui, par milliers, ont contribué à l'histoire nationale ?

 

A vouloir taper trop fort sur la mondialisation et les technocrates européens, l'argumentaire de Marine Le Pen se radicalise autour des particularismes, voire des communautarismes, qui pourraient réveiller quelques revendications indépendantistes.

 

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17 mars 2012 6 17 /03 /mars /2012 10:50

 

A plusieurs reprises, nous avons déjà évoqué l'existence de ce fameux point Godwin sur notre blog.

Son principe est assez simple : plus un débat dure, plus les probabilités qu'un interlocuteur ait recours à une comparaison impliquant Adolf Hitler ou le régime nazi augmente.

Cette théorie jamais vraiment théorisée par son inventeur, l'avocat américain Mike Godwin, se vérifie assez régulièrement dans l'espace publique et dans les discours politiques (en période présidentielle ou non).

 

Au-delà de l'anecdote et des polémiques qui accompagnent toujours de telles déclarations susceptibles de comparer un individu à Hitler ou une politique au nazisme, ce phénomène est éminemment révélateur de notre régime de pensée historico-mémoriel.

C'est pourquoi nous avons décidé de créer une nouvelle catégorie sur ce blog visant à recenser et analyser les différentes manifestations du point Godwin, en France et à l'étranger. Les contributions des lecteurs de ce blog (de plus en plus nombreux chaque semaine et je vous en remercie) sont évidemment les bienvenues.

 

La dernière manifestation en date est celle de Jacques Béhague, vice-président UMP du conseil général des Hautes-Pyrénées qui, dans un article du 8 mars 2012 sur  son blog, a comparé le candidat socialiste François Hollande à Adolf Hitler.

L'article a depuis été retiré du site mais il est possible d'utiliser les citations recueillies par le journal Le Monde :

"François Hollande se rend coupable de pratiquer l'apologie de la haine d'une population, celle des riches. (...) Cette haine des riches a déjà été développée par Adolf Hitler au travers des juifs"

"J'accuse Monsieur Hollande de faire renaître ces mêmes haines qui ont conduit l'humanité dans ce que nous avons connu de plus effroyable et de nauséabonde. J'accuse monsieur Hollande de prôner le nettoyage ethnique de tous ceux qui auraient le malheur de 'trop' gagner d'argent, soit par la confiscation de leurs biens et de leurs revenus, soit par l'incitation à l'émigration".

 

La particularité de Jacques Béhaque réside dans sa capacité à nous offrir dans le même article une figure jamais rencontrée jusqu'à présent : celle d'un double point Godwin. En quelques lignes, il parvient en effet à accuser François Hollande de marcher sur les traces économiques et idéologiques d'Adolf Hitler, mais aussi de vouloir créer des "camps de concentration" pour les Roms.

 

Les propos de cet homme politique sont vraiment intéressants car ils montrent une démarche visiblement assumée et réfléchie. D'une part, ils ont été écrits et non pas prononcés dans l'enthousiasme d'un discours qui aurait dérapé. D'autre part, ils s'inscrivent dans un argumentaire mobilisant plusieurs idées visant à appuyer sa thèse d'un candidat socialiste qui tenterait de dissimuler maladroitement sa composante "nationale".

 

Jacques Béhague n'avait cependant probablement pas pensé qu'une telle attaque contribuerait davantage à consolider la position de François Hollande plutôt qu'à la discréditer. En affirmant que le candidat socialiste envisage "le nettoyage ethnique de tous ceux qui auraient le malheur de "trop" gagner d'argent", il confirme en effet un discours entendu plus souvent à l'extrême-gauche qu'au Parti Socialiste qui consiste à faire croire que "les riches" constitueraient une sorte de caste homogène, voire un peuple, une nation à part entière. En prenant leur défense de cette façon, le vice-président du conseil général des Hautes-Pyrénées soutient donc l'idée que cette communauté ethnique des riches existe et qu'il est possible de la soutenir ou de la dénoncer.

 

Dans ces conditions, la seconde composante de son double point Godwin annule la première. Jacques Béhague démontre en seulement quelques lignes les excès rhétoriques de cette stratégie.

 

 

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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 17:20

Mémorice Président

 

L'idée d'Emmanuel Laurentin, irremplaçable présentateur de l'excellente émission La Fabrique de l'Histoire sur France Culture, est absolument géniale et indispensable. 

 

Dans un livre paru le 8 mars en librairie, il interroge plusieurs hommes politiques sur leur vision et leur rapport à l'histoire, ce que nous avons régulièrement appelé de nos voeux dans plusieurs articles sur ce blog.

 

L'ensemble, préfacé par l'historien Christophe Prochasson, spécialiste de l'histoire culturelle de la politique, constitue un outil tout aussi indispensable que les programmes et les discours des candidats pour faire son choix. 

 

QueDoiventIlsHistoireCOUV-defintive.jpg

Emmanuel Laurentin (dir.), préface de Christophe Prochasson, Que doivent-ils à l’histoire ?, coéd. Bayard/France Culture, 186 p., 16,50 €.

 

Pour compléter votre lecture, l'édition de l'ouvrage a été accompagnée d 'une série d'émissions qui peuvent encore être téléchargées sur Internet. De plus, certains médias ont publié de  larges extraits qui permettent déjà de se faire une idée du contenu.

On y apprend notamment que François Bayrou a une conception cyclique de l'histoire mais qu'il considère qu'une révolution n'est plus possible aujourd'hui car "les gens ne savent plus prendre une pioche, une faux, et aller se battre". On s'ennuie un peu (beaucoup...) quand Nicolas Dupont-Aignan nous récite son discours formaté sur De Gaulle. On s'étonne de voir François Hollande citer François Mitterrand parmi ses "héros" de l'histoire mais on s'émeut à la lecture des propos de Jean-Luc Mélenchon racontant comment il a développé le goût de l'histoire de la Révolution française après qu'une jeune fille dont il était amoureux lui ait offert une histoire de la Révolution française écrite par Thiers en échange d'un recueil de poèmes (décidément, c'était une autre époque...).

 

Il ne faut bien entendu pas être dupe des ficelles d'une opération parfois transformée en opération de communication par les candidats interviewés. Néanmoins, dans les références choisies et les orientations historiographiques défendues, on peut parfois saisir quelques bribes d'informations pour mieux comprendre la construction intellectuelle (quand elle existe) des prétendants au pouvoir.

 

François Hollande rappelle l'importance de Max Gallo qui, dans l'entourage présidentiel de François Mitterrand, permettait souvent de prendre du recul face aux grandes décisions. Depuis, l'historien a été remplacé par des conseillers en communication et autres sondeurs qui tentent encore parfois de se donner un vernis d'érudition historique. Dans l'entourage de Nicolas Sarkozy,  Patrick Buisson cumule désormais toutes ces casquettes à la fois.

 

Qui sera la conscience historique du prochain président de la République ? D'ailleurs, de tels conseillers vont-ils perdurer ? Dans ce domaine, aussi, les historiens devraient peut-être penser à défendre leur discipline et leur utilité sociale car les risques sont forts d'être engloutis, dans les médias, à l'université, comme sous les dorures, par les économistes, les juristes et politistes.

 

hollande-et-l-histoire-pour-les-nuls.jpg

François Hollande lit l'Histoire de France pour les Nuls lors de ses vacances en 2007

 

 

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10 mars 2012 6 10 /03 /mars /2012 07:31

 

L-Histoire-mars-2012.jpg

 

Comme tous les mois, nous poursuivons notre recension du magazine l'Histoire afin de compléter notre réflexion sur les principales thématiques mémorielles abordées dans la recherche et l'édition. Au programme de ce numéro, un nouveau musée de la Résistance qui occulte la Déportation, les non-commémorations de la guerre d'Algérie, la repentance au programme des lycées et les mémoires antagonistes de la campagne de Napoléon en Russie. 

 

Un nouveau musée de la résistance à Limoges

La ville de Limoges a inauguré mercredi 25 janvier 2012 son musée de la Résistance.

Situé dans l’ancien couvent des Sœurs de la Providence du XVIIème et XVIIIème siècle, il propose sur 1400m2 un parcours muséographique retraçant les faits historiques de la Seconde Guerre mondiale en Haute-Vienne.

L'orientation scientifique a été élaborée par Olivier Wieviorka, avec l'assistance d'Annie Martin et de Pascal Plas, historiens, qui ont complété le programme par leurs connaissances locales du sujet. Annie Martin a d'ailleurs pris la direction de l'établissement. La scénographie est l'oeuvre de Frédéric Casanova.

 

Musee-de-la-resistance-de-Limoges.jpg

Musée de la Résistance de Limoges

 

Deux éléments ont plus particulièrement attiré notre attention.

   1. D'abord, la dédicace du député-maire PS de Limoges, Alain Rodet, "à tous les anonymes, pour autant authentiques résistants, qui n’auront ni rue ni plaque". Il s'agit là d'une originalité significative au regard de la pratique mémorielle qui s'attache souvent à des individus, qu'ils soient héros ou victimes, pour en faire de véritables "accroche-mémoires". L'ancien musée était d'ailleurs intitulé "Henri Chadourne", du nom du maire de Limoges de 1944 à 1945.

   2. A l'inverse, on s'étonne de la nouvelle dénomination sur  le site Internet de la ville de Limoges qui revendique le nom de "Musée de la Résistance" tandis que le précédent était,  selon le site du ministère de la Défense, un "musée de la Résistance et de la Déportation".  Un rapide regard sur les collections permanentes permet en effet de remarquer que la déportation n'est désormais évoquée qu'à la fin de l'exposition, et uniquement sous le prisme mémoriel. Curieuse et révélatrice évolution pour laquelle nous n'avons trouvé aucune explication...

 

Crispations autour de la guerre d'Algérie

A l'approche du 19 mars, la question des commémorations de la fin de la guerre d'Algérie est évoquée à plusieurs reprises dans la rubrique "Actualités" mais aussi "médias" du magazine. Toutes les dates et évènements ont cependant déjà fait l'objet d'une réflexion dans le cadre de notre rubrique consacrée aux " Mémoires 2012 de la guerre d'Algérie".

 

La mémoire nationale remplace l'histoire dans les lycées

L'excellent article d'Annette Wieviorka sur les nouveaux programmes d'histoire au lycée a été abondamment cité et commenté dans différents médias et réseaux enseignants. A ceux qui ne l'auraient pas encore lu, il faut absolument le faire !

Dans un développement clair, concis et rigoureux, l'historienne met en parallèle les éléments qui permettent de dresser une "orientation historiographique" de notre actuel président de la République avec l'écriture des nouveaux programmes d'histoire de première élaborés au sein du ministère de l'Education Nationale et enseignés en classe depuis la rentrée 2011. Le constat est sans appel : "C'est la défaite de la volonté de comprendre (...). La conception qui émane des nouveaux programmes est au contraire une conception compassionnelle d'une histoire tendant à faire communier les adolescents dans la douleur du passé".

On est loin, très loin, du refus de repentance prôné en 2007, et réitéré dans le cadre de la campagne de 2012 à propos de la guerre d'Algérie. Dans  un entretien accordé à Nice Matin lors d'un déplacement auprès de pieds-noirs et de harkis, Nicolas Sarkozy a en effet répété que la France ne pouvait pas "se repentir d'avoir conduit la guerre d'Algérie".

Y aurait-il deux façons de faire l'histoire ? L'histoire enseignée dans la repentance et l'histoire politique sans repentance ? Ou bien doit-on comprendre que certains évènements méritent plus de repentance que d'autres ? Il serait bon que le candidat soit amené à s'expliquer sur ces choix.

 

La mémoire de Napoléon, ici et ailleurs

Le dossier de ce numéro de l'Histoire est consacré à la chute de Napoléon devant les Russes en 1812 (autre anniversaire bien moins commémoré que la fin de la guerre d'Algérie). Nombreuses sont les réflexions mémorielles qui viennent ponctuer différents articles consacrés aux dernières batailles de l'empereur.

Marie-Pierre Rey, spécialiste de la question, rappelle notamment que si la campagne de Russie reste intimement associé à la Bérézina dans la mémoire  occidentale ( sujet auquel j'avais jadis consacré un article dans la revue Regard sur l'Est), elle a favorisé l'émergence d'un sentiment patriotique fort et inédit en Russie qui va s'exprimer d'autant plus fièrement lors du bicentenaire que la Russie actuelle entretient toujours des rapports compliqués avec son voisin européen. Un conseil a d'ailleurs été constitué pour préparer les célébrations du jubilé de 1812 dans tout le pays. L'article de Pierre Gonneau nous apprend que ce conseil travaille notamment sur l'inauguration d'un musée de la bataille de 1812, la reconstruction du "Palais d'étape" où se tenait le conseil de guerre dirigé par Koutouzov et la restauration de différents monuments liées à cet évènement dans la capitale mais aussi à Smolensk et Maloïaroslavets.

Staline n'avait d'ailleurs pas hésité lui-même en 1941 a utiliser le souvenir héroïque de la guerre de 1812 pour mobiliser son pays contre l'attaque d'Hitler, comme nous pouvons le constater sur cette affiche explicite :

 

Napoleon-Hitler.jpg

"Napoléon a été vaincu. Hitler le sera aussi !"

 

Vladimir Poutine, fraîchement et triomphalement réélu ne manquera probablement pas d'instrumentaliser cette mémoire dans ces prochains discours politiques.

 

Nathalie Petiteau nous propose enfin un article remarquable sur la mémoire collective des grognards de la campagne de Russie, expliquant comment cet évènement a été l'un des plus racontés par les survivants (largement dépassé depuis par les récits de la Seconde Guerre mondiale) et comment cette mémoire a longtemps "submergé l'histoire".

 

Tout comme pour la guerre d'Algérie, une étude comparative des constructions mémorielles progressives et respectives des anciens protagonistes serait passionnante.

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9 mars 2012 5 09 /03 /mars /2012 08:12

 

L'initiative a le mérite d'être originale. L'Institut de l’Histoire et de la Mémoire des Catastrophes (IHMéC) a créé, avec le soutien du Ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement,  un site visant à recenser les mémoires individuelles des catastrophes.

 

Son principe est simple : chaque individu qui considère avoir été témoin d'une catastrophe peut déposer son récit. Ce dernier est ensuite référencé sur une carte, sur une chronologie et dans une base de donnée. 

La notion de catastrophe est ici considérée dans son acception la plus large, c'est-à-dire naturelle ou humaine. On retrouve donc aussi bien l'échouement du cargo TK Bremen au large du Morbihan en décembre 2011 que les régulières inondations en région PACA.

Par déformation professionnelle (mais aussi peut-être par esprit de provocation), je n'ai pu m'empêcher de vérifier si quelqu'un avait associé une catastrophe à Wannsee ou à Auschwitz. Le terme shoah signifiant "catastrophe" en hébreu, cela aurait pu être théoriquement possible... mais visiblement, je suis le seul à y avoir pensé pour l'instant !

 

Le site a été inauguré le 13 février 2012... et on ne peut pas vraiment considérer que le démarrage ait été très enthousiaste. Presque un mois après son lancement, on ne trouve finalement que quelques témoignages  parfois très minimalistes.

Il faut reconnaître que l'initiative est pour le moment restée très discrète. De plus, de nombreuses améliorations mériteraient encore d'être apportées au site. La carte de localisation notamment est peu lisible et les critères de recherche sont trop limités. Il n'est possible par exemple de faire une recherche que par ville ou région. Quid de l'échelle départementale, nationale... Impossible également de savoir si les villages sont exclus de l'étude. Idem pour la chronologie qui est peu fonctionnelle. Si vous souhaitez remonter le temps, il vous faudra le faire à la main, année après année.

 

Malgré ces quelques difficultés inhérentes à un projet encore neuf, l'idée est originale, utile et intéressante. Ce site permet en effet non seulement de réaliser un recensement voulu exhaustif des catastrophes, mais aussi de s'interroger sur la mémoire individuelle des acteurs et victimes de ces évènements. A terme, il pourrait constituer un outil efficace de compréhension des rapports que les hommes entretiennent avec les lieux non plus seulement en fonction de données physiques ou de ses aménités, mais aussi au regard de la construction mémorielle associée à un espace. Les perspectives ouvertes par un tel champ de recherche sont immenses.

 

Jardin-des-fugitifs-a-Pompei.jpg

 

L'idéal serait également que le site permette une extension "historique" au projet visant à recueillir des témoignages de l'éruption du Vésuve sur Pompéi en 79 ou bien du grand incendie de Londres en 1666.

 

PS : Merci à mon fidèle correcteur orthographique (entre autres fonctions) de m'avoir fait connaître ce site.

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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 07:43

 

L'initiative doit être saluée car elle est utile.

La Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) s'est associée aux éditions du Petit Futé pour proposer un guide des lieux de mémoire en France.

 

Guide-des-lieux-de-memoire.jpgCliquez sur l'image pour télécharger le guide

 

Autre initiative bienveillante : l'ouvrage pouvait être téléchargé gratuitement pendant tout le mois de février 2012 sur le site " Chemins de mémoire" de la DMPA. Que les retardataires se rassurent, l'ouvrage peut visiblement être encore téléchargé sur certains sites qui ont conservé la source (je vous dirige sur l'une de ces pages quand vous cliquez sur l'image ci-dessus).Sinon, il vous en coûtera 12.50 euros chez votre libraire (c'est toujours mieux qu'en grande surface ou sur une aire d'autoroute).

 

L'ouvrage de 250 pages a été dirigé par Dominique Auzias et Jean-Paul Labourdette ; le premier en tant que fondateur et le second en tant que président de cette maison qui édite depuis 1977 ces petits guides devenus incontournables. D'autres versions antérieures avaient d'ailleurs été éditées en 2005. 

 

L'ouvrage est organisé par régions car il est avant tout destiné aux touristes qui souhaiteraient, dans le cadre d'un tour de France, visiter ces fameux "lieux de mémoire" annoncés par le titre. Les pages introductives rédigées par la DMPA ne font d'ailleurs pas mystère de cette ambition essentiellement touristique, y compris et surtout dans ses dimensions récréatives et économiques. Le ministère de la Défense et des Anciens Combattants rappelle en effet à la page 6 que le tourisme répond à trois ambitions : civique et pédagogique, culturelle et patrimoniale, mais aussi économique et commerciale. Il s'agit, par l'intermédiaire de cet ouvrage, d'encourager les badauds à se rendre dans ces musées et mémoriaux qui coûtent chers à la collectivité et dont beaucoup ne parviennent pas à trouver un équilibre budgétaire jugé satisfaisant par les autorités.

 

Aussi pratique et intéressant soit-il, ce guide n'en présente pas moins de multiples limites:

 

1. D'abord, il est regrettable de constater que ce guide soit exclusivement consacré aux lieux de mémoire d'un passé contemporain. Nulle mention d'histoire antique, médiévale ou moderne. Ce choix éditorial (compréhensible pour des raisons évidentes de faisabilité matérielle) entretient la croyance que la mémoire nationale ne se construit qu'autour des figures, des batailles et des évènements récents.

 

2. Alors que la France est le pays dans lequel est né la formidable aventure éditoriale des Lieux de Mémoire dirigés par Pierre Nora, il est également dommage de constater que les auteurs se soient exonérés d'un minimum de réflexion sur la notion de "lieu de mémoire". Il ne s'agit pas bien entendu de transformer un guide touristique en thèse épistémologique mais il aurait été bienvenu d'introduire quelques lieux originaux qui ne soient pas exclusivement des champs de bataille, des cimetières militaires, des musées et des mémoriaux.

 

3. Le singulier utilisé dans le titre de l'ouvrage est en revanche tout à fait justifié. L'ouvrage étant une commande du ministère de la Défense, la mémoire qui y est présentée est exclusivement nationale et se veut consensuelle, passant sous silence toutes les mémoires minoritaires et/ou en construction. 

Une exception a été commise et elle a immédiatement suscité des remarques, voire une petite polémique portée par l'excellent historien de la Révolution française, Jean-Clément Martin. Voici la lettre qu'il a transmis le 15 février 2012 à la DMPA :

 

Je viens de prendre connaissance du livret consacré au Guide des lieux de mémoire des champs de bataille édité par le Petit Futé sous votre responsabilité dans lequel le "génocide vendéen" est cité deux fois p. 40 et p. 198.

L'emploi de cette formule dans un tel guide, sous votre patronage, dans ce moment précis, pose problème, entérinant une proposition partisane que l'examen historique dément de façon catégorique. La réalité des massacres, tueries et exécutions commis pendant la période révolutionnaire en Bretagne et dans le territoire lié à la guerre de Vendée, est incontestable. Elle ne peut s'apparenter à un génocide perpétré par un État ou un gouvernement.

Il serait hautement souhaitable que le Ministère de la Défense, et notamment la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives, prennent position clairement sur ce sujet pour lever toute ambiguïté et simplement respecter les conclusions des recherches historiques menées sans parti pris.

Sentiments distingués

Jean-Clément Martin

 

 Nous avions évoqué cette question sur ce blog à plusieurs reprises et adopté la position de Jean-Clément Martin sur les abus de langage et l'extrême banalisation contenus par cette formule erronée.

Pour l'heure, le ministère de la Défense n'a pas souhaité réagir.

 

Bref, l'initiative est intéressante mais elle mériterait d'être repensée, approfondie et élargie.

Si certaines difficultés techniques sont dépassées, ce sera l'un des prochains projets initié par le blog  Histoire, Mémoires & Sociétés. Avis à nos lecteurs qui auraient des compétences informatiques à partager !

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6 mars 2012 2 06 /03 /mars /2012 11:47

 

A défaut de grandes cérémonies commémoratives, la dynamique mémorielle impulsée par l'effet "cinquantenaire" se propage dans les domaines éditoriaux et dans les évènements universitaires. Nous reproduisons ci-dessous deux appels à communications dont les problématiques promettent des échanges particulièrement intéressants.

 

 

Mémoires algériennes en transmission : histoires, narration et performances postcoloniales

 

La colonisation et la guerre d’Algérie incarnent deux moments centraux de l’engouement mémoriel contemporain et s’inscrivent dans le rapport présentiste à un héritage historique dont l’écriture n’a pas su ou n’a pas encore pu trouver une expression apaisée et dépassionnée qui caractérise nos sociétés. Exemplaires à plus d’un titre, ces chronotopes mémoriels ne sont pas seulement associés aux guerres de mémoire (Liauzu 2000 ; Stora, 2010) et aux relations difficiles que les sociétés entretiennent avec leur passé et leur présent. Ils fournissent aussi une clé de lecture de la dialectique des affrontements, des tensions et des ajustements anachroniques que le passé produit dans le présent. Ils démultiplient mais surtout transnationalisent les figures du témoin, de la victime, et dans une moindre mesure celle du bourreau, ainsi que leurs narrations et leurs revendications. La mise en écriture des expériences passées relève ainsi d’une entreprise de pacification mémorielle instable, voire chimérique.

 

En France, la pluralité passionnelle des points de vue a fait l’objet, depuis les travaux pionniers de B. Stora (1991), d’un intérêt foisonnant de la part d’historiens, sociologues et anthropologues, engagés d’une part à retracer la parabole des mémoires algériennes dans l’espace public et médiatique français (Harbi, Stora, 2004) et d’autre part à relever les rapports complexes qu’elles entretiennent au sein du récit national et des relations franco- algériennes (Branche, 2005; Bucaille, 2010). Les recherches menées s’attachent principalement à retracer les généalogies collectives et familiales (Baussant, 2002 ; Fabbiano, 2011 ; Dosse, 2012), à discuter les usages publics et politiques des mémoires collectives (Savarese, 2008), les exigences de reconnaissance (Bancel, Blanchard, 2008 ; Thénault, 2005) avancées par les différents groupes (essentiellement harkis, pieds-noirs, immigrés, anciens combattants français et algériens, militants politiques...), les interrogations que l’enseignement de l’histoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie soulèvent (Falaize, 2010). L’(im)possibilité d’une écriture franco-algérienne de l’histoire (Dayan Rosenman, Valensi, 2004), l’éclatement des lieux et des récits de mémoire en Méditerranée (Crivello, 2010), les frictions autour de la commémoration et de la célébration des groupes de mémoire qui butent sur une narration partagée et ne s’accordent pas sur les dates à retenir, les tentatives maladroites d’institutionnalisation de la mémoire nationale de la colonisation sont encore d’autres dimensions mises en lumière.

 

Dans le cadre du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, ce colloque se propose de croiser les regards algérien et français autour de la pluralité des mémoires algériennes : pieds- noirs, juifs, harkis, tsiganes, émigrés, immigrés, anciens combattants – appelés, réservistes et engagés – messalistes, militants du FLN, militants politiques – chrétiens libéraux, communistes, socialistes, berbéristes – militants de la droite extrême – OAS, courants politiques Algérie française. L’objectif est de déplacer la réflexion du terrain hypermédiatisé et événementiel des revendications politiques à celui des transmissions intergénérationnelles et des recompositions mémorielles d’acteurs anonymes, héritiers d’un passé dont ils deviennent les témoins indirects. Le dialogue de chercheurs d’horizons différents (histoire, sociologie, anthropologie, sciences politiques, géographie, littérature, visual studies, colonial et postocolonial studies) contribuera, dans une perspective transdisciplinaire, à cartographier des deux côtés de la Méditerranée les mouvements et les singularités des narrations mémorielles des nouvelles générations ainsi que, le cas échéant, leurs points de contact ou de friction avec les récits collectifs (locaux, nationaux, transnationaux) véhiculés dans l’espace public et dans les univers associatif et artistique. En discutant et en historicisant les rapports ambigus et postcoloniaux entre mémoire individuelle et mémoire collective, il s’agira dès lors d’aller au-delà d’une approche essentialisée de la mémoire collective en tant que réalité aux traits autonomes pour s’intéresser aux individualités qui la façonnent et à leur travail d’arrangements, d’agencements, de branchements à chaque fois dynamique et sans cesse renouvelé. Relever le caractère dialectique, anachronique, hybride et parfois contradictoire des discours mémoriels des acteurs permettra de renouveler l’approche des mémoires collectives algériennes, en mettant à l’épreuve la lecture uniforme et cloisonnée qui en est donnée.

 

Les communications attendues présenteront des recherches avancées ou en cours sur les enjeux de la transmission intergénérationnelle et de l’appropriation de la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie de la part des descendant-e-s des acteurs historiques. Elles pourront s’inscrire dans une des thématiques, non limitatives, indiquées ci-dessous et seront attentives à mettre en perspective les narrations mémorielles individuelles et les situations collectives de production et performance.

 

- Les contextes mémoriels

La transmission et la narration mémorielles des acteurs ne sauraient se comprendre en dehors de la gestion mémorielle française et algérienne, qui oppose une situation d’aphasie à un détournement épique hypercélébré. Dans quelles mesures les modalités de transmission et d’appropriation du passé au sein des familles, des générations et des fratries se révèlent-elles imprégnées par ce paradoxe de l’expérience historique ? Et comment la mise en récit du passé restitue, le cas échéant, la plasticité offusquée par la réécriture cristallisée de l’histoire de part et d’autre de la Méditerranée ?

 

- Les généalogies mémorielles

La narration mémorielle de la période coloniale n’est pas indépendante de la relation plus extensive que les acteurs entretiennent au passé familial et collectif, à sa profondeur historique, à ses blessures ainsi qu’à sa transmissibilité. A partir de récits assez souvent fragmentaires, comment les héritiers du système colonial construisent le regard qu'ils portent sur l’histoire et plus particulièrement sur le moment de la guerre ? Quelles sont les sources qu'ils privilégient et qu'ils mobilisent ? Comment se structurent des trajectoires mémorielles et quelle place trouvent-elles au sein des prises de parole publiques ?

 

- Les pratiques mémorielles

Au-delà d’une représentation passionnée de mémoires antagonistes qui ravivent les séquelles du passé, des acteurs œuvrent au quotidien pour un dépassement des frontières et des clivages. Comment au sein des mêmes espaces de résidence est-il vécu l’héritage colonial par des individus appartenant à des groupes qui furent en opposition (par exemple : harkis et immigrés algériens, immigrés algériens et pieds-noirs)? Quelle forme est susceptible de prendre, dans le devenir postcolonial, la traduction quotidienne d’un passé assumé par procuration ?

 

- Les performances mémorielles

Les mondes associatif et artistique ont, depuis les années quatre-vingt, joué un rôle important dans le travail de remémoration collective et de transmission des événements liés à la colonisation et à la guerre d’Algérie dans l’espace public. Quels récits ont-il contribué à façonner ? Émerge-t-il une narration partagée par l’ensemble des figures historiques engagées ou au contraire se réaffirme-t-il une vision nationale et qui plus est partielle et partiale qui ne saurait respecter la pluralité des points de vue ? Comment au sein des mises en scène mémorielles sont gérées les questions, parfois épineuses, liées aux espace-temps de la commémoration ?

 

Modalités de soumission

Les propositions de communication ne devront pas dépasser les 400 mots et devront comporter les éléments suivants :

- Titre de la communication

- Auteur

- Appartenance institutionnelle

Date limite de réception des propositions : 10 avril 2012 (acceptation des propositions début mai 2012), à envoyer à Giulia Fabbiano (gfabbiano@hotmail.com)

Dates du colloque : 15 et 16 novembre 2012

Lieu du colloque : MMSH, 5 rue du Château de l’Horloge, Aix-en-Provence

 

Comité d’organisation

GIULIA FABBIANO, Docteure en anthropologie et en sociologie, Postdoctorante EHESS- CADIS, chercheuse associée à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne européenne et comparative, (Idemec) – Université de Provence.

NASSIM AMROUCHE, Doctorant à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne européenne et comparative, (Idemec) – Université de Provence.

ABDERAHMEN MOUMEN, Docteur en histoire, chercheur associé au Centre de recherches historiques sur les sociétés méditerranéennes (CRHiSM) – Université de Perpignan.

 

Comité scientifique

MICHELE BAUSSANT (LESC, Université de Paris 10) ; MARYLINE CRIVELLO, (TELEMME, Université de Provence) ; CLAIRE ELDRIDGE (Université de Southampton, Grande-Bretagne) ; GILLES MANCERON (LDH, Paris) ; AMAR MOHAND AMER (CRASC, Oran) ; ABDERRAHMANE MOUSSAOUI (IDEMEC, Université de Provence) ; HASSAN REMAOUN (CRASC, Oran) ; BENOIT FALAIZE (Université de Cergy Pontoise/Cité nationale de l'histoire de l'immigration, Paris).

 

Références bibliographiques sélectives

Liauzu Claude, 2000, « Décolonisations, guerres de mémoires et histoire », Annuaire de l’Afrique du Nord, XXXVII, pp. 25-45.

Bancel Nicolas, Blanchard Pascal, 2008, « La colonisation : du débat sur la guerre d’Algérie au discours de Dakar », in Blanchard Pascal et Veyrat-Masson Isabelle, Les guerres de mémoires. La France et son histoire. Enjeux politiques, controverses historiques, stratégies médiatiques, Paris, La Découverte, pp. 137-154.

Baussant Michèle, 2002, Pieds-noirs, mémoires d’exils, Paris, Stock.

Branche Raphaëlle, 2005, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?, Paris, Seuil.

Bucaille Laetitia, 2010, Le pardon et la rancœur, Paris, Payot.

Crivello Maryline (dir.), 2010, Les échelles de la mémoire en Méditerranée, Arles. Actes Sud.

Dayan Rosenman Anny et Valensi Lucette (dir.), 2004, La guerre d’Algérie dans la mémoire et l’imaginaire, Paris, Bouchene.

Dosse Florence, 2012, Les héritiers du silence. Enfants d’appelés en Algérie, Paris, Stock, 2012.

Fabbiano Giulia, 2011, « Mémoires postalgériennes : la guerre d’Algérie entre héritage et emprunts », in Grandjean Geoffrey et Jamin Gérôme (dir.), La concurrence mémorielle, Paris, Armand Colin, pp. 131-147.

Falaize Benoît (dir.), 2010, « L’enseignement de l’histoire à l’épreuve du postcolonial. Entre histoire et mémoires », in Bancel Nicolas, Bernault Florence, Blanchard Pascal, Boubeker Ahmed, Mbembe Achille, Vergès Françoise (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, pp. 279-292.

Harbi Mohammed, Stora Benjamin (dir.), 2004, La guerre d’Algérie. 1954-2004 la fin de l’amnésie, Paris, Robert Laffont.

Savarese Eric (dir.), 2008, L’Algérie dépassionnée. Au-delà du tumulte des mémoires, Paris, Editions Syllepse.

Stora Benjamin, 1991, La gangrène ou l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte.

Stora Benjamin, 2010, « Entre la France et l’Algérie, le traumatisme (post)colonial des années 2000», in Bancel Nicolas, Bernault Florence, Blanchard Pascal, Boubeker Ahmed, Mbembe Achille, Vergès Françoise (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, pp. 328-343.

Thénault Sylvie, 2005, « France-Algérie. Pour un traitement commun du passé de la guerre d’indépendance », Vingtième Siècle, revue d’histoire, n° 85, pp. 119-128.

 

 

 

Mémoires des migrations et temps de l’histoire

 

Depuis une trentaine d’années, les mémoires sont devenues omniprésentes dans l’espace public, et un objet d’étude pour l’histoire et les sciences sociales. Dans cet ensemble, les migrants occupent une place singulière. En France, ils ont été acteurs de ces mobilisations mémorielles, sans toujours le faire au nom de leurs origines. Dans le champ scientifique, des études portant sur les mémoires des migrations ont déjà permis d’éclairer un groupe ou un événement, mais leur historicisation reste encore largement à définir et à explorer.

 

L’approche par les mémoires des migrations permet d’envisager l’émigration et l’immigration, mais aussi les différentes catégories de migrants quel que soit leur statut. Par ailleurs, elle pose comme hypothèse la pluralité des mémoires selon les groupes, les motifs et les conditions de départ, les espaces d’installation, les époques. Enfin, elle laisse ouverte la définition de ce qui fait mémoire, par-delà l’expression des souvenirs individuels.

 

La première série de questionnements renvoie à la place des migrations dans cette résurgence des mémoires. Quelles mémoires des migrations s’expriment ici ? Comment s’articulent-elles à l’évolution générale du rapport au passé ? Est-ce qu’elles ressortent, comme ailleurs, d’une revendication de reconnaissance, voire de réparation ? Si on les confronte aux autres mobilisations mémorielles, est-ce qu’elles portent une temporalité singulière ? Des modalités d’expression et de transmission différentes ?

L’expression au présent de ces mémoires ne peut se comprendre sans être replacée dans un processus de plus longue durée, au cours duquel le rapport au passé a revêtu des formes différentes, qu’il s’agira également de saisir.

Mais au-delà de ces mobilisations contemporaines, il convient de réfléchir plus généralement au rôle tenu par la mémoire dans l’histoire des migrations depuis le XIXe siècle, notamment dans la formation des identités de groupe et dans la constitution de réseaux transnationaux et diasporiques.

 

Nous proposons de nourrir la réflexion autour de cinq axes, dont les frontières sont évidemment poreuses.

 

• Événement, temporalités et transmission

Le concept de génération constitue une interrogation centrale. Comment s’opère la transmission d’une génération à l’autre ? Dans le domaine des engagements, la mémoire fonctionne-t-elle comme un palimpseste, chaque génération imposant une mémoire qui efface les précédentes ? Est-ce qu’elle procède, à l’inverse, de l’héritage, chaque combat se nourrissant de ceux qui l’ont précédé ? Comment le passage de la génération de l’expérience à celles qui n’ont pas vécu l’événement, transforme la mémoire ? Enfin, on s’interrogera sur les transmissions d’une vague migratoire à l’autre : les groupes les plus récents élaborent-ils des pratiques mémorielles fondées sur celles de groupes mieux établis ? Il faudra sans doute distinguer les transmissions liées aux mobilisations en migration, de celles qui relèvent de son expérience intime. Dans ces transferts générationnels, la famille occupe-t-elle une place centrale ? Il peut paraître utile de reprendre ici la notion de « post-mémoire », définie par Marianne Hirsch dans le cadre des mémoires de la Seconde Guerre mondiale et de l’extermination des Juifs, pour l’élargir aux migrations. Enfin, on essaiera de réfléchir, dans une perspective comparatiste, au rapport à la mémoire des différentes vagues migratoires.

 

• Territoires géographiques, espaces sociaux, mobilités et jeu d’échelles

La construction et la circulation des mémoires peuvent aussi être approchées, à travers les territoires géographiques et les espaces sociaux.

Il s’agira d’abord de réfléchir à la pertinence du cadre national et de varier les échelles, du local à l’international, au transnational et aux diasporas. On pourra aussi décentrer les regards et étudier les mémoires à partir des pays d’origine, y compris celles des migrants qui sont rentrés.

La réflexion autour d’une géographie mémorielle peut nourrir d’utiles comparaisons. Le rapport à la mémoire, son expression dans l’espace public, les « politiques symboliques » ont-elles, dans les pays d’origine et dans les sociétés d’accueil, des points de convergence ou plutôt des spécificités nationales ?

La problématique des mobilités ouvre des pistes pour aborder le rôle, dans la construction des mémoires, de tout ce qui circule : les femmes et les hommes bien sûr, mais aussi les photographies, les correspondances ou les journaux intimes, ce qui renvoie à la question des sources. La multiplicité des lieux et des milieux en jeu impose aussi de réfléchir aux « frontières » entre les différents espaces sociaux des mémoires : espaces privés et familiaux, espaces publics ou semi-publics (les associations, le bal, les cafés, les foyers, etc.). Il s’agira de regarder comment s'y manifestent les processus mémoriels et ce qui relève, ou non, d'une spécificité des mémoires des migrations.

 

• Identités et multi-appartenances

Les mémoires des migrants ne peuvent se penser en référence au seul fait migratoire. Il nous paraît important de les confronter au cadre théorique élaboré dans l’entre-deux-guerres par Maurice Halbwachs, y compris dans ses évolutions, et de voir quels rôles respectifs jouent dans la construction des mémoires de migrants, la migration mais aussi d’autres appartenances : politique, territoriale, religieuse, sociale ou de genre. Ces mémoires sont en effet à penser comme un processus d’interactions entre l’individu et le groupe, mais aussi entre les différents groupes sociaux. On pourra également mettre en regard le rôle des mémoires dans les constructions identitaires, et la valeur que leur accordent les sociétés d’accueil. À titre d’exemple, l’identité européenne permet désormais aux migrants originaires de l’Union des appartenances multiples, posture souvent refusée aux migrants extra-européens.

 

• Politiques symboliques et patrimonialisation

Depuis les années 1980, les politiques symboliques ont répondu à des mobilisations mémorielles, dans le champ des migrations et ailleurs, suscitant en retour d’autres initiatives. Les pouvoirs publics participent ainsi au jeu des constructions mémorielles, qu’ils peuvent activer, soutenir, mais aussi empêcher, notamment par le bais des politiques culturelles et des financements. Quels sont les processus de reconnaissance possibles, et à l’œuvre, pour les mémoires de migrations ? Les pouvoirs publics se préoccupent-ils de mémoire ou d’une gestion du fait minoritaire ? L’Union européenne exerce-t-elle une influence particulière, à travers ses subventions et la définition d’enjeux qui dépassent le cadre national ?

Quel rôle tient la patrimonialisation, et selon quelles formes, dans le processus de reconnaissance ? Poser cette question renvoie à d’autres interrogations : quel rôle est dévolu aux migrants, et quel rôle revendiquent-ils ? On s’intéressera notamment aux musées dans leurs différentes formes, et à la création artistique confrontée aux mémoires, à leur usage, à leur médiation et à leur réception.

 

• Historiens de l’immigration et mémoires des migrations

Les débats historiographiques des dernières décennies ont permis de réfléchir au rôle du témoin et de la mémoire dans l’écriture du passé. Ils ont aussi tourné les regards vers l’histoire de ceux qui laissent peu de traces dans les archives, faisant ainsi émerger une réflexion sur les sources et sur d’autres manières d’écrire l’histoire.

À l’intersection de ces évolutions, il semble utile d’analyser la place qu’occupent les mémoires dans les travaux des historiens et dans les débats historiographiques sur les migrations.

 

 

Organisation du colloque

Envoi et choix des propositions

Les propositions de communication doivent être envoyées en français ou en anglais (fichier attaché en format word ou rtf).

Elles comporteront un titre et un résumé d’environ 3000 signes (450 mots), les coordonnées complètes de l’intervenant (nom, prénom, fonction et rattachement institutionnel, courriel, adresse postale du domicile, téléphone) et une courte biographie.

Le texte définitif des communications devra être envoyé trois semaines avant le colloque pour être transmis aux discutants.

Plusieurs types de propositions seront plus particulièrement appréciées : celles privilégiant une analyse dans le temps long de l’histoire, celles prenant en compte les mobilités entre espaces sociaux ou géographiques, celles enfin développant une perspective comparative entre pays d’origine ou pays d’accueil.

Dans ce colloque à vocation interdisciplinaire, les propositions intégrant une réflexion épistémologique seront les bienvenues.

Une attention particulière sera apportée aux propositions des doctorant(e)s et des jeunes chercheurs et chercheuses.

Adresse courriel

colloquememoires@histoire-immigration.fr

 

Calendrier

Date limite d’envoi des propositions : 25 mars 2012

Choix définitif des propositions par le comité scientifique : début mai 2012

Réception des textes des communications : 31 octobre 2012

 

Déplacements

Les frais de voyage et d’hôtel sont pris en charge par les organisateurs du colloque. L’organisation sera précisée aux intervenants retenus au mois de juin.

 

Comité scientifique

Marianne Amar (Cité nationale de l’histoire de l’immigration), Michèle Baussant (Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, Université Paris Ouest Nanterre La Défense), Hélène Bertheleu (Université de Tours, CITERES), Yvan Gastaut (Université de Nice Sophia Antipolis, Urmis), Nancy L. Green (EHESS, Centre de recherches historiques), Jim House (University of Leeds), Tony Kushner (University of Southampton), Marie-Claire Lavabre (Institut des sciences sociales du politique, Université Paris Ouest Nanterre La Défense), Sabina Loriga (EHESS, Centre de recherches historiques), Denis Peschanki (Centre d’histoire du XXe siècle, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), Laure Pitti (Université Paris 8, CSU-CRESPPA), Henry Rousso (Institut d’histoire du temps présent), Scott Soo (University of Southampton), Laure Teulières (Université Toulouse-Le Mirail / FRAMESPA).

 

Partenariats

Le colloque est organisé par la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, en partenariat avec les laboratoires Framespa (CNRS / Université Toulouse II-Le Mirail, UMR 5136) et Citeres (CNRS / Université de Tours, UMR6575)

 

 

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5 mars 2012 1 05 /03 /mars /2012 10:39

 

Au début du mois de février 2012, la SNCF a annoncé avoir déposé une copie de l'intégralité de ses archives numérisées de la Seconde Guerre mondiale dans trois centres spécialisés dans la mémoire de la Shoah : le Mémorial de la Shoah de Paris, le Centre Yad Vashem à Jérusalem et l’Holocaust Museum à Washington.

 

Cet acte n'est absolument pas gratuit : il fait suite à  deux affaires que nous avions déjà chroniquées en 2010 sur ce blog :

   - La nécessité pour l'entreprise de se défendre dans les tribunaux contre les accusations de responsabilité dans la déportation portées notamment par l'ancien député européen Alain Lipietz

   - La nécessité également de se justifier sur une collaboration active avec l'occupant allemand ayant permis à l'entreprise de s'enrichir en acheminant plus de 76000 Juifs français vers les camps d'extermination.

 

Train-a-Drancy-en-1942.jpg

Train à Drancy en 1942

 

Alors que le président de la SNCF, Guillaume Pepy, avait jusqu'à présent balayé d'un revers de main méprisant ces allégations, il a adopté une position beaucoup plus compréhensive lorsque ce sont les Américains qui ont pris le relais dans le cadre d'une négociation visant à ouvrir le marché national à l'entreprise française qui en a bien besoin. Pour ne pas être écarté du marché, il s'était déplacé lui-même aux Etats-Unis pour exprimer son "regret" et sa "peine" autour du sombre passé de son entreprise. L'exercice de contrition n'a visiblement pas suffit et le dirigeant a du ajouter quelques actes symboliques à ses paroles. Le dépôt des archives de l'entreprise s'inscrit dans cette perspective.

 

La décision a été accueillie favorablement par les médias français. Pour beaucoup, les archives restent encore liées à une image de trésor jalousement protégé et dans lequel il serait possible de trouver de véritables trésors. C'est en partie vrai mais probablement pas au sens où beaucoup se l'imaginent. L'historien n'est pas un Indiana Jones à la recherche du document perdu, devant déjouer l'attention des conservateurs pour trouver miraculeusement LA fiche qui permettra de révolutionner notre connaissance du passé. C'est plutôt par la lecture de milliers de documents éparpillés dans différents centres et éclairés par une vaste bibliographie que les mots conservés aux archives prennent tout leur sens.

 

Pour comprendre la véritable portée de cette livraison d'archives par la SNCF, il faut donc essayer de comprendre de quoi il s'agit.

Les archives de la SNCF sont gérées par le centre des archives historiques de la SNCF crée au Mans en 1995. Cette institution a pour but de recueillir et d'organiser des archives provenant de plusieurs administrations disséminées sur l'ensemble du territoire (on parle de "directions régionales" pour la SNCF).

Ce centre d'archives ne centralise cependant pas tous les documents. Les dos­siers indi­vi­duels des agents de l’entre­prise et les ser­vice d’archi­ves inter­mé­diai­res pour les régions de Montpellier, de Toulouse ainsi que pour la Caisse de pré­voyance et de retraite à Marseille (CPR) sont recueillis à Béziers.

 

 Un article publié en avril 2003 tentait de faire le point sur les fonds détenus par ces centres. Ces conclusions sont éclairantes pour notre réflexion :

   1. "Aucune opé­ra­tion de tri d’enver­gure n’a encore été menée" : par conséquent, le traitement de ces archives par les chercheurs s'avère difficile, voire impossible à défaut d'un classement permettant une consultation organisée.

   2. "Compte tenu de la richesse des col­lec­tions publi­ques (Archives natio­na­les, minis­té­riel­les, dépar­te­men­ta­les et com­mu­na­les), l’inté­rêt des archi­ves col­lec­tées en entre­prise, pour volu­mi­neu­ses quel­les soient, [...] est fai­ble. En effet, ces docu­ments ne contien­nent le plus sou­vent que l’abou­tis­se­ment de déci­sions déjà pri­ses ailleurs (poli­ti­que sala­riale par exem­ple) ou sont trop géné­raux ou peu signi­fi­ca­tifs etc. " (Martine Constans).

 

Selon le centre des archives du Mans, le don annoncé au début du mois de février 2012 est constitué d' un guide détaillé des archives de la SNCF de 1939 à 1945 et d'une copie des archives qui aurait été numérisées et déposées dans les institutions précédemment citées. 

J'utilise ici volontairement le conditionnel car, au regard du constat dressé en 2003, je ne comprends pas vraiment comment (et avec quels moyens) la SNCF a pu numériser un stock aussi énorme d'archives (plus de 3 kilomètres linéaires). 

 

D'autres questions restent également en suspens et je m'étonne qu'aucun journaliste n'ait tenté d'en savoir davantage :

   - Qui a réalisé ce guide et quelle autorité a été chargée de contrôler la numérisation ? Comment savoir si des documents, voire des dossiers complets, n'ont pas été retranchés des fonds ?

   - Pourquoi avoir choisi de déposer ces archives dans des centres spécialisés dans la mémoire de la Shoah ? L'histoire d'une entreprise publique telle que la SNCF ne peut elle pas être accueillie par les centres d'archives nationaux ?

 

Bref, l'opération médiatique est réussie pour Guillaume Pepy et nous ne pouvons que lui souhaiter de décrocher ces fameux marchés américains.

D'un point de vue moral et déontologique, nous regrettons cependant les motivations strictement financières de cette opération qui demeure floue sur sa méthode et ses effets.

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2 mars 2012 5 02 /03 /mars /2012 10:49

 

A l'approche du 19 mars censé commémorer le cinquantenaire du cessez-le feu officiel de la guerre d'Algérie, les débats et les positions se crispent autour des enjeux de la commémoration d'un conflit dont les mémoires ne semblent toujours pas apaisées sur les deux rives de la Méditerranée.

Nous poursuivons donc notre réflexion sur les enjeux de cette construction mémorielle à la lueur des derniers rebondissements de l'actualité éditoriale et politique.

 

Un coordinateur général tardif et discret

C'est le 23 octobre 2011 que le président de la République Nicolas Sarkozy a nommé Hubert Colin de Verdière au poste de coordinateur général des commémorations du cinquantenaire de la guerre d'Algérie.

Ancien ambassadeur de France en Algérie, ce dernier bénéficie d'une aura et de réseaux indispensables pour éviter de froisser les susceptibilités de l'autre côté de la Méditerranée. Ses qualités de diplomates ont visiblement pesé dans la balance face à Claude Bébéar, actuel dirigeant de la jeune Fondation pour la mémoire de la Guerre d'Algérie qui n'a toujours pas de site Internet et dont le fonctionnement et les activités restent très discrètes, voire floues.

 

De la même façon, l'organisation des commémorations reste modeste, voire transparente, en ce début d'année 2012. Tout se passe comme si les autorités publiques essayaient d'éviter toute forme de polémique jusqu'aux élections présidentielles. Ainsi, l'exposition préparée pour le musée de l'Armée intitulée "L'Algérie à l'ombre des armes" a-t-elle été repoussée du 26 mars au 16 mai, soit exactement après le second tour de l'élection. Idem pour le projet de transfert des cendres du colonel Bigeard aux Invalides.  La pression populaire a été trop forte et le projet a finalement été mis sous silence... jusqu'à quand ?

 

Dès lors, à défaut de cérémonies officielles en présence des représentants politiques, ce sont les médias qui prennent le relais : des dizaines d'émissions de radio, de documentaires télévisés, de colloques, d'exposition et de livres sont prévus progressivement tout au long de l'année. L'Etat ne serait cependant pas totalement absent de cette communication mais tenterait de rester discret. Selon plusieurs rumeurs, Rémy Pfimlin, patron de France Télévisions nommé par le pouvoir exécutif, ferait partie de l'équipe visant à organiser cette commémoration. Dans ces conditions, faut-il s'étonner de l' inflation des programmes étrangement centralisés sur les chaînes publiques

 

Des mémoires irréconciliables ?

Hélas, aucun site ne permet aujourd'hui de centraliser et d'organiser l'ensemble de ces évènements. On comprend bien le dilemme d'Hubert Colin de Verdière qui, en tant que coordinateur général, est censé donner une certaine cohérence à des manifestations dont les acteurs ne parviennent même pas à s'entendre sur une date symbolique de fin de conflit.

Depuis 1963, la Fédération des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (Fnaca) rend hommage aux victimes des combats en Afrique du Nord le 19 mars de chaque année. Cette date correspond à la signature du cessez-le-feu officiel de la guerre d’Algérie.

Toutes les associations d'anciens combattants ne sont cependant pas d'accord sur ce point. L'Union nationale des Combattants (UNC) par exemple considère que cette date n'est pas acceptable car les victimes ont été plus nombreuses après qu'avant ce cessez-le-feu.

Depuis le décret du 28 septembre 2003, l'Etat a choisi d’honorer la mémoire des victimes françaises des combats en Afrique du Nord à la date anniversaire de l’inauguration du Mémorial construit pour elles, quai Branly à Paris, le 5 décembre 2002.

Memorial-guerre-d-Algerie.jpg

 

Pour l'heure, nous devons reconnaître qu'Hubert Colin de Verdière remplit parfaitement sa mission... à l'exception de l'affaire Guy Pervillé. Ce professeur d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse Le Mirail et l’un des meilleurs connaisseurs français de la Guerre d'Algérie. C'est donc en cette qualité qu'il a été contacté par le directeur chargé des Archives de France afin de rédiger la notice relative à la fin de la guerre d’Algérie dans le  recueil sur les commémorations nationales 2012. Or, si son texte a été accepté après quelques modifications mineures, il a finalement été publié sans sa signature et avec de nombreux et longs passages tronqués concernant le rôle de l'OAS, des enlèvements de Français, des massacres de Harkis, etc.

Profondément choqué par ces pratiques à la déontologie particulière, Guy Pervillé a décidé de protester et de publier sur son site  la version initiale de son texte qu'il considère comme ayant été censurée.

 

Décidément, les historiens ne veulent pas laisser les politiques travailler tranquillement... à moins que ce ne soit l'inverse ?

 

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1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 15:26

 

L'Assemblée Nationale se pique décidément d'histoire en cette fin de législature. Après avoir pris  position sur le génocide arménien (et finalement s'être fait  retoquer par le conseil constitutionnel), un groupe de députés a déposé une loi "relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918". 

 

Cette proposition de loi déposée le 24 janvier 2012 est notamment portée par Jean-Jacques Candelier, député du Nord et secrétaire de la commission de la défense nationale et des forces armées (Gauche démocrate et républicaine), qui  s'était opposé à la tribune au projet présidentiel de transformation des cérémonies du 11 novembre en une journée de commémoration de l'ensemble des morts pour la France. 

 

Le texte est simple et court :

Les « Fusillés pour l’exemple » de la Première Guerre mondiale font l’objet d’une réhabilitation générale et collective et, en conséquence, la Nation exprime officiellement sa demande de pardon à leurs familles et à la population du pays tout entier. Leurs noms sont portés sur les monuments aux morts de la guerre 1914-1918 et la mention « Mort pour la France » leur est accordée.

fusille-pour-l-exemple.jpgExécution à Verdun lors des mutineries

 

Cette loi entend répondre à une revendication ancienne et légitime, mais elle soulève néanmoins de nombreuses difficultés.

 

1. Ce que le texte ne dit pas , c'est comment la République va pouvoir trancher entre les soldats fusillés pour l'exemple et ceux qui auraient pu l'être pour des motifs considérés comme "légitimes" à l'époque. Une commission historique va-t-elle être réunie afin d'étudier chaque dossier ? Aura-t-elle pour mission de définir le principe de "fusillé pour l'exemple" sur des critères précis ? 

 

2. La loi peut-elle se permettre de casser les décisions d'une justice certes improvisée et sommaire en temps de guerre, mais d'une justice censée néanmoins demeurer souveraine dans un régime démocratique ? Par cette incursion du pouvoir législatif dans le pouvoir judiciaire, les députés ne remettent-ils pas en cause le principe de la séparation des pouvoirs ?

 

3. Cette réhabilitation générale sera-t-elle également appliquée aux exécutions sommaires sur les champs de bataille, et dans quelles conditions ? A partir de quelles sources ?

 

Bref, cette loi répond certes à une demande ancienne et légitime, mais elle nécessite d'être précisée sur ses moyens et ses conséquences.

Le problème essentiel repose à notre avis sur une volonté louable mais peu réaliste à vouloir réhabiliter individuellement chaque fusillé en procédant à l'inscription de son nom sur les monuments aux morts pour la France. Plus de quatre-vingt dix ans après les faits, cette décision a-t-elle encore du sens ? N'était-il pas possible d'envisager plutôt une réhabilitation collective et symbolique, évitant ainsi de froisser certaines familles qui ne manqueront pas de venir défendre le dossier de leurs aïeux ?

 

Le dossier risque de devenir explosif à l'approche des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale.

 

 

Actualisation du 25 mars 2012 :

Les questions soulevées par cet article ont été soumises au député Jean-Jacques CANDELIER. Voici les éléments de réponse transmis par l'équipe de Jean-Jacques CANDELIER que nous remercions pour sa réaction rapide et attentive : 

 

Sur les "bons" et "mauvais" fusillés, voici la discussion sur l'amendement défendu par M. Candelier, qui reprend sa proposition de loi :  cliquez sur le lien suivant

=> On y trouve notamment la réponse de Marc LAFFINEUR, secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants qui confirme que le problème des fusillés pour l'exemple a été évoqué "par le Président de la République à Douaumont en 2008" et que "M. Zimet a été chargé de rédiger un rapport en vue de l’élaboration de propositions". "Une commission, composée notamment d’historiens et de membres d’associations, va être mise en place afin d’examiner les situations au cas par cas, car on ne peut pas faire une loi réhabilitant tous les fusillés. Pour ce qui est des soldats tirés au sort alors qu’ils n’avaient rien à se reprocher, la République devra tirer les conséquences de l’injustice du traitement qui leur a été réservé, en réhabilitant ces soldats et leurs familles".

 

Par ailleurs, un débat est organisé ce soir à Lewarde : cliquez sur le lien suivant

 

S'agissant de la séparation des pouvoirs, principe constitutionnel, il revient au Conseil constitutionnel de décider le cas échéant si la loi est conforme ou non à la Constitution. Il ne revient pas aux élus de s'autocensurer. Vous noterez que des lois d'amnistie existent.

 

Sur les champs de bataille : pourquoi les traiter différemment ?

 

Sur la possible contradiction du dispositif ("les « Fusillés pour l’exemple » de la Première Guerre mondiale font l’objet d’une réhabilitation générale et collective et, en conséquence, la Nation exprime officiellement sa demande de pardon à leurs familles et à la population du pays tout entier. Leurs noms sont portés sur les monuments aux morts de la guerre 1914-1918 et la mention « Mort pour la France » leur est accordée."), je n'en vois pas car il pose le principe (ou le commandement, l'impératif) de réhabilitation, puis le principe de l'inscription des noms et de l'octroi de la mention "mort pour la France". Ainsi, la loi ne dit pas quels noms doivent être inscrits. Si la loi se propose effectivement de rentrer dans le détail, mais il ne revient pas au législateur de le faire.

 

 

Actualisation du 26 avril 2012 :

Le député Jean-Jacques CANDELIER n'est pas le seul à militer pour la réhabilitation des "fusillés pour l'exemple".

Eric VIOT, membre d’une association de recherches et études historiques sur la vie des Bretons pendant la grande guerre, a réalisé des recherches approfondies et milité pour la réhabilitation des fusillés de la Première Guerre mondiale. Son engagement a notamment permis l'inscription de trois fusillés sur les monuments de leurs communes.

Ses travaux et actions de militance mémorielle sont régulièrement relayées sur son blog.

 

 

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